Cour de cassation de Belgique
Arret
5113
NDEG F.07.0004.F
ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences dureceveur de la T.V.A. de Liege 2, dont les bureaux sont etablis à Liege,rue du Paradis, 1,
demandeur en cassation,
represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,
contre
1. B. H. L. et
2. D. C.,
defendeurs en cassation,
representes par Maitre Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il est faitelection de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 7 juin 2006 parla cour d'appel de Liege.
Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.
L'avocat general Andre Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- articles 7, 12 et 17 de la loi du 20 juillet 1979 concernantl'assistance mutuelle en matiere de recouvrement dans la Communauteeconomique europeenne, des creances resultant d'operations faisant partiedu systeme de financement du Fonds europeen d'orientation et de garantieagricole, ainsi que de prelevements agricoles et de droits de douane,actuellement loi concernant l'assistance mutuelle en matiere derecouvrement des creances relatives à certaines cotisations, droits,taxes et autres mesures ;
- articles 12. 2 et 13 de la directive 76/308/CEE du Conseil du 15 mars1976 concernant l'assistance mutuelle en matiere de recouvrement descreances resultant d'operations faisant partie du systeme de financementdu Fonds europeen d'orientation et de garantie agricole, ainsi que deprelevements agricoles et de droits de douane, dont le champ d'applicationa ete etendu au recouvrement de la T.V.A. par la directive 79/1071/CEE duConseil du 6 decembre 1979, actuellement directive du Conseil du 15 mars1976 concernant l'assistance mutuelle en matiere de recouvrement descreances relatives à certaines cotisations, droits, taxes et autresmesures.
Decisions et motifs critiques
L'arret confirme le jugement entrepris en ces termes :
« que le noeud du litige consiste dans le point de savoir si la directiveeuropeenne 76/308/CEE sur laquelle s'est basee l'administration peut etreappliquee independamment de la loi du 20 juillet 1979 qui a determine lesconditions de son application en droit belge en instaurant notamment parson article 7 une condition plus stricte que la directive, à savoirl'obligation pour l'Etat requis d'etre saisi par une demande motivee del'Etat requerant visant à voir appliquer les mesures conservatoires quela directive autorise, quant à elle, sans que ce dernier les aitexpressement sollicitees (cf. son art. 12) ;
que la reponse à cette question doit etre resolue par la negative nonseulement en consideration des motifs retenus par le premier juge maisencore en fonction des elements suivants :
- il s'agit ici d'une condition qui protege davantage les droits ducontribuable et qui est imposee par une loi belge, independamment du faitque la directive a prevu, d'une part, une procedure de demande expresseet, d'autre part, une procedure ou cette demande n'est pas exigee,l'initiative etant laissee au fisc de l'Etat requis ;
- elle n'est absolument pas en contradiction avec cette directive mais,s'agissant de la transposition d'une directive de portee generale, lelegislateur national etait autorise à en fixer les conditionsd'application qu'il estimait adequates dans un certain nombre desituations specifiques, ces conditions s'imposant à son administrationfiscale ;
- il en resulte que cette administration ne peut se borner à invoquer ladirective au mepris des dispositions particulieres prevues par la loinationale dans le cas d'espece visant à cadrer les pouvoirs du fisc belgeen matiere d'assistance mutuelle dans ses rapports avec les debiteursd'impots etrangers (cfr le principe `patere legem quam ipse fecisti') ;
- il importe peu dans ces conditions que les impots en cause n'aient eteattaques là ou ils etaient reclames (c'est-à-dire en Allemagne) queposterieurement à la mise en oeuvre du recouvrement en Belgique ;
- il en resulte que l'administration ne pouvait pratiquer des saisiesconservatoires sur la base de ses contraintes que dans le respect de laloi belge, quod non en l'espece, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examinerle bien-fonde des saisies en cause ».
Griefs
Aux termes des articles 12 et 13 de la directive 76/308/CEE, deuxprocedures differentes et entierement independantes peuvent amenerl'autorite requise à prendre des mesures conservatoires.
