Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.07.0090.F
D. A.,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Cecile Draps, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11, ou il est faitelection de domicile,
contre
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE D'ATH, dont les bureaux sont etablis àAth, boulevard de l'Hopital, 71,
defendeur en cassation,
represente par Maitre Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 523, ou il est faitelection de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 20 decembre2005 par la cour d'appel de Mons.
Par ordonnance du 23 janvier 2008, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.
Le conseiller Daniel Plas a fait rapport.
L'avocat general Jean-Marie Genicot a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
* articles 1382 et 1383 du Code civil ;
* principe general du droit relatif à la separation des pouvoirs,consacre par l'article 144 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
L'arret attaque condamne le defendeur à verser à la demanderesse lasomme de 2.500 euros evaluee ex aequo et bono et la deboute du surplus deses pretentions, pour tous ses motifs consideres ici comme integralementreproduits et plus particulierement aux motifs que :
« La faute du (defendeur) est d'avoir fait un acte irregulier que la cour[d'appel] ne peut appliquer, conformement à l'article 159 de laConstitution ;
La cour [d'appel] ne peut se substituer au (defendeur) et presumer de ceque celui-ci aurait pu ou du faire pour prendre un acte regulier ;
Elle ne peut que constater l'inapplicabilite de l'acte du 9 janvier 1991 ;
(La demanderesse) n'avait aucune garantie statutaire de stabilite dans safonction jusqu'à sa mise à la pension ;
Toutefois, elle a subi un dommage ne du fait de la decision irreguliere,qui sera adequatement repare par l'allocation de 2.500 euros, evalues exaequo et bono ».
Griefs
En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, l'auteur d'un faitfautif doit en reparer integralement les consequences et le juge ne peutrecourir à une evaluation ex aequo et bono du dommage que s'il constatel'impossibilite de le reparer autrement.
La cour d'appel a, par son premier arret du 25 octobre 2004, dit pourdroit qu'à defaut d'avoir donne à sa propre decision un motif propre,exact en fait et legalement admissible, le defendeur a engage saresponsabilite sur la base de l'article 1382 du Code civil, qu'à la suitede cette faute la demanderesse a subi un dommage consistant en ce qu'« elle n'a plus pu travailler apres la decision litigieuse » et que« sans cette faute, (son) dommage (...) ne se serait pas produit telqu'il s'est realise in concreto ».
La circonstance retenue par l'arret attaque que la demanderesse « n'avaitaucune garantie statutaire de stabilite dans sa fonction jusqu'à sa miseà la pension » n'avait pas pour consequence de placer la cour d'appeldans l'impossibilite de determiner in concreto le dommage de lademanderesse en verifiant si et à quel moment, avant son arrivee à l'agede la pension, le defendeur aurait pu mettre fin à son engagement par unedecision portant des motifs exacts en fait et legalement admissibles et lapriver ainsi legalement de son travail et de sa remuneration.
Il appartenait des lors à la cour d'appel de determiner jusqu'à quelledate le dommage de la demanderesse - consistant à n'avoir plus putravailler et à avoir ainsi ete privee de son traitement - etait enrelation causale avec la faute du defendeur telle que circonscrite.
Ce faisant, la cour d'appel ne se serait pas substituee àl'administration en violation du principe general du droit relatif à laseparation des pouvoirs consacre par l'article 144 de la Constitution maisaurait accompli l'obligation que lui imposent les articles 1382 et 1383 duCode civil d'accorder à la victime la reparation integrale du dommage enlien causal avec la faute.
En decidant que le dommage ne pouvait etre evalue qu'ex aequo et bono surla base des seules considerations que la demanderesse n'avait aucunegarantie statutaire de stabilite jusqu'à sa mise à la pension et que lacour d'appel ne pouvait se substituer au defendeur et presumer de ce quecelui-ci aurait pu et du faire pour prendre un acte regulier, l'arretattaque viole tant les regles relatives à la reparation du dommagecontenues dans les articles 1382 et 1383 du Code civil que le principegeneral du droit relatif à la separation des pouvoirs.
III. La decision de la Cour
Le juge peut recourir à une evaluation en equite à la condition qu'ilindique les motifs pour lesquels il ne peut admettre le mode de calculpropose par la victime et constate en outre l'impossibilite de determinerautrement le dommage.
Il ressort des pieces auxquelles la Cour peut avoir egard que lademanderesse soutenait que, sur la base du statut administratif auquelelle s'estimait soumise, l'echeance du terme ne constituait pas une causede cessation de la fonction d'agent temporaire du defendeur et que rien nepermettait de presumer qu'il aurait ete mis fin à son engagement demaniere prematuree, de sorte que son prejudice equivalait aux revenusqu'elle aurait pu percevoir depuis la date de son depart jusqu'à celle desa pension, sous deduction des allocations de chomage obtenues durantcette periode.
En considerant, d'une part, que l'application de ce statut administratifn'impliquait pas « que l'echeance du terme - cause, par essence, decessation d'une fonction temporaire - ne puisse etre invoquee » et,d'autre part, que la demanderesse « n'avait aucune garantie statutaire destabilite dans sa fonction jusqu'à sa mise à la pension », l'arretattaque enonce les raisons pour lesquelles il ecarte le mode de calculpropose par celle-ci.
Pour le surplus, en enonc,ant que « la cour [d'appel] ne peut sesubstituer [au defendeur] et presumer de ce que celui-ci aurait pu ou dufaire pour prendre un acte regulier », l'arret attaque ne fonde pas sadecision sur le respect du au principe general du droit relatif à laseparation des pouvoirs mais constate qu'il est impossible à la courd'appel de determiner le moment auquel le defendeur aurait, de maniereconcrete, mis regulierement fin à la fonction de la demanderesse.
L'arret justifie des lors legalement sa decision d'evaluer en equite leprejudice subi par la demanderesse.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de cinq cent trente-trois euros quatre-vingtscentimes envers la partie demanderesse et à la somme de trois centtrente-deux euros vingt-neuf centimes envers la partie defenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Daniel Plas,Christine Matray, Philippe Gosseries et Martine Regout, et prononce enaudience publique du trois mars deux mille huit par le president ChristianStorck, en presence de l'avocat general Jean-Marie Genicot, avecl'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.
3 MARS 2008 C.07.0090.F/2