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17/04/2008 | BELGIQUE | N°C.06.0575.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 avril 2008, C.06.0575.N


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.06.0575.N

COMMUNE DE NEVELE,

Me Ludovic De Gryse, avocat à la Cour de cassation,

contre

W. P.,

Me Wily van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,

et en presence de

REGION FLAMANDE,

partie appelee en declaration d'arret commun.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 29septembre 2005 par le tribunal de premiere instance de Gand, statuant endegre d'appel.

Le president de section Robert Boes a fait rapport

.

L'avocat general Andre Henkes a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les terme...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.06.0575.N

COMMUNE DE NEVELE,

Me Ludovic De Gryse, avocat à la Cour de cassation,

contre

W. P.,

Me Wily van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,

et en presence de

REGION FLAMANDE,

partie appelee en declaration d'arret commun.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 29septembre 2005 par le tribunal de premiere instance de Gand, statuant endegre d'appel.

Le president de section Robert Boes a fait rapport.

L'avocat general Andre Henkes a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- article 135, S: 2, de la nouvelle loi communale, telle qu'elle a etecodifiee par l'arrete royal du 24 juin 1988 ;

- article 870 du Code judiciaire ;

- articles 1147, 1148 et 1315 du Code civil.

Decisions et motifs critiques

Le jugement attaque, qui confirme la condamnation de la demanderesse (etde la partie appelee en declaration d'arret commun) au paiement d'uneindemnite au defendeur, se fonde notamment sur les considerationssuivantes :

« La responsabilite de (la demanderesse)

(La demanderesse) allegue qu'en donnant un contenu concret à l'obligationincombant à la commune en matiere de gestion de la voirie, le premierjuge a fait de l'obligation de moyen qui lui incombait une obligation deresultat.

Le premier juge definit à juste titre l'obligation specifique de lacommune qui decoule de l'article 135, S: 2, de la loi communale comme laprevention, par des mesures appropriees, de tout danger anormal, hormis lecas ou une cause etrangere, qui ne peut lui etre imputee, l'empeche derespecter l'obligation de securite qui lui incombe (Cass., 26 mai 1994,Bull. et Pas., 1994, I, nDEG 421 ).

En l'espece, il ne peut etre serieusement conteste que la tache d'huilesur la chaussee constituait un danger anormal (il est renvoye à cet egardà la motivation figurant au point 3) et qu'il etait necessaire que lacommune intervint pour nettoyer la tache d'huile.

Il appartient à (la demanderesse) de demontrer qu'il existe en l'especeune cause d'excuse qui pourrait l'exonerer de sa responsabilite. La preuvede la cause d'excuse incombe à la commune (Cass., 12 janvier 2001,T.A.V.W. 2001, fasc. 4, 260). Cette cause d'excuse pourrait consister dansle fait que la commune ne pouvait pas encore etre au courant du danger ou,eu egard aux evenements, n'avait pas encore eu la possibilite materiellede prendre les mesures necessaires pour parer à ce danger.

(La demanderesse) ne demontre pas qu'en l'espece, la tache d'huile venaità peine de couler sur la chaussee au moment ou l'accident s'est produitet que, par consequent, elle se trouvait dans l'impossibilite materiellede prendre les mesures necessaires.

Le premier juge a des lors considere à bon droit que, sur la base del'article 135, S: 2, de la loi communale, (la demanderesse) estresponsable du dommage subi par (le defendeur) ».

Griefs

Violation des articles 135, S: 2, de la nouvelle loi communale, 870 duCode judiciaire, 1147, 1148 et 1315 du Code civil.

1. Conformement à l'article 135, S: 2, de la nouvelle loi communale, lescommunes ont « pour mission de faire jouir les habitants des avantagesd'une bonne police, notamment de la proprete, de la salubrite, de lasurete et de la tranquillite dans les rues, lieux et edifices publics.Plus particulierement, et dans la mesure ou la matiere n'est pas exclue dela competence des communes, les objets de police confies à la vigilanceet à l'autorite des communes sont : 1DEG tout ce qui interesse la sureteet la commodite du passage dans les rues, quais, places et voiespubliques, ce qui comprend le nettoiement, l'illumination, l'enlevementdes encombrements(...) ».

