Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.07.0274.F
UNION NATIONALE DES MUTUALITES SOCIALISTES, dont le siege est etabli àBruxelles, rue Saint-Jean, 32-38,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, rue Brederode, 13, ou il est faitelection de domicile,
contre
FORTIS BANQUE, societe anonyme dont le siege social est etabli àBruxelles, Montagne du Parc, 3,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 106, ouil est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 15 decembre2006 par le juge de paix du troisieme canton de Liege, statuant en dernierressort.
Le conseiller Martine Regout a fait rapport.
L'avocat general Andre Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- artic1es 711, 718, 724, 811, 870, 873, 1110, 1235, 1376 à 1381, 1937 et1939 du Code civil ;
- principe general du droit selon lequel le contrat à caractere intuitupersonae prend fin à la mort de l'une des parties, consacre notamment parles articles 1795 (louage d'ouvrage), 1865 (contrat d'entreprise) et 2003(mandat) du Code civil.
Decisions et motifs critiques
Le jugement attaque declare la demande de la demanderesse recevable et nonfondee pour les motifs que :
« La [demanderesse] a verse sur le compte 001-3789557-37 deux indemnitesmensuelles 'de mutuelle' dues à un sieur M. W. alors que ce dernier etaitdecede, deces dont elle n'avait pas ete avertie.
Bien au contraire, la fille de M. W., sur la base d'une procuration dateedu 29 decembre 2004, donc donnee d'outre-tombe (le mandant etant decede le25 decembre 2004), a retire 815 euros le 29 decembre 2004 et 815 euros le27 janvier 2005.
N'agissant pas contre l'heritiere (ou les heritiers ?) de son assure, la[demanderesse] reclame remboursement à la [defenderesse], au motif queles paiements indus ont ete vires sur un compte ouvert chez elle par ledefunt.
Il ressort du dossier de jurisprudence depose par la [defenderesse] queplusieurs organismes mutuellistes ont tente, toujours sans succes, de sefaire rembourser par differentes banques les indemnites de mutuelleversees sur les comptes des beneficiaires apres leur deces.
La [demanderesse] a meme saisi la Cour de cassation, qui a rejete sonpourvoi par un arret du 19 decembre 2002.
Certes, cet arret n'a pas statue sur la premiere branche du pourvoi, caril a juge fondees les fins de non-recevoir opposees au moyen, en cettebranche (à savoir l'imprecision du moyen).
La Cour de cassation n'a, des lors, pas tranche la question de droitdeveloppee dans les conclusions de la [demanderesse] selon laquelle, enresume, à partir du moment ou un paiement indu effectue apres le deces nepeut faire partie de l'actif d'une succession, la dette de remboursementde cet indu ne peut faire partie du passif de cette succession (ce quisupposerait que la reclamation ne doit pas etre dirigee contre lesheritiers mais contre celui en mains de qui le paiement indu a eteeffectue).
Cependant, à partir du moment ou la Cour de cassation a decide, dans lememe arret, que les sommes remises au banquier dans le cadre d'un contratde depot de fonds à vue ne sont pas payees à ce banquier, aucune actionen remboursement d'indu n'est envisageable contre ce banquier, puisqu'unetelle action ne peut etre dirigee que contre celui qui a rec,u le paiement(l'accipiens).
Du reste, concernant la question de droit non tranchee, le tribunal nepartage pas totalement le point de vue de la [demanderesse] ( il estd'accord sur les premisses mais pas sur les conclusions qu'elle en tire).
Il est evident que le paiement indu effectue apres le deces ne fait partieni de l'actif de la succession ni du passif de celle-ci, puisqu'elle estclichee au jour du deces.
Le compte bancaire ne disparait cependant pas automatiquement en raison dudeces de son titulaire, car si le banquier est le mandataire de son client(et le depositaire des fonds que celui-ci lui a donne mandat de recevoir),et si le mandat est un contrat en principe conclu intuitu personae, lesconventions contraires sont licites ( voir P. Wery, Droit des contrats, Lemandat, Larcier, nos 272 et 273), tandis que les actes accomplis par unmandataire (la banque) dans l'ignorance du deces du mandant (le client)sont valides (articles 2008 du Code civil).
La reception des paiements sur le compte du mandant decede est doncvalable.
Si, en violation d'obligations legales ou contractuelles, l'heritier nesignale pas le deces au debiteur de revenus du de cujus, ou à la banque,il permet que le paiement indu se realise sur le compte qu'il a laisse'survivre' en n'en demandant pas la cloture, et cela l'oblige à lerestituer, cette obligation etant purement personnelle et ne decoulant pasde sa qualite d'heritier.
Ce n'est, en effet, pas en qualite d'heritier qu'il a rec,u ces sommes,puisqu'elles ne font pas partie de l'actif successoral, mais à titrepersonnel, en raison ou au moyen de sa faute ou de sa negligence (memetres legere si le paiement indu est quasi concomitant au deces).
