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09/10/2009 | BELGIQUE | N°C.07.0080.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 09 octobre 2009, C.07.0080.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

1437



NDEG C.07.0080.F

1. T. S.,

2. D. E.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Ixelles, rue Vilain XIIII, 17, ou il est faitelection de domicile,

contre

DEXIA BANQUE BELGIQUE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Pacheco, 44,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxell

es, avenue Louise, 149, ou il est faitelection de domicile,

NDEG C.07.0370.F

DEXIA BANQUE BELGIQUE, societe anonyme dont l...

Cour de cassation de Belgique

Arret

1437

NDEG C.07.0080.F

1. T. S.,

2. D. E.,

demandeurs en cassation,

representes par Maitre Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Ixelles, rue Vilain XIIII, 17, ou il est faitelection de domicile,

contre

DEXIA BANQUE BELGIQUE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Pacheco, 44,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il est faitelection de domicile,

NDEG C.07.0370.F

DEXIA BANQUE BELGIQUE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, boulevard Pacheco, 44,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il est faitelection de domicile,

contre

1. T. S.,

2. D. E.,

defendeurs en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Les pourvois en cassation sont diriges contre l'arret rendu le 7 juillet2006 par la cour d'appel de Liege.

Le conseiller Christine Matray a fait rapport.

L'avocat general delegue Philippe de Koster a conclu.

II. Les moyens de cassation

Dans la requete en cassation inscrite au role general sous le numeroC.07.0080.F, jointe au present arret en copie certifiee conforme, lesdemandeurs presentent deux moyens.

Dans la requete en cassation inscrite au role general sous le numeroC.07.0370.F, la demanderesse presente un moyen libelle dans les termessuivants :

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- articles 1134, 1142, 1146, 1147, 1149, 1150, 1151, 1153, 1382, 1383,1999 et 2000 du Code civil ;

- articles 12 et 13 de la loi du 5 mai 1872 portant revision desdispositions du Code de commerce relatives au gage et à la commission,constituant le livre Ier, titre VI, du Code de commerce intitule « Descommissionnaires » ;

- principe general du droit, dit principe dispositif, selon lequel, enmatiere civile, il appartient aux parties de determiner elles-memes leslimites de leur litige ;

- articles 1138, 2DEG, du Code judiciaire ;

- principe general du droit relatif au respect des droits de la defense.

Decisions et motifs critiques

L'arret rec,oit les appels principal et incident, dit l'appel principalpartiellement fonde, confirme le jugement dont appel en ce qu'il a rec,ules actions, a dit l'action reconventionnelle partiellement fondee et acompense les depens, et, le reformant pour le surplus, dit l'actionprincipale partiellement fondee.

Par consequent, l'arret condamne les defendeurs à payer à lademanderesse (i) la somme de 281.517,35 euros augmentee des interets autaux legal depuis le 22 septembre 1998 jusqu'au complet paiement et (ii)la somme de 13.295,12 euros augmentee des interets au taux conventionnelà dater du 1er octobre 2000 jusqu'au complet paiement.

Par ailleurs, il condamne la demanderesse à payer aux defendeurs la sommede 185.920,64 euros à majorer des interets au taux legal à dater du 22septembre 1998 jusqu'au complet paiement et compense les depens d'appel.

Pour justifier ces condamnations, l'arret retient dans le chef de lademanderesse differentes fautes, à savoir :

(i) Avoir conseille aux defendeurs, en janvier 1998, d'investir leurseconomies dans des titres speculatifs (point 3.4) :

« Debut janvier 1998, les [defendeurs] vendent des Sicav luxembourgeoiseset investissent le produit - 6.000.000 francs - ainsi que 4.000.000 francsprovenant de la vente de decembre 1997 dans l'achat d'actions Dexia Francepour 10.000.000 francs ;

Cette operation au comptant implique l'ouverture d'un dossier-titres ausein de la banque et marque une evolution dans la composition duportefeuille des [defendeurs] puisque la proportion d'actions qui fut de25 p.c. pendant cinq mois - pour des economies de l'ordre de 12,5 à 15millions - passe à 75 p.c. - pour des economies de l'ordre de 13,5 à 16millions ;

