Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.07.0094.F
FORTIS INSURANCE BELGIUM, anciennement dénommée Fortis AG, société anonymedont le siège social est établi à Bruxelles, boulevard Emile Jacqmain, 53,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il estfait élection de domicile,
contre
O. T. J., défendeur en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 13 novembre2006 par la cour du travail de Bruxelles.
Le conseiller Daniel Plas a fait rapport.
L'avocat général délégué Philippe de Koster a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Articles 7, alinéa 1^er, et 9 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidentsdu travail.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt décide de prendre en considération la deuxième arthroscopiepratiquée le 23 novembre 2001 postérieurement à une « rechute » du22 octobre 2001 bien que l'expert judiciaire, le docteur Lannoy, aitconstaté qu'elle ne présentait pas de relation avec l'accident du travaildont le défendeur fut victime le 28 novembre 2000 et, par voie deconséquence, charge l'expert d'une mission complémentaire qui tiennecompte de cette deuxième arthroscopie, par les motifs que
« Le docteur Lannoy expose qu'on ne peut reprocher au chirurgienorthopédiste traitant d'avoir suspecté une lésion méniscale et d'avoirproposé l'arthroscopie du 31 janvier 2001, ni [au défendeur] d'avoiraccepté cette arthroscopie.
Le médecin-conseil de l'assureur partage ce point de vue. L'assureur ad'ailleurs pris en charge l'arthroscopie du 31 janvier 2001.
Par contre, énonce le docteur Lannoy, la deuxième arthroscopie n'était pasjustifiée, et pas justifiable (`On se perd en conjectures sur les motifsqui ont poussé le chirurgien (orthopédiste) traitant à proposer uneseconde arthroscopie alors que les données de l'imagerie confirmaientl'absence de lésions méniscales et surtout à charger le tableaupathologique en décrivant des lésions qui ne sont retrouvées ni sur lesphotographies prises lors des arthroscopies ni sur les clichés d'imagerie'- p. 15 du rapport).
Le docteur Lannoy se demande par conséquent quel est le rapport entre laseconde arthroscopie et l'accident.
Le docteur Lannoy conclut que la rechute du 22 octobre 2001 et la secondearthroscopie ne présentent pas de relation avec l'accident.
L'incapacité temporaire de travail provoquée par l'accident du travailprend donc fin selon lui le 31 mars 2001 et la consolidation est acquisele1^er avril 2001 avec une incapacité permanente de travail de 4 p.c.
(…) La loi présume jusqu'à la preuve du contraire que la lésion trouve sonorigine dans l'accident (article 9 de la loi du 10 avril 1971).
La réparation légale du dommage résultant des accidents du travail necouvre pas seulement le dommage causé au moment même de l'accident, maisaussi en règle générale toutes les suites ultérieures dont l'accident estla cause (Cass., 27 janvier 1971, Bull., 491).
La présomption joue aussi lorsque la lésion invoquée est postérieure àl'accident (Cass., 29 novembre 1993, Bull., 1002) ou postérieure à lalésion constatée au moment de l'accident, fût-elle une suite du traitementde cette dernière (Cass., 28 juin 2004, J.T.T., 2004, 642).
(…) En l'espèce, l'expertise du docteur Lannoy prouve que l'accident dutravail n'a pas provoqué de lésion du ménisque interne du genou droit etque les deux arthroscopies étaient inutiles. L'expert se base sur uneétude approfondie et sans ambiguïté du docteur D. et il exclut la lésionde manière certaine (voir les extraits du rapport cités ci-dessus).
(…) La deuxième arthroscopie constitue donc un traitement inadéquat d'uneprétendue lésion du ménisque interne du genou droit attribuée à l'accidentdu travail du 28 novembre 2000.
Est provoquée par l'accident du travail la lésion causée par le traitementinadéquat de prétendues lésions imputées à l'accident du travail, même siles lésions traitées s'avèrent inexistantes (...).
L'assureur doit prendre en charge les deux arthroscopies et lesincapacités de travail qui en résultent.
L'expert judiciaire Lannoy tient compte de la première arthroscopie, quise justifiait (même si elle apparaît inutile a posteriori). Par contre, ilne tient pas compte de la deuxième arthroscopie, parce que celle-ci n'estpas justifiable. Il faut pourtant, comme cela est exposé ci-dessus,prendre en considération cette deuxième arthroscopie également.
L'expert judiciaire Lannoy sera par conséquent interrogé à nouveau ».
Griefs
Est un accident du travail, l'accident qui survient au travailleur dans lecours et par le fait de l'exécution du travail et « qui produit unelésion » (article 7, alinéa 1^er, de la loi du 10 avril 1971 sur lesaccidents du travail).
