La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/10/2008 | BELGIQUE | N°C.05.0524.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 02 octobre 2008, C.05.0524.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.05.0524.F

COMMISSION COMMUNAUTAIRE FRANçAISE DE LA REGION DE BRUXELLES-CAPITALE,représentée par son collège, poursuites et diligences de son président,dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard du Régent, 21-23,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est faitélection de domicile,

contre

ROYAL LEOPOLD CLUB, société anonyme dont le siège social est établi àU

ccle, avenue Adolph Dupuich, 42,

défenderesse en cassation,

représentée par Maître Isabelle Heenen, avocat à l...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.05.0524.F

COMMISSION COMMUNAUTAIRE FRANçAISE DE LA REGION DE BRUXELLES-CAPITALE,représentée par son collège, poursuites et diligences de son président,dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard du Régent, 21-23,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est faitélection de domicile,

contre

ROYAL LEOPOLD CLUB, société anonyme dont le siège social est établi àUccle, avenue Adolph Dupuich, 42,

défenderesse en cassation,

représentée par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 106, où il est faitélection de domicile.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 21 avril 2005par la cour d'appel de Bruxelles.

Le conseiller Didier Batselé a fait rapport.

L'avocat général Jean-Marie Genicot a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 3, 1°, 9, alinéa 1^er, et 15 du décret du Conseil de laCommunauté française du 19 juillet 1993, dit décret II, attribuantl'exercice de certaines compétences de la Communauté française à la Régionwallonne et à la Commission communautaire française ;

- articles 50, § 2, et 71, § 1^er, de la loi spéciale du 16 janvier 1989relative au financement des Communautés et des Régions ;

- articles 1^er et 3 de l'arrêté du gouvernement de la Communautéfrançaise du 10 janvier 1994 relatif au régime des budgets et des comptesde la Commission communautaire française ;

- articles 1^er, a), et 2 de la loi du 6 février 1970 relative à laprescription des créances à charge ou au profit de l'Etat et des provinces(loi non abrogée par l'article 128, 11°, de la loi du 22 mai 2003 portantorganisation du budget et de la comptabilité de l'Etat fédéral, en tantqu'elle s'applique aux Communautés et Régions, la disposition précitéeprévoyant l'abrogation de cette loi uniquement pour les services visés àl'article 2 de la loi du 22 mai 2003) ;

- articles 100, alinéa 1^er, 1°, et 101 de l'arrêté royal du 17 juillet1991 portant coordination des lois sur la comptabilité de l'Etat (arrêtéroyal non abrogé par l'article 127 de la loi du 22 mai 2003 portantorganisation du budget et de la comptabilité de l'Etat fédéral en tantqu'il s'applique aux Communautés et Régions, la disposition précitéeprévoyant l'abrogation des lois coordonnées par cet arrêté royaluniquement pour les services visés à l'article 2 de la loi du 22 mai2003) ;

- article 1^er du décret du Conseil culturel de la Communauté culturellefrançaise du 20 décembre 1976 réglant l'octroi de subventions à certainstravaux concernant les installations sportives ;

- articles 9 et 10 de l'arrêté royal du 1^er avril 1977 portant exécutiondu décret de la Communauté culturelle française du 20 décembre 1976réglant l'octroi de subventions à certains travaux concernant lesinstallations sportives ;

- articles 1349, 1353, 1382, 1383, 2219, 2242, 2244, 2246, 2248 et2262bis, § 1^er, alinéas 1^er et 2, du Code civil.

