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10/04/2008 | BELGIQUE | N°D.07.0003.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 10 avril 2008, D.07.0003.N


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG D.07.0003.N

D. A.,

Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,

contre

ORDRE DES PHARMACIENS,

Me Antoine De Buyn, avocat à la Cour de cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre la decision rendue le 21decembre 2006 par le conseil d'appel de l'Ordre des pharmaciens,d'expression neerlandaise.

Le conseiller Beatrijs Deconinck a fait rapport.

L'avocat general Christian Vandewal a conclu.

II. Le moyen de cassation

Dans sa

requete en cassation, la demanderesse presente un moyen libelledans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- arti...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG D.07.0003.N

D. A.,

Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,

contre

ORDRE DES PHARMACIENS,

Me Antoine De Buyn, avocat à la Cour de cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre la decision rendue le 21decembre 2006 par le conseil d'appel de l'Ordre des pharmaciens,d'expression neerlandaise.

Le conseiller Beatrijs Deconinck a fait rapport.

L'avocat general Christian Vandewal a conclu.

II. Le moyen de cassation

Dans sa requete en cassation, la demanderesse presente un moyen libelledans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 10 (ex-5) et 81 (ex-86) du Traite du 25 mars 1957 instituant laCommunaute economique europeenne, signe à Rome et approuve par la loi du2 decembre 1957 (modifie par le Traite d'Amsterdam du 2 octobre 1997 etpar le Traite de Nice du 26 fevrier 2001, approuve par la loi du 7 juin2002)(nomme ci-dessous Traite CE) ;

- articles 10 (modifie par la modification de la Constitution du 21fevrier 2002), 11 (insere par la modification de la Constitution du 31janvier 1994), 23 (insere par la modification de la Constitution du 31janvier 1994), 149 et 159 de la Constitution ;

- article 7 du Decret des 2-19 mars 1791 portant suppression de

tous les droits d'aides, de toutes les maitrises et jurandes, etetablissement des patentes, (nomme ci-dessous `Decret d'Allarde') ;

- articles 6, 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;

- articles 1er et 2 de la loi du 1er juillet 1999 sur la protection de laconcurrence economique ;

- article 6 de la loi du 25 mars 1964 sur les medicaments (modifie pour laderniere fois par l'article 8 de la loi du 1er mai 2006) ;

- article 6 de la loi du 22 aout 2002 relative aux droits du patient ;

- article 4 de l'arrete royal nDEG 78 du 10 novembre 1967 relatif àl'exercice des professions des soins de sante (modifie pour la dernierefois par l'article 2 de la loi du 1er mai 2006) pris sur la base de la loide pouvoirs speciaux du 31 mars 1967 attribuant certains pouvoirs au Roien vue d'assurer la relance economique, l'acceleration de la reconversionregionale et la stabilisation de l'equilibre budgetaire (ci-dessous« arrete royal nDEG 78 ») ;

- articles 6, specialement 2DEG, 15, S: 1er (modifie par l'article 2 del'arrete royal du 9 octobre 1992) et 16 de l'arrete royal nDEG 80 du 10novembre 1967 relatif à l'Ordre des pharmaciens (ci-dessous arrete royalnDEG 80);

- article 26bis de l'arrete royal du 31 mai 1885 approuvant les nouvellesinstructions pour les medecins, pour les pharmaciens et pour lesdroguistes (complete par l'article 2 de l'arrete royal du 21 octobre 1999et modifie pour la derniere fois par l'article 15 de l'arrete royal du 19mars 2004) (ci-dessous arrete royal du 31 mai 1885) ;

- article 1er de l'arrete royal du 25 septembre 1974 concernantl'ouverture, le transfert et la fusion d'officines pharmaceutiquesouvertes au public (modifie pour la derniere fois par l'article 1er del'arrete royal du 8 decembre 1999) ;

- principe general du droit en vertu duquel le juge ne peut appliquer unenorme violant une disposition superieure tel que l'exprime notammentl'article 159 de la Constitution ;

- le principe d'egalite, tel qu'il ressort notamment des articles 10 et 11de la Constitution;

- le principe de proportionnalite tel qu'il est compris dans le principegeneral de bonne administration ;

- le principe general du droit relatif au respect des droits de la defensecontenu notamment dans les articles 5 et 6 de la Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertes fondamentales du 4 novembre 1950(approuvee par la loi du 13 mai 1955).

