Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.06.0492.F
B. P.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il estfait élection de domicile,
contre
AXA BELGIUM, société anonyme dont le siège social est établi àWatermael-Boitsfort, boulevard du Souverain, 25,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 10 janvier 2006par la cour d'appel de Mons.
Le conseiller Christine Matray a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 3 et 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assuranceterrestre ;
- articles 5, 774 et 1138, 3°, du Code judiciaire ;
- principe général du droit en vertu duquel le juge est tenu, tout enrespectant les droits de la défense, de déterminer la norme juridiqueapplicable à la demande portée devant lui et d'appliquer celle-ci, quitrouve application notamment dans l'article 774 du Code judiciaire.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt déclare l'appel du demandeur non fondé et confirme le jugemententrepris.
Ce faisant, l'arrêt condamne le demandeur à payer à la défenderesse lasomme de 2.974,72 euros avec les intérêts sur la somme de 2.532,80 euros àdater du 30 août 2001 jusqu'au parfait paiement ainsi que sur la somme de441,92 euros à dater du 4 octobre 2001 jusqu'au jour du parfait paiement.
L'arrêt reçoit en outre la demande incidente nouvelle, introduite par ladéfenderesse, relative à la capitalisation des intérêts, dit réunies lesconditions d'application de l'article 1154 du Code civil et dit pour droitque le montant dû par le demandeur s'élève à 3.676,31 euros à majorer desintérêts au taux légal depuis le 16 janvier 2005.
L'arrêt fonde sa décision sur ses motifs propres et sur les motifs noncontraires du premier juge.
En outre, l'arrêt constate « qu'en degré d'appel, (le demandeur) nedéveloppe aucun moyen nouveau auquel le premier juge n'a pas répondu demanière adéquate, aux termes de judicieux motifs auxquels la cour[d'appel] se réfère ».
En reprenant les motifs du premier juge, l'arrêt décide :
« 1. Objet de la demande et exposé des faits
Les parties comparaissent volontairement pour voir régler le litige quiles oppose relativement à la récupération par (la défenderesse) d'unesomme de 2.974,72 euros décaissée dans le cadre de la garantie 'incendievéhicule' souscrite par C. B. ;
A l'appui de la demande, (la défenderesse) expose que :
- C. B. avait confié à son fils, (le demandeur), la garde de son véhiculeet de mobilier pendant son séjour à la côte belge ;
- la maison de son fils a brûlé le 30 mai 2001 et les objets confiés ontété détruits ;
- elle a indemnisé son assuré pour la perte de son véhicule et s'estensuite adressée à la société anonyme Winterthur Europe, assureur incendie(du demandeur), qui a refusé d'intervenir dans la mesure où elle avaitsuspendu ses garanties pour non-paiement de la prime ;
- elle s'est alors adressée directement (au demandeur) qui conteste devoirintervenir au motif qu'il n'a pas commis de faute.
2. Discussion
A titre principal, (la défenderesse) soutient que la relation entre C. B.et (le demandeur) repose sur un contrat de dépôt et que la responsabilité(du demandeur) est engagée pour ne pas avoir restitué les objets qui luiavaient été confiés, obligation qui ne cède que devant la preuve del'absence de faute du gardien ;
(…)
Il est incontestable qu'en confiant son véhicule à son fils, à charge dele garder et de le lui restituer à son retour de vacances, C.B. et [ledemandeur] ont conclu un contrat de dépôt ;
Si le dépositaire est tenu, en vertu de l'article 1927 du Code civil,d'une obligation de moyen dans la garde de la chose déposée, il estégalement tenu à une obligation de restitution qui, contrairement àl'obligation de garde, est une obligation de résultat ;
Celle-ci s'accompagne d'une présomption d'inexécution fautive qu'ilappartient au dépositaire de renverser en établissant la preuve d'unecause étrangère libératoire (articles 1315, alinéa 2, et 1302 du Codecivil), exempte de faute dans son chef ;
Si (le demandeur) entend en l'espèce rapporter cette preuve par lasurvenance de l'incendie qui a ravagé son habitation le 30 mai 2001,encore faut-il qu'il établisse que cet incendie ne lui est pas imputable ;
Si, à cet égard, il allègue que la cause de l'incendie a pour originevrai-semblable un court-circuit, et donc un événement extérieur dont iln'a pas à répondre, le tribunal ne peut que relever que la cause exacte decet incendie est loin d'être établie : l'assuré invoque la vraisemblancetantôt d'un court-circuit de la cuisinière électrique tantôt d'un feu dela friteuse en contestant toutefois le vice de la chose et le rapport despompiers n'est pas davantage explicite quant à la cause du sinistre ;
Dans ces conditions, le tribunal ne peut que constater que (le demandeur)ne rapporte [pas] la preuve de ce que la perte du véhicule trouve sonexplication uniquement dans un événement qui ne peut certainement pas luiêtre imputé ;
La demande doit en conséquence être déclarée bien fondée sur [la] base del'obligation de restitution mise à charge du dépositaire ».