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté les faits suivants : 1°) « La (défenderesse) gère unclub de tennis et de hockey à Uccle. Elle a introduit auprès du ministèrede la Communauté française, sur la base du décret du 20 décembre 1976 etde son arrêté d'exécution du 1^er avril 1977, trois demandes successivesde subventions : - le 29 février 1984, relative à l'installation d'unsystème d'arrosage des terrains de tennis, - le 10 juillet 1984,concernant la rénovation de deux terrains de tennis, - le 2 octobre 1987,à propos de la réalisation d'un éclairage du terrain de hockey. Le 26novembre 1986, le ministre compétent lui transmettait son accord à proposdes deux premières demandes (les seules déjà introduites à cette date) ».2°) « Ces deux demandes vont alors connaître une évolution différente, carsi l'accord du ministre fut confirmé le 22 décembre 1986 (pour un montantde 985.000 francs) pour la seconde demande, aucun courrier ultérieur de laCommunauté française ne vint confirmer l'accord relatif à la premièredemande dont le sort resta ainsi indéterminé. Le 28 février 1991,l'inspecteur général du ministère de la Culture de la Communauté françaiseécrivait à la (défenderesse) pour lui confirmer que la subvention de985.000 francs (deuxième demande) serait mise en liquidation dès quepossible sur la base des factures qui seraient présentées. Toutefois, le17 juin 1991, le ministre signala à la (défenderesse) que l'engagement de985.000 francs était annulé dès lors que les textes légaux ne permettaientpas à la Communauté française de subventionner des associationspoursuivant un but de lucre ». 3°) « Entre-temps, la troisième demandeavait, elle aussi, fait l'objet d'un refus par courrier du 3 mai 1988 duministre des Sports de la Communauté française ». 4°) « La (défenderesse)a fait citer la Communauté française devant le premier juge par exploit du31 janvier 1995 afin d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes de883.000 francs (première demande), 985.000 francs (deuxième demande) et1.549.721 francs (troisième demande) ». 5°) « (La défenderesse) a appeléen intervention forcée la (demanderesse) par citation du 14 janvier 1997,sollicitant à sa charge la même condamnation dans l'hypothèse où laCommunauté française serait mise hors de cause ». 6°) « Le premier juge a: - mis hors de cause la Communauté française aux droits et obligations delaquelle avait succédé la (demanderesse), - déclaré irrecevables lesdemandes relatives aux deuxième et troisième dossiers de subvention, dèslors que trois demandes distinctes, estimées non connexes, avaient étéintroduites par une seule et même citation, - débouté la (défenderesse) desa demande relative au premier dossier en raison de la prescription decette demande, condamné la (défenderesse) aux dépens ». 7°) « (Ladéfenderesse) relève appel du jugement réitérant devant la cour [d'appel]ses demandes originaires »,

et après avoir considéré qu'« il n'est pas contesté que la (demanderesse)a succédé à la Communauté française par application de l'article 3 dudécret II du 19 juillet 1993 ; (que) la mise hors de cause prononcée parle premier juge doit donc être confirmée »,

l'arrêt dit l'appel fondé à l'égard de la demanderesse ; « dit la demanderecevable et d'ores et déjà fondée dans la mesure ci-après : condamne (lademanderesse) à payer à la (défenderesse) la somme de 46.306,51 euros(c'est-à-dire l'équivalent en euros des sommes de 883.000 francs et de985.000 francs) augmentés des intérêts compensatoires au taux légal depuisle31 janvier 1995 jusqu'au présent arrêt, ensuite des intérêts moratoiressur le tout jusqu'au parfait paiement (...) ; - condamne (...) lademanderesse aux dépens des deux instances à l'exception des dépensd'appel de la Communauté française, laissés à charge de la(défenderesse) ».

L'arrêt fonde sa décision sur les motifs suivants :

A. « La (défenderesse) fonde ses demandes sur la responsabilitéquasi-délictuelle de l'administration qui aurait commis diverses fautes enlui refusant de manière expresse (deuxième et troisième demandes) ouimplicite (première demande) les subventions auxquelles elle estime avoirdroit, après lui avoir fait croire qu'elles lui seraient accordées (dumoins en ce qui concerne les première et deuxième demandes). Ses créancessont dès lors des créances d'indemnité, c'est-à-dire des dépenses qui nesont pas fixes mais doivent `être produites' en faisant l'objet d'unedemande spécifique ou d'une déclaration de créance ».

B. « La (demanderesse) invoque la prescription quinquennale relative auxcréances à charge de l'Etat. L'article 100 de l'arrêté royal sur lacomptabilité de l'Etat (rendu applicable aux communautés et régions parl'article 71 de la loi du 16 janvier 1989) dispose en effet que : `sontprescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat (...) 1° lescréances qui, devant être produites (...), ne l'ont pas été dans le délaide cinq ans à partir du 1^er janvier de l'année budgétaire au cours delaquelle elles sont nées ; 2° les créances qui, ayant été produites dansle délai visé au 1°, n'ont pas été ordonnancées par les ministres dans ledélai de cinq ans à partir du 1^er janvier de l'année pendant laquelleelles ont été produites (...). Le principe de l'applicabilité de laprescription quinquennale aux créances d'indemnité (qui doivent êtreproduites) ne fait aucun doute eu égard à l'évolution de la jurisprudencede la Cour d'arbitrage à ce propos (...) ».