Decisions et motifs critiques

La decision entreprise a declare coupable la demanderesse du chef de fautedisciplinaire et lui a ensuite inflige une sanction disciplinaire dereprimande sur la base des motifs suivants :

« Il est de commune renommee que, dans la pratique, c'est le mandatairedes patients vivant en communaute qui fait les commandes collectives apresque chaque patient ait signe un mandat ecrit. Les medicaments sont alorsdelivres à l'institution, soit par le mandataire qui va les chercher chezle pharmacien soit par ce dernier qui livre les medicaments lorsque sapharmacie est implantee dans la meme commune ou dans une communelimitrophe. En cas de besoin, les medicaments peuvent etre enleves oulivres le jour meme de la prescription.

Les faits reproches à la demanderesse peuvent des lors porter atteinte àl'honneur ou à la dignite de la profession lorsque les officines qui sontimplantees en-dehors d'une commune limitrophe, sont trop eloignees pourque le mandataire ou le pharmacien puissent prendre contact le jour memeà cet effet.

Cette limitation de la distance est objective et raisonnable. Iln'appartient pas au conseil d'appel d'introduire un nouveau critere commecelui de làrrondissement, mais uniquement d'examiner si le principe duraisonnable et le principe d'egalite sont respectes.

La limitation est proportionnelle à l'objectif poursuivi. Le libre choixdu pharmacien dont dispose le patient n'y deroge pas. La regle ne demeurepas lettre morte pour les pharmaciens proviseurs des lors que lareglementation par officine vise la sante publique au centre de laquellese trouve le patient - et non le pharmacien.

Les pouvoirs publics ont confie certaines taches au defendeur,specialement de veiller au respect des regles de la deontologiepharmaceutique et au maintien de l'honneur, de la discretion, de laprobite et de la dignite de ses membres. Le defendeur ne poursuit pas unbut economique mais remplit une tache legale pour laquelle il s'est vuconfier une competence de regulation par les pouvoirs publics.

Cela n'empeche toutefois pas qu'il est une association d'entreprises ausens de l'article 2, S: 1er, de la loi du 1er juillet 1999 dont lesdecisions, dans la mesure ou elles tendent à porter atteinte à laconcurrence ou qu'elles ont pour consequence d'y porter atteinte, doiventetre examinees par les organes disciplinaires du defendeur au regard desexigences de la loi du 1er juillet 1999.

Une decision d'un organe du defendeur qui impose à un ou plusieurs de sesmembres des restrictions à la concurrence qui ne sont pas requises en vuede maintenir les regles fondamentales de la profession mais qui tend enrealite à favoriser certains interets materiels des pharmaciens ou àorganiser ou maintenir un regime economique, peut constituer une decisiond'une association d'entreprises dont la nullite peut etre constateed'office par le conseil d'appel.

En l'espece, la limitation ne tend pas à favoriser certains interetsmateriels des pharmaciens ou à organiser ou maintenir un regimeeconomique.

En effet, l'objectif principal de cette reglementation consiste à veillerà ce que quiconque dispose d'un pharmacien proche de son domicile ou desa residence et qu'il puisse developper des contacts personnels avec sonpharmacien.

La reglementation ne contient aucune illegalite.

Il ressort concretement des declarations de la demanderesse qu'elleapporte personnellement les medicaments à la maison de repos et qu'ellele fait presque quotidiennement des lors qu'elle combine ses deplacementsavec la circonstance que ses enfants vont à l'ecole à Gand.