L'arrêt décide en outre :
« (Le demandeur) verse (...) aux débats un document qui ne fut pas soumisau premier juge, à savoir le dossier répressif classé sans suite auquel adonné lieu l'incendie litigieux ;
L'expert Bury, requis par le parquet, conclut que l'incendie est d'origineaccidentelle et provient vraisemblablement de la négligence de l'épouse(du demandeur) qui aurait oublié un élément combustible, tel un torchon ouune poignée en tissu, à proximité de la taque en fonctionnement de lacuisinière électrique de la cuisine ;
Il se confirme ainsi que (le demandeur) ne peut légitimement invoquer, àl'appui de l'obligation de restitution de la chose déposée qui pèse surlui en vertu de l'article 1927 du Code civil, aucune cause étrangèrelibératoire au sens des articles 1147 et 1148 du Code civil ;
En effet, pour qu'un événement vaille cause étrangère libératoire, il[convient] de démontrer la force majeure résultant d'un événementindépendant de la volonté humaine et que cette volonté n'a pu ni prévoirni conjurer ;
Cet événement doit être inévitable et imprévisible ;
Si les conclusions de l'expert judiciaire excluent de manière formellel'hypothèse d'un incendie volontaire, elles n'émettent aucune certitudequant à la faute imputée à l'épouse, à supposer que celle-ci puisse êtreconstitutive de la cause étrangère libératoire évoquée ci-dessus ;
Il [s'ensuit] que l'appel n'est pas fondé ».
Griefs
1.1 En vertu de l'article 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contratd'assurance terrestre, l'assureur qui paye l'indemnité est subrogé, àconcurrence du montant de celle-ci, dans les droits et actions de l'assuréou du bénéficiaire contre les tiers responsables du dommage.
Aux termes du quatrième alinéa dudit article 41, l'assureur n'a, sauf encas de malveillance, aucun recours contre les descendants, les ascendants,le conjoint et les alliés en ligne directe de l'assuré, ni contre lespersonnes vivant à son foyer, ses hôtes et les membres de son personneldomestique.
Ledit article 41 énonce en son cinquième alinéa que l'assureur peuttoutefois exercer un recours contre ces personnes dans la mesure où leurresponsabilité est effectivement garantie par un contrat d'assurance.
Ces dispositions de l'article 41 de la loi du 25 juin 1992 sont, en vertude l'article 3 de cette loi, impératives.
1.2 Le juge est tenu de trancher le litige conformément à la règle dedroit qui lui est applicable. Il a l'obligation, en respectant les droitsde la défense, de relever d'office les moyens de droit dont l'applicationest commandée par les faits spécialement invoqués par les parties ausoutien de leurs prétentions. Ce principe général du droit trouvenotamment application dans l'article 774 du Code judiciaire.
Le juge qui omet de relever d'office les moyens de droit applicables aulitige viole non seulement le principe général du droit précité etl'article 774 du Code judiciaire, mais également les articles 5 et 1138,3°, du Code judiciaire.