C. « La question qui se pose alors est celle du point de départ du délaide prescription en ce qui concerne la première créance (celle relative àla subvention demandée le 29 février 1984). La (demanderesse) le situe au26 novembre 1986, pour en conclure (comme le premier juge) que laprescription quinquennale était acquise au 1^er janvier 1991 (soit quatreans avant la citation du 31 janvier 1995). La cour [d'appel] ne peutsuivre cette thèse. En effet, ni la faute ni le dommage subi par la(défenderesse) ne peuvent être situés à cette date qui est celle àlaquelle le ministre signalait accepter le principe de l'octroi de lasubvention. Il sera dit ci-après que cette décision n'était nullementfautive mais, au contraire, conforme aux textes légaux applicables àl'octroi de la subvention sollicitée. La faute consiste en l'espèce àn'avoir pas donné suite à cet accord de principe. Néanmoins, aucun refusn'ayant été exprimé de manière explicite en ce qui concerne la premièredemande de subvention, la date à laquelle cette faute a été commise nepeut être située, avec précision, dans le temps. La seule chose qui puisseêtre admise à ce sujet est que la (défenderesse) n'a pu prendre consciencede cette faute et du dommage qui en résultait pour elle avant le 17 juin1991, date du revirement de l'administration à propos de la secondedemande de subvention qui, elle aussi, avait pourtant été préalablementacceptée et même engagée (...). Il est, par ailleurs, conforme d'une partà la logique, d'autre part à la jurisprudence précitée de la Courd'arbitrage ainsi qu'à celle de la Cour de cassation (...), enfin auraisonnement analogique fondé sur le libellé de l'article 2262bis, § 1^er,alinéa 2, du Code civil, de situer le point de départ du délai deprescription, à la date où le dommage est apparu et où sa victime a pu enprendre conscience. En l'espèce, eu égard au silence gardé par laCommunauté française après l'accord de principe donné le 26 novembre 1986,- silence qui n'avait rien d'inquiétant et ne devait pas inciter la(défenderesse) à prendre de nouvelles initiatives avant de produire sacréance quand elle serait connue (soit après la réalisation et lafacturation des travaux) - le dommage résultant du refus implicite de lapremière subvention n'a pu apparaître avant le 17 juin 1991. C'est donc àcette date que la prescription quinquennale a pris cours. Elle n'est doncvenue à son terme que le 1^er janvier 1996, soit près d'un an après lacitation introductive d'instance qui l'a interrompue. La demande relativeà la subvention sollicitée le 29 février 1984 n'est dès lors pas prescritecomme l'a décidé le premier juge ».

D. « En ce qui concerne la deuxième demande, (celle relative à lasubvention demandée le 10 juillet 1984), il y a lieu de constater : -d'une part, que sa prescription venait en principe à échéance à la mêmedate que la première, soit au 1^er janvier 1996, et que cette demanden'est donc pas davantage prescrite, - d'autre part, et de manièresurabondante, que le cours de cette prescription a été interrompu par lareconnaissance de sa dette faite par la Communauté française (lettres des16 janvier 1987 et 28 février 1991) ».

Griefs

Première branche

Selon l'article 1^er, a), de la loi du 6 février 1970 relative à laprescription des créances à charge ou au profit de l'Etat et desprovinces, et selon l'article 100, alinéa 1^er, 1°, de l'arrêté royal du17 juillet 1991 portant coordination des lois sur la comptabilité del'Etat, « sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat(...) : les créances qui, devant être produites selon les modalités fixéspar la loi ou par le règlement, ne l'ont pas été dans le délai de cinq ansà partir du 1^er janvier de l'année budgétaire au cours de laquelle ellessont nées ». L'article 2, alinéa 1^er, de la loi du 6 février 1970 etl'article 101, alinéa 1^er, de l'arrêté royal du 17 juillet 1991 disposent: « La prescription est interrompue par exploit d'huissier de justice,ainsi que par une reconnaissance de dette faite par l'Etat ».