Cette obligation de surete specifique implique que les communes ne peuventamenager et ouvrir à la circulation publique que des chausseessuffisamment sures. Elles sont tenues, sous reserve d'une cause etrangerequi ne peut leur etre imputee et qui les empeche de respecter leurobligation de surete, d'eviter par la prise de mesures adequates toutdanger anormal, cache ou apparent, qui pourrait tromper la legitimeattente des usagers.

Le danger anormal est une situation qui est de nature à tromper laconfiance legitime de l'usager de la route et necessite l'intervention inconcreto d'autorites normalement prudentes et raisonnables. La preuve dudanger anormal, avec ses deux composantes, incombe à la victime.

La cause d'exoneration de la responsabilite - une cause etrangere qui nepeut etre imputee à la commune - apparait des circonstances qui ontempeche la commune d'exercer elle-meme l'obligation de surete. Enl'absence de telles circonstances, la commune est censee exercercorrectement son obligation de surete. La preuve de la cause dejustification incombe à la commune.

2. L'obligation de surete de la commune n'est pas une obligation deresultat. Conformement à l'article 135, S: 2, de la loi communale, lademanderesse n'est tenue que d'une obligation de moyen.

Chaque partie doit fournir la preuve des faits qu'elle allegue (articles870 du Code judiciaire et 1315 du Code civil). Le defendeur doit prouverqu'il peut invoquer l'article 135, S: 2, de la loi communale et que lademanderesse a manque aux obligations decoulant de cette disposition.Etant donne que cette disposition implique une obligation de moyen, ledefendeur doit en outre prouver que la demanderesse a manque àl'obligation decoulant de l'article 135, S: 2, de la loi communale parnegligence. La demanderesse ne doit prouver la cause etrangere que si ledefendeur apporte la preuve precitee (articles 1147 et 1148 du Codecivil).

3. Lors de l'appreciation de la responsabilite de la demanderesse, lejugement attaque releve tout d'abord la definition de l'obligation desurete de la commune retenue par la jurisprudence de la Cour.

Ensuite, le tribunal considere qu'en l'espece, il ne peut etreserieusement conteste « que la tache d'huile constituait un dangeranormal sur la chaussee (il est renvoye à cet egard à la motivationfigurant au point 3) et qu'il etait necessaire que la commune intervintpour nettoyer la tache d'huile ».

Le tribunal considere que la demanderesse doit demontrer qu'il s'agitd'une cause d'excuse qui pourrait l'exonerer de sa responsabilite. Lapreuve de la cause d'excuse incombe à la commune (...). Cette caused'excuse pourrait consister dans le fait que la commune ne pouvait pasencore etre au courant du danger ou, eu egard aux evenements, n'avait pasencore eu la possibilite materielle de prendre les mesures necessairespour parer à ce danger. Selon le tribunal, la demanderesse ne demontretoutefois pas que « la tache d'huile venait de couler sur la chaussee aumoment ou l'accident s'est produit et que, par consequent, elle setrouvait dans l'impossibilite materielle de prendre les mesuresnecessaires », de sorte que, selon cette juridiction, le premier juge aconsidere à bon droit que la demanderesse est responsable, sur la base del'article 135, S: 2, de la loi communale, du dommage subi par ledefendeur.

4. La demanderesse avait souleve dans ses conclusions qu'elle n'est tenueque d'une obligation de moyen. A cet egard, elle a aussi souleve que « lefait precisement d'avoir ou de ne pas avoir connaissance de la situationde danger et la reaction attendue, voilà ce qui est essentiel. Soutenirle contraire aboutit en effet à une responsabilite objective de facto, dumoins à une obligation de resultat ». La demanderesse a ajoute que ledefendeur ne demontre pas qu'elle devait avoir ou pouvait avoirraisonnablement connaissance de la situation et qu'elle aurait reagi defac,on negligente et tardive, et que cette negligence quant à lasurveillance de la chaussee n'est pas prouvee. La demanderesse a egalementconclu que, l'obligation de moyen legalement imposee, controlee à lalumiere des faits en l'espece, incite à conclure elle a satisfait auxcriteres auxquels des autorites moyennes, diligentes et prudentes doiventsatisfaire.

