Cour de cassation de Belgique
Arret
4622
NDEG F.08.0055.F
ETAT BELGE, represente par le ministre des Finances, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences dudirecteur du centre de controle à Philippeville, dont les bureaux sontetablis à Philippeville, rue du Moulin, 94,
demandeur en cassation,
contre
BRUNET, societe anonyme dont le siege social est etabli à Couvin,chaussee de Philippeville, 60,
defenderesse en cassation,
ayant pour conseil Maitre Xavier Thiebaut, avocat au barreau de Liege,dont le cabinet est etabli à Liege, rue Simonon, 13, ou il est faitelection de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 25 janvier 2008par la cour d'appel de Liege.
Le conseiller Martine Regout a fait rapport.
L'avocat general Andre Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Disposition legale violee
Article 18, alineas 1er, 4DEG, et 2, du Code des impots sur les revenus1992, tel qu'il est applicable depuis le 15 avril 1999 (article 1er del'arrete royal du 11 avril 1999 fixant la date d'entree en vigueur decertaines dispositions de la loi du 10 mars 1999 modifiant la loi du 6avril 1995 relative aux marches secondaires, au statut des entreprisesd'investissement et à leur controle, aux intermediaires et conseillers enplacement, fixant le regime fiscal des operations de pret d'actions etportant diverses dispositions, pris en execution de l'article 78 de cetteloi du 10 mars 1999, qui prevoit en son article 44 les dernieresmodifications de l'article 18, alinea 1er, 4DEG ; la modification relativeà l'alinea 2 resulte de l'article 3, 2DEG, de l'arrete royal de pouvoirsspeciaux du 20 decembre 1996 portant des mesures fiscales diverses enapplication des articles 2, S: 1er, et 3, S: 1er, 2DEG et 3DEG, de la loidu 26 juillet 1996 visant à realiser les conditions budgetaires de laparticipation de la Belgique à l'Union economique et monetaireeuropeenne).
Decisions et motifs critiques
Apres avoir constate
« que, par convention du 31 mars 2001, E. B., administrateur delegue de(la defenderesse), et son epouse, C. D., cedent à (la defenderesse) leursparts dans la s.p.r.l. Brunet Structures (50 p.c. chacun) ;
que la cession se realise pour la somme globale de 14.500.000 francspayable le 30 avril 2001 au plus tard et qu'il est prevu à l'article 4 dela convention que 'toute somme non remboursee à son echeance seraporteuse de plein droit d'un interet fixe à 0,658 p.c. (reference tauxATN 7,9 p.c.) de la somme encore due par mois de retard entame' ;
qu'au 31 decembre 2001, dans les comptes de (la defenderesse), la dette de14.500.000 francs vis-à-vis de Monsieur et Madame B. se ventile en10.000.000 francs pour Monsieur B. et 4.500.000 francs pour Madame D. ;
que la somme de 14.500.000 francs n'etant pas payee à l'echeance, lasociete comptabilisera en charge 'une somme de 768.897 francs relative auxinterets sur les sommes dues par la [defenderesse] à M. et Mme B.' »,
l'arret considere
« que la notion de pret d'argent reprise dans le texte de l'article 18 duCode des impots sur les revenus 1992 n'est pas definie par la loi fiscaleet, à defaut d'une telle definition particuliere, a le sens qui lui estdonne par le droit commun ;
qu'en droit commun, la notion de pret d'argent, chose consomptible, estcelle de pret de consommation definie par l'article 1892 du Code civilcomme etant 'un contrat par lequel l'une des parties livre à l'autre unecertaine quantite de choses qui se consomment par l'usage, à la chargepar cette derniere de lui en rendre autant de meme espece et qualite' ;
que le texte de l'article 18, 1DEG, du Code des impots sur les revenus1992, en ce qu'il utilise la notion de pret d'argent definie par le Codecivil, est clair et [qu'] il n'y a pas lieu de l'interpreter en fonctionde la volonte du legislateur dans les travaux preparatoires (cf. Liege, 25mars 2005, 2004/RG/342) ;
que le pret d'argent est un contrat reel qui implique la remise de lachose, en l'occurrence de l'argent, et entraine l'obligation de celui quirec,oit la chose, lequel est devenu proprietaire de la chose consomptible,de restituer une chose de meme espece et qualite ;
qu'en l'espece, aucune remise de fonds par Monsieur B. et Madame D. à (ladefenderesse) n'est etablie ;
que (le demandeur) invoque l'existence de deux contrats successifs, unevente d'actions dont le prix est paye via l'inscription de la dette deprix en compte courant des associes suivie d'un contrat de pret portantsur le meme montant ; (...)