On imagine mal les [defendeurs], lesquels n'ont aucune formationparticuliere en matiere financiere, n'ont fait aucun achat de titresspeculatifs avant juin 1997, ne s'interessent pas au cours de la bourse etpeuvent etre consideres comme amateurs en matiere de speculation boursierepar opposition au professionnel qu'est la banque, jeter leur devolu surdes actions Dexia France qui presentaient une decote de 10 p.c. parrapport à l'action belge et ce, à concurrence de 75 p.c. de leursactifs, s'ils n'avaient rec,u un conseil specifique du banquier et realiseun benefice substantiel lors du premier investissement en actions ;

Compte tenu de la formation, de la situation familiale et [celle] dechomeurs des [defendeurs], de l'ampleur de l'investissement, le conseildonne par le gerant n'est pas celui qu'aurait donne un gerant normalementprudent et avise, place dans les memes circonstances » ;

(ii) Avoir conseille aux defendeurs, à partir de la fin du mois dejanvier 1998, d'investir sur le marche à terme de la bourse de Bruxellessans les informer de maniere correcte et precise du fonctionnement dumarche et des risques encourus, alors que son devoir de mise en gardeaurait pu se traduire par le refus d'accepter toute operation à terme, eten donnant aux defendeurs un faux sentiment de securite et de pouvoird'achat par l'ouverture d'une Comfortline (point 3.5) :

« Trois semaines apres l'acquisition des actions Dexia France, lesoperations à terme debutent. Entre le 29 janvier 1998 et le 24 fevrier1998, on note l'achat de 8.000 warrants Societe generale Acceptance A pour974.976 francs, de 540 actions Boeing pour 1.000.756 francs, 24.000warrants Societe generale Acceptance A pour 2.868.536 francs, de 8.500actions Freegold et 7.500 warrants Societe generale Acceptance B pour2.151.292 francs, de 2.300 warrants Societe generale Acceptance A et 6.000actions Freegold pour 1.268.131 francs, soit un total de 8.263.691 francs,et une vente des actions Boeing pour 1.023.981 francs. Le releve desoperations revele que tous les ordres sont passes par l'intermediaire dugerant. A ce moment, les actions Dexia France sont toujours enportefeuille - la vente interviendra à la mi-mars. A partir du 25fevrier, on assiste à des operations constantes de vente et d'achat.C'est à la meme epoque, soit le 27 fevrier, que la [demanderesse] faitune offre d'ouverture de credit Comfortline de 6.500.000 francs garantiepar la mise en gage de titres dont la valeur est estimee à 9.919.000francs, soit plus ou moins la valeur d'achat des actions Dexia France,offre acceptee le jour meme ;

Ces elements demontrent que les [defendeurs] n'ont pas pris l'initiativede speculer sur le marche à terme mais qu'ils y ont ete incites par legerant qui leur prodiguait ses conseils. Il est vraisemblable que legerant leur a explique les rudiments du marche à terme mais n'a pasinforme ces neophytes sans formation specifique, de maniere correcte etprecise, du fonctionnement du marche et des risques encourus, sinonpourquoi auraient-ils, entre janvier et mars 1998, non seulement abandonnetoute gestion de bon pere de famille en liquidant `le reste de leursobligations et Sicav obligataires au porteur' mais encore `sollicite uneComfortline' dont il est vain de soutenir qu'elle `n'etait pas destinee,originairement en tout cas, à etre investie dans l'achat de valeursspeculatives ni donc, comme l'ont ecrit les [defendeurs]' à àugmenterleur pouvoir d'achat', dut-elle `servir de reserve en cas de denouementmalheureux de l'une des operations auxquelles les [defendeurs] selivraient sur le marche à terme'. Des le mois de mars cependant, les[defendeurs] avaient augmente le nombre de leurs ordres à tel point qu'ilsera necessaire à l'agence de reporter leurs achats et leurs ventes surun tableau synoptique afin de pouvoir suivre en temps reel la position duportefeuille, le solde informatique du dossier-titres etant en permanencedepasse, et de porter la limite de la Comfortline à 10.000.000 francs le7 avril 1998, les [defendeurs] apportant en gage 60 Sicav Cregem et desactions Dexia Belgique acquises le 3 avril, ce qui est en contradictionavec les affirmations de la [demanderesse] selon lesquelles la disparitiondes placements stables s'est faite àu grand dam' de l'agence qui n'yavait pas interet et `les [defendeurs] en ont toujours `fait à leur tete'pour leurs investissements, allant meme à contre-courant des avis deprudence que leur donnait parfois le gerant de l'agence', ces quelquesavis etant insuffisants au regard du devoir de mise en garde auquel elleetait tenue en l'espece, lequel devoir pouvait se traduire par le refusd'accepter toutes les operations à terme `demandees', un refusintervenant pour la premiere fois le 6 aout 1998 ;

