Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.06.0392.F
ZELIA, societe anonyme dont le siege social est etabli à Saint-Gilles,avenue Fonsny, 38,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Philippe Gerard, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 523, ou il estfait election de domicile,
contre
V. M., defenderesse en cassation,
representee par Maitre Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il est faitelection de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 6 mars 2006 parla cour d'appel de Liege.
Par ordonnance du 22 aout 2008, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.
Le conseiller Daniel Plas a fait rapport.
L'avocat general Jean-Marie Genicot a conclu.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions legales violees
* articles 1134 et 1315 du Code civil ;
* article 870 du Code judiciaire.
Decisions et motifs critiques
L'arret dit la demande originaire de la defenderesse fondee et condamne lademanderesse à payer à la defenderesse la somme de 18.298,38 euros,augmentee des interets aux taux legaux depuis le 3 novembre 1998.
Il justifie cette decision par tous ses motifs, reputes ici integralementreproduits, en particulier par les considerations que « pour etablir lacause du deces d'E. P., la defenderesse invoque, d'une part, le certificatde deces redige par le medecin legiste egyptien H. S. S. le 4 novembre1998 qui precise que la cause du deces est 'asphyxie, noyade' et, d'autrepart, la declaration d'accident redigee par les freres Lecocq le 10novembre 1998 dans laquelle il est precise en page 2 : 'le medecin legisteegyptien a declareE. P. : mort naturelle par noyade' ; (...) que ces elements constituentdes presomptions suffisamment graves, precises et concordantes etablissantque le deces d'E. P. repond de prime abord à la definition du sinistreassure ; qu'il appartient à (la demanderesse), si elle refuse de prendreen charge ce sinistre, d'etablir que ce deces ne rentre pas dans lesgaranties couvertes, conformement à l'article 1315, alinea 2, du Codecivil ; que (la demanderesse) invoque à cette fin, d'une part, le faitque le deces resulterait d'une cause endogene à la victime et, d'autrepart, le fait qu'E. P. n'aurait pas ete accompagne lors de sa plongee ;que si (la demanderesse) a inclus, dans la definition du risque assure,une clause d'exclusion, ce qui est possible en vertu de la liberte desconventions, cette circonstance ne peut avoir pour effet de la dispenserde l'obligation de rapporter la preuve de la realite de la caused'exclusion qu'elle invoque ; que (la demanderesse) fait valoir que ladeclaration d'accident du 16 mars 1999 redigee par les freres Lecocqetablirait l'existence d'une cause endogene du deces d'E. P. au motif queceux-ci auraient indique que la victime a du avoir un malaise, ce quiserait confirme par le temoin D. et par son expert H. ; que ces elementsne sont pas de nature à etablir que le deces d'E. P. resulterait d'unecause endogene à la victime compte tenu du fait que le medecin legisteegyptien a precise dans son certificat : 'asphyxie, noyade' et qu'il adeclare aux freres Lecocq que le deces resultait d'une mort naturelle parnoyade ; que des que (la demanderesse) a ete informee du deces, elle arepondu à la federation de club de plongee Lifras : 'Il est extremementimportant que la cause du deces soit connue afin de pouvoir constater s'ily a des facteurs exogenes ou endogenes à l'origine. Il faudra tenircompte que si cette cause n'est pas connue, le contrat prevoit qu'il y alieu de proceder à une autopsie' ; que le docteur D. R., medecin conseilde la societe Arena, souscripteur de la police d'assurance, a adresse uncourrier à (la demanderesse) le 4 decembre 1998 precisant notamment 'jepense qu'une cause endogene doit provisoirement etre evoquee jusqu'àpreuve du contraire. Il nous semble en tout cas souhaitable que votreexpert effectue un examen approfondi et, si possible, parvienne àeffectuer une autopsie'; que dans un courrier du 3 mai 1999, (ladefenderesse) rappelait à (la demanderesse) l'article 10 du contratd'assurance qui prevoit qu'il appartient à (la demanderesse) de recourirà une autopsie en cas de contestation sur la cause de la mort ; que cetarticle 10 des conditions generales est libelle comme suit : 'En cas demort, la compagnie se reserve le droit de recourir à l'autopsie du corps.A moins qu'il apparaisse indubitablement qu'il s'agit d'un accidenttombant sous l'application de la police, est exclu de la garantie le casde mort pour lequel la compagnie n'a pu exercer son droit de controle oupu faire proceder à une autopsie par suite d'un manquement auxobligations prevues ci-dessus' ; que (la demanderesse) repondit parcourrier du 11 mars 1999 : 'aussi longtemps que les causes de la noyade nesont pas communiquees, il serait fort mal place de notre part d'exiger uneautopsie' ; que cette reponse apparait denuee de tout fondement des lorsque l'autopsie devait avoir precisement pour but de determiner les causesde la noyade ; qu'il y a lieu de constater que (la demanderesse) n'a pasfait effectuer l'autopsie à laquelle elle devait faire proceder si elleestimait que les causes du deces etaient endogenes en sorte qu'elle neprouve des lors pas la realite de la premiere cause d'exclusion qu'elleinvoque ».