Ainsi, des lors que les conditions pour formuler une demande derecouvrement (article 7, alinea 2, de la directive 76/308/CEE) sont bienremplies au moment de l'envoi de la demande initiale de recouvrement,parce que la creance et le titre executoire ne sont contestes parl'assujetti qu'apres la formulation par l'autorite requerante de lademande de recouvrement, les articles 12.1 et 12.2 de la directive76/308/CEE disposent que
1. « Si au cours de la procedure de recouvrement, la creance ou le titrepermettant l'execution de son recouvrement emis dans l'Etat membre oul'autorite requerante a son siege, sont contestes par un interesse,l'action est portee par celui-ci devant l'instance competente de l'Etatmembre ou l'autorite requerante a son siege, conformement aux regles dedroit en vigueur dans ce dernier. Cette action doit etre notifiee parl'autorite requerante à l'autorite requise. Elle peut en outre etrenotifiee par l'interesse à l'autorite requise.
2. Des que l'autorite requise a rec,u la notification visee au S: 1er,soit de la part de l'interesse, soit (...), elle suspend la procedured'execution dans l'attente de la decision de l'instance competente en lamatiere. Si elle l'estime necessaire et sans prejudice de l'article 13,elle peut recourir à des mesures conservatoires pour garantir lerecouvrement dans la mesure ou les dispositions legislatives oureglementaires en vigueur dans l'Etat membre ou elle a son siege lepermettent pour des creances similaires ».
L'article 12 concerne donc les mesures conservatoires qui ne doivent pasfaire l'objet d'une demande expresse de l'autorite requerante, mais quisont prises par l'autorite requise de sa propre initiative pendant laperiode de suspension d'une demande de recouvrement emanant de l'autoriterequerante.
Par contre, les mesures conservatoires demandees par l'autorite requeranteparce que les conditions pour formuler une demande de recouvrement ne sontpas remplies au moment de l'envoi de la demande sont visees par l'article13 de la directive 76/308/CEE, qui dispose que :
« Sur demande motivee de l'autorite requerante, l'autorite requise prenddes mesures conservatoires pour garantir le recouvrement d'une creancedans la mesure ou les dispositions legislatives ou reglementaires envigueur dans l'Etat membre ou elle a son siege le permettent (...) ».
Par la transposition de la directive 76/308/CEE dans le droit belge,l'autorite belge peut egalement etre amenee à prendre des mesuresconservatoires dans le cadre de deux procedures independantes etdistinctes.
La loi du 20 juillet 1979 concernant l'assistance mutuelle en matiere derecouvrement dans la Communaute economique europeenne, des creancesresultant d'operations faisant partie du systeme de financement du Fondseuropeen d'orientation et de garantie agricole, ainsi que de prelevementsagricoles et de droits de douane, actuellement loi concernant l'assistancemutuelle en matiere de recouvrement des creances relatives à certainescotisations, droits, taxes et autres mesures, a ainsi transpose lesdispositions susmentionnees comme suit dans l'ordre juridique belge :
En application de l'article 12 de la loi du 20 juillet 1979, « l'autoriterequise procede aux recouvrements demandes par l'autorite demanderessecomme s'il s'agissait de creances nees dans le Royaume, lorsque la demandeest conforme aux articles 6 et 8 ».
Aux termes de l'article 6 de la loi du 20 juillet 1979, « S: 1er. Lademande de recouvrement ne peut porter que sur une creance faisant l'objetd'un titre qui en permet l'execution (...).
S: 2. L'autorite requerante ne peut formuler une demande de recouvrementque
a) si la creance ou le titre ne sont pas contestes ;
b) lorsque dans le Royaume la procedure et les mesures prises n'ont pasabouti au payement integral de la creance ».
L'autorite belge procede donc aux recouvrements demandes par l'autoritedemanderesse comme s'il s'agissait de creances nees dans le Royaume, cequi signifie que, lorsque la creance et le titre executoire sont contestespar l'assujetti apres la formulation par l'autorite requerante de lademande de recouvrement, comme en la cause, l'autorite belge a lapossibilite de prendre des mesures conservatoires de sa propre initiativepour garantir le recouvrement dans la mesure ou les dispositionslegislatives ou reglementaires en vigueur dans notre droit positif lepermettent pour des creances similaires.