Les dispositions précitées de la loi du 6 février 1970 et de l'arrêtéroyal du 17 juillet 1991 sont applicables aux communautés et aux régionsjusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 16 mai 2003 fixant lesdispositions générales applicables aux budgets, au contrôle dessubventions et à la comptabilité des communautés et des régions, ainsiqu'à l'organisation du contrôle de la Cour des comptes, en vertu desarticles 71, § 1^er, et 50, § 2, de la loi spéciale du 16 janvier 1984relative au financement des Communautés et des Régions. L'entrée envigueur de ladite loi du 16 mai 2003 est reportée au 1^er janvier 2007pour ce qui concerne la Communauté française et au 1^er janvier 2006 pource qui concerne la Région de Bruxelles-Capitale, en vertu de l'article 17de ladite loi et de l'arrêté royal du 18 mars 2004. Les dispositionsprécitées de la loi du 6 février 1970 et de l'arrêté royal du 17 juillet1991 sont applicables en outre à la Commission communautaire française envertu des articles 1^er et 3 de l'arrêté du gouvernement de la Communautéfrançaise du 10 janvier 1994.

Il ne ressort pas des dispositions précitées de la loi du 6 février 1970et de l'arrêté royal du 17 juillet 1991 que la prescription quinquennaledesdites créances pourrait être valablement interrompue par un exploitd'huissier donné à une autorité incompétente. En effet, ces dispositionsne dérogent pas aux dispositions suivantes du Code civil relatives à laprescription : selon l'article 2242 dudit code, la prescription peut êtreinterrompue civilement ; selon l'article 2244 du même code, « une citationen justice, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veutempêcher de prescrire, forment l'interruption civile ». La citation donnéeà une personne qui n'est pas « celui que l'on veut empêcher de prescrire »n'a pas cet effet interruptif.

Le décret du Conseil de la Communauté française du 19 juillet 1993attribuant l'exercice de certaines compétences de la Communauté françaiseà la Région wallonne et à la Commission communautaire française dispose :- en son article 3, que ladite commission, sur le territoire de la Régionbilingue de Bruxelles-Capitale, exerce les compétences de la Communautéfrançaise « dans les matières suivantes : 1° en ce qui concernel'éducation physique, les sports et la vie en plein air (...) : lesinfrastructures communales, provinciales, intercommunales et privées » ; -en son article 9, alinéa 1^er, que la Commission communautaire françaisesuccède aux droits et obligations de la Communauté française relatifs auxcompétences visées à l'article 3, « en ce compris les droits etobligations résultant de procédures judiciaires en cours et à venir » ; -en son article 15, que ledit décret « entre en vigueur le 1^er janvier1994 ». Dès lors, la succession de la demanderesse aux droits etobligations de la Communauté française relatifs aux compétences visées àl'article 3 dudit décret, s'est produite le 1^er janvier 1994.

En vertu des dispositions précitées, l'arrêt a d'ailleurs considéré que lademanderesse a succédé à la Communauté française dans les droits etobligations de celle-ci dans le cadre du litige qui a trait à l'octroi dessubventions sollicitées par la défenderesse sur la base de l'article 1^erdu décret du Conseil culturel de la Communauté culturelle française du 20décembre 1976 réglant l'octroi de subventions à certains travauxconcernant les installations sportives, selon lequel « dans la limite descrédits prévus à cette fin, le ministre de la Culture française estautorisé à accorder aux communes et aux groupements sportifs dessubventions pour des travaux immobiliers d'équipement et d'aménagementdestinés à favoriser la pratique des sports amateurs ».

Or, comme le constate l'arrêt, la citation introductive d'instance a étésignifiée le 31 janvier 1995, soit à un moment où la Communauté françaisen'était plus compétente pour exercer les compétences visées à l'article 3du décret du 19 juillet 1993 et connaître des demandes de subventionsvisées à l'article 1^er du décret du 20 décembre 1976, cette compétenceayant été transférée à la demanderesse depuis le 1^er janvier 1994, en cecompris les droits et obligations résultant de procédures judiciaires encours et à venir. La demanderesse n'a, quant à elle, été citée enintervention forcée que le 14 janvier 1997.

Selon l'arrêt, le point de départ de la prescription quinquennaleapplicable aux demandes formées par la défenderesse en ce qui concerne lessubventions sollicitées les 29 février 1984 et 10 juillet 1984, doit êtresitué le 17 juin 1991, en manière telle que la prescription de cesdemandes est atteinte le 1^er janvier 1996 (motifs sub C et D). Il ressortde ces considérations que les demandes étaient prescrites lorsque ladéfenderesse a fait citer la demanderesse par l'exploit d'huissier du 14janvier 1997.

