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10/03/2008 | BELGIQUE | N°S.07.0073.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 10 mars 2008, S.07.0073.N


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.07.0073.N

OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI, etablissement public,

Me Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation,

* * contre

A. N.,

I. La procedure devant la Cour

* Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 26 avril2007 par la cour du travail d'Anvers.

* Le president de section Robert Boes a fait rapport.

* L'avocat general Ria Mortier a conclu.

* II. Les moyens de cassation

* Le demandeur presente deux moyens dans sa requete.

* (...)


r>* 2. Second moyen

* * Dispositions legales violees

* article 1315 du Code civil ;

* articles 870 et 1380, alinea 2, du Co...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG S.07.0073.N

OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI, etablissement public,

Me Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation,

* * contre

A. N.,

I. La procedure devant la Cour

* Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 26 avril2007 par la cour du travail d'Anvers.

* Le president de section Robert Boes a fait rapport.

* L'avocat general Ria Mortier a conclu.

* II. Les moyens de cassation

* Le demandeur presente deux moyens dans sa requete.

* (...)

* 2. Second moyen

* * Dispositions legales violees

* article 1315 du Code civil ;

* articles 870 et 1380, alinea 2, du Code judiciaire ;

* regles relatives à la preuve en matiere repressive ;

* article 125 de l'arrete royal du 28 decembre 1950portant reglement general sur les frais de justice enmatiere repressive ;

* articles 7, S: 1er, alineas 1er, 2 et 3, i), del'arrete-loi du 28 decembre 1944 concernant la securitesociale des travailleurs ;

* articles 3 et 21, S: 1er, 2DEG, de la loi du 29 juin1981 etablissant les principes generaux de la securitesociale des travailleurs salaries ;

* articles 44, 45, 71, alinea 1er, 1DEG et 4DEG, 154,alinea 1er, et 169, alinea 1er, de l'arrete royal du25 novembre 1991 portant reglementation du chomage.

* * Decisions et motifs critiques

L'arret attaque decide que la preuve sur laquelle le demandeur a fonde sadecision n'est pas licite des lors qu'elle resulte d'un acte illegal etmeme delictueux et qu'en consequence, le juge ne peut en aucun cas tenircompte de cette preuve ou des elements de preuve qui en decoulent, tellesles declarations faites par le defendeur lors de son audition par ledemandeur, par les considerations suivantes :

« L'arret rendu le 12 octobre 2005 par la Cour de cassation cite par (ledemandeur) est denue de pertinence en l'espece des lors que la presentecontestation est de nature civile et que l'arret precite a ete rendu dansune procedure penale dont les regles en matiere de preuve sont totalementdifferentes.

La circonstance qu'un element de preuve a ete illicitement recueilli apour consequence que le juge ne peut se fonder, directement ouindirectement, sur cet element de preuve pour asseoir sa conviction.

Les elements de preuve qui decoulent d'un element de preuve illicitementrecueilli ne peuvent davantage constituer des elements de preuvelicitement recueillis ; en consequence, il n'y a pas lieu d'avoir egardaux declarations faites par (le defendeur) les 3 decembre 2004 et3 fevrier 2005.

C'est à bon droit que, (le demandeur) n'ayant produit aucun autre elementetablissant que (le defendeur) a effectue en periode de chomage desprestations susceptibles d'etre considerees comme des prestations detravail au sens de l'article 45 de l'arrete royal du 25 novembre 1991, lepremier juge a annule la decision administrative contestee ».

* Griefs

Aux termes de l'article 3 de la loi du 29 juin 1981 etablissant lesprincipes generaux de la securite sociale des travailleurs salaries, lasecurite sociale des travailleurs comprend l'ensemble des prestationssociales auxquelles ont droit les assures sociaux et qui ont pour but deremplacer ou de completer le revenu professionnel du travailleur afin dele preserver des consequences de certains risques du travail, de certainessituations de famille et conditions de vie et des risques sociaux, selonles regimes prevus à l'article 21

En vertu de l'article 21, S: 1er, 2DEG, de la loi du 29 juin 1981etablissant les principes generaux de la securite sociale des travailleurssalaries, la securite sociale des travailleurs comprend, notamment, lesallocations de chomage.

En tant qu'etablissement public de securite sociale au sens del'article 7, S: 1er, alineas 1er et 2, de l'arrete-loi du 28 decembre 1944concernant la securite sociale des travailleurs, le demandeur a notammentpour mission d'assurer le paiement aux chomeurs involontaires et à leurfamille des allocations qui leur sont dues conformement à l'article 7, S:1er, alinea 3, i), du meme arrete-loi.

Ainsi, en tant qu'etablissement de service public, le demandeur ne peutqu'octroyer les avantages strictement prevus par la loi, aux conditionsprevues par la loi, sous peine de detourner des fonds et de soustraireceux-ci aux groupes des beneficiaires et, en consequence, de compromettrele fonctionnement du service public.

Le droit de la securite sociale en general et la reglementation du chomageen particulier portent sur des prestations accordees par les autoritespubliques à certaines categories de citoyens et, en consequence, releventdu droit public dans la mesure ou ils opposent un particulier, l'assuresocial, à un etablissement public de securite sociale.