Les mesures prises en l'espece rentrent bien dans ce cadre.
Quant à l'article 17 de la loi du 20 juillet 1979, il dispose que « surdemande faite conformement aux articles 7 et 8, l'autorite requise prenddes mesures conservatoires pour garantir le recouvrement d'une creanceconformement aux dispositions du Code judiciaire ».
Les articles 7 et 8 indiquent respectivement que :
« La demande de mesures conservatoires fondee sur un titre executoiredoit etre motivee et comprendre les annexes et renseignements prevus auxS:S: 1er, 3 et 5 de l'article 6 »
et que :
« Les demandes visees à l'article 3 et les pieces annexees doivent etreaccompagnees d'une traduction dans la langue officielle ou l'une deslangues officielles de l'autre Etat membre des Communautes europeennes ouelles sont adressees, sauf si l'autorite competente de cet Etat endispense l'autorite requerante ».
Si les conditions pour formuler une demande de recouvrement ne sont pasremplies au moment de l'envoi de la demande, l'autorite belge ne peut doncprendre des mesures conservatoires que sur demande expresse et motivee del'Etat requerant.
L'existence de deux procedures independantes s'explique et se justifiedonc logiquement par le fait que les conditions d'application de ces deuxprocedures sont totalement differentes, et que le legislateur a voulueviter par les articles 12.2 de la directive 76/308/CEE et 12 de la loi du20 juillet 1979 que l'autorite requerante ne doive encore remplir desformalites supplementaires considerables pour demander des mesuresconservatoires dans le cas ou l'autorite requerante aurait dejà envoyeune demande de recouvrement et peut donc etre supposee vouloir - si desmesures de recouvrement au sens strict du terme s'averent impossibles - laprise de mesures conservatoires pour sauvegarder l'execution forceeulterieure.
Par consequent, les articles 12.2 de la directive 76/308/CEE et 12 de laloi du 20 juillet 1979 indiquent que les mesures conservatoires prises parl'autorite requise pendant la suspension d'une demande de recouvrementemanant de l'autorite requerante ne doivent faire l'objet d'aucune demandeexpresse de l'autorite requerante mais sont prises par l'autorite requisede sa propre initiative.
Contrairement à ce que la cour d'appel decide, l'article 7 de la loi du20 juillet 1979 ne fixe pas, pour la prise de mesures conservatoires, desconditions plus strictes que celles qui sont imposees par la directive76/308/CEE.
L'arret n'a donc pu, sans violer les dispositions legales visees au moyen,decider que l'Etat belge, lorsqu'il est requis d'assister un autre Etatmembre au recouvrement de creances fiscales dans le cadre d'une demande derecouvrement au sens de l'article 7 de la directive 76/308/CEE, ne peutprendre des mesures conservatoires que sur demande expresse et motivee del'Etat requerant.
III. La decision de la Cour
1. L'arret annule les saisies conservatoires pratiquees sur la base decontraintes decernees et rendues executoires à charge du defendeur à lasuite de demandes de recouvrement de creances de taxe sur la valeurajoutee adressees au demandeur par l'administration fiscale allemande.
2. Le moyen fait grief à l'arret de considerer, pour prononcer cetteannulation, que les dispositions, et en particulier l'article 7, de la loidu 20 juillet 1979 concernant l'assistance mutuelle en matiere derecouvrement dans la Communaute economique europeenne, des creancesresultant d'operations faisant partie du systeme de financement du Fondseuropeen d'orientation et de garantie agricole, ainsi que de prelevementsagricoles et de droits de douane, dans sa version applicable au litige, àla difference de l'article 12.2 de la directive nDEG 76/308/C.E.E. duConseil des Communautes europeennes dont cette loi est la transposition,subordonnent la prise de mesures conservatoires par l'Etat belge, saisid'une demande de recouvrement de creance, à l'introduction par l'autoriterequerante d'une demande motivee ayant ces mesures pour objet.