Cette combinaison n'a pas pour consequence que les soins sont dispensesdans l'interet de la sante publique. La distance entre l'officine et ledomicile et le centre de soins est de presque 50 km, ce qui est contraireà l'exigence que chacun dispose d'un pharmacien proche de son domicile oude sa residence. Il est ainsi requis que le pharmacien qui prodigue lessoins doit aussi etre proche.

La faute sera sanctionnee de maniere adequate par la sanction de lareprimande compte tenu du fait que l'interessee ne s'est jamais vuinfliger une sanction disciplinaire auparavant ».

Griefs

Conformement à l'article 6, 2DEG, de l'arrete royal nDEG 80, les conseilsprovinciaux sont competents pour « veiller au respect des regles de ladeontologie pharmaceutique et au maintien de l'honneur, de la discretion,de la probite et de la dignite des membres de l'Ordre » et ils « sont charges à cette fin de reprimer disciplinairement les fautes des membresinscrits à leur tableau, commises dans l'exercice ou à l'occasion del'exercice de la profession (...) ».

Conformement à l'article 13, alinea 1er, de l'arrete royal nDEG 80l'appel contre les decisions qui font application de l'article 6, 2DEG, decet arrete royal est porte devant le conseil d'appel, d'expressionneerlandaise.

Aux termes de l'article 15, S: 1er, de ce meme arrete royal « le conseilnational (...) elabore les principes generaux et les regles relatifs à lamoralite, l'honneur, la discretion, la probite, la dignite et ledevouement indispensables à l'exercice de la profession, qui constituentle code de deontologie pharmaceutique ».

Ce meme article precise que « le code (...) comprend notamment des reglesrelatives à la continuite des soins en ce compris l'organisation desservices de garde, (...) et aux rapports individuels entre le pharmacien,d'une part, les malades, les confreres, (...) d'autre part » et « lecode peut, s'il y a lieu, determiner les clauses qui, en raison de leurincompatibilite avec les principes de la deontologie et en particulieravec le caractere non commercial de la profession, sont prohibees dans lesconventions à conclure par les pharmaciens au sujet de l'exercice de leurprofession ».

L'article 16 du meme arrete royal enonce les sanctions que les organesdisciplinaires du defendeur peuvent infliger.

Les organes disciplinaires du defendeur doivent ainsi veiller au respectdes regles de la deontologie pharmaceutique, d'une part, et au maintien del'honneur, de la discretion, de la probite et de la dignite des membres del'Ordre, s'autre part.

(...)

Seconde branche

En vertu de l'article 159 de la Constitution chaque organe juridictionnel,parmi lesquels le conseil d'appel de l'Ordre des pharmaciens, d'expressionneerlandaise, doit examiner si les arretes ou les reglements, sur lesquelsune demande est fondee, en l'espece des poursuites disciplinaires, sontconformes aux lois.

Cet article constitue d'ailleurs l `expression du principe general dudroit en vertu duquel le juge ne peut faire application d'une normeviolant une disposition superieure.

En appliquant l'article 26bis, S: 1er, alinea 4, de l'arrete royal du 31mai 1885, la decision attaquee applique une norme qui est contraire àdiverses dispositions superieures.

Premiere sous branche

La regle suivant laquelle tous les Belges sont egaux devant la loicontenue dans l'article 10 de la Constitution, et la regle denon-discrimination dans le jouissance des droits et libertes reconnus auxBelges contenue dans l'article 11 de la Constitution, impliquent quequiconque se trouvant dans la meme situation soit traite de maniereidentique.

Certes, ces deux articles n'excluent pas qu'il y ait une difference detraitement entre certaines categories de personnes pour autant que cettedistinction soit justifiee de maniere objective et raisonnable.

La justification doit etre appreciee par rapport à l'objectif et auxconsequences de la mesure qui est prise et au regard de laproportionnalite entre les moyens utilises et le but poursuivi.