Aucune disposition legale n'interdit expressement ou totalementl'utilisation de preuves permettant d'etablir le droit de securite socialeaux allocations de chomage qui auraient ete recueillies, directement ouindirectement, d'une maniere illegale ou irreguliere.

Ainsi, sauf en cas de violation d'une formalite prescrite à peine denullite, une telle preuve ne peut etre ecartee que si elle a eterecueillie d'une maniere qui est entachee d'un vice prejudiciable à sacredibilite ou qui porte atteinte au droit à un proces equitable.

Le juge qui procede à cette appreciation est tenu d'avoir egard à tousles elements de la cause. Ainsi, il peut tenir compte, notamment, ducaractere purement formel de l'irregularite, de l'absence de consequencedu vice invoque sur le droit ou la liberte proteges par la regle violee,de la circonstance que l'irregularite imputee aux services de police ou auplaignant n'est pas intentionnelle, du fait que la preuve illicitementrecueillie porte uniquement sur un element materiel de l'infraction ouencore de la circonstance que l'irregularite qui a precede ou contribue àla constatation de l'infraction est hors de proportion avec la gravite decelle-ci.

Il ressort des constatations de fait de l'arret que, le 3 decembre 2004,(le demandeur) a declare aux inspecteurs sociaux du (demandeur) :« Lorsque j'ai declare le 27 septembre 2004 aux services de la police deSint-Niklaas que j'aidais presque quotidiennement dans le magasin de monfrere, j'ai en realite voulu dire que je me rendais chaque jour dans sonmagasin et que je donnais sporadiquement des conseils parce que, ayantexploite dans le passe (+/- deux ans) une affaire similaire dans leCharlottalei (S.P.R.L. Fim), j'ai quelque experience en lamatiere. (...) Je n'ai pas mentionne ces prestations sur ma carte decontrole parce qu'à mon sens, elles ne constituent pas des prestations detravail » et que, le 3 fevrier 2005, il a declare aux inspecteurssociaux : « Mes conseils sont apprecies en raison de mon experience en lamatiere. J'agis ainsi depuis le mois d'aout 2004. Je ne suis pas remunere,pas meme en nature. Je ne suis pas present dans le magasin quotidiennementmais seulement une ou deux fois par semaine. Je decide moi-meme de mesallees et venues. (...) Mon aide n'est pas remuneree et se limite àquelques conseils, ce qui explique que je n'ai pas declare cette activite.Je n'ai jamais servi la clientele ni perc,u des paiements. Je donnais monavis sur le prix des marchandises. Ma belle-soeur etiquetait les prix etservait les clients ».

Le fait que l'enquete n'a ete entamee que lorsque le demandeur a pressentil'existence d'infractions à la reglementation du chomage à la lectured'un proces-verbal ne porte pas atteinte à la legalite de sa decision,dans la mesure ou l'irregularite invoquee quant à la communication duproces-verbal ne saurait contraindre au rejet de la preuve recueillie parle demandeur à la suite de cette enquete.

En effet, comme le demandeur l'a fait valoir en ordre subsidiaire dans sarequete d'appel (« toutefois, dans l'hypothese ou la cour du travaildeciderait que le proces-verbal d'audition dresse par les services de lapolice n'a pas ete regulierement communique à l'O.N.Em. » ), lacommunication d'un proces-verbal sans l'autorisation du ministere publiccompetent n'est pas frappee de nullite absolue et « le tribunal dutravail a ecarte le proces-verbal d'audition litigieux sans indiquer lesmotifs pour lesquels cette preuve illicitement recueillie ne serait pascredible ou porterait atteinte au droit à un proces equitable. La preuverecueillie licitement ou illicitement est aussi digne de foi queconvaincante. Les faits materiels sont etablis, l'interesse a reconnuceux-ci et ils ont fait l'objet d'une procedure contradictoire ».

Ainsi, meme si le proces-verbal d'audition a ete illicitement recueilli,le juge n'est pas oblige d'ecarter les declarations faites par ledefendeur à l'egard des inspecteurs sociaux dans la mesure ou il estapparu à la lumiere de ces declarations que le demandeur, en tantqu'etablissement public, ne pouvait payer des allocations à un chomeurqui ne remplissait pas les conditions requises à cet egard et quel'obtention illicite du proces-verbal d'audition n'a porte aucune atteinteprejudiciable au droit du defendeur à un proces equitable quant àl'octroi des allocations de chomage ou à la credibilite de la preuverecueillie par le demandeur à la suite des declarations du defendeur.

L'arret attaque decide toutefois qu'il n'y a pas lieu d'avoir egard à cescriteres qui sont uniquement applicables en matiere repressive et, enconsequence, « denues de pertinence en l'espece, des lors que lacontestation est de nature civile » et qu'il n'y a pas davantage lieud'avoir egard aux declarations faites par le defendeur les 3 decembre 2004et 3 fevrier 2005.

