Cour de cassation de Belgique
Arrêt
3660103
*401
N° P.08.0547.F
1. A. M. Z.,
2. A. K. S.,
3. A. T.,
4. M. H.,
parties civiles,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Alexis Deswaef, Grégor Chapelle et Véroniquevan der Plancke, avocats au barreau de Bruxelles,
contre
1. TOTAL, société anonyme de droit français, anciennement dénomméeTOTALFINAELF, dont le siège est établi à Courbevoie (France), place de laCoupole, 2,
représentée par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation, etayant pour conseil Maître Simone Nudelholc, avocat au barreau deBruxelles,
2. D. T.,
3. M. H.,
les parties sub 2 et 3 ci-dessus ayant pour conseils Maîtres EmileVerbruggen, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue de laRenaissance, 34/1, ainsi que Benoît Cambier, avocats au barreau deBruxelles,
personnes à l'égard desquelles l'action publique est engagée,
défendeurs en cassation.
I. la procédure devant la cour
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 5 mars 2008 par la courd'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme, lesdemandeurs invoquent deux moyens et soulèvent une question à poser à titrepréjudiciel à la Cour constitutionnelle.
Le président de section Jean de Codt a fait rapport.
L'avocat général Raymond Loop a conclu.
II. les faits
1. L'action publique mise en mouvement par constitution de partie civiledes demandeurs entre les mains du juge d'instruction de Bruxelles le25 avril 2002, a fait l'objet d'un arrêt de la Cour du 29 juin 2005dessaisissant la juridiction belge.
Agissant sur ordre du ministre de la Défense faisant fonction de ministrede la Justice, le procureur général près la Cour a requis celle-ci derétracter son arrêt, demande que la Cour a rejetée par arrêt du 28 mars2007.
2. Par lettre du 26 avril 2007, le ministre a enjoint au procureur fédéralde remettre l'affaire à l'instruction, ce qu'il a fait par un réquisitoireadressé le 11 septembre 2007 au juge d'instruction de Bruxelles, libellé àcharge des défendeurs du chef des faits dont la juridiction belge avaitété dessaisie.
Le dossier ainsi rouvert a cependant été fixé, à la demande du procureurfédéral, devant la chambre des mises en accusation pour qu'elle statue surla recevabilité de l'action publique.
L'arrêt attaqué déclare ladite action éteinte et les poursuites mues àcharge des défendeurs irrecevables.
III. la décision de la cour
Sur le premier moyen :
3. Les demandeurs soutiennent que le principe général du droit relatif àl'autorité de la chose jugée en matière répressive doit être écarté en casde contrariété, avec la Constitution ou avec le droit internationaldirectement applicable, de la décision contre laquelle il n'existe plus devoie de recours.
4. L'autorité de la chose jugée au criminel sur le criminel n'est passubordonnée à la condition que la décision revêtue de cette autorité soitindemne de toute illégalité.
La Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales, pas plus que le droit communautaire, n'imposent auxjuridictions nationales, lorsqu'une partie peut se prévaloir d'uneviolation du droit international directement applicable par la décisiondéfinitive qu'elle critique, l'obligation d'écarter l'application desrègles de procédure interne conférant l'autorité de la chose jugée à ladécision contestée.
Le réexamen d'une décision pénale passée en force de chose jugée, quiapparaîtrait avoir été adoptée en violation du droit international ou surla base d'une loi décrétée ultérieurement inconstitutionnelle, estsubordonné à la condition, notamment, que la juridiction saisie dispose,en vertu du droit national, du pouvoir de revenir sur cette décision.
Les procédures d'annulation, de cassation sans renvoi, de réouverture, derévision et de rétractation, spécialement instituées par les articles 441à 447bis du Code d'instruction criminelle et par les articles 10 à 14 dela loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, tracent leslimites dans lesquelles il peut être mis fin à l'autorité de la chosejugée et excluent dès lors son renversement selon des modalités autres quecelles prévues par la loi.
A cet égard, le moyen manque en droit.
5. Dans la décision de la chambre des mises en accusation de dire l'actionpublique irrecevable, le moyen voit également une violation de l'article29, § 3, de la loi du 5 août 2003 relative aux violations graves du droitinternational humanitaire, tel qu'il a été annulé par l'arrêt de la Courconstitutionnelle du 21 juin 2006.
6. Etant un acte par lequel le pouvoir législatif a défendu d'exercer oude continuer des poursuites pénales, la disposition annulée a eu poureffet d'éteindre l'action au moment où, faisant encore partie de l'ordrejuridique de l'Etat, elle a été appliquée à la cause par une décisionjudiciaire définitive.
