Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.07.0314.F
1. M. A. et
2. H. J.,
demandeurs en cassation,
representes par Maitre Cecile Draps, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11, ou il est faitelection de domicile,
contre
1. D. L.,
2. R. S.,
3. LUC DUBOIS, societe agricole dont le siege social est etabli à Clavier(Les Avins), route de Havelange, 2,
defendeurs en cassation,
representes par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 17 novembre2004 par le tribunal de premiere instance de Huy, statuant en degred'appel.
Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.
L'avocat general Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
Les demandeurs presentent deux moyens dont le second est libelle dans lestermes suivants :
Dispositions legales violees
- article 48, S: 1er, alineas 1er et 2, de la loi du 7 novembre 1988 surle bail à ferme ;
- article 1583 du Code civil.
Decisions et motifs critiques
Apres avoir releve 1DEG) que le compromis de vente « faisait ladistinction entre deux lots dont seul le premier serait soumis au droit depreemption, le second (...) etant exclu par la convention de la facultepour l'exploitant d'exercer son droit de preemption » et 2DEG) que, le 11decembre 2001, les [defendeurs] « ont notifie au notaire Barthels leurdecision d'exercer le droit de preemption sur les deux lots pour lemontant convenu (total des deux prix : 2.053.920 francs) », le jugementattaque valide « l'acceptation expresse - pour le prix total des deuxlots - du benefice de l'exercice du droit de preemption », pour tous sesmotifs reputes ici integralement reproduits et en particulier aux motifsque, « s'il etait de droit, comme le soutiennent les (demandeurs), que lecompromis de vente sous condition suspensive de non-exercice du droit depreemption soit 'à prendre ou à laisser', il serait bien trop aise decontourner la loi sur le bail à ferme en tant qu'elle reserve au fermierun droit de preemption ».
Griefs
Aux termes de l'article 48, S: 1er, alineas 1er et 2, de la loi du7 novembre 1988 sur le bail à ferme, la vente du bien loue est parfaiteentre le vendeur et le preneur des que l'acceptation de l'offre de ventepar ce dernier arrive, dans le mois de la notification, à la connaissancedu notaire. L'offre de vente que le preneur doit accepter s'entend de lanotification du contenu de l'acte etabli sous condition suspensive denon-exercice du droit de preemption, l'identite de l'acheteur exceptee.
Il se deduit de cette disposition que l'acceptation du preneur doit etreformulee sans equivoque ni conditions ni reserves et que le preneur nepeut la rendre inefficace en contestant le prix offert ou en exprimantquelque critique ou grief par lequel il retient son agrement. Une reponseassortie de restrictions, contenant des contestations ou avisant lenotaire que le preneur est amateur et souhaite acquerir le bien mais qu'ilmet en question quelque element essentiel de l'offre ou sa regularite peutamener le vendeur à presenter une offre modifiee ou corrigee mais nepermet pas de conclure le contrat.
La theorie generale des obligations enseigne pareillement qu'uneacceptation non strictement identique à l'offre emise ne permet pas deformer le contrat mais constitue une « contre-offre » que l'offrantinitial doit à son tour accepter ou refuser. Ainsi, l'article 1583 duCode civil dispose que la vente n'est parfaite que si le vendeur etl'acheteur sont convenus de la chose et du prix, ce qui implique que lachose achetee soit rigoureusement identique à celle offerte en vente.
En l'espece, le jugement attaque constate qu'acceptation et offre necoincidaient pas mais valide neanmoins l'acceptation du preneur tellequ'elle fut formulee, soit au-delà de l'offre qu'il avait rec,ue. Or, envertu de l'article 48, S: 1er, alineas 1er et 2, de la loi du 7 novembre1988 sur le bail à ferme, le preneur ne peut accepter que l'offre tellequ'elle lui est faite. Il ne lui est pas permis de preempter au-delà decette offre ni d'accepter une offre qui ne lui a pas ete faite, sansprejudice des recours que lui ouvre ladite loi au cas ou il s'estimeraiten droit de preempter au-delà de l'offre rec,ue.