La Comfortline a contribue à donner aux [defendeurs] un faux sentiment desecurite et de pouvoir d'achat des lors qu'elle leur a permis `d'acquerirde nouveaux titres sans devoir, pour retrouver des disponibilites,liquider à la fin de chaque quinzaine tout ou partie de ceux qui avaientete achetes precedemment' et donc de recourir au report, alors qu'en vertude l'article 6.2. du reglement des ordres de bourse de la [demanderesse],`tous les ordres passes sur le marche à terme doivent etre liquidespendant le terme en cours [et] la banque refusera tout report au termesuivant' ;

Le comportement du gerant n'a pas ete celui qu'aurait eu un gerantnormalement prudent et avise place dans les memes circonstances » ;

(iii) Avoir incite les defendeurs à speculer à la baisse à partir dumois de mai 1998 sans avoir exige, avant le depart du gerant de l'agencede Herstal de la demanderesse le 17 juillet 1998, un acompte en especespour toute operation d'achat ou de report (point 3.7) :

« S'il est vrai que pendant les vacances du gerant - à partir du 17juillet 1998 - l'activite des [defendeurs] s'est ralentie, ils n'en ontpas moins achete massivement des actions dont le cours etait à la baisse,poursuivant l'acquisition de titres initiee en mai, juin et debut juillet(Tessenderlo, Union Miniere, Spector, Gib, Deutsche Bank, Boeing,Anglogold) ou faisant choix d'actions nouvelles (Almanij) ;

Ce n'est pas en regardant pendant quatre mois `la bourse de Bruxelles, quileur etait tres accessible grace au teletexte', que les [defendeurs] ontpu acquerir une connaissance des mecanismes boursiers telle qu'ils ont pudecider d'initiative de modifier leur strategie d'achat. Ici aussil'incitation du gerant est presente et ce n'est pas une recommandation dese montrer prudents qui peut sensibiliser les [defendeurs] aux risquesencourus, une prise de conscience effective par la sensation materielle durisque pouvant etre assuree, en cas d'achat et pour chacun d'eux parl'exigence d'un acompte en especes, comme precise à l'article 1er dureglement des ordres de bourse de la banque ;

Compte tenu de l'orientation nouvelle donnee aux achats, des turbulencesdu marche, de la situation des [defendeurs] et du fait qu'ils ne peuventetre qualifies de speculateurs avertis, un gerant normalement diligent etprudent place dans les memes circonstances aurait donne pour instructionsà ses collaborateurs, avant de partir en vacances, d'exiger un acompte enespeces avant toute operation d'achat ou de report. En ne le faisant pas,le gerant a commis une faute » ;

(iv) Avoir interdit tout nouvel achat d'actions par les defendeurs àpartir du 6 aout 1998 alors qu'il eut ete possible de compenserpartiellement leurs pertes par des achats cibles, acceptes par la banque,pour des montants raisonnables, d'actions à la hausse (point 3.9) :

« Devant la `fuite en avant' des [defendeurs], l'attitude de la[demanderesse] consistant à leur `permettre (...) de tenter leur chancependant la quinzaine boursiere suivante en vendant àvec un petit profit'et en arretant tout achat doit-elle etre consideree comme fautive ?

Les [defendeurs] ne prouvent pas qu'ils auraient rec,u, le 5 aout 1998,l'ordre des preposes de l'agence de revendre les actions Fortis acheteesle jour meme. Par contre, au vu du deroulement de la journee du 6 aout, ilest certain qu'ils l'ont rec,u à cette date et qu'ils l'ont suivi des le7 aout en donnant quatre ordres de vente ; toutes les actions ont etevendues à cette date avec une perte de 200 francs par action, soit uneperte totale de 1.300.000 francs ;