L'annulation ultérieure de cette défense de poursuivre, puis sonremplacement par une loi modifiant les conditions d'application del'article disparu, ne sauraient avoir pour effet, fût-ce par le biaisd'une injonction ministérielle répétée, de remettre en mouvement, aupréjudice des personnes poursuivies, une action publique à laquelle il aété mis judiciairement le terme prescrit par la loi alors en vigueur.
A cet égard également, le moyen manque en droit.
Sur le second moyen :
7. Ayant saisi la chambre des mises en accusation d'une question relativeà la constitutionnalité de l'article 4 de la loi du 22 mai 2006 modifiantnotamment une disposition de la loi du 5 août 2003 relative aux violationsgraves du droit international humanitaire, les demandeurs font grief àl'arrêt de ne pas interroger la Cour constitutionnelle et de ne justifierce refus que par référence à l'arrêt de la Cour du 28 mars 2007. D'aprèsle moyen, l'arrêt attaqué attribue ainsi à la jurisprudence la portéegénérale et réglementaire que prohibe l'article 6 du Code judiciaire etviole l'article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Courd'arbitrage, qui définit les seuls cas dans lesquels le juge du fond peutse dispenser du renvoi préjudiciel.
8. Le juge qui fonde sa décision sur la motivation d'un arrêt de la Courne lui attribue pas de portée générale et réglementaire lorsqu'il indiqueles raisons pour lesquelles il s'y rallie et exprime de la sorte uneconviction autonome.
Ainsi que son libellé l'indique, la question soulevée par les demandeursne se rattache à l'article 4 de la loi du 22 mai 2006 que dans la mesureoù ils se plaignent que le bénéfice leur en soit refusé par suite dudessaisissement de la juridiction belge et du refus de rétracter cettedécision.
En s'appropriant les motifs de l'arrêt de la Cour du 28 mars 2007, lachambre des mises en accusation a signifié aux demandeurs qu'elle nejugeait pas devoir poser une telle question, d'une part, parce que la loidu 22 mai 2006 est étrangère au dessaisissement et au rejet de laprocédure de rétractation et, d'autre part, parce que les dispositionsconventionnelles qui consacrent le principe de la légalité en matièrepénale ôtent au contrôle de constitutionnalité son objet.
9. L'arrêt attaqué exprime ces motifs de manière autonome en considérant àla page 11 qu'une décision judiciaire passée en force de chose jugéefondée sur une disposition annulée par la Cour constitutionnelle ne peutêtre remise en cause en dehors des modalités établies de manièreexhaustive par la loi, en se référant à la page 12 au droit pour toutepersonne poursuivie de bénéficier du régime le plus favorable, et enrelevant à la page 14 que l'article 4 de la loi du 22 mai 2006, complétantune disposition disparue, n'est entré en vigueur qu'après ledessaisissement querellé.
10. Le juge qui constate que l'objet véritable de la question soulevéecomme étant préjudicielle ne gît pas dans la disposition légale à laquellecette question prétend se rattacher, justifie légalement son refus de laposer.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur la demande de renvoi préjudiciel :
11. A titre subsidiaire, les demandeurs invitent la Cour à poser à la Courconstitutionnelle la question suivante :
« L'article 4 de la loi du 22 mai 2006, publiée au Moniteur belge le 7juillet 2006 et entrée en vigueur le 31 mars 2006, est-il conforme auxarticles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne peut bénéficier auxparties civiles au seul motif qu'un dessaisissement est intervenu sur labase d'une loi annulée et sans que le droit positif n'en ait organisé larétractation ? ».
12. Les termes mêmes de la question indiquent que les griefs soulevés parles demandeurs ne sont pas imputables à la disposition légale attaquée.
N'étant pas préjudicielle au sens de l'article 26, § 2, de la loi spécialedu 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, la question ne doit pas êtreposée.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de nonante-huit euros uncentime dont soixante-huit euros un centime dus et trente euros payés parles demandeurs.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient Jean de Codt, président de section, président, Frédéric Close,président de section, Paul Mathieu, Benoît Dejemeppe et Pierre Cornelis,conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-neuf octobre deuxmille huit par Jean de Codt, président de section, en présence de RaymondLoop, avocat général, avec l'assistance de Patricia De Wadripont, greffieradjoint principal.
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| P. De Wadripont | P. Cornelis | B. Dejemeppe |
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| P. Mathieu | F. Close | J. de Codt |
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29 OCTOBRE 2008 P.08.0547.F/1