La decision attaquee soutient que la sante publique requiert autant quefaire se peut un contact direct entre le patient et le pharmacien. Ladecision attaquee se refere à juste titre à la repartition geographiquedes officines telle qu'elle est prevue par l'arrete royal du 25 septembre1974 concernant l'ouverture, le transfert et la fusion d'officinespharmaceutiques ouvertes au public dont l'objectif principal est quechacun dispose d'un pharmacien proche de son domicile ou de sa residence.

La reglementation de la repartition geographique des officines impliqueune limitation justifiee de la liberte de commerce et d'industrie. Pourdes raisons de sante publique, le nombre d'officines est d'ailleurs limitepar regions geographiques.

L'article 4, S: 3, de l'arrete royal nDEG 78 ainsi que l'arrete royal du25 septembre 1974 concernant l'ouverture, le transfert et la fusiond'officines pharmaceutiques ouvertes au public n'empechent pas que lesautorisations d'ouverture de plusieurs officines pharmaceutiques ouvertesau public soient accordees à une seule personne physique ou une seulepersonne morale creant ainsi deux categories de detenteurs del'autorisation : d'une part, ceux qui detiennent une autorisation pour uneseule officine dont ils sont le pharmacien-titulaire - que ce soit ou nonpar l'intermediaire d'une societe dont ils sont gerant - et, d'autre part,ceux qui detiennent plusieurs autorisations pour plusieurs officines, quisont toutes ou partiellement gerees par des pharmaciens-proviseurs.

L'insertion de l'article 2, 2DEG, de l'arrete royal du 21 octobre 1999,modifiant l'article 26bis, S: 1er, alinea 4, de l'arrete royal du 31 mai1885, a toutefois pour consequence que les deux categories parfaitementcomparables de detenteurs d'une autorisation, sont traitees differemment :si à l'egard des pharmaciens relevant de la premiere categorie,l'interdiction litigieuse sort ses pleins effets, de sorte que leursdebouches sont limites au territoire de la commune dans laquellel'officine est implantee et au territoire des communes limitrophes, cetteinterdiction reste lettre morte à l'egard des pharmaciens relevant de laseconde categorie, qui sont detenteurs d'une autorisation pour desofficines implantees dans plusieurs communes, à tout le moins cetteinterdiction est appliquee de maniere tres limitee parce que ce derniergroupe - le plus souvent des chaines - peut s'organiser - notamment pardes reprises - de sorte que l'interdiction n'a qu'un effet limite à leuregard.

Cette difference de traitement entre lesdites categories de detenteursd'une autorisation qui resulte de l'article 26bis, S: 1er, alinea 4, del'arrete royal du 31 mai 1885 ne remplit nullement les conditions desarticles 10 et 11 de la Constitution.

Si l'objectif poursuivi est le contact direct entre le pharmacien et sespatients/clients, il y a lieu de constater que le critere utilise, àsavoir la limitation des debouches de chaque detenteur d'une autorisationau territoire sur lequel est etablie l'officine de celui-ci et à celuides communes limitrophes, ne contribue pas à cet objectif.

Le detenteur de l'autorisation qui possede des autorisations pourplusieurs officines n'est pas necessairement lui-meme pharmacien mais ildesigne frequemment des pharmaciens-proviseurs qui ne sont pas eux-memesdetenteurs d'une autorisation.

Il s'ensuit que la limitation des debouches du detenteur de l'autorisationqui n'est pas lui-meme pharmacien ne contribue nullement au contact directentre le pharmacien (-proviseur) et les clients/patients de cetteofficine.

Cette constatation a, en tout cas, pour consequence que le critere utilisene peut etre considere comme etant pertinent et adequat compte tenu del'objectif poursuivi.

L'article 26bis, S: 1er, alinea 4, de l'arrete royal du 31 mai 1885 vised'ailleurs une situation qui constitue precisement une exception aucontact direct vise entre un pharmacien et ses patients : en effet, ladelivrance de medicaments à un mandataire est interdite sauf lorsque cespersonnes vivent en communaute comme les personnes vivant dans une maisonde repos agreee, ce qui est le cas en l'espece.

