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03/04/2009 | BELGIQUE | N°C.08.0111.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 03 avril 2009, C.08.0111.N


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.08.0111.N

P. V.,

Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,

contre

K. M.,

Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 19 novembre2007 par la cour d'appel d'Anvers.

Le president de section Robert Boes a fait rapport.

L'avocat general delegue Andre Van Ingelgem a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes sui

vants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- articles 6, 1108, 1126, 1128, 1131, 1133 du Code civil ;

- article 4 d...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.08.0111.N

P. V.,

Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,

contre

K. M.,

Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 19 novembre2007 par la cour d'appel d'Anvers.

Le president de section Robert Boes a fait rapport.

L'avocat general delegue Andre Van Ingelgem a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- articles 6, 1108, 1126, 1128, 1131, 1133 du Code civil ;

- article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre preliminaire duCode de procedure penale;

- article 505 du Code penal, tel qu'il etait en vigueur avant samodification par la loi du 10 mai 2007.

Decisions et motifs critiques

Dans l'arret attaque du 19 novembre 2007, la cour d'appel d'Anvers adeclare l'appel interjete par la demanderesse contre le jugement rendu le10 mars 2006 par le tribunal de premiere instance d'Anvers recevable maisnon fonde et a confirme le jugement entrepris.

Confirmant le jugement dont appel, la cour d'appel a declare la demande dudefendeur fondee et a condamne la demanderesse à payer 370.000 euros,majores des interets de retard au taux legal à compter du 28 mars 2004jusqu'au jugement et, des lors, majores des interets judiciaires au tauxlegal jusqu'au jour du paiement total.

La requete de la demanderesse tendant à obtenir la suspension de laprocedure conformement à l'article 4 du la loi du 17 avril 1878 contenantle titre preliminaire du Code de procedure penale a ete rejetee par lacour d'appel par les motifs qui suivent :

IV. Suspension de la procedure

1. (La demanderesse) requiert la suspension de la procedure conformementà l'article 4 la loi du 17 avril 1878 contenant le titre preliminaire duCode de procedure penale.

2. (La demanderesse) se refere plus specialement aux requisitions duprocureur du Roi du 20 fevrier 2007 tendant au renvoi (du defendeur) autribunal correctionnel (sa piece 37).

4. (En resume), (le defendeur) y est inculpe d'avoir perc,u des revenusoccultes et tous deux y sont inculpes d'avoir employe des sommes d'argentainsi obtenues.

3. La reconnaissance de dette litigieuse doit egalement etre examinee dansce cadre. Tous deux sont inculpes d'avoir employe ces revenus occultespour un montant de 370.000 euros au moins à la renovation de l'habitationsituee à Anvers, (...)laan, 234.

La reconnaissance de dette litigieuse porte sur la somme de 370.000 euroset (la demanderesse) y declare devoir cette somme (au defendeur), enspecifiant qu'elle `reconnait vouloir consacrer ou avoir consacre (cette)somme à la renovation de la propriete sise à Anvers, (...)laan, 234'.

4. Pour pouvoir recourir (eu egard à l'ordre public) à l'adage `lecriminel tient le civil en etat' (exception de l'autorite de la chosejugee au penal), il doit notamment etre etabli que le juge penal estappele à statuer sur des points communs à l'action publique et àl'action civile, au risque de contradiction.

5. Tel n'est pas le cas en l'espece. Le juge penal peut uniquement deciderque les sommes d'argent perc,ues par (la demanderesse), pour lesquelles lareconnaissance de dette a ete dressee, proviennent de revenus occultes.

Ceci est sans incidence sur le contrat sous-jacent entre (la demanderesse)et (le defendeur) en ce qui concerne l'obligation de remboursement par (lademanderesse) d'une somme d'argent obtenue (du defendeur).

La nullite du contrat sous-jacent pour cause d'objet illicite ne se posepas en l'espece.