Ils ont vendu, le 10 aout, 5.325 actions Anglogold avec un benefice de51.000 francs, les 17, 18 et 20 aout, 6.000 Deutsche Bank et desTessenderlo avec une marge beneficiaire, ce qui demontre - tout commed'autres operations faites apres le 10 juillet jusqu'à cette periode(voir par exemple les actions Almanij vendues le 27 juillet, selon lesreleves de titres) - qu'il y avait moyen de faire des operations rentablesavec de petites quantites d'actions. Par ailleurs, toutes les actionsn'etant pas à la baisse - la situation n'est pas celle de l'annee 2000 -,il eut ete possible de compenser partiellement par des achats cibles,acceptes par la banque, pour des montants raisonnables, d'actions à lahausse ;

Par ailleurs, il est vain de soutenir que les [defendeurs] ne pouvaientplus faire face à des operations de reports alors que ces operations ontete quasi permanentes et que, parfois, elles ont porte sur plusieursquinzaines boursieres et que la Comfortline n'etait pas epuisee ;

En interdisant tout achat d'actions, le gerant et la [demanderesse] n'ontpas agi comme un gerant et un banquier normalement prudents et avisesplaces dans les memes circonstances » ;

(v) Parmi les titres du portefeuille des defendeurs, realises par lademanderesse en vertu de la convention du 26 aout 1998, avoir realise lestitres Cregem Equities le 6 octobre 1998 sans saisir l'occasion derealiser une operation qui aurait ete plus profitable pour les defendeurs,à savoir vendre ces titres entre le 16 septembre et le 29 septembre 1998(point 3.11) :

« La [demanderesse] a-t-elle vendu les titres vises à la convention du26 aout 1998 en pagaille et l'a-t-elle fait dans des conditionsdefavorables pour les [defendeurs] ?

Par la convention susmentionnee, les [defendeurs] ont accepte que la[demanderesse] procede àu blocage du dossier-titres' et `à larealisation des titres de fac,on discretionnaire en tenant compte descirconstances du marche et au mieux des interets du client' ;

Au contraire de ce que les [defendeurs] ont ecrit à plusieurs reprises,la [demanderesse] n'a pas realise `immediatement en pagaille tous lestitres [ de leur] portefeuille et ce, des le lendemain de la signature dela convention'. Il apparait en effet, au vu des pieces deposees, notammentdes releves des titres, que les ventes d'actions ont ete executees du 27aout au 4 septembre et que la vente des Cregem Equities est intervenue le6 octobre ;

Ces pieces, notamment les evolutions de cours, revelent en outre que lesTessenderlo ont ete realisees à des cours eleves ; les actions Boeing ontete vendues, selon les opportunites, alors que le titre etait à la baissedepuis juillet, avec de temps à autres un pic ; les actions UnionMiniere, qui etaient aussi en baisse, ont ete vendues, egalement selon lesopportunites, à des cours qui ne sont pas parmi les plus mauvais. Pourmemoire, les sommes avancees par la [demanderesse] tiennent compte desfrais d'achat et de vente ;

Meme si les actions n'ont pas toujours ete vendues au meilleur cours, ilfaut se replacer à l'epoque au cours de laquelle la [demanderesse] a duprendre les decisions et, compte tenu de l'evolution du cours des actions,ces decisions ne peuvent etre considerees comme fautives, un professionnelpouvant mal apprecier le risque sans pour autant commettre une faute ;

Comme dejà precise, le seul moyen de limiter le passif aurait ete depermettre des achats cibles, d'autant plus que la Comfortline n'etait pasepuisee ;

Quant aux [defendeurs], ils ne prouvent pas les cours qu'ils avancent auxpieces 1.7 à 1.9 qu'ils ont etablies. D'autre part, les chiffres inscritsdans la rubrique volume ne correspondent pas à leurs avoirs ;

En ce qui concerne les Cregem Equities vendues le 6 octobre, dont leproduit de la vente a credite la Comfortline le 8 octobre, on constatequ'elles ont atteint leur cours le plus eleve le 16 septembre 1998, que cecours s'est maintenu jusqu'au 29 septembre et que la banque n'a pas saisil'occasion de realiser une operation qui aurait ete plus profitable pourles [defendeurs]. Compte tenu du delai pendant lequel le taux s'estmaintenu, on peut considerer qu'elle a commis une faute que n'aurait pascommise un banquier normalement diligent et prudent place dans les memescirconstances ».