que l'inscription au compte courant des associes de la societe d'unmontant correspondant au prix de vente est inexacte des lors que le prixde vente des parts sociales n'a pas ete comptabilise dans les comptescourants associes mais dans des comptes de la classe 17 correspondant àdes dettes à plus d'un an (...) ;
qu'en l'espece, la dette d'interets de (la defenderesse) a etecomptabilisee au compte 'nDEG 650350 - interets de dettes B. M./ Mme' ettrouve sa source dans la convention de cession de parts sociales dont leprix n'a pas ete paye à l'echeance et qui a donne lieu à lacomptabilisation en fin d'exercice d'une dette globale vis-à-vis desvendeurs de parts correspondant au prix de cession (...) ;
que la creance des cedants de parts produisant les interets en causeresulte bien de la cession de biens ;
qu'elle constitue une creance de prix et ne correspond pas dans le chef dela societe à l'obligation de restituer une chose semblable à celleremise dans le cadre d'un pret de consommation resultant notamment d'unenovation dont la preuve n'est nullement rapportee ;
que les interets pris en charge par (la defenderesse) decoulent non d'unpret d'argent mais du non-paiement d'une partie du prix de vente ainsi quede l'application d'une clause conventionnelle prevoyant des interets deretard dus de plein droit à defaut de paiement à l'echeance »,
et decide
« qu'à defaut de pret d'argent, il n'y avait pas lieu à requalificationdes interets sur creance de prix de vente de parts sociales en dividendeset d'enroler un precompte mobilier complementaire »
et, en consequence, dit pour droit que « le jugement defere (qui avaitdit le recours recevable et fonde et ordonne le degrevement descotisations litigieuses à due concurrence) est confirme en toutes sesdispositions ».
Griefs
Les termes « tout pret d'argent (...) consenti » figurant à l'article18, alinea 2, du Code des impots sur les revenus 1992 ne limitent pasl'application de cette disposition legale aux seuls contrats de pretregles par le droit commun (articles 1874 à 1914 du Code civil), des lorsque 1) le terme « tout » atteste clairement la volonte du legislateur dereserver à la notion de pret sa portee la plus large, 2) les termes «pret d'argent » ne reproduisent pas à l'identique les termes « pret enargent » figurant à l'article 1895 du Code civil, qui reglespecifiquement le contrat de pret de droit commun lorsque la chose preteeconsiste en de l'argent, et 3) le terme « consenti » - plutot que «conclu » - souligne le caractere consensuel du pret envisage à l'article18, alinea 2, et indique, par voie de consequence, que le caractere reeldu contrat de pret de droit commun n'est pas un element determinant pourl'application de cette derniere disposition, de sorte que l'existence d'unpret de nature à donner lieu à une requalification d'interets endividendes n'est pas subordonnee à une remise materielle des fonds pretesmais peut resulter de la seule expression du consentement des parties.
Cette interpretation litterale de l'article 18, alinea 2, est confirmee,pour autant que de besoin, par le rapport au Roi relatif à l'arrete royalde pouvoirs speciaux du 20 decembre 1996 qui a modifie cet article 18,alinea 2, suivant lequel la volonte du legislateur est de « lutter contrela sous-capitalisation des societes » et, dans cette perspective, «d'etendre » l'ancienne mesure - qui concernait « toute creance detenuepar un administrateur de societe de capitaux (...) ou par un associe d'unesociete de personnes » - aux prets d'argent consentis par une personnephysique à une societe dont elle possede des actions ou parts.
Si les termes « tout pret d'argent (...) consenti » figurant àl'article 18, alinea 2, sont de nature à exclure le caractere reel ducontrat de pret ainsi vise, ils n'induisent cependant pas que ledit pretne devrait pas satisfaire à l'element caracteristique essentiel ducontrat de pret, à savoir la volonte du preteur de faire beneficierl'emprunteur de l'usage de la chose empruntee ou des fonds empruntes.
Quant aux interets, il est constant, ainsi que le constate l'arret, qu'« (ils) decoulent du non-paiement d'une partie d'un prix de vente ainsique de l'application d'une clause conventionnelle prevoyant des interetsde retard dus de plein droit à defaut de paiement à l'echeance ».