2. II ressort de l'arrêt, qui reprend les motifs non contraires du premierjuge, que :
- C.B. avait confié à son fils, (le demandeur), la garde de son véhiculeet du mobilier pendant son séjour à la côte belge ;
- la maison de son fils a brûlé le 30 mai 2001 et les objets confiés ontété détruits ;
- la défenderesse a indemnisé son assuré pour la perte de son véhicule ets'est ensuite adressée à la société anonyme Winterthur Europe, assureurincendie (du demandeur), qui a refusé d'intervenir dans la mesure où elleavait suspendu ses garanties pour non-paiement de la prime ;
- la défenderesse s'est alors adressée directement (au demandeur) quiconteste devoir intervenir au motif qu'il n'a pas commis de faute ;
- les conclusions de l'expert judiciaire excluent de manière formellel'hypothèse d'un incendie volontaire.
La défenderesse, qui a indemnisé son assuré C.B., exerce ainsi un recourscontre le demandeur, fils de son assuré, qu'elle estime responsable dudommage, alors qu'il ne peut être question de malveillance et que laresponsabilité du demandeur n'était pas effectivement garantie par uncontrat d'assurance, l'assureur du demandeur ayant suspendu ses garanties.
Dans ces circonstances, l'arrêt n'a pu légalement déclarer fondée lademande introduite par la défenderesse contre le demandeur, l'assureurn'ayant, en vertu de l'article 41, alinéas 4 et 5, de la loi du 25 juin1992, aucun recours contre les descendants de l'assuré, dont laresponsabilité n'est pas effectivement garantie par un contratd'assurance, sauf en cas de malveillance.
En déclarant le recours subrogatoire de la défenderesse fondé et encondamnant le demandeur à payer à la défenderesse la somme de 2.974,72euros, augmentée des intérêts, l'arrêt viole les articles 3 et 41 de laloi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.
3. Dans ses conclusions d'appel, la défenderesse soutenait :
« 1. Suite à l'incendie du bâtiment appartenant (au demandeur), (ladéfenderesse) a indemnisé son assuré, C.B., dans le cadre de la garantie'incendie véhicule' pour un montant de 2.974,72 euros ;
2. Les circonstances du sinistre survenu le 30 mai 2001 sont lessuivantes :
C.B. avait confié à son fils, (le demandeur), la garde de son véhicule etde mobilier pendant son séjour en vacances à la côte belge ;
La maison de son fils a brûlé avec pour conséquence une dégradation desobjets confiés ;
3. Interpellée par son assuré, (la défenderesse) a indemnisé ce dernier ;
Elle a ensuite pris contact avec l'assureur incendie du propriétaire dubâtiment sinistré, la société anonyme Winterthur Europe, afin d'obtenir leremboursement des sommes décaissées au profit de C.B. ;
Cet assureur incendie a refusé d'intervenir dans la mesure où la primed'assurance était impayée par le (demandeur) ;
4. (La défenderesse) s'est alors adressée directement (au demandeur) ».
Les faits furent décrits de façon identique par le demandeur dans sarequête d'appel et ses conclusions d'appel :
« (Le demandeur) était propriétaire d'un immeuble situé rue du Champré, n°167 à 7301 Hornu ;
Un incendie a détruit son habitation le 30 mai 2001 ;
C.B. avait confié à son fils, (le demandeur), la garde de son véhiculeOpel Vectra ainsi que de certains meubles pendant son séjour en vacances àla côte belge ;
La maison du (demandeur) a donc été incendiée avec pour conséquence unedégradation des objets confiés par C.B. à son fils ;
(La défenderesse) assurait le véhicule Opel Vectra ainsi que les meubles,propriété de C.B., suivant les numéros de police 690.032.757 et911.387.795 ;
(La défenderesse) a indemnisé son assuré à concurrence d'une somme de120.000 francs soit 2.974,72 euros ;
(La défenderesse) interpella l'assureur incendie du bâtiment, propriété du(demandeur), la société anonyme Winterthur Europe Assurances, afind'obtenir le remboursement des montants décaissés au profit de C.B. ;
La compagnie d'assurances Winterthur déclina son intervention en invoquantle défaut de paiement des primes d'assurance dans le chef du(de-mandeur) ;
(La défenderesse) [demande] la condamnation du (demandeur) auremboursement de ses décaissements en faveur de C.B. ».