En outre, les consequences de l'article 26bis, S: 1er, alinea 4, del'arrete royal du 31 mai 1885 sont manifestement disproportionnees parrapport à l'objectif poursuivi.

Les limitations strictes en matiere de debouches touchent en effetdirectement et completement les titulaires d'officines individuelles,comme celle de la demanderesse et pas, à tout le moins de manierenettement moindre, les officines exploitees par des chaines parl'intermediaire de pharmaciens-proviseurs, qui disposent en effet depossibilites d'implantation dans plusieurs communes afin d'assurer ainsiune repartition geographique de sorte que la regle reste pratiquementlettre morte pour eux.

Le detenteur d'une autorisation pour plusieurs officines peut ainsichoisir à partir de quelle officine il delivre ses medicaments et quellesofficines il reprend, au besoin, de sorte que ses debouches potentielssont considerablement plus importants que ceux des officines exploiteespar un pharmacien individuel detenteur d'une autorisation.

La regle de l'article 26bis, S: 1er, alinea 4, de l'arrete royal du 31 mai1885 favorise ainsi la creation de chaines plutot que le contraire ce quientraine un resultat inverse à l'objectif poursuivi par le legislateurqui est le contact direct et personnel entre le pharmacien et sespatients/clients : des lors que les pharmaciens-proviseurs peuvent etrefacilement licencies et remplaces, l'interdiction litigieuse atteintl'effet inverse plutot que la confirmation des relations directes entre lepatient/client et son pharmacien.

En condamnant la demanderesse à une sanction disciplinaire de reprimandesur la base du non-respect de l'article 26bis, S: 1er, alinea 4, del'arrete royal du 31 octobre 1885, incorpore ou non à la deontologiepharmaceutique, la decision attaquee viole ainsi l'article 159 de laConstitution et le principe general du droit suivant lequel le juge nepeut appliquer une norme violant une disposition superieure, ainsi que lesarticles 10 et 11 de la Constitution et le principe d'egalite, ainsi quel'article 26bis, S: 1er, alinea 4, de l'arrete royal du 31 mai 1885,l'article 4 de l'arrete royal nDEG 78, l'article 1er de l'arrete royal du25 septembre 1974 concernant l'ouverture, le transfert et la fusiond'officines pharmaceutiques ouvertes au public et les articles 6,specialement 2DEG, 15, S: 1er et 16 de l'arrete royal nDEG 80.

Deuxieme sous-branche

La liberte de commerce et d'industrie telle qu'elle ressort des articles23, alinea 3, 1DEG, de la Constitution, combine à l'article 7 du decretd'Allarde, ne constitue nullement une liberte absolue mais peut etrelimitee par le legislateur.

Le legislateur viole toutefois la liberte de commerce et d'industrie s'illa limite sans necessite ou si les limites imposees ne sont pas justifieesde maniere objective et raisonnable mais de maniere disproportionnee àl'objectif poursuivi.

La mesure incorporee à l'article 26bis, S: 1er, alinea 4, de l'arreteroyal du 31 mai 1885, n'est tout d'abord pas necessaire pour atteindrel'objectif poursuivi, à savoir le contact direct entre le pharmacien etle patient.

La decision attaquee soutient que la sante publique requiert autant quefaire se peut un contact direct entre le patient et le pharmacien. C'està juste titre que la decision attaquee se refere à la repartitiongeographique des officines telle qu'elle est realisee par l'arrete royaldu 25 septembre 1974 concernant l'ouverture, le transfert et la fusiond'officines pharmaceutiques ouvertes au public avec pour objectifprincipal que chacun dispose d'une officine proche de son domicile ou desa residence.

Les regles de la repartition geographique des officines impliquent unelimitation justifiee comme precise ci-avant de la liberte de commerce etd'industrie. Pour des motifs de sante publique le nombre d'officines estd'ailleurs limite par region geographique.