L'`objet' est l'objectif, le resultat concret du contrat.

Le contrat - la reconnaissance de dette - concerne en l'espece uneobligation unilaterale dans le chef de (la demanderesse).

L'objet est la restitution par (la demanderesse) d'une somme d'argent quilui a ete donnee par (le defendeur).

Cet objet n'est pas contraire à une regle de droit imperatif, à l'ordrepublic ou aux bonnes moeurs.

La nullite du contrat sous-jacent pour cause illicite ne se pose pasdavantage en l'espece.

La `cause' est le mobile determinant d'un contrat.

Il y a lieu de considerer que ce mobile determinant est de remettre à ladisposition (du defendeur) les sommes d'argent qui lui reviennent. Ainsiqu'il a ete dit ci-dessus, le contrat en l'espece concerne en effet uneobligation unilaterale dans le chef de (la demanderesse). Il n'y a doncpas lieu de considerer en l'espece ce mobile determinant comme lapoursuite d'un objectif contraire à l'ordre social (il n'est pas interditpar la loi et n'interesse pas l'ordre public ou les bonnes moeurs).

Plus precisement, le mobile determinant dudit contrat n'est pas decontourner les lois fiscales imperatives. Ce detournement - s'il s'estrealise - est prealable à la convention.

6. Il n'y a des lors pas lieu de prononcer la suspension de laprocedure ».

Appreciant le fond de la demande principale, la cour d'appel a considereque les griefs de la demanderesse, « qui s'appuient sur le pretendu faitque le paiement litigieux a ete fait avec des sommes d'argent provenant derevenus occultes, (...) ont dejà ete rejetes ci-avant (voir suspension dela procedure) », et a decide : « Vu l'ensemble de ces elements, lademande principale est fondee. Le jugement entrepris doit en l'espece etreconfirme et l'appel n'est pas fonde (...) ».

Griefs

1. L'article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre preliminairedu Code de procedure penale dispose que l'action civile peut etrepoursuivie en meme temps et devant les memes juges que l'action publique.Elle peut aussi l'etre separement ; dans ce cas l'exercice en est suspendutant qu'il n'a pas ete prononce definitivement sur l'action publique,intentee avant ou pendant la poursuite de l'action civile.

La ratio legis de cette obligation de suspension, qui est d'ordre public,est d'eviter les decisions contradictoires entre le juge civil et le jugepenal. Cette regle est un corollaire de l'autorite de la chose jugee aupenal à l'egard du juge civil.

L'obligation de suspension nait des lors que l'action publique esteffectivement mise en mouvement et que le juge a pour mission de statuersur des points communs à l'action publique et à l'action civile, aurisque de rendre des decisions contradictoires.

2. L'article 6 du Code civil dispose qu'on ne peut deroger, par desconventions particulieres, aux lois qui interessent l'ordre public et lesbonnes moeurs.

Pour la validite du contrat soit valide, l'article 1108 du Code civilexige un objet certain qui forme la matiere de l'engagement et une causelicite dans l'obligation.

En vertu de l'article 1131 du Code civil, l'obligation sans cause, ou surune fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet.

Conformement à l'article 1133 du Code civil, la cause est illicite, quandelle est prohibee par la loi, quand elle est contraire aux bonnes moeursou à l'ordre public.

Tout acte juridique, meme unilateral, doit avoir une cause licite.

Un acte juridique repose sur une cause illicite lorsque le mobiledeterminant pour poser cet acte juridique est interdit par la loi ou estcontraire à l'ordre public ou aux bonnes moeurs, ce qui est le caslorsque ce mobile determinant tend à creer ou à maintenir une situationcontraire à l'ordre public.

3. L'objet de l'acte juridique est l'effet juridique concret vise,l'ensemble des engagements que l'on fait naitre.

L'objet de l'obligation est la prestation promise par le debiteur.