Or, pour que la question des interets du prix de vente se pose, il fautsupposer une vente à terme quant au paiement du prix, ou bien une venteau comptant dans laquelle le vendeur n'exige pas le paiement immediat duprix, c'est-à-dire un acte qui procede du consentement des parties etqui, par derogation à la regle prevue par l'article 1651 du Code civilsuivant laquelle la delivrance de la chose vendue et le paiement du prixse font « donnant donnant », genere une periode intermediaire au coursde laquelle l'acheteur beneficie à la fois de l'usage de la chose vendueet du prix ; en d'autres termes, pour que la question des interets du prixde vente se pose, il faut necessairement admettre que le vendeur a fait «credit » à l'acheteur, c'est-à-dire qu'il ait consenti à laisser àcelui-ci l'usage des fonds constitutifs du prix.
Ce « credit » consenti par le vendeur à l'acheteur constitue un « pretd'argent (...) consenti » au sens de l'article 18, alinea 2, du Code desimpots sur les revenus 1992, des lors que, par un effet de la volonte desparties, l'acheteur (in casu la defenderesse) beneficie de l'usage desfonds constitutifs du prix du au vendeur (in casu l'administrateur deleguede la defenderesse et son epouse).
Il s'ensuit que, par les motifs qu'il enonce, l'arret ne justifie paslegalement sa decision « qu'à defaut de pret d'argent, il n'y avait paslieu à requalification des interets sur creance de prix de vente de partssociales en dividendes et d'enroler un precompte mobilier complementaire» et que « le jugement defere (lequel avait ordonne le degrevement descotisations litigieuses à due concurrence) est confirme en toutes sesdispositions » ; il viole, au contraire, l'article 18, alineas 1er, 4DEG,et 2, du Code des impots sur les revenus 1992.
III. La decision de la Cour
L'article 18, alinea 1er, 4DEG, du Code des impots sur les revenus 1992,tel qu'il est applicable en l'espece, prevoit que les dividendescomprennent les interets des avances dans les conditions qu'il determine.
En vertu de l'alinea 2 du meme article, est considere comme avance, toutpret d'argent, represente ou non par des titres, consenti par une personnephysique à une societe dont elle possede des actions ou parts ou par unepersonne à une societe dans laquelle elle exerce un mandat ou desfonctions vises à l'article 32, alinea 1er, 1DEG, de ce code.
A defaut de definition particuliere dans la loi fiscale, il y a lieud'entendre par pret d'argent, conformement au droit commun, le contrat parlequel le preteur remet de l'argent à l'emprunteur en vue de luipermettre de s'en servir et à charge pour ce dernier de le lui restituerau terme convenu.
Un pret d'argent, au sens de l'article 18, alinea 2, precite, peut etreconstate par une inscription au compte courant de l'actionnaire ou de lapersonne qui exerce un mandat ou des fonctions qui sont vises à l'article32, alinea 1er, 1DEG, mais une telle inscription n'implique pasnecessairement l'existence d'un contrat de pret au sens de cettedisposition.
L'arret constate que l'administrateur delegue de la defenderesse et sonepouse ont cede à la defenderesse leurs parts dans la societe BrunetStructures, que la convention de cession stipule que « toute somme nonremboursee à son echeance sera porteuse de plein droit d'un interet [...]par mois de retard entame » et que, le capital n'etant pas paye àl'echeance, la defenderesse a comptabilise en charge une somme « relativeaux interets sur les sommes dues » par la defenderesse aux vendeurs.
Il considere que la creance des vendeurs, productive d'interets,« constitue une creance de prix et ne correspond pas, dans le chef de la[defenderesse], à l'obligation de restituer une chose semblable à celleremise dans le cadre d'un pret de consommation resultant notamment d'unenovation dont la preuve n'est nullement rapportee » et « que lesinterets pris en charge par [la defenderesse] decoulent non d'un pretd'argent mais du non-paiement d'une partie d'un prix de vente ainsi que del'application d'une clause conventionnelle prevoyant des interets deretard dus de plein droit à defaut de paiement à l'echeance ».
L'arret justifie ainsi legalement sa decision qu'à defaut de pretd'argent constituant une avance telle qu'elle est definie à l'article 18,il n'y a lieu ni de requalifier les interets litigieux en dividendes nid'enroler un precompte mobilier complementaire.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux depens.
Les depens taxes à la somme de cent euros soixante-trois centimes enversla partie demanderesse et à la somme de cent trente-huit eurosnonante-quatre centimes envers la partie defenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Albert Fettweis, Sylviane Velu et Martine Regout, et prononce en audiencepublique du quatre septembre deux mille neuf par le president ChristianStorck, en presence de l'avocat general Andre Henkes, avec l'assistance dugreffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | M. Regout | S. Velu |
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| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
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4 SEPTEMBRE 2009 F.08.0055.F/9