Toutefois, lorsque l'on utilise cette meme justification pour proceder àla limitation des debouches des officines reparties il y a lieu de deciderque cette limitation des debouches fait precisement obstacle à un contactdirect entre le patient et le pharmacien.

Meme s'il existait une necessite de limiter les debouches d'un pharmacienparce que cela favoriserait le contact direct entre le pharmacien et lepatient/client, il faut encore constater que les limitations imposees nesont pas justifiees de maniere objective et raisonnable.

Constater que l'objectif poursuivi ne peut etre atteint, à tout le moinsde maniere sensiblement moindre, en ce qui concerne la categorie desdetenteurs de plusieurs autorisations implique la conclusion que leslimitations imposees ne sont absolument pas justifiees de maniereraisonnable pour le pharmacien individuel qui detient une seuleautorisation. Les limitations manquent leur objectif et sont, des lors,manifestement deraisonnables.

En effet, la limitation stricte touche directement et principalement lespharmaciens qui detiennent une seule autorisation, comme la demanderesse,et pas, ou nettement moins, les officines exploitees par des chaines parl'intermediaire de pharmaciens-proviseurs qui ont la possibilited'implanter une officine dans plusieurs communes en passant par cettechaine et de mettre ainsi en oeuvre une repartition geographique.

En consequence, la limitation des debouches et la limitation de la libertede commerce et d'industrie qui y est liee reste pratiquement lettre mortepour cette derniere categorie de detenteurs d'une autorisation,contrairement à la premiere categorie.

Il est soutenu en outre que par la limitation territoriale stricte,resultant de l'article 26bis, S: 1er, alinea 4, de l'arrete royal du 31mai 1885, le legislateur a viole le principe general relatif à laproportionnalite.

En effet, meme si les limitations imposees etaient objectives etraisonnables pour remplir l'objectif necessaire poursuivi, il y a lieu deconstater que cet objectif pouvait etre realise de maniere moinsdefavorable en limitant les debouches au territoire de l'arrondissementdans lequel un detenteur d'une autorisation a son officine et auterritoire des arrondissements limitrophes.

En liant cette limitation des debouches au territoire de la commune danslaquelle le pharmacien a son officine, on prend une mesure qui estdisproportionnee par rapport à l'objectif declare.

En condamnant la demanderesse à une sanction disciplinaire de reprimandeen raison du non-respect de l'article 26bis, S: 1er, alinea 4, de l'arreteroyal du 31 octobre 1885, incorpore ou non dans la deontologie despharmaciens, la decision attaquee viole, des lors, l'article 159 de laConstitution et le principe general du droit en vertu duquel le juge nepeut appliquer une norme violant une disposition superieure, ainsi que lesarticles 23, alinea 3, 1DEG, de la Constitution, 7 du decret d'Allarde etle principe de proportionnalite, ainsi que l'article 26bis, S: 1er, alinea4, de l'arrete royal du 31 mai 1885, l'article 4 de l'arrete royal nDEG78, l'article 1er de l'arrete royal du 25 septembre 1974 concernantl'ouverture, le transfert et la fusion d'officines pharmaceutiquesouvertes au public et les articles 6, specialement 2DEG, 15, S: 1er, et 16de l'arrete royal nDEG 80.

Troisieme sous-branche

Conformement à l'article 6 de la loi du 22 aout 2002 relative aux droitsdu patient, le patient a droit au libre choix du praticien professionnelet il a le droit de modifier son choix, sauf limites imposees dans cesdeux cas en vertu de la loi.

Le praticien professionnel vise à cet article 6 est defini par l'article2, 3DEG, de cette meme loi comme, notamment, le praticien vise à l'arreteroyal nDEG 78 du 10 novembre 1967, à savoir les pharmaciens.

