Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.08.0221.N
1. N. Z.,
2. R. C.,
Me Jean-Marie Nelissen Grade, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. W. F.,
2. S. J.,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre les arrets rendus les 26 avril2007 et 10 janvier 2008 par la cour d'appel de Gand.
Par ordonnance du 26 fevrier 2009, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.
Le president Ivan Verougstraete a fait rapport.
L'avocat general Ria Mortier a conclu.
II. Les moyens de cassation
Les demandeurs presentent trois moyens dans leur requete.
(...)
Deuxieme moyen
Dispositions legales violees
- articles 1er, 2, 14, 15 et 19 du Reglement (CE) n-o 1348/2000 du Conseildu 29 mai 2000 relatif à la signification et à la notification dans lesEtats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matiere civileet commerciale, dans la version applicable avant sa modification par leReglement (CE) nDEG 1393/2007 du Parlement europeen et du Conseil du13 novembre 2007 relatif à la signification et à la notification dansles Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matierecivile ou commerciale (signification ou notification des actes), etabrogeant le reglement (CE) nDEG 1348/2000 du Conseil ;
- articles 860, plus specialement alinea 1er, 861 et 867 du Codejudiciaire, le dernier article dans la version applicable avant samodification par la loi du 26 avril 2007.
Decisions et motifs critiques
Le premier arret attaque decide que :
- aucune des dispositions du Reglement (CE) n-o 1348/2000 du Conseil du29 mai 2000 relatif à la signification et à la notification dans lesEtats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matiere civileet commerciale invoquees par les demandeurs n'entraine la nullite oul'irrecevabilite de la demande des defendeurs ;
- la demande principale est recevable et
- il y a lieu de confirmer le jugement dont appel en tant qu'il dit pourdroit que la citation originairement signifiee aux defendeurs estreguliere ;
- par les considerations reproduites dans le jugement du tribunal depremiere instance de Courtrai que le premier arret attaque s'approprie,suivant lesquelles :
« Le tribunal considere qu'il ressort du dossier de la procedureque (...) et qu'en outre, les droits de defense des (demandeurs) n'ont pasete violes des lors qu'ils ont pu consulter un avocat en temps utile avantl'audience d'introduction au cours de laquelle ils ont d'ailleurs deposedes conclusions d'accord ».
- et par les considerations reproduites dans l'arret, considerees commeintegralement reiterees en l'espece, plus specialement par lesconsiderations suivant lesquelles :
« (...) Il y a lieu de constater à cet egard qu'aucune sanction n'estliee aux formalites prevues à l'article 2.3 (du Reglement (CE)n-o 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000.
En tout cas, conjointement avec le premier juge, la cour [d'appel]constate que les deux appelants ont comparu non seulement à l'audienced'introduction mais aussi au cours de la procedure ulterieure devant lepremier juge et que leurs droits de defense n'ont pas ete violes des lorsqu'ils ont pu organiser leur defense et exposer leurs moyens de defense.Ainsi, il ne peut etre fait application de l'article 19 du reglementprecite qui n'est applicable que lorsque le defendeur ne comparait pas. Ily a lieu de constater de surcroit à la lumiere de cet article qu'aucunedes violations invoquees ou supposees des dispositions formelles dureglement precite relatives au mode de signification n'entraine enl'espece la nullite ou l'irrecevabilite de la demande en justice.
Meme dans l'hypothese ou les motifs invoques par les appelantsentraineraient en principe la nullite ou l'irrecevabilite de la demande enjustice, il y a lieu de constater - par ces memes motifs - que ce n'estpas le cas en l'espece. L'exploit a ete remis aux appelants - quin'apportent par ailleurs pas la preuve d'une lesion d'interets - qui ontcomparu, qui ont eu l'occasion d'organiser leur defense en temps utile etde maniere circonstanciee et qui ont pu exposer leurs moyens de defense.Ainsi, le but assigne par la loi, vise à l'article 867 du Code judiciaireet applicable à la procedure devant le juge belge, a ete realise et cetterealisation couvre en tout cas la nullite invoquee en l'espece ».
Le second arret attaque, rendu le 10 janvier 2008 :
- statue sur le fondement de la demande originaire des defendeurs, et
- declare l'appel principal des demandeurs partiellement fonde,
par les considerations reproduites dans l'arret, considerees commeintegralement reiterees en l'espece, plus specialement par lesconsiderations suivant lesquelles :
« L'arret interlocutoire du 26 avril 2007 a declare l'appel principal,l'appel incident et toutes les demandes introduites devant la courrecevables, a rejete l'appel en tant qu'il etait dirige contre lesdecisions du premier juge declarant la citation originaire reguliere etrejetant les exceptions de nullite et les fins de non-recevoir opposees àla demande en justice ».