La realisation du portefeuille de titres des defendeurs, dans le cadre delaquelle cette derniere faute est intervenue, a ete effectuee par lademanderesse en vertu d'un document signe le 26 aout 1998 par lesdefendeurs par lequel ceux-ci « donnent procuration à la [demanderesse]pour les vendre au mieux de leurs interets », comme le constate lepremier juge dans son expose des faits auquel se refere l'arret.

L'arret retient par ailleurs dans le chef des defendeurs les fautessuivantes :

(i) Avoir manque au devoir de s'informer sur la nature, lescaracteristiques et les risques des produits proposes et sur la necessiteet les implications de l'ouverture d'une Comfortline (point 4, alinea 2) :

« Confrontes à la nouvelle orientation donnee à la gestion de leurseconomies par le gerant et ignorants de la bourse, les [defendeurs] sedevaient de s'informer sur la nature, les caracteristiques et les risquesdu produit propose en demandant des explications plus precises ou desschemas soit à leur banquier habituel soit à un autre professionnel dela finance et ce, d'autant plus que l'achat de titres speculatifs allaitrepresenter 75 p.c. de leurs economies. Se voyant proposer l'ouvertured'une ligne de credit destinee `à augmenter leur pouvoir d'achat' àconcurrence d'environ 50 p.c. de leurs economies, ils auraient du se poserdes questions sur la necessite de recourir à cette formule et sesimplications directes et indirectes. En s'abstenant de le faire, ils n'ontpas agi comme l'aurait fait un investisseur normalement prudent et aviseplace dans les memes circonstances » ;

(ii) avoir neglige de percevoir certaines plus-values sur leurs titres etde les placer en bon pere de famille (point 4, alinea 3) :

« Recevant regulierement les releves des titres, lesquels indiquaient lestitres en portefeuille et leur valeur, ce qui leur permettait de se rendrecompte de l'evolution de la valeur indicative dudit portefeuille parrapport à leurs economies de depart, ils auraient du percevoir certainesplus-values et placer ces benefices en bon pere de famille, ce qu'auraitfait tout investisseur normalement prudent et avise place dans les memescirconstances ; en ne le faisant pas, ils ont commis une faute ».

Apres avoir releve ces differentes fautes dans le chef de la demanderesseet des defendeurs, l'arret decide que la faute de la demanderesse decriteau point 3.4 « n'a cause aucun dommage immediat puisque l'operation a etedenouee en mars 1998 avec un benefice de 1.000.000 francs ».

Il estime par ailleurs que la faute de la demanderesse decrite au point3.11 à eu une influence de plus ou moins 50.000 francs (1.239,46 euros)sur le solde de la Comfortline'. L'arret avait au prealable constate quecette Comfortline resultait d'une ouverture de credit consentie par lademanderesse aux defendeurs le 27 fevier 1998 pour un montant de 6.500.000francs, ulterieurement portee à 10.000.000 francs le 7 avril 1998.

Quant aux autres fautes de la demanderesse et des defendeurs, l'arretdecide qu'elles sont en lien causal avec, en substance, differentes pertesde chance d'eviter le prejudice subi :

« Il faut ensuite relever que :

- en ce qui concerne [la faute] declaree etablie dans [le chef de lademanderesse] au point 3.5 et la faute declaree etablie dans le chef des[defendeurs] au point 4, alinea 2, il n'est pas etabli que, sans lesfautes respectives des parties, les [defendeurs] auraient renonce à toutinvestissement speculatif. Par contre, ils ont perdu une chance de prendredes engagements dans une limite plus raisonnable ;

- la faute declaree etablie dans le chef de la [demanderesse] au point 3.7a eu une influence sur le comportement des [defendeurs] qui n'avaient pasla sensation materielle du risque ; il n'est pas demontre que, si unecouverture en especes avait ete exigee avant les operations d'achataccomplies à partir du 17 juillet, les [defendeurs] auraient renonce auxachats qu'ils ont realises ; cependant, ils ont perdu une chance des'interroger sur l'opportunite des operations et sur la qualite desactions dont l'achat etait envisage et de limiter leurs acquisitions, brefde faire un choix en connaissance de cause ;

- ensuite de la faute declaree etablie dans le chef de la [demanderesse]au point 3.9, les [defendeurs] ont perdu une chance de limiter leurdommage ;

- la faute declaree etablie dans le chef des [defendeurs] au point 4,alinea 3, doit egalement s'analyser en une perte de chance de limiter lesacquisitions ;

- sans ces fautes, le dommage ne se serait pas realise tel qu'il s'estproduit in concreto ».