Le libre choix se concretise notamment par une repartition des officinessur le territoire belge tel qu'organise par l'arrete royal du 25 septembre1974 concernant l'ouverture, le transfert et la fusion d'officinespharmaceutiques ouvertes au public.

L'article 26bis, S: 1er, alinea 4, de l'arrete royal du 31 mai 1885 atoutefois un impact important sur cette liberte en ce qui concerne lespersonnes vivant en communaute.

Le libre choix du pharmacien auquel les personnes vivant en communautedoivent pouvoir faire appel pour la delivrance de medicaments, en vertu del'article 6 de la loi du 22 aout 2002, devient de fait tres reduit et memedans certains cas, purement theorique si tous les pharmaciens auxquelselles pourraient faire appel en vertu de l'article 26bis, S: 1er, alinea4, de l'arrete royal du 31 mai 1885, sont limites aux seuls pharmaciensqui ont leur officine dans la petite region geographique se situant presde la communaute.

En limitant les debouches de ces officines reparties proportionnellementsur le territoire au territoire de la commune dans laquelle est implanteeleur officine et à celui des communes limitrophes, l'article 26bis, S:1er, alinea 4, de l'arrete royal du 31 octobre 1885 viole le droit aulibre choix du pharmacien tel qu'il ressort de l'article 6 de la loi du 22aout 2002 relative aux droits du patient et qui a dejà ete encourage parl'arrete royal du 25 septembre 1974 relatif à la repartition geographiquedes officines.

En condamnant la demanderesse à une sanction disciplinaire de reprimandeen raison du non-respect de l'article 26bis, S: 1er, alinea 4, de l'arreteroyal du 31 octobre 1885, incorpore ou non dans la deontologie despharmaciens, la decision attaquee viole, des lors, l'article 159 de laConstitution et le principe general du droit en vertu duquel le juge nepeut appliquer une norme violant une disposition superieure ainsi quel'article 6 de la loi du 22 aout 2002 relative aux droits du patient,ainsi que l'article 26bis, S: 1er, alinea 4, de l'arrete royal du 31 mai1885 et les articles 6, specialement 2DEG, 15, S: 1er, et 16 de l'arreteroyal nDEG 80.

(...)

III.La decision de la Cour

(...)

Quant à la seconde branche :

Quant à la premiere sous branche :

7. En vertu de l'article 26bis precite, de l'arrete royal du 31 mai 1885,modifie par l'article 2, 2DEG, de l'arrete royal du 21 octobre 1999, ilest interdit à un pharmacien de delivrer un medicament via un mandataireà des personnes vivant en communaute, si cette communaute ne se trouvepas dans la commune ou la pharmacie est implantee ou dans une communelimitrophe.

8. Contrairement à ce que soutient le moyen en sa premiere sous-branche,l'article 26bis precite est applicable tant à la categorie de pharmaciensqui detiennent des autorisations pour plusieurs officines qu'à lacategorie de pharmaciens qui detiennent une autorisation pour une seuleofficine dont ils sont titulaires.

Dans cette mesure, le moyen, en cette premiere sous-branche, manque endroit.

9. En outre, le moyen, en cette sous-branche, est fonde sur des elementsde faits presupposes et des consequences qui en sont tirees ainsi que surle defaut de realisation de l'objectif du legislateur.

10. Il oblige la Cour à proceder à un examen en fait des elementsinvoques par le moyen, en cette sous-branche, pour lequel elle est sanspouvoir.

Dans cette mesure, le moyen, en cette sous-branche, est irrecevable.

Deuxieme sous-branche :

11. Le moyen, en cette sous-branche, suppose que la limitationterritoriale de l'article 26bis de l'arrete royal du 31 mai 1885, nes'applique pas dans la meme mesure aux pharmaciens qui detiennent uneautorisation pour plusieurs officines qu'à ceux qui ne detiennent qu'uneseule autorisation.

12. Il ressort de la reponse au moyen, en sa premiere sous-branche, quecette these est inexacte. Dans cette mesure, le moyen en cette sousbranche ne peut etre accueilli.