Griefs
Premiere branche
L'article 1315 du Code civil dispose, en son premier alinea, que celui quireclame l'execution d'une obligation doit la prouver et, en son secondalinea, que, reciproquement, celui qui se pretend libere doit justifier lepaiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.L'article 870 du Code judiciaire generalise la regle consacree parl'article 1315.
En vertu de l'article 1315, alinea 1er, du Code civil, l'assure quipretend recevoir une indemnite doit etablir son droit à couverture, doncprouver que le sinistre entre dans le champ de la couverture quel'assureur lui a octroyee. Ce regime s'etend aux situations qui se situenta contrario en dehors du domaine de la couverture.
En revanche, l'assureur qui se prevaut d'une exclusion de couvertureinvoque un « fait qui a produit l'extinction de son obligation » au sensde l'article 1315, alinea 2, du Code civil. La charge de la preuve luiincombe.
En l'espece, il est constant (voy. les conclusions d'appel et lesdeuxiemes conclusions d'appel de la demanderesse, non contredites par ladefenderesse) que l'article 1er des conditions generales de l'assurance« accidents corporels » litigieux stipule, sous l'intitule « objet etetendue de l'assurance », que « la compagnie s'oblige, dans les limitesdes garanties prevues par la presente police à indemniser les assures desconsequences pecuniaires resultant des lesions corporelles, ayant pourcause directe un accident survenu tel que defini aux conditionsparticulieres » et que l'article 3 indique que « par accident, on entendun evenement dont la cause ou une des causes est exterieure à l'organismede la victime et qui produit une lesion corporelle ou la mort. Sontegalement garantis, pour autant que se situant dans le champ d'applicationdu risque assure, les lesions corporelles ou la mort : (...) suite à lanoyade ayant une cause non endogene ». Les conditions particulieres de lameme police prevoient quant à elles que, par extension à l'article 3 desconditions generales, les garanties s'etendent à « a) l'anorexie etl'hyperaxie, b) les accidents de decompression, c) l'ivresse deprofondeur, aux accidents connus sous le nom de 'coup de ventouse', lasurpression pulmonaire, les lesions aux oreilles et le mal au ventre duplongeur » (article E.5).
En soutenant que le deces d'E. P. resultait d'une cause endogene, lademanderesse n'invoquait pas une cause d'exclusion mais se bornait àsoutenir que le sinistre ne repondait pas à la definition conventionnelledu risque.
Il s'ensuit qu'en imposant à la demanderesse la charge de prouver que ledeces d'E. P. ne rentre pas dans les garanties couvertes, la cour d'appela renverse illegalement la charge de la preuve (violation des articles1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire) et, en consequence, nejustifie pas legalement sa decision que, les conditions de la garantieetant reunies, le contrat d'assurance peut sortir ses effets (violation del'article 1134 du Code civil).
Seconde branche
La partie à qui incombe la preuve d'un fait ne rapporte pas cette preuveen faisant etat d'elements qui le rendent seulement vraisemblable ouprobable.
S'il doit etre interprete comme imposant à la defenderesse la charge deprouver que le sinistre entre dans le champ de la couverture accordee parl'assureur, l'arret considere comme suffisante la preuve de lavraisemblance du fait allegue par la defenderesse en ce que, apres avoirreleve que pour etablir la cause du deces d'E. P., la defenderesseinvoque, d'une part, le certificat de deces redige par le medecin legisteegyptien H. S. S. le 4 novembre 1998 qui precise que la cause du deces est« asphyxie, noyade » et, d'autre part, la declaration d'accident redigeepar les freres Lecocq le10 novembre 1998 dans laquelle il est precise en page 2 : « le medecinlegiste egyptien a declare E. P. : mort naturelle par noyade », il enonceque ces elements constituent des presomptions suffisamment graves,precises et concordantes etablissant que le deces d'E. P. repond de primeabord à la definition du sinistre assure.