L'arret precise à cet egard que « les differentes pertes de chancedeclarees etablies ont contribue à concurrence de 50 p.c. au dommagerelatif aux moins-values degagees dans la vente du portefeuille titres, ausolde debiteur de la Comfortline, à la perte des fonds propres initiauxet au dommage moral » (point 5, alinea 6).

Sur la base de ces premisses, l'arret condamne les defendeurs à payer lamoitie de la moins-value de realisation du portefeuille et du solde de laComfortline. Il deduit toutefois du montant ainsi obtenu la somme de1.239,46 euros correspondant à l'influence de la faute de la demanderessedecrite au point 3.11.

« A ce stade, le decompte des sommes dues par les [defendeurs] s'etablitcomme suit :

moins-values : 563.034,71 euros : 2 : 281.517,35

Comfortline : 29.069,16 euros : 2 : 14.534,58

296.051,93

Doivent venir en deduction du montant de 14.534,58 euros, les 1.239,46euros representant la perte dans la vente des Cregem Equities dont la[demanderesse] est seule responsable, en sorte que les [defendeurs]doivent, in fine, 13.295,12 euros ».

D'autre part, sur la base des memes premisses, l'arret condamne lademanderesse à payer la moitie de la perte des fonds propres desdefendeurs et de leur dommage moral :

« La [demanderesse] est, quant à elle, redevable de :

fonds propres : 371.840,28 euros : 2 : 185.920,14

dommage moral : 1 euro : 2 : 0,50

185.920,64

à majorer des interets au taux legal à dater du 22 septembre 1998 ».

Griefs

Premiere branche

Il resulte des articles 1134, 1142, 1146, 1147, 1149, 1150, 1151 et 1153du Code civil, en matiere contractuelle, et des articles 1382 et 1383 duCode civil, en matiere quasi delictuelle, que l'auteur d'une faute esttenu de reparer le dommage cause par cette faute, et uniquement le dommagecause par cette faute.

Par ailleurs, il ressort des memes dispositions que, lorsque la victimed'une faute a elle-meme contribue, par son fait fautif, à causer ledommage dont elle se plaint, le defendeur à l'action en responsabilite nepeut, en regle, etre condamne à reparer la totalite du dommage.

En l'espece, l'arret retient, dans le chef de la demanderesse, troisfautes en particulier, decrites aux points 3.5, 3.7 et 3.9, en lien causalavec plusieurs pertes de chances.

Par ailleurs, l'arret retient dans le chef des defendeurs deux fautes,decrites au point 4, alineas 2 et 3, qui sont egalement en lien causalavec plusieurs pertes de chances.

L'arret confirme l'existence de ce lien causal en decidant que « sans cesfautes, le dommage ne se serait pas realise tel qu'il s'est produit inconcreto ».

L'arret decide ensuite que « les differentes pertes de chance declareesetablies ont contribue à concurrence de 50 p.c. au dommage relatif (...)à la perte des fonds propres initiaux et au dommage moral ». Ce faisant,l'arret evalue souverainement la valeur cumulee des pertes de chancessubies par les defendeurs et causees par les fautes des parties à 50 p.c.du dommage relatif à la perte des fonds propres initiaux et au dommagemoral.

Toutefois, l'arret condamne ensuite la demanderesse au paiement de lasomme de 185.920,64 euros augmentee des interets au taux legal à dater du22 septembre 1998 correspondant à la totalite du dommage subi par lesdefendeurs, à savoir la totalite des pertes de chances subies par eux quel'arret evalue à 50 p.c. de la valeur des fonds propres perdus et dudommage moral.

Or, des lors qu'il avait anterieurement constate que ces pertes de chancesavait ete causees tant par les fautes de la demanderesse que par cellesdes defendeurs, l'arret ne pouvait legalement condamner la demanderesse àla reparation de la totalite de ces pertes de chance.

En prononc,ant une telle condamnation et en refusant ainsi d'operer unpartage de responsabilite entre la demanderesse et les defendeurs en depitdes fautes en relation causale avec le prejudice indemnise dont ilconstate l'existence dans le chef de chacun d'eux, l'arret, s'il se placedans le cadre de la responsabilite contractuelle, viole les articles 1134,1142, 1146, 1147, 1149, 1150, 1151 et 1153 du Code civil et, en tant quede besoin, les articles 1382 et 1383 du Code civil, s'il considere que laresponsabilite de la demanderesse etait de nature aquilienne.

