Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.07.0200.F
MAGIC PNEU GLOBE, société privée à responsabilité limitée dont le siègesocial est établi à Uccle, chaussée d'Alsemberg, 652,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Lefèbvre, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est faitélection de domicile,
contre
1. FUTUR OPTIC, société privée à responsabilité limitée dont le siègesocial est établi à Uccle, chaussée d'Alsemberg, 654,
2. AXA BELGIUM, société anonyme dont le siège social est établi àWatermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,
défenderesses en cassation,
3. AGF BELGIUM INSURANCE, société anonyme dont le siège social est établià Bruxelles, rue de Laeken, 35,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où ilest fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le8 décembre 2006 par le tribunal de première instance de Bruxelles,statuant en degré d'appel.
Le conseiller Albert Fettweis a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Disposition légale violée
Article 1384, alinéa 1^er, du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué décide que la demanderesse ne démontre pas àsuffisance que la chute de la partie avant de l'enseigne lumineuse dumagasin de la première défenderesse trouve son origine dans un vice del'enseigne et déclare, partant, la demande de la demanderesse sur pied del'article 1384, alinéa 1^er, du Code civil non fondée, sur la base desmotifs suivants :
« Il n'existe aucune contestation quant au fait que [la premièredéfenderesse] est le gardien, au sens de l'article 1384 du Code civil, del'enseigne lumineuse concernée.
Trois conditions sont requises pour engager la responsabilité du gardiend'une chose : le vice de la chose, un préjudice subi par un tiers et unlien causal entre ces deux éléments. Aucune faute n'est exigée dans lechef du gardien, le fait générateur étant le vice de la chose.
Une chose est viciée lorsqu'elle présente une caractéristique anormale quila rend, en certaines circonstances, susceptible de causer un préjudice.
Il y a lieu de rappeler que la charge de la preuve de la caractéristiqueanormale invoquée repose sur la partie qui fait appel au mécanisme prévupar l'article 1384 du Code civil, en l'espèce [la demanderesse].
Il est cependant admis, en certaines circonstances, que la charge de lapreuve s'allège quelque peu en ce que le tribunal peut déduire l'existencedu vice de la chose de ce qu'elle présentait un comportement anormal àcondition d'exclure toute autre cause possible ou toute explicationraisonnable du dommage (Cass., 9 février 1989, Pas., 1989, I, 611).
[La demanderesse] déduit de la chute de l'enseigne qu'elle étaitnécessairement affectée d'un vice au sens de l'article 1384 du Code civil.
Cependant, vu les circonstances de la cause, la chute de la partie avantde l'enseigne lumineuse ne trouve pas sa seule explication raisonnabledans l'existence d'un vice. En l'espèce, il existe deux explicationspossibles à sa chute : soit le vice de la chose, soit le heurt par lecamion de la société Flamingo.
Contrairement à ce que postule l'expert mandaté unilatéralement par [latroisième défenderesse] (assureur de Flamingo), les données matérielles dela cause telles qu'elles résultent des déclarations non contestées desparties et des photos des lieux ne rendent pas invraisemblable le fait quele camion a heurté l'enseigne sans que le chauffeur du camion ne s'enrende nécessairement compte : le camion, un semi-remorque, était stationnésur une aire de parking rehaussée (se trouvant à la même hauteur que letrottoir), un arbre présent devant le camion le contraignait à quitter sonstationnement en effectuant une marche arrière, le trottoir n'est pasparticulièrement large de sorte que l'arrière du camion pouvait heurterl'enseigne sans que cela n'implique une marche arrière importante et iln'est pas démontré que la voiture de [la demanderesse] était stationnée àl'endroit où elle est mentionnée sur le rapport d'expertise unilatéral.
Si aucune autre explication raisonnable ne pouvait être donnée à la chutede la partie avant de l'enseigne, l'on aurait pu conclure au fait qu'elleétait viciée. Le fait qu'elle tombe sans aucune raison aurait démontréqu'elle présentait un comportement anormal susceptible de causer unpréjudice et dès lors qu'elle était viciée.