5. Le tribunal a constate qu'« en l'espece (...), l'on ne (saurait)serieusement contester (...) qu'il etait necessaire que la communeintervint pour nettoyer la tache d'huile ».

Selon le tribunal, une « cause d'excuse » pourrait consister dans « lefait que la commune ne pouvait pas encore etre au courant du danger ou, euegard aux evenements, n'avait pas encore eu la possibilite materielle deprendre les mesures necessaires pour parer à ce danger ».

Le tribunal meconnait la portee de l'obligation de surete imposee parl'article 135, S: 2, de la loi communale.

La victime doit en effet demontrer l'existence d'un « danger anormal ».Pour fournir cette preuve, la victime doit demontrer que l'etat de lachaussee avait trompe son attente legitime en ce que la chaussee reveleune « particularite anormale » à laquelle la commune ne remedie pas,alors que, vu les circonstances de l'accident, une commune normalementprudente et raisonnable serait intervenue parce qu'elle aurait ete ouaurait du etre au courant du danger.

En d'autres termes, il ne peut y avoir danger anormal que si la commune nese comporte pas comme une commune normalement diligente en n'intervenantpas alors qu'elle etait ou devait etre au courant du danger.

Etant donne que seule une obligation de moyen incombe à la commune, lesusagers de la route doivent tenir compte de ce que la commune estuniquement tenue d'eviter un danger anormal et ne peut ni ne doit evitertout danger.

Des lors, ce que le tribunal designe à tort comme la « cause d'excuse »dont la preuve incombe à la demanderesse est en realite ce que la victimedoit etablir pour pouvoir conclure à l'existence d'un danger anormal.

En aucune maniere, le tribunal n'examine in concreto si le defendeurapporte la preuve que, vu les circonstances du sinistre, la demanderesse,comme toute commune normalement diligente, aurait dejà du intervenir.

L'article 135, S: 2, de la loi communale n'impose pas d'obligation deresultat aux communes.

Si la victime demontre que la commune etait tenue d'intervenir parcequ'elle etait ou devait etre au courant du danger, la commune ne peuts'exonerer qu'en invoquant une cause d'excuse, à savoir une causeetrangere qui ne peut lui etre imputee et qui l'empeche de respecter sonobligation de surete, meme si elle etait ou devait etre au courant dudanger. Le tribunal n'a toutefois pas abouti à cette conclusion parcequ'il a mis à tort la preuve du fait que la commune etait ou pouvait etreau courant du danger à charge de la demanderesse, alors que cette preuveincombait au defendeur.

6. Etant donne que l'article 135, S: 2, de la loi communale implique uneobligation de moyen, une commune est tenue de faire tout son possible pourgarantir la securite et la fluidite de la circulation sur la voiepublique. Elle est responsable lorsqu'un accident imputable à un manquede securite se produit et que la victime peut demontrer que la commune n'apas gere la situation de danger comme le ferait dans les memescirconstances une commune normalement diligente qui pouvait ou devaitavoir connaissance du danger (voir aussi à cet egard le terme« vigilance » à l'article 135, S: 2, de la loi communale). La communepeut s'exonerer en prouvant que, par suite d'un cas de force majeure, ellen'etait pas en mesure de respecter l'obligation de surete ainsi decrite.

Si la commune est declaree responsable lorsqu'un accident imputable à unmanque de securite se produit sans que la victime doive demontrer que lacommune n'a pas gere la situation de danger comme le ferait dans les memescirconstances une commune normalement diligente qui pouvait ou devaitavoir connaissance du danger, une obligation de resultat lui est imputee.