Dès lors que la citation lancée contre la Communauté française le 31janvier 1995 n'a pas pu interrompre la prescription quinquennale quicourait contre la demanderesse, seule compétente depuis le 1^er janvier1994, pour connaître de l'octroi des subventions sollicitées ou desconséquences de l'absence d'octroi des subventions sollicitées, l'arrêtn'a pas pu légalement décider que les demandes formées par la défenderesseétaient recevables à l'encontre de la demanderesse. L'arrêt viole dès lorsles articles 1^er, a), et 2, alinéa 1^er, de la loi du 6 février 1970, lesarticles 100, alinéa 1^er, 1°, et 101, alinéa 1^er, de l'arrêté royal du17 juillet 1991 (rendus applicables aux communautés et aux régions envertu des articles 50, § 2, et 71, § 1^er, de la loi spéciale du 16janvier 1989 et rendus applicables à la Commission communautaire françaisepar les articles 1^er et 3 du décret du 10 janvier 1994 du gouvernement dela Communauté française), les articles 2242 et 2244 du Code civil, lesarticles 3, 1°, 9, alinéa 1^er, et 15 du décret II du 19 juillet 1993. Encondamnant la demanderesse à payer au défendeur le montant des subventionssollicitées, l'arrêt viole en outre l'article 1^er du décret du Conseilculturel de la Communauté culturelle française du 20 décembre 1976.

Deuxième branche

L'article 2248 du Code civil dispose : « La prescription est interrompuepar la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit decelui contre lequel il prescrivait ». Les articles 2, alinéa 1^er, de laloi du 6 février 1970 relative à la prescription des créances à charge ouau profit de l'Etat et des provinces et 101, alinéa 1^er, de l'arrêtéroyal du 17 juillet 1991 portant coordination des lois sur la comptabilitéde l'Etat, rendus applicables aux communautés et aux régions par lesarticles 50, § 2, et 71, § 1^er, de la loi spéciale du 16 janvier 1989relative au financement des communautés et des régions, disposent : « Laprescription est interrompue (...) par une reconnaissance de dette faitepar l'Etat ».

Lorsque la prescription est interrompue par la reconnaissance que ledébiteur fait du droit du créancier, le délai de prescription prend ànouveau cours, en principe, le jour suivant la reconnaissance et laprescription est acquise le dernier jour du nouveau délai.

En l'espèce, l'arrêt considère que les demandes formées par ladéfenderesse étaient soumises à la prescription quinquennale prévue parl'article 100, alinéa 1^er, 1°, de l'arrêté royal du 17 juillet 1991(motifs sub A et B) et que la prescription de la demande relative à lasubvention sollicitée le 10 juillet 1984 a été interrompue par lareconnaissance de dette faite par la Communauté française dans ses lettresdes 16 janvier 1987 et 28 février 1991 (motif sub D).

Cette dernière considération n'est pas de nature à justifier légalement ladécision selon laquelle la demande de la défenderesse relative à laseconde subvention sollicitée le 10 juillet 1984 n'était pas prescrite àl'égard de la demanderesse qui a été citée en intervention forcée parexploit d'huissier du 14 janvier 1997 : en prenant en considération ladate de la dernière reconnaissance de dette du 28 février 1991, à partirde laquelle court un nouveau délai de cinq ans, la prescription de cettedemande était en tous cas atteinte le 1^er mars 1996.

En décidant que la demande de la défenderesse relative à la secondesubvention sollicitée le 10 juillet 1984 n'était pas prescrite au momentoù la demanderesse a été citée en intervention forcée, l'arrêt violel'article 2248 du Code civil, l'article 2, alinéa 1^er, de la loi du 6février 1970, l'article 101, alinéa 1^er, de l'arrêté royal du 17 juillet1991, et les articles 50, § 2 et 71, § 1^er, de la loi spéciale du 16janvier 1989 (et pour autant que de besoin les articles 1^er et 3 del'arrêté du gouvernement de la Communauté française du 10 janvier 1994).En condamnant la demanderesse à payer à la défenderesse la secondesubvention sollicitée, l'arrêt viole en outre l'article 1^er du décret duConseil culturel de la Communauté culturelle française du 20 décembre1976.