Le jugement attaque, qui valide le droit de preemption dans le chef dudefendeur sur l'ensemble des parcelles, y compris celles non visees par lecompromis de vente, viole, partant, l'article 48, S: 1er, alineas 1er et2, de la loi du 7 novembre 1988 sur le bail à ferme ainsi que l'article1583 du Code civil.
III. La decision de la Cour
Sur le second moyen :
En vertu de l'article 48, S: 1er, alinea 1er, de la loi du 4 novembre 1969sur les baux à ferme, le proprietaire ne peut vendre le bien de gre àgre à une personne autre que le preneur qu'apres avoir mis celui-ci enmesure d'exercer son droit de preemption. A cet effet, le notaire notifieau preneur le contenu de l'acte etabli sous condition suspensive denon-exercice du droit de preemption, l'identite de l'acheteur exceptee.Cette notification vaut offre de vente.
Suivant l'alinea 2 de cette disposition, si le preneur accepte l'offre, ildoit notifier son acceptation au notaire dans le mois de la notificationvisee au premier alinea, auquel cas, conformement à l'article 1583 duCode civil, la vente est parfaite entre parties des que l'acceptation dupreneur est arrivee à la connaissance du notaire.
Il s'ensuit que le preneur ne peut exercer son droit de preemption qu'enacceptant sans reserve l'offre qui lui est faite par le proprietaire.
Il ressort des enonciations du jugement attaque
* que le defendeur etait titulaire d'un bail à ferme portant sur lesparcelles litigieuses et qu'il a autorise les demandeurs à boiser« trois petites parcelles » faisant partie de celles-ci afin de leurpermettre d'y chasser ;
* que le notaire Barthels a notifie au defendeur « copie d'un compromisde vente portant sur les parcelles litigieuses sous la conditionsuspensive du non-exercice du droit de preemption », les acheteursetant les demandeurs, et que cette « convention faisait ladistinction entre deux lots dont seul le premier serait soumis audroit de preemption, le second - constitue des trois parcelles boiseespar [les demandeurs] - etant exclu par la convention de la facultepour l'exploitant d'exercer son droit de preemption » ;
* que le defendeur, soutenant qu'il avait continue à exploitereffectivement les parcelles boisees nonobstant la convention qu'ilavait conclue à leur sujet avec les demandeurs, a notifie à cenotaire sa « decision d'exercer le droit de preemption sur les deuxlots pour le montant convenu (total des deux prix : 2.053.920francs) ».
Le jugement attaque, qui constate que l'offre de vente des demandeurs neportait pas sur le lot des parcelles boisees et qui ne constate pas que lareponse du defendeur, telle qu'elle avait ete formulee, doit s'analyser enune offre d'achat de ces parcelles assortissant, sans la conditionner, sonacceptation de l'offre de vente des parcelles non boisees, ne justifie paslegalement sa decision que le defendeur a exerce valablement son droit depreemption sur les parcelles litigieuses.
Le moyen est fonde.
La cassation de la decision validant le droit de preemption du defendeursur les parcelles litigieuses s'etend à la decision relative à lademande reconventionnelle tendant à la remise en etat de celles-ci, enraison du lien etroit existant entre ces decisions.
Sur les autres griefs :
Il n'y a pas lieu d'examiner le premier moyen, qui ne saurait entrainerune cassation plus etendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaque en tant qu'il valide le droit de preemption dudefendeur sur l'ensemble des parcelles cadastrees section nDEG 235B et235C et qu'il statue sur la demande reconventionnelle du defendeur tendantà la remise en etat de ces parcelles ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugementpartiellement casse ;
Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant le tribunal de premiere instancede Liege, siegeant en degre d'appel.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Didier Batsele,Albert Fettweis, Sylviane Velu et Martine Regout, et prononce en audiencepublique du dix-huit decembre deux mille huit par le president ChristianStorck, en presence de l'avocat general Thierry Werquin, avec l'assistancedu greffier Marie-Jeanne Massart.
18 DECEMBRE 2008 C.07.0314.F/1