Griefs
Premiere branche
L'article 19 du Reglement (CE) n-o 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000relatif à la signification et à la notification dans les Etats membresdes actes judiciaires et extrajudiciaires en matiere civile et commercialeprevoit les sanctions applicables aux violations des dispositions dureglement lorsque le defendeur ne comparait pas. Aucune disposition dureglement ne prevoit les consequences liees aux violations desdispositions du reglement lorsque le defendeur comparait.
Le fait que le reglement precite ne prevoit pas les consequences liees àune signification irreguliere lorsque le defendeur comparait, n'impliquepas que la violation du reglement demeure sans consequence lorsque ledefendeur comparait. En effet, cette lacune a pour consequence que lasanction applicable dans ce cas est la sanction prevue par le droitnational du juge saisi devant lequel le defendeur comparait.
En l'espece, le premier arret attaque a decide qu'aucune sanction n'estprevue en cas de violation des formalites prevues à l'article 2, S: 3, duReglement (CE) n-o 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000. Il a considere enoutre qu'il ne peut etre fait application de l'article 19 du reglementprecite des lors que les demandeurs ont comparu et qu'en consequence,aucune des violations des dispositions du reglement precite invoquees parles demandeurs n'entraine la nullite ou l'irrecevabilite de la demande desdefendeurs.
En decidant qu'aucune des violations des dispositions du reglement preciteinvoquees par les demandeurs n'entraine la nullite ou l'irrecevabilite dela demande des defendeurs, le premier arret attaque ne justifie paslegalement sa decision (violation des articles 1er, 2, 14, 15 et 19 duReglement (CE) n-o 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif à lasignification et à la notification dans les Etats membres des actesjudiciaires et extrajudiciaires en matiere civile et commerciale).
Le second arret attaque s'est refere aux constatations et auxconsiderations par lesquelles le premier arret attaque a declare lacitation des defendeurs reguliere et leur demande originaire recevable. Enconsequence, la cassation du premier arret attaque entraine l'annulationdu second arret attaque.
Seconde branche
Ainsi qu'il a ete expose au premier moyen, en sa premiere branche, ilappartient au juge saisi de determiner à la lumiere de son droit nationalla sanction applicable en cas de violation du Reglement (CE) n-o 1348/2000du Conseil du 29 mai 2000 relatif à la signification et à lanotification dans les Etats membres des actes judiciaires etextrajudiciaires en matiere civile et commerciale lorsque le defendeurcomparait.
Ainsi, en l'espece, la sanction applicable est determinee à la lumiere dudroit belge.
L'article 860, alinea 1er, du Code judiciaire dispose que, quelle que soitla formalite omise ou irregulierement accomplie, aucun acte de procedurene peut etre declare nul si la nullite n'est pas formellement prononceepar la loi.
En vertu de l'article 861 du meme code, le juge ne peut declarer nul unacte de procedure que si l'omission ou l'irregularite denoncee nuit auxinterets de la partie qui invoque l'exception.
L'article 867 du meme code, dans la version applicable avant samodification par la loi du 26 avril 2007, dispose que l'omission oul'irregularite de la forme d'un acte, en ce compris le non-respect desdelais prescrits à peine de nullite ou de la mention d'une formalite, nepeut entrainer la nullite, s'il est etabli par les pieces de la procedureque l'acte a realise le but que la loi lui assigne ou que la formalite nonmentionnee a, en realite, ete remplie.
Il suit de ces dispositions legales que les articles 861 et 867 du Codejudiciaire sont uniquement applicables aux causes de nullite expressementprevues par la loi.
Aucune disposition legale ne prevoit la nullite d'un acte judiciaire qui aete signifie en violation des dispositions du reglement precite. Enconsequence, les articles 861 et 867 du Code judiciaire ne sont pasapplicables à cette violation.
En outre, sauf exception legale - inexistante en l'espece - les reglesrelatives à la competence de l'huissier de justice interessentl'organisation judiciaire. Ainsi, l'eventuelle violation de ces regles netombe pas dans le champ d'application de la sanction de nullite prevue auxarticles 861 à 867 inclus du Code judiciaire.
Si le droit franc,ais en matiere de sanction du defaut de competence del'huissier de justice franc,ais etait applicable en l'espece, laconsequence serait identique. En effet, selon le droit franc,ais, ledefaut de competence de l'huissier de justice est frappe d'une nullited'ordre public pour violation d'une regle relative à l'organisationjudiciaire. Cette sanction prive l'acte de son caractere authentique et,en consequence, constitue une irregularite au fond.
En l'espece, les demandeurs ont fait valoir dans leurs conclusions qu'aumoment de la signification de la citation introductive d'instance, ilsetaient domicilies non plus en France mais en Belgique. Ils ont allegue enoutre que l'huissier de justice franc,ais n'est pas competent pourproceder à la signification directe d'actes sur le territoire franc,aiset que l'exploit de signification de la citation introductive d'instancen'avait pas ete remis à la seconde demanderesse (...).