En decidant par ces motifs que les faits imputes au defendeur ne sont pasetablis, sans examiner si l'obtention illicite du proces-verbal desservices de la police ne revetait pas un caractere purement formel, si lapreuve illicitement recueillie avait une consequence sur le droit dudemandeur à un proces equitable quant à l'octroi des allocations dechomage ou si elle avait porte une atteinte prejudiciable à lacredibilite de la preuve recueillie par le demandeur à la suite del'audition du defendeur au cours d'une procedure contradictoire, les jugesd'appel n'ont pas justifie legalement leur decision (violation de toutesles dispositions legales citees au moyen).

En decidant que le droit du defendeur à l'octroi des allocations dechomage fait l'objet d'une « contestation de nature civile », alors quele droit de la securite sociale releve du droit public, et en refusantensuite d'examiner si, nonobstant la preuve illicitement recueillie, ledefendeur n'avait neanmoins pas ete legalement exclu du droit auxallocations de chomage compte tenu du resultat de l'enquete regulierementmenee par le demandeur et, plus specialement, des declarations ulterieuresdu defendeur auxquelles l'arret n'a cependant pas egard par le motifqu'elles « decoulent d'un element de preuve illicitement recueilli »,l'arret viole egalement la nature specifique du droit de securite socialeaux allocations de chomage, qui implique qu'aucune allocation ne peut etreoctroyee à quiconque ne remplit pas les conditions requises, et violeplus specialement les articles 7, S: 1er, alineas 1er, 2 et 3, i), del'arrete-loi du 28 decembre 1944 concernant la securite sociale destravailleurs, 3 et 21, S: 1er, 2DEG, de la loi du 29 juin 1981 etablissantles principes generaux de la securite sociale des travailleurs salaries,ainsi que des articles 44, 45, 71, alinea 1er, 1DEG et 4DEG, 154,alinea 1er, et 169, alinea 1er, de l' arrete royal du 25 novembre 1991portant reglementation du chomage.

Dans la mesure ou les juges d'appel ont decide que les elements de preuveinvoques par le demandeur ne peuvent etre consideres comme des elements depreuve licitement recueillis des lors qu'ils decoulent d'elements depreuve illicitement recueillis et qu'il n'y a pas lieu d'avoir egard auxdeclarations du defendeur, l'arret attaque viole egalement lesarticles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire.

III. La decision de la Cour

Sur le second moyen :

1. Sauf si la loi prevoit expressement le contraire, le juge peutexaminer l'admissibilite d'une preuve illicitement recueillie à lalumiere des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales et 14 du Pacte internationalrelatif aux droits civils et politiques en tenant compte de tousles elements de la cause, y compris de la maniere suivant laquellela preuve a ete recueillie et des circonstances dans lesquellesl'irregularite a ete commise.

Sauf en cas de violation d'une formalite prescrite à peine de nullite, lapreuve illicitement recueillie ne peut etre ecartee que si son obtentionest entachee d'un vice qui est prejudiciable à sa credibilite ou quiporte atteinte au droit à un proces equitable.

Le juge qui procede à cette appreciation peut notamment tenir compted'une ou de plusieurs des circonstances suivantes : le caractere purementformel de l'irregularite, sa consequence sur le droit ou la liberteproteges par la regle violee, la circonstance que l'autorite competentepour la recherche, l'instruction et la poursuite des infractions a commisou n'a pas commis l'irregularite intentionnellement, la circonstance quela gravite de l'infraction excede manifestement celle de l'irregularite,le fait que la preuve illicitement recueillie porte uniquement sur unelement materiel de l'infraction, le fait que l'irregularite qui a precedeou contribue à etablir l'infraction est hors de proportion avec lagravite de l'infraction.

2. Les juges d'appel ont decide que la circonstance qu'un element depreuve a ete illicitement recueilli a pour consequence que le jugene peut se fonder, directement ou indirectement, sur cet element depreuve pour asseoir sa conviction et que les elements de preuve quidecoulent d'un element de preuve illicitement recueilli ne peuventdavantage constituer des elements de preuve licitement recueillis.

3. Les juges d'appel qui ont decide par ces motifs que les elements depreuve illicitement recueillis ne sont pas admissibles et ontrefuse d'apprecier cette admissibilite à la lumiere des criteresou circonstances precites, n'ont pas justifie legalement leurdecision.

4. Le moyen est fonde.

* Par ces motifs,

* * La Cour

* Casse l'arret attaque ;

* Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretcasse ;

* Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

* Renvoie la cause devant la cour du travail de Bruxelles.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Ivan Verougstraete, president, le president desection Robert Boes, les conseillers Eric Dirix, Beatrijs Deconinck etAlain Smetryns, et prononce en audience publique du dix mars deux millehuit par le president Ivan Verougstraete, en presence de l'avocat generalRia Mortier, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.

Traduction etablie sous le controle du president Christian Storck ettranscrite avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.

Le greffier, Le president,

10 MARS 2008 S.07.0073.N/9


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.07.0073.N
Date de la décision : 10/03/2008

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2008-03-10;s.07.0073.n ?
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