Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.07.0089.F
G. F.,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile,
contre
F. P., defendeur en cassation,
represente par Maitre Jean-Marie Nelissen Grade, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue Brederode, 13, ouil est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 26 octobre 2006par la cour d'appel de Bruxelles.
Par ordonnance du 26 novembre 2008, le premier president a renvoye lacause devant la troisieme chambre.
Le conseiller Martine Regout a fait rapport.
L'avocat general delegue Philippe de Koster a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- articles 229, 231, 232, alinea 1er, 299, 300, 301, S: 1er, et 306 duCode civil ;
- articles 19, 23 à 28, 1268, 1275, S: 2, et 1278, alineas 1er et 2, duCode judiciaire.
Decisions et motifs critiques
L'arret confirme la prononciation du divorce sur la base de l'article 232,alinea 1er, du Code civil mais, « reformant le jugement entrepris, ditpour droit que (le defendeur) renverse partiellement la presomptiond'imputabilite des torts de l'article 306 du Code civil et que le divorceprononce sur la base de l'article 232, alinea 1er, du Code civil doit,pour l'application des articles 299, 300 et 301 du Code civil, etreconsidere comme prononce aux torts reciproques des parties ».
Griefs
Les juges d'appel ont juge que « c'est à bon droit que le premier juge aconsidere que l'adultere etabli dans le chef du (defendeur) justifie quele divorce soit prononce à ses torts sur la base des articles 229 et 231du Code civil ». Ils ont des lors dit l'appel du defendeur non fonde surce point et confirme le jugement entrepris.
Statuant ensuite dans le cadre de la demande reconventionnelle dudefendeur sur « la demande de renversement d'imputabilite des torts del'article 306 du Code civil », les juges d'appel ont estime qu' « ilparait injustifie d'attribuer la responsabilite de la separation desparties exclusivement à l'une d'elles et qu'il convient au contraired'admettre que [le defendeur] renverse partiellement la presomptiond'imputabilite des torts de l'article 306 du Code civil, de sorte que ledivorce doit etre repute prononce aux torts reciproques des parties ».
Lorsque, comme en l'espece, il existe deux actions en divorce reciproqueset que, sur l'action principale, le divorce est prononce aux torts dudefendeur sur la base des articles 229 et 231 du Code civil, l'actionreconventionnelle qui tend à obtenir le divorce pour cause de separationde fait (article 232, alinea 1er, du Code civil) et à faire dire, parapplication de l'article 306 du Code civil, que l'epoux qui a obtenu ledivorce sur la demande principale est responsable de la separation de faitet doit par consequent etre considere, pour l'application des articles299, 300 et 301 du Code civil, comme l'epoux contre lequel le divorce estprononce, devient sans objet.
Dans la mesure, en effet, ou l'objet des demandes en divorce pour causedeterminee ou pour cause de separation de fait est identique, savoir ladissolution du mariage, le juge qui, sur la demande principale d'unepartie, prononce le divorce aux torts de l'autre partie, videparallelement le fond de la cause quant à la demande reconventionnelle endivorce pour cause de separation de fait.
Il est definitivement juge que le mariage est dissous aux torts de lapartie defenderesse sur la demande principale en divorce.
En l'occurrence, par l'effet de la prononciation du divorce aux torts dudefendeur pour cause d'adultere et d'injure grave, la demanderesse peutdemander au juge de lui accorder sous certaines conditions une pension surles biens et revenus du defendeur (article 301 du Code civil et article1278, alineas 1er et 2, du Code judiciaire). Elle conserve de plus lebenefice des avantages que le defendeur lui avait faits tandis que cedernier est prive des institutions contractuelles dont il beneficiait(articles 299 et 300 du Code civil).
Le defendeur aurait certes pu etablir que le divorce doit aussi etreprononce aux torts de la demanderesse sur la base des articles 229 et 231du Code civil mais il ne peut plus demander au tribunal qu'il soit dit,par application de l'article 306 du Code civil, que le divorce doit etre« repute prononce aux torts reciproques des parties ».
L'article 306 du Code civil dispose que, « pour l'application desarticles 299, 300 et 301, l'epoux qui obtient le divorce sur la base dupremier alinea de l'article 232 est considere comme l'epoux contre qui ledivorce est prononce ; le tribunal pourra en decider autrement si l'epouxdemandeur apporte la preuve que la separation de fait est imputable auxfautes et manquements de l'autre epoux ».
Le renversement de la presomption d'imputabilite de la separation de faitorganise par ledit article 306 du Code civil ne peut avoir pourconsequence d'inverser ou de partager les torts et de priver l'epoux qui aobtenu le divorce aux torts de son conjoint pour cause d'adultere oud'injure grave des droits ci-dessus enumeres, dont celui à une pensionalimentaire apres divorce.
En effet, les fautes et manquements invoques à l'appui du renversement dela presomption d'imputabilite dans le cadre de l'application de l'article306 du Code civil ne sont pas, comme le souligne l'arret, assimilables àl'adultere ou aux injures graves justifiant un divorce sur la base del'article 231 du Code civil des lors qu'ils peuvent presenter un degre degravite moindre. Ils ne peuvent partant faire perdre à la demanderesse lebenefice d'un divorce prononce aux torts du defendeur sur la base desarticles 229 et 231 du Code civil.