Par contre, si l'enseigne a d'abord été heurtée par le camion pour ensuitetomber, la chute ne constitue plus un comportement anormal de la chosemais bien un comportement parfaitement normal, provoqué par le heurt.Toute enseigne, du même modèle que celle en cause et dans les mêmescirconstances, aurait présenté le même comportement que l'enseigne dontquestion.
Au regard des deux explications possibles de la chute, il appartient à [lademanderesse] de démontrer que la chute trouve son origine dans unecaractéristique anormale de la chose, preuve qui n'est pas rapportée.
Par voie de conséquence, il est inutile de se pencher sur lesconsidérations subséquentes relatives à l'origine d'un vice invoqué ou àl'existence d'une cause étrangère qui exonérerait le gardien d'une choseviciée.
Il s'ensuit que le tribunal confirme la décision prise par le premier jugeselon laquelle [la demanderesse] ne démontre pas à suffisance que la chutede la partie avant de l'enseigne lumineuse trouve nécessairement sonorigine dans un vice de l'enseigne ».
Griefs
En vertu de l'article 1384, alinéa 1^er, du Code civil, on est responsablenon seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encorede celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, oudes choses que l'on a sous sa garde.
Trois conditions sont requises pour engager la responsabilité du gardiend'une chose, savoir le vice de la chose, un préjudice subi par un tiers etun lien causal entre ces deux éléments.
L'existence d'une faute dans le chef du gardien de la chose ne doit pasêtre prouvée, le seul fait générateur de responsabilité étant le vice dela chose.
Or, une chose est viciée lorsqu'elle présente une caractéristique anormalequi la rend, en certaines circonstances, susceptible de causer unpréjudice.
La cause du vice ne doit, toutefois, pas être recherchée, la preuve duseul vice résultant d'une caractéristique anormale étant suffisant.
Peu importe donc que le vice soit causé par une caractéristiqueintrinsèque de la chose ou causé par une cause extrinsèque à la chose, levice pouvant parfaitement trouver son origine dans le comportement dugardien de la chose ou d'une autre cause externe, tel le comportement d'untiers.
En l'occurrence, le fait générateur du dommage de la demanderesse est lasimple circonstance de la chute d'une enseigne sur son véhicule stationnéen rue.
Une enseigne normale n'étant pas censée tomber sur des voitures enstationnement, l'enseigne sous le gardiennage de la première défenderesseprésentait, dès lors, une caractéristique anormale rendant, partant,établie la responsabilité de cette dernière sur pied de l'article 1384,alinéa 1^er, du Code civil et superflue, du moins dans le cadre de saresponsabilité pour vice de la chose, toute recherche quant à la cause dela caractéristique anormale.
Or, le jugement attaqué, après avoir constaté la chute de l'enseigne etl'existence d'un dommage en résultant (« le 5 avril 2000, la partie avantde l'enseigne du magasin [de la première défenderesse] tombe sur unvéhicule en stationnement, appartenant à [la demanderesse] »), rejette lademande de la demanderesse, fondée sur l'article 1384, alinéa 1^er, duCode civil, au motif que cette dernière ne démontre point l'origine ou lacause du vice de la chose (« Cependant, vu les circonstances de la cause,la chute de la partie avant de l'enseigne lumineuse ne trouve pas sa seuleexplication raisonnable dans l'existence d'un vice. En l'espèce, il existedeux explications possibles à sa chute : soit le vice de la chose, soit leheurt par le camion de la société Flamingo »), estimant que le vice doit,soit, trouver son origine dans le comportement du gardien de la chose,soit, constituer une caractéristique intrinsèque de la chose, ce quiexclut le fait d'un tiers, ce qui revient, non seulement à ajouter unecondition à l'article 1384, alinéa 1^er, du Code civil, mais, en outre, àvioler le terme légal de « choses que l'on a sous sa garde ».