Les parties ont donc allégué devant la cour d'appel que :
- la défenderesse a indemnisé son assuré du dommage à sa voiture et sesmeubles, qui se trouvaient dans l'immeuble incendié, appartenant à sonfils ;
- l'assureur incendie du bâtiment, propriété du demandeur, fils del'assuré de la défenderesse, refusa de rembourser les montants décaisséspar la défenderesse au profit de son assuré, invoquant le défaut depaiement des primes d'assurance ;
- la défenderesse sollicite la condamnation du demandeur, fils de sonassuré, à lui rembourser les sommes décaissées au profit de son assuré.
Ces faits, invoqués par les parties, commandent l'application de l'article41, alinéas 4 et 5, de la loi du 25 juin 1992, qui prévoit que l'assureurqui a indemnisé son assuré n'a aucun recours contre les descendants de cetassuré, dont la responsabilité n'est pas effectivement garantie par uncontrat d'assurance.
En application dudit article 41, alinéas 4 et 5, de la loi du 25 juin1992, l'arrêt devait ainsi déclarer non fondée la demande introduite parla défenderesse contre le demandeur.
L'arrêt déclare cependant cette demande fondée en ne faisant pointapplication de l'article 41, alinéas 4 et 5, de la loi du 25 juin 1992.
En statuant ainsi, sans rechercher si, sur la base des faits que lesparties ont invoqués, l'article 41, alinéas 4 et 5, de la loi du 25 juin1992 s'appliquait en l'espèce, l'arrêt ne justifie pas légalement sadécision, méconnaît le principe général du droit en vertu duquel le jugeest tenu, tout en respectant les droits de la défense, de déterminer lanorme juridique applicable à la demande portée devant lui et d'appliquercelle-ci, qui trouve application notamment dans l'article 774 du Codejudiciaire, et viole les articles 5, 774 et 1138, 3°, du Code judiciaireet, pour autant que de besoin, les articles 3 et 41 de la loi du 25 juin1992 sur le contrat d'assurance terrestre.
III. La décision de la Cour
En vertu de l'article 41, alinéas 1^er, 4 et 5, de la loi du 25 juin 1992sur le contrat d'assurance terrestre, l'assureur qui a payé l'indemnitéest subrogé, jusqu'à concurrence de celle-ci, dans les droits etobligations de l'assuré ou du bénéficiaire contre les tiers responsablesdu dommage ; sauf en cas de malveillance, l'assureur n'a aucun recourscontre les descendants de l'assuré ; un recours est toutefois possiblecontre ceux-ci dans la mesure où leur responsabilité est effectivementgarantie par un contrat d'assurance.
Il ressort des constatations du jugement entrepris auquel l'arrêt seréfère que C.B. « avait confié à son fils, [le demandeur], la garde de sonvéhicule et de mobilier, que la maison de son fils a brûlé […] et que lesobjets confiés ont été détruits », que la défenderesse « a indemnisé sonassuré pour la perte de son véhicule », qu' « elle s'est ensuite adresséeà […] l'assureur incendie [du demandeur] qui a refusé d'intervenir dans lamesure où [il] avait suspendu ses garanties pour non-paiement de laprime » et « qu'elle s'est ensuite adressée directement [au demandeur] quirefuse d'intervenir au motif qu'il n'a pas commis de faute ».
L'arrêt qui, sans constater de malveillance dans le chef du demandeur, lecondamne, par confirmation du jugement entrepris, à rembourser à ladéfenderesse l'indemnité qu'elle a versée au père du demandeur, viole ladisposition impérative de l'article 41, alinéa 4, précité.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêtcassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président Christian Storck, les conseillers Didier Batselé,Albert Fettweis, Christine Matray et Sylviane Velu, et prononcé enaudience publique du onze avril deux mille huit par le président ChristianStorck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistancedu greffier Marie-Jeanne Massart.
11 AVRIL 2008 C.06.0492.F/1