A titre subsidiaire, si, en decidant que « les differentes pertes dechance declarees etablies ont contribue à concurrence de 50 p.c. audommage relatif (...) à la perte des fonds propres initiaux et au dommagemoral » et en condamnant la demanderesse à payer aux defendeurs la sommede 185.920,64 euros augmentee des interets au taux legal à dater du 22septembre 1998 correspondant à la moitie des fonds propres perdus et dudommage moral des defendeurs, l'arret doit s'interpreter comme ayant opereun partage de responsabilite entre la demanderesse et les defendeurs enraison de leurs fautes respectives, il n'est alors pas non plus legalementjustifie.

En effet, l'arret ne constate pas l'existence d'un lien de causaliteentre, d'une part, les fautes commises par la demanderesse et lesdefendeurs, et, d'autre part, le dommage qu'il indemnise pour moitie enraison du partage de responsabilite opere, à savoir la perte des fondspropres et le dommage moral subis par les defendeurs.

En realite, l'arret constate l'existence d'un lien de causalite, non entreces fautes et ce dommage, mais entre ces fautes et differentes pertes dechance d'eviter ce dommage.

Par consequent, en indemnisant, fut-ce pour moitie en raison d'un partagede responsabilite, le dommage constitue par la perte des fonds propres etle dommage moral subis par les defendeurs sans constater que ce dommage abien ete cause par les fautes des parties et en particulier de lademanderesse, l'arret, s'il se place dans le cadre de la responsabilitecontractuelle, viole les articles 1134, 1142, 1146, 1147, 1149, 1150, 1151et 1153 du Code civil et, en tant que de besoin, les articles 1382 et 1383du Code civil, s'il considere que la responsabilite de la demanderesseetait de nature aquilienne.

A tout le moins, en ne faisant pas figurer ces constatations dans sesmotifs, l'arret met la Cour dans l'impossibilite d'exercer son controle,n'est, partant, pas regulierement motive et viole, des lors, l'article 149de la Constitution.

Seconde branche

Il resulte des articles 1134, 1142, 1146, 1147, 1149, 1150, 1151 et 1153du Code civil, en matiere contractuelle, et des articles 1382 et 1383 duCode civil, en matiere quasi delictuelle, que l'auteur d'une faute esttenu de reparer le dommage cause par cette faute, et uniquement le dommagecause par cette faute.

Par consequent, lorsqu'une partie demande la reparation d'un dommagereellement subi, le juge ne peut substituer d'office à ce dommage undommage fictif, consistant en la perte d'une chance d'eviter le dommagereellement subi, fut-ce en vue de pallier l'incertitude du lien causal quiexisterait entre la faute reconnue etablie et le dommage reellement subi.

En outre, en operant pareille substitution d'office sans permettre auxparties de s'exprimer sur ce point, le juge modifie d'office l'objet de lademande et meconnait, d'une part, le principe dispositif et l'article1138, 2DEG, du Code judiciaire et, d'autre part, le principe general dudroit relatif au respect des droits de la defense.

En l'espece, la demanderesse poursuivait la condamnation des defendeurs àlui payer la somme de 563.034,71 euros, augmentee des interets au tauxlegal depuis le 22 septembre 1998, à titre de deficit sur vente, ainsique la somme de 29.069,16 euros, augmentee des interets au tauxconventionnel depuis le 4 novembre 1998, et subsidiairement depuis le 1eroctobre 2000, à titre de solde debiteur de la Comfortline.

A ce dommage reellement subi par la demanderesse, l'arret substitued'office un dommage fictif, constitue par « differentes pertes de chancesdeclarees etablies [qui] ont contribue à concurrence de 50 p.c. audommage relatif aux moins-values degagees dans la vente du portefeuilletitres, au solde debiteur de la Comfortline » et condamne les defendeursà payer à la demanderesse la moitie des montants reclames par celle-ci(dont l'arret deduit encore un montant de 1.239,46 euros en operant unpartage de responsabilite en raison de la faute de la demanderesse decriteau point 3.11).

Par consequent, l'arret substitue illegalement un dommage fictif audommage reellement subi par la demanderesse et dont celle-ci reclamaitreparation.