Conformement à l'article1126 du Code civil, tout contrat a pour objet unechose qu'une partie s'oblige à donner, ou qu'une partie s'oblige à faireou à ne pas faire. En vertu de l'article 1128 du Code civil, il n'y a queles choses qui sont dans le commerce qui puissent etre l'objet desconventions.

L'objet d'un acte juridique est illicite, et l'acte juridique parconsequent nul, lorsqu'il consiste à creer ou maintenir une situationillegale.

(...)

Seconde branche

5.1. Selon la cour d'appel, le mobile determinant, c'est-à-dire la causede la reconnaissance de dette, consiste à remettre à la disposition dudefendeur les sommes d'argent qui lui reviennent.

Selon la cour d'appel, cette cause n'est pas illicite des lors qu'elle neconsiste pas dans la poursuite d'un objectif contraire à l'ordre social.Le mobile determinant n'est pas le detournement des lois fiscales des lorsque ce detournement, s'il s'est realise, est prealable au contrat (lareconnaissance de dette).

Des lors que, selon la cour d'appel, le juge penal peut uniquement deciderque les sommes d'argent perc,ues par la demanderesse, pour lesquelles lareconnaissance de dette a ete dressee, proviennent de revenus occultes, iln'y a pas lieu, selon ladite cour d'appel, de prononcer la suspension dela procedure.

Il ressort des constatations de la cour d'appel visees ci-dessus (sous lepoint 4.2) en ce qui concerne la procedure penale pendante - constatationsici explicitement reiterees - que le juge penal peut non seulement deciderque les sommes d'argent perc,ues par la demanderesse, pour lesquelles lareconnaissance de dette a ete dressee, proviennent de revenus occultes,mais egalement prendre en consideration la reconnaissance de dettelitigieuse pour decider que, eu egard notamment à la reconnaissance dedette litigieuse, la demanderesse et/ou le defendeur se sont renduscoupables de l'utilisation de revenus occultes, en d'autres mots deblanchiment d'avantages patrimoniaux provenant d'une infraction selon unedes manieres definies à l'article 505 du Code penal.

La decision du juge penal pourrait avoir pour consequence que le mobiledeterminant de la reconnaissance de dette consiste dans le blanchiment derevenus occultes et que, par consequent, la reconnaissance de dette creeou, du moins, maintienne une situation illegitime.

La decision suivant laquelle le juge penal peut uniquement decider que lessommes d'argent perc,ues par la demanderesse, pour lesquelles lareconnaissance de dette a ete dressee, proviennent de revenus occultes etque le mobile determinant de la reconnaissance de dette n'est pas dedetourner les lois fiscales, de sorte que le risque de contradiction entrela decision du juge penal et celle du juge civil est inexistant et qu'iln'y a pas lieu de suspendre la procedure devant la cour d'appel, n'est parconsequent pas legalement justifiee (violation des articles 6, 1108, 1131,1133 du Code civil, 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titrepreliminaire du Code de procedure penale et 505 du Code penal, tel qu'iletait en vigueur avant sa modification par la loi du 10 mai 2007).

(...)

III. La decision de la Cour

Appreciation

1. La Cour ne peut avoir egard ni à la note complementaire ni à la piecejointe en annexe, deposees le 26 mars 2009 par la demanderesse au greffede la Cour en dehors du delai prevu à l'article 1087 du Code judiciaire.

Sur le premier moyen :

Sur la recevabilite :

2. Le defendeur soutient que le moyen est irrecevable au motif qu'il estdirige contre l'appreciation en fait des juges d'appel en ce qui concernela determination de l'objet et de la cause du contrat.

3. Le moyen critique la decision des juges d'appel suivant laquelle il n'ya pas lieu de suspendre la procedure devant la cour d'appel en applicationde l'article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre preliminairedu Code de procedure penale au motif que le risque de contradiction entrela decision du juge penal et celle du juge civil est inexistant.