En exigeant également la preuve, outre de la caractéristique anormale dela chose - c'est-à-dire de sa chute sur une voiture stationnée -, del'origine ou de la cause du vice de la chose - c'est-à-dire lacirconstance qui a fait chuter l'enseigne -, le jugement attaqué ajouteune condition à la simple preuve du fait générateur du dommage, soit lacaractéristique anormale d'une chose et viole, partant, l'article 1384,alinéa 1^er, du Code civil.
En estimant que le vice générateur de la responsabilité doit, soit trouverson origine dans le comportement du gardien de la chose, soit constituerune caractéristique intrinsèque de la chose, ce qui exclut le comportementd'un tiers, le jugement attaqué viole, en outre, le terme légal de «chosesque l'on a sous sa garde» et, partant, l'article 1384, alinéa 1^er, duCode civil.
III. La décision de la Cour
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la troisième défenderesse :
Sur la fin de non-recevoir opposée par la troisième défenderesse aupourvoi en tant qu'il est dirigé contre elle et déduite du défautd'intérêt :
L'unique moyen présenté à l'appui du pourvoi par la demanderesse necritique pas la décision du jugement attaqué qui, par confirmation dujugement dont appel ou par décision propre, déclare la demande de lademanderesse contre la troisième défenderesse non fondée et condamne lademanderesse aux dépens de celle-ci.
Si le pourvoi dirigé contre les autres défenderesses était accueilli, iln'en résulterait aucun effet quant à cette décision.
La fin de non-recevoir est fondée.
Toutefois, la signification du pourvoi à la première défenderesse vautappel en déclaration d'arrêt commun.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre les autres défenderesses :
Sur le moyen :
Une chose est affectée d'un vice au sens de l'article 1384, alinéa 1^er,du Code civil lorsqu'elle présente une caractéristique anormale qui larend, en certaines circonstances, susceptible de causer un préjudice.
Pour appliquer cette disposition, le juge ne peut déduire l'existence d'unvice du comportement de la chose que lorsqu'il exclut toute autre causeque le vice.
Après avoir constaté que la partie avant de l'enseigne lumineuse dumagasin de la première défenderesse est tombée sur un véhicule enstationnement appartenant à la demanderesse, le jugement attaquéconsidère que :
1. vu les circonstances de la cause, la chute ne trouve pas sa seuleexplication raisonnable dans l'existence d'un vice, deux explicationsétant possibles, soit le vice de la chose, soit le heurt par le camiond'un tiers ;
2. si aucune autre explication raisonnable que le heurt du camion nepouvait être donnée à la chute de la partie de l'enseigne, l'on aurait puconclure au fait qu'elle était viciée car le fait qu'elle tombe sansaucune raison aurait démontré qu'elle présentait un comportement anormalsusceptible de causer un préjudice et dès lors qu'elle était viciée ;
3. en revanche, si l'enseigne a d'abord été heurtée par le camion d'untiers pour ensuite tomber, la chute ne constitue plus un comportementanormal de la chose « mais bien un comportement parfaitement normalprovoqué par le heurt [car] toute enseigne, de même modèle que celle encause et dans les mêmes circonstances, aurait présenté le mêmecomportement ».
Ainsi, le jugement attaqué justifie légalement sa décision qu'il n'est pasétabli que l'enseigne litigieuse était affectée d'un vice lorsqu'unepartie de celle-ci est tombée sur un véhicule de la demanderesse.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le rejet du pourvoi prive d'intérêt la demande en déclaration d'arrêtcommun.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d'arrêt commun ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent nonante-deux euros nonante etun centimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent deux eurosquatre-vingt-quatre centimes envers la troisième partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président Christian Storck, les conseillers Didier Batselé,Albert Fettweis, Christine Matray et Martine Regout, et prononcé enaudience publique du onze septembre deux mille huit par le présidentChristian Storck, en présence de l'avocat général Jean-Marie Genicot, avecl'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
11 SEPTEMBRE 2008 C.07.0200.F/1