Troisième branche (subsidiaire)

L'article 1^er du décret du Conseil culturel de la Communauté culturellefrançaise du 20 décembre 1976 réglant l'octroi de subventions à certainstravaux concernant les installations sportives dispose : « Dans leslimites des crédits budgétaires prévus à cette fin, le ministre de laCulture française est autorisé à accorder aux communes et aux groupementssportifs des subventions pour les travaux immobiliers d'équipement etd'aménagement destinés à favoriser la pratique des sports amateurs » .

Selon l'article 9 de l'arrêté royal du 1^er avril 1977 portant exécutionde ce décret, « le ministre détermine, dans chaque cas, le montant destravaux (...) qui sera pris en considération pour l'octroi de lasubvention et fixe le montant de celle-ci ». Selon l'article 10 duditarrêté royal, « la décision du ministre est notifiée aux groupementssportifs ».

Les articles 1^er, a), de la loi du 6 février 1970 relative à laprescription des créances à charge ou au profit de l'Etat et desprovinces, et 100, alinéa 1^er, 1°, de l'arrêté royal du 17 juillet 1991portant coordination des lois sur la comptabilité de l'Etat, rendusapplicables aux communautés et aux régions par les articles 50, § 2, et71, § 1^er, de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financementdes communautés et des régions, disposent : « Sont prescrites etdéfinitivement éteintes au profit de 1'Etat (...) : les créances qui,devant être produites selon les modalités fixées par la loi ou lerèglement, ne l'ont pas été dans le délai de cinq ans à partir du 1^erjanvier de l'année budgétaire au cours de laquelle elles sont nées ». Lesdispositions précitées sont en outre rendues applicables à la Commissioncommunautaire française en vertu des articles 1^er et 3 de l'arrêté dugouvernement de la Communauté française du 10 janvier 1994.

Selon l'article 2219 du Code civil, « la prescription est un moyend'acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps et sous lesconditions déterminées par la loi ». L'article 2262bis du même codedispose, en ses alinéas 1^er et 2 : « Toutes les actions personnelles sontprescrites par dix ans. Par dérogation à l'alinéa 1^er, toute action enréparation d'un dommage fondée sur une infraction se prescrit par cinq ansà partir du jour qui suit celui où la personne lésée a connaissance dudommage ou de son aggravation et de l'identité de la personneresponsable ».

En matière de responsabilité civile extracontractuelle, la prescriptiondes créances de réparation d'un dommage causé par la faute de l'Etat oudes pouvoirs publics auxquels sont applicables les articles 1^er, a), dela loi du 6 février 1970 et 100, alinéa 1^er, 1°, de l'arrêté royal du 17juillet 1991, commence à courir au moment où la faute a été commise. Il nepeut en être autrement que dans le cas où la victime a été dansl'impossibilité de prendre conscience de l'apparition de son dommage à cemoment et n'a été en mesure d'en prendre conscience que plus tardivement.

Sauf dans ce cas, le juge du fond méconnaît la notion légale d'apparitiondu dommage lorsqu'il décide de ne pas prendre en considération le momentoù la faute a été commise comme point de départ de la prescription del'action en réparation du dommage causé par l'Etat ou par les pouvoirspublics auxquels sont applicables la loi du 6 février 1970 et l'arrêtéroyal du 17 juillet 1991.

En l'espèce, dans ses motifs sub A et B, l'arrêt considère que lescréances de la défenderesse à l'encontre de la Communauté françaiseétaient soumises à la prescription quinquennale prévue à l'article 100,alinéa 1^er, 1°, de l'arrêté royal du 17 juillet 1991 et, dans ses motifssub C, que la faute commise par la Communauté française ayant causé ledommage, dont la défenderesse demande la réparation, en poursuivant lepaiement du montant de la première subvention sollicitée le 29 février1984, était de n'avoir pas donné de suite à l'accord de principe qu'elleavait exprimé à ce sujet par lettre du 26 novembre 1986.