L'arret dispense ainsi illegalement la defenderesse de la preuve qui etaità sa charge (violation des articles 1315 et 870 du Code judiciaire).
Second moyen
Dispositions legales violees
- article 149 de la Constitution ;
- articles 1382 et 1383 du Code civil.
Decisions et motifs critiques
L'arret declare la demande incidente de la defenderesse tendant à fairecondamner la demanderesse à lui payer 3.000 euros à titre de frais dedefense recevable et fondee et condamne, en consequence, la demanderesseà payer à la defenderesse à titre de frais de defense la somme de 3.000euros.
Griefs
S'agissant d'un litige dans une matiere autre que la responsabilitecivile, le demandeur originaire triomphant peut reclamer le remboursementdes honoraires verses à son avocat sur la base des articles 1382 et 1383du Code civil, c'est-à-dire moyennant la preuve de l'existence d'unefaute procedurale manifeste dans le chef de son adversaire.
La defenderesse soutenait en conclusions d'appel : « qu'elle a du faireface depuis novembre 1998 à l'obstination de la compagnie d'assurances eta du engager une procedure complexe. Qu'elle a necessairement du avoirrecours à un conseiller juridique. Qu'elle a du exposer d'enormes fraisde defense. Que cela lui cause un dommage distinct et partant justifie quedes dommages et interets lui soient alloues. Que la concluante postule deslors la condamnation de la (demanderesse) à lui payer une somme visant àcouvrir les frais et honoraires de son conseil, à savoir une sommeevaluee ex aequo et bono à 3.000 euros ».
Il ne ressort d'aucune constatation de l'arret que la demanderesse auraitcommis une faute procedurale manifeste.
L'arret, en condamnant la demanderesse à payer à la defenderesse àtitre de frais de defense la somme de 3.000 euros, sur le fondement demotifs qui ne permettent pas de determiner si la demanderesse a commis unefaute procedurale manifeste, ne permet pas à la Cour de verifier si laregle des articles 1382 et 1383 du Code civil a ete respectee ni, partant,d'exercer le controle de legalite qui lui est confie.
L'arret n'est, des lors, ni regulierement motive (violation de l'article149 de la Constitution) ni legalement justifie (violation des articles1382 et 1383 du Code civil).
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la premiere branche :
Le moyen reproche à l'arret de considerer que la demanderesse invoquaitune cause d'exclusion alors qu'en enonc,ant que le deces de la victimeresultait d'une cause endogene, elle se bornait à soutenir que lesinistre ne repondait pas à la definition conventionnelle du risque.
Ce grief est etranger à la violation des articles 1315 du Code civil et870 du Code judiciaire.
Des lors qu'il considere, sans etre valablement critique, que l'exigenced'une cause de deces non endogene constitue une cause d'exclusion de lagarantie, l'arret ne renverse pas la charge de la preuve regie par cesdispositions en decidant que la preuve de l'existence de la caused'exclusion incombe à la demanderesse.
Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.
Quant à la seconde branche :
Par les motifs que le moyen reproduit et, en particulier, parl'enonciation que les elements qu'il mentionne « constituent despresomptions suffisamment graves, precises et concordantes etablissant quele deces [de la victime] repond de prime abord à la definition dusinistre assure », l'arret considere que la defenderesse etablit que lesinistre repond à la definition conventionnelle du risque assure, sousreserve de l'existence d'une cause d'exclusion.
L'arret ne se contente donc pas, contrairement à ce qu'affirme le moyen,en cette branche, de la vraisemblance du fait allegue par la defenderessepour decider que celle-ci a satisfait à son obligation de prouver que lesinistre entre dans le champ d'application de la police d'assurance.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Sur le second moyen :
Sur la fin de non-recevoir opposee au moyen par la defenderesse et deduitede sa nouveaute :
Il ne ressort pas des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard que lademanderesse ait fait valoir devant le juge d'appel qu'elle n'avait pascommis une faute procedurale manifeste.
Ce moyen ne peut etre souleve pour la premiere fois devant la Cour.
La fin de non-recevoir est fondee.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de cinq cent quarante et un eurosnonante-trois centimes envers la partie demanderesse et à la somme decent quarante-sept euros quarante et un centimes envers la partiedefenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Daniel Plas,Sylviane Velu, Martine Regout et Alain Simon, et prononce en audiencepublique du vingt-quatre novembre deux mille huit par le presidentChristian Storck, en presence de l'avocat general Jean-Marie Genicot, avecl'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.
24 NOVEMBRE 2008 C.06.0392.F/10