13. En outre, le moyen, en cette sous-branche, est fonde sur des elementsqu'il presuppose à propos de la limitation des debouches et desconsequences qu'il faut en tirer.

14. Il oblige la Cour à proceder à un examen de faits pour lequel elleest sans pouvoir.

Dans cette mesure, le moyen en cette sous-branche est irrecevable.

Troisieme sous-branche :

15. En vertu de l'article 6 de la loi du 22 aout 2002 relative aux droitsdu patient, le patient a droit au libre choix du praticien professionnelet il a le droit de modifier son choix, sauf limites imposees dans cesdeux cas en vertu de la loi.

L'article 2 de la loi du 22 aout 2002 dispose que pour l'application de lapresente loi, il faut entendre par praticien professionnel : le praticienvise à l'arrete royal nDEG 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercicedes professions des soins de sante, parmi lesquels les pharmaciens.

16. L'article 6, S: 1er, de la loi du 25 mars 1964, modifie par la loi du20 octobre 1998, et avant sa modification par la loi du 1er mai 2006,autorise le Roi à reglementer et surveiller l'importation, l'exportation,la fabrication, la preparation, le conditionnement, la presentation, ladenomination, la contenance, l'etiquetage des conditionnements, ladetention, la conservation, le transport, la distribution, l'offre envente, la vente, la cession à titre onereux ou gratuit, la delivrance desmedicaments ainsi que la pharmaco-vigilance.

En vertu de l'article 26bis, S: 1er, alinea 4, de l'arrete royal du 31 mai1885 il est interdit à un pharmacien de delivrer un medicament via unmandataire à des personnes vivant en communaute si cette communaute ou cecentre ne se situe pas dans la meme commune ou la pharmacie est implanteeou dans une commune limitrophe.

17. Il ressort des dispositions precitees que le libre choix du praticienprofessionnel dont dispose le patient n'est pas absolu et peut, en vertude la loi, etre limite dans l'interet de la sante publique.

18. Les juges d'appel ont considere que :

- la sante publique requiert le plus de contacts directs possibles entrele patient et le pharmacien lors de la delivrance de medicaments et ils sereferent à ce propos à la jurisprudence du Conseil d'Etat ;

- l'objectif principal de la reglementation est de veiller à ce quechacun dispose d'un pharmacien proche de son domicile ou de sa residenceet qu'il puisse developper des contacts personnels avec son pharmacien ;

- il ressort concretement de la declaration de la demanderesse qu'elleapporte personnellement les medicaments à la maison de repos et qu'elles'y rend presque quotidiennement, des lors qu'elle combine ce deplacementavec la circonstance que ses enfants vont à l'ecole à Gand ;

- par cette combinaison le pharmacien n'assure, des lors, pas les soinsdans l'interet de la sante publique. La distance entre l'officine et lacommunaute et le centre de soins est d'environ 50 km, ce qui est contraireà la condition que chacun puisse disposer d'un pharmacien proche de sondomicile ou de sa residence. Il est ainsi requis que le pharmacien quiassure les soins doit aussi etre proche.

19. En decidant ainsi, les juges d'appel ont justifie legalement leurdecision.

Le moyen, en cette sous-branche, ne peut etre accueilli.

(...)

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, les presidents de sectionRobert Boes, les conseillers Eric Dirix, Beatrijs Deconinck et AlainSmetryns, et prononce en audience publique du dix avril deux mille huitpar le president Ivan Verougstraete, en presence de l'avocat generalChristian Vandewal, avec l'assistance du greffier adjoint Johan Pafenols.

Traduction etablie sous le controle du conseiller Albert Fettweis ettranscrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.

Le greffier, Le conseiller,

10 AVRIL 2008 D.07.0003.N/18


Synthèse
Numéro d'arrêt : D.07.0003.N
Date de la décision : 10/04/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2008-04-10;d.07.0003.n ?
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