Pour considérer que la prescription de l'action introduite par ladéfenderesse, relative à la première subvention, n'a pas commencé à couriravant le 17 juin 1991, l'arrêt considère qu'« aucun refus n'ayant étéexprimé de manière explicite en ce qui concerne la première demande desubvention, la date à laquelle cette faute a été commise ne peut êtresituée, avec précision, dans le temps ; la seule chose qui puisse êtreadmise à ce sujet est que la (défenderesse) n'a pu prendre conscience decette faute et du dommage qui en résultait pour elle avant le 17 juin1991, date du revirement de l'administration à propos de la secondedemande de subvention qui, elle aussi, avait pourtant été préalablementacceptée et même engagée », dès lors que « le silence gardé par laCommunauté française n'avait rien d'inquiétant et ne devait pas inciter la(défenderesse) à prendre de nouvelles initiatives avant de produire sacréance quand elle serait connue (soit après la réalisation et lafacturation des travaux) » (motifs sub C).

Or, dans l'exposé des faits, l'arrêt avait constaté que le sort de cesdeux demandes de subvention n'était pas lié. En effet, l'arrêt a constatéqu'après le 26 novembre 1986, « ces deux demandes vont alors connaître uneévolution différente, car si l'accord du ministre fut confirmé le 26décembre 1986 (pour un montant de 985.000 francs) pour la seconde demande,aucun courrier ultérieur de la Communauté française ne vint confirmerl'accord relatif à la première demande dont le sort resta ainsiindéterminé » et que « le 28 février 1991, l'inspecteur général duministère de la Culture de la Communauté française écrivait à la(défenderesse) que la subvention de 985.000 francs (deuxième demande)serait mise en liquidation ».

Il ne ressort pas de l'ensemble de ces motifs et constatations qu'avant lerevirement d'attitude de la Communauté française concernant la secondedemande de subvention, la défenderesse n'aurait eu aucune initiative àprendre en vue d'obtenir le paiement de la première subvention sollicitée,dont le montant ne lui avait au demeurant jamais été précisé,contrairement à ce que disposent les articles 9 et 10 de l'arrêté royal du1^er avril 1977, après l'accord de principe du 26 novembre 1986.

Dès lors, en décidant qu'avant le 17 juin 1991, date du revirement del'administration quant à la seconde demande de subvention sollicitée le 10juillet 1984, la défenderesse ne pouvait avoir conscience de l'apparitiondu préjudice découlant de l'absence de suite donnée à l'accord de principedu 26 novembre 1986, relatif à la première subvention sollicitée le 29février 1984, bien que le montant de la première subvention sollicitée nelui eût jamais été précisé par le ministre compétent, l'arrêt viole lesarticles 1382 et 1383 du Code civil, l'article 1^er du décret du 20décembre 1976, et les articles 9 et 10 de l'arrêté royal du 1^er avril1977 portant exécution de ce décret. En décidant, en conséquence, que lademande relative à la première subvention sollicitée le 29 février 1984n'était pas prescrite le 31 janvier 1995, date de la citation de laCommunauté française devant le premier juge, l'arrêt viole en outre lesarticles 2219 et 2262bis, § 1^er, alinéas 1^er et 2, du Code civil,l'article 1^er, a), de la loi du 6 février 1970 et l'article 100, alinéa1^er, 1°, de l'arrêté royal du17 juillet 1991, rendus applicables aux communautés et aux régions par lesarticles 50, § 2, et 71, § 1^er, de la loi spéciale du 16 janvier 1989, età la Commission communautaire française par les articles 1^er et 3 del'arrêté du gouvernement de la Communauté française du 10 janvier 1994.

Quatrième branche

En vertu de l'article 1349 du Code civil, « les présomptions sont desconséquences que la loi ou le magistrat tirent d'un fait connu à un faitinconnu ». Selon l'article 1353 du même code, « les présomptions qui nesont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à laprudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves,précises et concordantes (...) ». L'existence des faits sur lesquels sefonde le juge est souverainement constatée par lui et les conséquencesqu'il en déduit à titre de présomptions sont abandonnées à ses lumières, àla condition que le juge ne méconnaisse pas ou ne dénature pas la notionlégale de présomption de l'homme. Le juge qui déduit des faits qu'il aconstatés des conséquences qui sont sans aucun lien avec eux ou qui neseraient susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification, violeen conséquence ces dispositions légales.