7. Le jugement attaque viole des lors l'article 135, S: 2, de la nouvelleloi communale en ce qu'il deduit de la constatation qu'il etaitincontestable que, d'une part, la tache d'huile constituait un dangeranormal sur la chaussee et qu'il etait necessaire que la commune intervintpour nettoyer la tache d'huile et, d'autre part, du fait que lademanderesse ne demontre pas de cause d'excuse dans la mesure ou elle nedemontre pas que la tache d'huile venait de couler sur la chaussee aumoment ou l'accident s'est produit et que, par consequent, elle setrouvait dans l'impossibilite materielle de prendre les mesuresnecessaires, que la demanderesse est responsable et la condamne in solidumavec la Region flamande à la reparation du dommage subi par le defendeur.La faute de la commune a en effet ete constatee sans qu'il ait etedemontre que la commune n'a pas gere la situation de danger comme leferait dans les memes circonstances une commune normalement diligente quipouvait ou devait avoir connaissance du danger.

La decision du tribunal revient à imputer à la demanderesse uneobligation de resultat, ce qui est contraire à l'article 135, S: 2, de lanouvelle loi communale.

En meconnaissant la portee de l'obligation de moyen consacree à l'article135, S: 2, de la nouvelle loi communale, le jugement attaque viole enoutre les articles 870 du Code judiciaire, 1147, 1148 et 1315 du Codecivil, et les regles qu'ils prevoient en matiere de preuve.

III. Decision de la cour

Appreciation

1. En vertu de l'article 135, S: 2, de la nouvelle loi communale, lesautorites communales ne peuvent ouvrir à la circulation routiere que desroutes suffisamment sures.

Sous reserve d'une cause etrangere qui ne peut leur etre imputee et quiles empeche de respecter leur obligation de surete, elles sont tenuesd'eviter par la prise de mesures appropriees tout danger anormal, cache ouapparent, qui pourrait tromper la legitime attente des usagers.

Cette obligation n'est pas une obligation de resultat.

En consequence, le juge appele à apprecier l'existence d'une faute dansle chef de la commune est tenu d'avoir egard au fait que les autoritescommunales pouvaient ou devaient avoir connaissance du danger.

2. Sauf preuve contraire, il y a lieu d'admettre en principe, lorsque lavictime apporte la preuve d'un danger anormal sur une voie de la commune,que les autorites communales devaient connaitre l'existence de ce dangeret savoir que des mesures s'imposaient pour conjurer le danger.

Pour se degager de leur responsabilite, les autorites communales sonttenues dans ce cas d'etablir qu'elles ne devaient pas avoir connaissanceou n'avaient pas connaissance de l'existence du danger ou encore qu'ellesn'ont pas eu le temps de prendre les mesures adequates pour apprecier ledanger anormal.

3. Le jugement attaque constate, sur la base des elements du dossierpenal, qu'une tache d'huile sur la chaussee constituait un danger anormalsur la chaussee et qu'il etait necessaire que la commune intervint pour lanettoyer.

En considerant que la demanderesse ne demontre pas que la tache d'huilevenait à peine de couler sur la chaussee au moment ou l'accident s'estproduit et que, par consequent, elle se trouvait dans l'impossibilitematerielle de prendre les mesures necessaires, les juges d'appeljustifient leur decision que la demanderesse est coresponsable desconsequences dommageables de l'accident.

Le moyen ne peut etre accueilli.

Sur la demande en declaration d'arret commun:

4. Le rejet du pourvoi en cassation prive d'interet la demande endeclaration d'arret commun que la demanderesse a formee contre la partieappelee en declaration d'arret commun.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi et la demande en declaration d'arret commun ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le premier president, les presidents de section Robert Boes etErnest Wauters, les conseillers Eric Stassijns et Beatrijs Deconinck, etprononce en audience publique du dix-sept avril deux mille huit par lepremier president, en presence de l'avocat general Andre Henkes, avecl'assistance du greffier adjoint Johan Pafenols.

Traduction etablie sous le controle du president Christian Storck ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

Le greffier, Le president,

17 AVRIL 2008 C.06.0575.N/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.06.0575.N
Date de la décision : 17/04/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2008-04-17;c.06.0575.n ?
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