L'article 9 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travaildispose que, « lorsque la victime ou ses ayants droit établissent, outrel'existence d'une lésion, celle d'un événement soudain, la lésion estprésumée, jusqu'à preuve du contraire, trouver son origine dans unaccident ».
La présomption ainsi établie, suivant laquelle il existe un lien decausalité entre l'événement soudain et la lésion, est renversée lorsque lejuge a la certitude que la lésion ne trouve pas son origine dansl'accident.
En l'occurrence, l'arrêt rappelle que, selon l'expert judiciaire, larechute du 22 octobre 2001 et la seconde arthroscopie ne présentent « pasde relation » avec l'accident. L'arrêt admet ensuite en termes exprès que« la deuxième arthroscopie (celle du 23 novembre 2001) constitue donc untraitement inadéquat d'une prétendue lésion interne du genou droitattribuée à l'accident du 28 novembre 2000 ».
Contrairement à ce que l'arrêt affirme, la réparation légale du dommagerésultant d'un accident du travail ne couvre pas la lésion causée par untraitement inadéquat. Autrement dit, il ne suffit pas, pour que la victimeait droit à la réparation de son dommage sur la base de la loi sur lesaccidents du travail, que la lésion et ses conséquences dommageablessoient postérieures à l'accident et résultent du traitement des prétendues«suites» de l'accident.
Comme le prescrit l'article 9 de la loi du 10 avril 1971, il faut que lalésion ou le traitement « trouve son origine dans (l')accident ». Il n'y ad'ailleurs pas d'accident du travail au sens de l'article 7 sans unévénement « qui produit une lésion ».
Un traitement « inadéquat » de lésions s'avérant « inexistantes » netrouve pas son origine dans l'accident ni même dans la lésion causée parlui mais dans l'erreur de diagnostic ou la faute opératoire commise par lemédecin. Il « ne résulte pas » par conséquent du traitement des suites del'accident.
De la circonstance que la deuxième arthroscopie a été effectuée parce quele chirurgien orthopédiste a cru à l'existence de lésions méniscalesconsécutives à l'accident du travail, il ne se déduit pas qu'elle a étéproduite par l'accident, le traitement « inadéquat » de lésions« inexistantes » ou qui a « causé une lésion » selon les termes del'arrêt, n'étant pas par nature même le traitement d'une lésion produitepar l'accident.
Il s'ensuit qu'en décidant pour les motifs ci-avant reproduits qu'estprovoquée par l'accident du travail « la lésion causée par le traitementinadéquat de prétendues lésions imputées à l'accident du travail, même siles lésions traitées s'avèrent inexistantes » et que la demanderesse doitpar conséquent aussi prendre en charge le coût de la deuxième arthroscopieet les incapacités et lésions qui en seraient résultées, l'arrêt viole lesdispositions légales visées en tête du moyen, l'article 9 de la loi du 10avril 1971 plus spécialement.
III. La décision de la Cour
Suivant l'article 7, alinéa 1^er, de la loi du 10 avril 1971 sur lesaccidents du travail, est considéré comme accident du travail, toutaccident qui survient à un travailleur dans le cours et par le fait del'exécution du contrat de travail et qui produit une lésion.
Aux termes de l'article 9 de cette loi, lorsque la victime ou ses ayantsdroit établissent, outre l'existence d'une lésion, celle d'un événementsoudain, la lésion est présumée, jusqu'à preuve du contraire, trouver sonorigine dans un accident.
Après avoir constaté que le défendeur s'est tordu le genou droit le28 novembre 2000 et qu'à la suite de la persistance des douleurs il asubi, sur les avis de son chirurgien orthopédiste, deux arthroscopies avecménisectomie en janvier et novembre 2001, l'arrêt considère, sur la based'un rapport d'experts, qu'en réalité l'accident n'a pas entraîné delésion du ménisque dudit genou et que la deuxième arthroscopie constitueun traitement inadéquat « d'une prétendue lésion ».
L'arrêt, qui, bien qu'il admette que la lésion traitée n'est pas établie,décide de faire supporter par la demanderesse le coût de la deuxièmearthroscopie, seule contestée, et les incapacités de travail qui enrésultent, viole les articles 7 et 9 précités.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel et qu'il décideque l'accident a été la cause d'une incapacité temporaire et totale detravail du 28 novembre 2000 au 31 mars 2001 ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêtpartiellement cassé ;
Vu l'article 68 de la loi du 10 avril 1971, condamne la demanderesse auxdépens ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Liège.
Les dépens taxés à la somme de cent un euros quarante-trois centimesenvers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président Christian Storck, les conseillers Daniel Plas,Christine Matray, Sylviane Velu et Alain Simon, et prononcé en audiencepublique du huit décembre deux mille huit par le président ChristianStorck, en présence de l'avocat général délégué Philippe de Koster, avecl'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.
8 DECEMBRE 2008 S.07.0094.F/8