Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.07.0098.F
1. D. J.,
2. D. S.,
3. D. L.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Cécile Draps, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est faitélection de domicile,
contre
BRASSERIES ALKEN-MAES, société anonyme dont le siège social est établi àKontich-Waarloos, Waarloosveld, 10,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 13 octobre2006 par le tribunal de première instance de Namur, statuant en degréd'appel.
Le conseiller Christine Matray a fait rapport.
L'avocat général délégué Philippe de Koster a conclu.
II. Le moyen de cassation
Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 1315, 1349, 1353 et 2036 du Code civil ;
- articles 62, 65, 67, 68, 69 et 70 de la loi du 8 août 1997 sur lesfaillites ;
- articles 870 et 1138, 2°, du Code judiciaire ;
- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué dit l'appel des demandeurs non fondé et confirme leurcondamnation au paiement de la somme de 868.041 francs, soit 21.518,17euros, pour tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et,spécialement, pour les motifs que :
« Cette somme correspond en réalité au montant de la créance admise àtitre définitif au passif privilégié de la faillite de la société privée àresponsabilité limitée L'Ecusson Doré.
Les (demandeurs), ainsi que Madame ., s'étant portés cautions solidaireset indivisibles des engagements de la société privée à responsabilitélimitée par acte sous seing privé du 31 juillet 1987, c'est à bon droitque le premier juge les a condamnés en garantie des obligationsprincipales et accessoires de cette dernière à l'encontre de la(défenderesse).
La doctrine et la jurisprudence sont en effet unanimes à décider quel'admission d'une créance, sans restriction ni réserve et aprèsl'expiration des délais pour contredire, lie le produisant et les autrescréanciers, ainsi que le curateur et le failli.
En principe, l'admission est irrévocable et s'oppose à toute modification: les créances sont à l'abri de toutes contestations ultérieures.
La règle de l'irrévocabilité de l'admission d'une créance s'applique nonseulement au montant de celle-ci, mais également à chacun de ses articlesou éléments (…).
Nul ne peut ensuite contester cette créance en invoquant une cause denullité, de résolution ou d'extinction ou en se fondant sur uneinopposabilité due à la période suspecte. Seuls le dol ou la fraude duproduisant, la violation de règles d'ordre public ou la force majeureayant empêché la manifestation de la vérité permettent de faire échec àl'irrévocabilité de l'admission ».
Griefs
Aux termes de l'article 2036 du Code civil, la caution peut opposer aucréancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal etqui sont inhérentes à la dette. Une contestation relative au montant de ladette de loyer et à l'impartialité de l'expert désigné par le juge pourapprécier la valeur locative de l'immeuble est une exception inhérente àcette dette et non une exception purement personnelle au débiteur.
En vertu des articles 62, 65, 67, 68, 69 et 70 de la loi du 8 août 1997sur les faillites, l'admission d'une créance au passif de la faillite dudébiteur ne présente un caractère irrévocable et n'empêche toutecontestation ultérieure qu'à l'égard des parties appelées à lavérification et à l'admission des créances dans le cadre de cettefaillite, à savoir le curateur, le failli, le créancier produisant ainsique les autres créanciers. Elle n'empêche nullement les cautions, qui entant que telles ne sont pas appelées à la vérification des créances, decontester ultérieurement tant la réalité de la dette que son montant.
Première branche
Le jugement attaqué ne constate pas que les demandeurs auraient étéappelés à la procédure de vérification et d'admission des créances dans lecadre de la faillite de la société privée à responsabilité limitéeL'Ecusson Doré dont ils cautionnaient les obligations nées du bail laliant à la défenderesse. Il décide néanmoins que les demandeurs, « s'étantportés cautions solidaires et indivisibles des engagements de la sociétéprivée à responsabilité limitée (L'Ecusson Doré) », sont liés par ladécision d'admission de la créance au passif privilégié de la faillite etécarte, pour ce motif, leur contestation relative au montant de la dette.Il viole, partant, tant l'article 2036 du Code civil que les articles 62,65 et 67 à 70 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites.
Seconde branche
S'il fallait lire le jugement attaqué en ce sens qu'il a implicitementconsidéré que les demandeurs avaient été appelés à défendre leurs intérêtsdans le cadre de la procédure de vérification et d'admission des créances,il se fonderait dans ce cas sur un élément de fait qui ne ressort d'aucunepièce de la procédure et qui ne pourrait être, partant, connu des jugesque de science personnelle (violation des articles 870 et 1138, 2°, duCode judiciaire, des articles 1315, 1349 et 1353 du Code civil et duprincipe général du droit relatif au respect des droits de la défense).
III. La décision de la Cour
Quant à la première branche :
L'admission d'une créance au passif de la faillite, sans réserve nicontredit manifesté dans le délai imparti, constitue, en principe, un actejuridique irrévocable faisant obstacle à ce que la créance admise puisseencore être contestée.
Cette règle, dont la finalité est de permettre le règlement collectif dela masse des créances dans les meilleures conditions de célérité et desécurité, ne prive cependant pas la caution, qui n'a pas été partie àl'admission, du droit de contester le montant de la créance.
L'article 2036 du Code civil dispose que la caution peut opposer aucréancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal,et qui sont inhérentes à la dette.
Le jugement attaqué constate que les demandeurs « s'étaient portéscautions solidaires et indivisibles des engagements souscrits par lasociété faillie envers la [défenderesse] dans le cadre d'un bail desous-location » et qu'ils contestaient tant le mode d'évaluation que lemontant de la créance de la défenderesse.
Il considère que l'admission d'une créance, sans restriction ni réserve,est irrévocable et que, partant, elle lie les cautions du failli.
Le jugement attaqué qui ne constate pas que les demandeurs auraient étéappelés à la procédure de vérification et d'admission des créances ouverteà la suite de la faillite, ne justifie pas légalement sa décision decondamner les demandeurs à payer à la défenderesse la somme de 21.518,17euros.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugementcassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause devant le tribunal de première instance de Huy, siégeanten degré d'appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillersDidier Batselé, Albert Fettweis, Daniel Plas et Christine Matray, etprononcé en audience publique du dix-huit septembre deux mille huit par leprésident de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat généraldélégué Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Marie-JeanneMassart.
18 SEPTEMBRE 2008 C.07.0098.F/7