3. Il ressort des travaux preparatoires de la loi que l'intention dulegislateur a ete de transposer ladite directive « en la respectantscrupuleusement ».
4. Aux termes de l'article 6 de la directive, sur demande de l'autoriterequerante, l'autorite requise procede selon les dispositionslegislatives, reglementaires ou administratives applicables pour lerecouvrement des creances similaires nees dans l'Etat membre ou elle a sonsiege, au recouvrement des creances faisant l'objet d'un titre qui enpermet l'execution ; à cette fin, toute creance faisant l'objet d'unedemande de recouvrement est traitee comme une creance de l'Etat membre oul'autorite requise a son siege, sauf application de l'article 12.
Conformement à cette derniere disposition, lorsqu'au cours de laprocedure de recouvrement, l'autorite requise rec,oit notification del'existence d'une action en contestation de la creance ou du titrepermettant l'execution de son recouvrement emis dans l'Etat membre oul'autorite requerante a son siege, elle suspend la procedure d'executiondans l'attente de la decision de l'instance competente en la matiere,l'article 12.2., alinea 1er, precisant que, « si elle l'estime necessaireet sans prejudice de l'article 13, elle peut recourir à des mesuresconservatoires pour garantir le recouvrement dans la mesure ou lesdispositions legislatives ou reglementaires en vigueur dans l'Etat membreou elle a son siege le permettent pour des creances similaires ».
En vertu de l'article 13 de la directive, sur demande motivee del'autorite requerante, l'autorite requise prend des mesures conservatoirespour garantir le recouvrement d'une creance dans la mesure ou lesdispositions legislatives ou reglementaires en vigueur dans l'Etat membreou elle a son siege le permettent, l'article 6, l'article 7, S:S: 1er, 3et 5, et les articles 8, 11, 12 et 14 s'appliquant mutatis mutandis.
5. L'article 16 de la loi precitee, qui est la transposition de l'article12 de la directive, ne prevoit pas expressement la possibilite, pourl'autorite belge requise, de prendre des mesures conservatoireslorsqu'elle suspend la procedure d'execution à la suite del'introduction, au cours de la procedure de recouvrement, d'une action encontestation de la creance ou du titre permettant l'execution de sonrecouvrement.
La raison en est que l'article 12, alinea 1er, de la loi, dans sa versionapplicable au litige, dispose en termes generaux et sans la reservecontenue dans l'article 6 precite de la directive que l'autorite belgesaisie d'une demande de recouvrement conforme aux articles 6 et 8 de cetteloi « procede aux recouvrements demandes par l'autorite demanderessecomme s'il s'agissait de creances nees dans le Royaume ».
6. Il suit de cette disposition que, dans le cadre de l'execution d'unetelle demande de recouvrement, l'autorite belge saisie peut, comme ellepourrait le faire s'il s'agissait d'une creance nee dans le Royaume,prendre des mesures conservatoires lorsque la creance ou le titrepermettant l'execution de son recouvrement sont contestes au cours de laprocedure, meme en l'absence de toute nouvelle demande à cette fin del'autorite etrangere requerante. L'article 17 de la loi, qui est latransposition de l'article 13 de la directive, ne trouve pas, comme leprevoit la directive, à s'appliquer dans cette hypothese.
En considerant que le demandeur ne peut prendre des mesures conservatoiresen pareil cas que s'il est saisi par l'autorite etrangere requerante, surla base de l'article 17 de la loi, d'une demande motivee conformement àl'article 7, l'arret ne justifie pas legalement sa decision.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il dit non fondee la demande dedommages et interets des defendeurs ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, à la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Paul Mathieu, les conseillers AlbertFettweis, Sylviane Velu, Benoit Dejemeppe et Martine Regout, et prononceen audience publique du vingt-cinq septembre deux mille neuf par lepresident de section Paul Mathieu, en presence de l'avocat general AndreHenkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | M. Regout | B. Dejemeppe |
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| S. Velu | A. Fettweis | P. Mathieu |
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25 SEPTEMBRE 2009 F.07.0004.F/1