4. Il appartient à la Cour de verifier si les juges d'appel pouvaientdeduire des faits qu'ils ont constates que le risque de contradictionentre la decision du juge penal et celle du juge civil est inexistant.

La fin de non-recevoir ne peut etre accueillie.

Quant à la seconde branche:

5. La regle d'ordre public, fixee à l'article 4 de la loi du 17 avril1878 contenant le titre preliminaire du Code de procedure penale, en vertude laquelle l'exercice de l'action civile qui n'est pas poursuivie devantle meme juge simultanement à l'action publique est suspendu tant qu'iln'a pas ete prononce definitivement sur l'action publique, se justifie parle fait que le jugement penal est en regle revetu à l'egard de l'actioncivile introduite separement de l'autorite de chose jugee sur les pointscommuns à l'action publique et à l'action civile.

6. Il ressort des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard et desconstatations de l'arret attaque que :

- le defendeur demandait la condamnation de la demanderesse au paiementd'un montant de 370.000 euros majore des interets, en se referant à unereconnaissance de dette, signee par la demanderesse ;

- devant les juges d'appel, la demanderesse a demande la suspension de laprocedure sur la base de l'article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenantle titre preliminaire du Code de procedure penale eu egard à la procedurepenale pendante ;

- la demanderesse a notamment soutenu devant les juges d'appel que lareconnaissance de dette etait nulle pour contrariete à l'ordre public etpour faussete de la cause.

7. L'arret attaque constate qu'il ressort des requisitions du procureur duRoi, tendant au renvoi des parties au tribunal correctionnel, presenteespar la demanderesse, que :

- le defendeur est inculpe d'avoir perc,u des revenus occultes ;

- la demanderesse et le defendeur sont inculpes d'avoir employe cesrevenus pour un montant de 370.000 euros au moins à la renovation del'habitation situee à Anvers , (...)laan, 234 ;

- la reconnaissance de dette litigieuse, par laquelle la demanderessedeclare devoir la somme de 370.000 euros au defendeur, en specifiantqu'elle « reconnait vouloir consacrer ou avoir consacre (cette) somme àla renovation de la propriete sise à Anvers, (...)laan, 234 », doit etreexaminee dans ce contexte.

8. Il ressort de ces constatations que le juge penal pouvait non seulementdecider que les sommes d'argent perc,ues par la demanderesse, pourlesquelles la reconnaissance de dette a ete dressee, proviennent derevenus occultes, mais egalement prendre en consideration lareconnaissance de dette litigieuse pour decider que la demanderesse ou ledefendeur se sont rendus coupables de l'utilisation de revenus occultes.

Il s'ensuit que le caractere licite ou non des mobiles de lareconnaissance de dette peut constituer un element de la decision renduesur l'action publique et qu'une contradiction entre cette decision etcelle des juges d'appel sur la validite de la reconnaissance de detten'est pas exclue.

9. Par consequent, les juges d'appel n'ont pu legalement decider que laprocedure ne devait pas etre suspendue au motif que le risque decontradiction entre la decision du juge penal et celle du juge civil etaitinexistant.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Quant aux autres griefs:

10. Les autres griefs ne sauraient entrainer une cassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour,

sans avoir egard à la note de la demanderesse du 26 mars 2009,

Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il declare l'appel recevable ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant la cour d'appel de Bruxelles.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient les presidents de section Robert Boes et Ernest Wauters, lesconseillers Eric Stassijns, Albert Fettweis et Beatrijs Deconinck, etprononce en audience publique du trois avril deux mille neuf par lepresident de section Robert Boes, en presence de l'avocat general delegueAndre Van Ingelgem, avec l'assistance du greffier Johan Pafenols.

Traduction etablie sous le controle du president Christian Storck ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

Le greffier, Le president,

3 AVRIL 2009 C.08.0111.N/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.08.0111.N
Date de la décision : 03/04/2009

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2009-04-03;c.08.0111.n ?
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