L'article 306 permet à l'epoux contre lequel le divorce est prononceuniquement pour cause de separation de fait de renverser en tout ou enpartie la presomption d'imputabilite qui pese sur lui.
Il ne l'autorise pas, lorsque le divorce est prononce à ses torts pourcause d'adultere ou d'injure grave, d'encore solliciterreconventionnellement que le divorce soit aussi prononce aux torts de sonex-conjoint pour cause de separation de fait.
L'article 306 du Code civil est en d'autres mots applicable dans le cadred'une demande en divorce fondee sur la separation de fait ou dans le cadrede deux demandes en divorce reciproques pour cause de separation ; iln'est plus applicable lorsque, sur la demande principale en divorce pourcause d'adultere ou d'injure grave, le divorce est prononce aux torts del'epoux defendeur, meme si celui-ci a demande reconventionnellement que ledivorce soit prononce pour cause de separation de fait.
Il s'ensuit qu'en confirmant la prononciation du divorce pour cause deseparation de fait et en decidant que le defendeur renverse partiellementla presomption d'imputabilite des torts de l'article 306 du Code civil etque le divorce doit etre considere comme prononce « aux tortsreciproques » des parties, les juges d'appel ont fait une applicationillegale dudit article 306 (violation de cette disposition). Ils sont deplus revenus sur un point (la prononciation du divorce aux torts dudefendeur) à propos duquel ils avaient epuise leur juridiction (violationde l'article 19 du Code judiciaire) et ont porte atteinte à l'autorite età la force de chose jugee de la decision prononc,ant le divorce aux tortsdu defendeur sur la base des articles 229 et 231 du Code civil (violationdes articles 23 à 28, 1268 et 1275, S: 2, du Code judiciaire). Ils ontaussi illegalement meconnu les effets d'un tel divorce ainsi que lesdroits conferes à la demanderesse par cette prononciation (violation desarticles 229, 231, 232, alinea 1er, 299, 300, 301, 306 du Code civil et1278, alineas 1er et 2, du Code judiciaire).
III. La decision de la Cour
L'arret, apres avoir confirme la prononciation du divorce aux torts dudefendeur pour cause d'adultere et d'injure grave, dit pour droit que ledefendeur renverse partiellement la presomption d'imputabilite des tortsde l'article 306 du Code civil et que le divorce prononce à sa demande,sur la base de l'article 232, S: 1er, du Code civil, doit, pourl'application des articles 299, 300 et 301 de ce code, etre considerecomme prononce aux torts reciproques des parties.
En tant qu'il soutient que l'arret confirme la prononciation du divorcedes parties sur la base de l'article 232, S: 1er, du Code civil, le moyenrepose sur une lecture inexacte de l'arret et manque des lors en fait.
En confirmant la prononciation du divorce des parties aux torts dudefendeur pour cause d'adultere ou d'injure grave, l'arret n'exclut pasque les torts puissent etre partages entre les parties sur la demande dudefendeur.
L'arret ne revient des lors pas sur un point à propos duquel il avaitepuise sa juridiction ni ne porte atteinte à l'autorite et à la force dechose jugee de la decision prononc,ant le divorce aux torts du defendeurlorsqu'il decide que le divorce prononce sur la base de l'article 232,alinea 1er, à la demande du defendeur doit, pour l'application desarticles 299, 300 et 301 du Code civil, etre considere comme prononce auxtorts reciproques des parties.
En vertu de l'article 306 du Code civil, pour l'application des articles299, 300 et 301 du meme code, l'epoux qui a obtenu le divorce sur la basede la separation de fait d'une certaine duree, est considere comme l'epouxcontre qui le divorce est prononce, le tribunal pouvant en deciderautrement si l'epoux demandeur apporte la preuve que la separation de faitest imputable aux fautes et manquements de l'autre epoux.
Le renversement de la presomption d'imputabilite de la separation de faitorganise par l'article 306 precite, qui a pour seul effet de priverl'autre epoux des droits vises aux articles 299, 300 et 301 du Code civil,n'est pas exclu lorsque l'autre epoux a dejà obtenu le divorce pour caused'adultere ou d'injure grave.
Il s'ensuit que la demande reconventionnelle en renversement de cettepresomption conserve son objet nonobstant la prononciation du divorce auxtorts de l'epoux demandeur pour cause d'adultere ou d'injure grave.
Le moyen, qui soutient le contraire, ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de cinq cent neuf euros dix centimes enversla partie demanderesse et à la somme de cent deux eurosquatre-vingt-quatre centimes envers la partie defenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Daniel Plas,Christine Matray, Martine Regout et Alain Simon, et prononce en audiencepublique du vingt-deux decembre deux mille huit par le president ChristianStorck, en presence de l'avocat general delegue Philippe de Koster, avecl'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.
22 DECEMBRE 2008 C.07.0089.F/5