L'arret viole ainsi le principe dispositif et l'article 1138, 2DEG, duCode judiciaire en modifiant d'office l'objet de la demande et meconnaitle principe general du droit relatif aux droits de la defense ensubstituant d'office un dommage fictif au dommage reellement subi dont lademanderesse reclamait la reparation sans permettre aux parties des'exprimer sur ce point.

Ce faisant, l'arret meconnait en outre les notions legales de perte dechance, de dommage reparable et de lien de causalite (violation desarticles 1134, 1142, 1146, 1147, 1149, 1150, 1151 et 1153 du Code civilet, en tant que de besoin, des articles 1382 et 1383 du Code civil sil'arret considere que la responsabilite de la demanderesse etait de natureaquilienne).

III. La decision de la Cour

Les pourvois sont diriges contre le meme arret. Il y a lieu de lesjoindre.

Sur le pourvoi inscrit au role general sous le numero C.07.0080.F :

Sur le premier moyen :

L'examen de la contradiction alleguee par le moyen supposel'interpretation des dispositions legales dont l'arret fait application.

Ce grief n'equivaut pas à un defaut de motifs et est, des lors, etrangerà la regle de forme inscrite à l'article 149 de la Constitution.

Pour le surplus, il ressort de maniere certaine des motifs de l'arret quela cour d'appel a considere que le dommage reparable subi par lesdemandeurs consiste en differentes pertes de chance equivalant àcinquante pour cent des sommes qu'ils reclamaient.

Le moyen ne precise pas en quoi, dans cette interpretation, l'arretviolerait les dispositions legales relatives au dommage et à sareparation qu'il invoque.

Le moyen ne peut etre accueilli.

Sur le second moyen :

Le moyen suppose que l'arret considere que la responsabilite de ladefenderesse envers les demandeurs est de nature extra contractuelle.

Il ne ressort d'aucun des motifs de l'arret que tel soit le cas.

Le moyen manque en fait.

Sur le pourvoi inscrit au role general sous le numero C.07.0370.F :

Sur le moyen :

Quant à la premiere branche :

Lorsque le dommage a ete cause par des fautes concurrentes, dont celle dela victime, l'auteur du dommage ne peut etre condamne envers la victime àla reparation integrale ; il appartient au juge d'apprecier dans quellemesure la faute de chacun a contribue à causer le dommage et dedeterminer, sur ce fondement, la part de dommages-interets due parl'auteur à la victime.

L'arret considere que la demanderesse et les defendeurs ont commisdiverses fautes et que ces fautes ont cause aux defendeurs des dommagesconsistant en des pertes de chance qu'il evalue à cinquante pour cent deleurs fonds propres initiaux et de leur prejudice moral.

L'arret, qui s'abstient de determiner dans quelle mesure les fautes de lademanderesse et celles des defendeurs ont contribue à causer cesdommages, ne justifie pas legalement sa decision de condamner lademanderesse à reparer l'integralite de ceux-ci.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.

Il n'y a lieu d'examiner ni le surplus de la premiere branche ni laseconde branche du moyen, qui ne sauraient entrainer une cassation plusetendue.

Par ces motifs,

La Cour,

Statuant sur le pourvoi inscrit au role general sous le numeroC.07.0080.F,

Rejette le pourvoi ;

Condamne les demandeurs aux depens ;

Statuant sur le pourvoi inscrit au role general sous le numeroC.07.0370.F,

Casse l'arret attaque en tant qu'il condamne la demanderesse à payer auxdefendeurs la somme de 185.920,64 euros à majorer des interets au tauxlegal à dater du 22 septembre 1998 et qu'il statue sur les depens ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Bruxelles.

Les depens taxes, dans la cause C.07.0080.F, à la somme de cinq centseuros soixante centimes envers les parties demanderesses et à la somme decent soixante-trois euros dix centimes envers la partie defenderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Christine Matray, Martine Regout et Alain Simon, et prononce en audiencepublique du neuf octobre deux mille neuf par le president ChristianStorck, en presence de l'avocat general delegue Philippe de Koster, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | A. Simon | M. Regout |
|-----------------+------------+-------------|
| Ch. Matray | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

9 OCTOBRE 2009 C.07.0080.F

C.07.0370.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.07.0080.F
Date de la décision : 09/10/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2009-10-09;c.07.0080.f ?
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