De la circonstance que, le 17 juin 1991, l'administration est revenue sursa décision d'allouer à la défenderesse la seconde subvention demandée parelle le 10 juillet 1984, bien qu'elle eût donné son accord de principe surl'octroi de cette subvention le 26 novembre 1986, confirmé son accord le22 décembre 1986 en précisant le montant de la subvention et promis saliquidation le 28 février 1991, l'arrêt ne pouvait pas légalement déduireque la défenderesse ne pouvait prendre conscience, avant le 17 juin 1991,du fait que la Communauté française ne donnerait aucune suite à l'accordde principe qu'elle avait donné le 26 novembre 1986 quant à la premièredemande de subvention introduite le 29 février 1984 ( motifs sub C). Eneffet, l'arrêt a constaté qu'après le 26 novembre 1986, date à laquelle leministre compétent avait transmis à la défenderesse son accord à proposdes deux demandes, « ces deux demandes vont alors connaître une évolutiondifférente », aucun courrier ultérieur de la Communauté française nevenant confirmer l'accord de principe relatif à la première demande « dontle sort restera ainsi indéterminé ».

Dès lors, en décidant que la défenderesse n'a pas pu prendre conscience dela faute commise par la Communauté française, faute consistant à n'avoirpas donné suite à cet accord de principe relatif à la première demande desubvention, et du dommage qui en résultait pour elle avant le 17 juin1991, date du revirement de l'administration à propos de la secondedemande de subsidiation, l'arrêt déduit des faits qu'il a constatés desconséquences qui ne sont susceptibles sur leur fondement d'aucunejustification et méconnaît la notion légale de présomption de l'homme,violant les articles 1349 et 1353 du Code civil.

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

Suivant l'article 1^er, a), de la loi du 6 février 1970 relative à laprescription des créances à charge ou au profit de l'Etat et desprovinces, qui forme l'article 100, alinéa 1^er, 1°, des lois sur lacomptabilité de l'Etat coordonnées par l'arrêté royal du 17 juillet 1991,applicables à la Communauté française et à la Commission française, sontprescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat, les créancesqui, devant être produites selon les modalités fixées par la loi ou lerèglement, ne l'ont pas été dans le délai de cinq ans à partir du premierjanvier de l'année budgétaire au cours de laquelle elles sont nées.

L'article 2, alinéa 1^er, de la loi du 6 février 1970, qui forme l'article101, alinéa 1^er, desdites lois coordonnées, dispose que la prescriptionest interrompue par exploit d'huissier de justice ainsi que par unereconnaissance de dette faite par l'Etat.

Au sens de cette disposition, une citation en justice n'interrompt laprescription que si elle est signifiée au débiteur que l'on veut empêcherde prescrire.

L'arrêt constate que la Commission communautaire française a, s'agissantdes créances litigieuses, succédé à la Communauté française parapplication de l'article 3 du décret de la Communauté française du 19juillet 1993 attribuant l'exercice de certaines compétences de laCommunauté française à la Région wallonne et à la Commission communautairefrançaise.

Il ressort des articles 9 et 15 dudit décret que cette succession a eulieu le 1^er janvier 1994, y compris en ce qui concerne les droits etobligations résultant de procédures en cours et à venir.

L'arrêt, qui énonce que la prescription quinquennale a pris cours le 17juin 1991 et « n'est donc venue à son terme que le 1^er janvier 1996 »,constate que la défenderesse a cité la Communauté française le 31 janvier1995 et a appelé la Commission communautaire française en interventionforcée le 14 janvier 1997.

En reconnaissant un effet interruptif de la prescription à la citationintroductive d'instance signifiée à la Communauté française, alors que laCommission communautaire française lui avait déjà succédé, l'arrêt violel'article 2, alinéa 1^er, de la loi du 6 février 1970 précité.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fondé.

Il n'y a lieu d'examiner ni le surplus de cette branche ni les autresbranches du moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant que, réformant le jugement entrepris, il ditla demande recevable et fondée ;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêtpartiellement cassé ;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président Christian Storck, les conseillers Didier Batselé,Albert Fettweis, Christine Matray et Sylviane Velu, et prononcé enaudience publique du deux octobre deux mille huit par le présidentChristian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avecl'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

2 OCTOBRE 2008 C.05.0524.F/18


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.05.0524.F
Date de la décision : 02/10/2008

Analyses

PRESCRIPTION - DIVERS


Origine de la décision
Date de l'import : 31/08/2018
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2008-10-02;c.05.0524.f ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award