Ces irregularites entrainent soit l'irregularite de la signification soitla violation d'une regle interessant l'organisation judiciaire. En toutcas, ces sanctions sont etrangeres aux dispositions des articles 860 à867 inclus du Code judiciaire. En outre, ces sanctions ne presupposent pasl'existence d'une lesion d'interets et ne donnent pas davantage ouvertureà reparation.
Le premier arret attaque a decide que les droits de defense des demandeursn'avaient pas ete violes, qu'ils n'apportaient pas la preuve d'une lesiond'interets, qu'ils ont comparu et qu'en tout cas, la realisation du butassigne par la loi, vise à l'article 867 du Code judiciaire et applicableà la procedure devant le premier juge, couvrait la nullite invoquee enl'espece.
Ainsi, le premier arret attaque meconnait les articles 1er, 2, 14, 15, 19du Reglement (CE) n-o 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif à lasignification et à la notification dans les Etats membres des actesjudiciaires et extrajudiciaires en matiere civile et commerciale, 860,plus specialement alinea 1er, 861 et 867 du Code judiciaire et ne justifiepas legalement la these suivant laquelle aucune des violations invoqueesdes dispositions du reglement precite n'entraine la nullite oul'irrecevabilite de la demande des defendeurs.
Pour ces motifs, le premier arret attaque viole les articles 1er, 2, 14,15, 19 du Reglement (CE) n-o 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000, 860,plus specialement alinea 1er, 861 et 867 du Code judiciaire et ne justifiepas legalement la decision qu'aucune des violations des dispositions dureglement precite invoquees par les demandeurs n'entraine la nullite oul'irrecevabilite de la demande des defendeurs.
Le second arret attaque s'est refere aux constatations et auxconsiderations par lesquelles le premier arret attaque a declare lacitation des defendeurs reguliere et leur demande originaire recevable. Enconsequence, la cassation du premier arret attaque entraine l'annulationdu second arret attaque.
(...)
III. La decision de la Cour
Sur le deuxieme moyen :
Quant à la premiere branche :
1. L'arret ne decide pas de maniere autonome qu'aucune des violations desdispositions du Reglement (CE) n-o 1348/2000 du Conseil du 29 mai 2000relatif à la signification et à la notification dans les Etats membresdes actes judiciaires et extrajudiciaires en matiere civile et commerciale(en abrege ci-apres : Reglement (CE) n-o 1348/2000) invoquees par lesdemandeurs n'entraine la nullite ou l'irrecevabilite de la demande desdefendeurs, mais examine in concreto s'il y a lieu d'appliquer dessanctions à ces eventuelles irregularites et decide qu'il n'y a pas lieude faire application de l'article 19 du reglement precite, des lors queles defendeurs ont comparu.
Le moyen, en cette branche, est fonde sur une lecture incomplete del'arret et, partant, manque en fait.
Quant à la seconde branche :
2. Lorsqu'un reglement ne prevoit pas les consequences de certains faits,le juge national est en principe tenu d'appliquer le droit national, touten garantissant le plein effet du droit communautaire. Ce principe estconsacre dans l'arret rendu le 8 novembre 2005 par la Cour de justice desCommunautes europeennes dans la cause Leffler, C-443/03.
3. Le Reglement (CE) n-o 1348/2000 ne prevoit pas explicitement lessanctions à appliquer en cas de signification ne satisfaisant pas auxconditions de forme requises par le reglement lorsque le defendeurcomparait. Les sanctions applicables à ces vices de forme sont lessanctions prevues par le droit national de l'Etat saisi de la cause.
Ces sanctions doivent concourir au but du reglement qui est d'ameliorer etd'accelerer la communication des pieces sans porter atteinte aux droits dela defense.
4. La violation d'une formalite relative à un acte de procedure prescritepar le Reglement (CE) n-o 1348/2000 n'entraine pas necessairementl'irregularite de la signification lorsque le but de la signification estrealise et que le droit national admet le principe de la lesiond'interets.
5. Le moyen, en cette branche, qui est fonde sur la these que la lesiond'interets est denuee de pertinence en l'espece et que la realisation dubut assigne par le reglement est sans incidence sur la regularite de lasignification, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux depens.
(...)
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, les conseillers Eric Dirix,Eric Stassijns, Alain Smetryns et Koen Mestdagh, et prononce en audiencepublique du sept septembre deux mille neuf par le president IvanVerougstraete, en presence de l'avocat general Ria Mortier, avecl'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction etablie sous le controle du president de section Paul Mathieuet transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le president de section,
7 SEPTEMBRE 2009 C.08.0221.N/10