Il ne peut etre fait obligation à la banque de verifier chaque jour siles titulaires de comptes courants sont toujours en vie et si lespaiements qui leur sont faits sont effectivement dus (car on observera quedes paiements effectues sur un compte apres le deces de leur titulaire nesont pas necessairement des paiements indus, meme s'ils sont faits par lesdebiteurs de revenus ou de revenus de remplacement. Il peut s'agird'arrieres, par exemple).
Bien que cela soit sans incidence sur la solution du litige, le tribunalestime que la [defenderesse] invoque à tort l'article 1939 du Code civildans le cas d'espece ('en cas de mort [...] de la personne qui a fait ledepot, la chose deposee ne peut etre rendue qu'à son heritier').
Le depot des sommes litigieuses n'a, en effet, pas ete effectue par lapersonne decedee, puisque les paiements sont posterieurs à son deces.
Si elle avait ete au courant du deces et du caractere indu des paiementsrec,us apres celui-ci, la [defenderesse] n'aurait pu remettre ces fondsaux heritiers en invoquant l'article 1939 du Code civil.
Enfin, de maniere superfetatoire et dans le souci d'etre complet, letribunal souligne la fraude commise par la fille du defunt, qui nonseulement n'a pas communique le deces à la banque, mais connaissaitl'existence du compte puisqu'elle a utilise une procuration (sans doutefausse puisque etablie apres le deces) pour retirer les sommes en deuxfois, ce qui suppose qu'elle savait que le compte continuait à etrealimente par la [demanderesse].
En tout cas, ces retraits s'assimilent à un acte d'acceptation tacite dela succession (ce qui n'a d'ailleurs pas d'importance puisque c'est àtitre personnel qu'elle est redevable de la restitution de l'indu, pourles raisons invoquees ci-avant).
Ce n'est en tout cas pas à la [defenderesse] de suppleer àl'insolvabilite eventuelle de cette personne ».
Griefs
En vertu de l'article 1235 du Code civil, tout paiement suppose unedette ; ce qui a ete paye sans etre du est sujet à repetition ; en vertude l'article 1376 du Code civil, celui qui rec,oit par erreur [ou]sciemment ce qui ne lui est pas du, s'oblige à le restituer à celui dequi il l'a indument rec,u.
En vertu desdits articles, seul l'accipiens, c'est-à-dire celui quirec,oit les paiements, peut etre tenu au remboursement d'un paiement indu.
Le contrat de depot d'especes ou contrat de compte à vue, sans etre uncontrat de depot au sens de l'article 1915 du Code civil, est un contratde depot de fonds à vue qui impose au banquier une obligation derestitution analogue à celle qui pese sur un depositaire. La conventionde compte à vue est un contrat sui generis. Ce contrat constitue uncontrat intuitu personae qui se cloture automatiquement notamment par lamort de l'une des parties. A compter de la cloture d'un compte, aucuneoperation nouvelle ne peut etre enregistree sur le compte.
La composition de la masse successorale est etablie activement etpassivement au jour du deces. Des lors, le paiement d'une renterepresentant des indemnites d'incapacite de travail, fait posterieurementau deces du beneficiaire sur le compte à vue de celui-ci, n'est pas unedette de la succession mais un paiement indu dont la restitution ne peutetre demandee qu'à la personne qui l'a perc,u.
Premiere branche
Le jugement attaque considere qu'à partir du moment ou la Cour a decide,dans son arret du 19 decembre 2002, que les sommes remises au banquierdans le cadre d'un contrat de depot de fonds à vue ne sont pas payees àce banquier, aucune action en remboursement d'indu n'est envisageablecontre ce banquier puisqu'une telle action ne peut etre dirigee que contrecelui qui a rec,u le paiement (l'accipiens) ; que le compte bancaire nedisparait pas automatiquement en raison du deces de son titulaire, car sile banquier est le mandataire de son client (et le depositaire des fondsque celui-ci lui a donne mandat de recevoir), et si le mandat est uncontrat en principe conclu intuitu personae, les conventions contrairessont licites tandis que les actes accomplis par un mandataire dansl'ignorance du deces du mandant (le client) sont valides (article 2008 duCode civil), de telle sorte que la reception des paiements sur le comptedu mandant decede est valable.
Toutefois, le jugement attaque constate que, en l'espece, les sommesversees par la demanderesse l'ont ete posterieurement au deces du clientde la defenderesse. Des lors, à compter du deces du client de ladefenderesse, le contrat de compte à vue avait pris fin automatiquement.
Le jugement attaque, qui considere que les sommes ont ete remises à ladefenderesse dans le cadre d'un contrat de depot de fonds à vue et que cecompte bancaire ne disparait pas automatiquement en raison du deces de sontitulaire, alors que le client de la defenderesse etait decede au momentdes versements effectues par la demanderesse, viole le caractere intuitupersonae du contrat de compte à vue car, à compter du deces du client dela defenderesse et en l'absence d'une convention contraire, ladefenderesse n'etait plus depositaire des fonds de son client, le contratde compte à vue ayant pris fin par le deces de ce dernier [violation desarticles 1937 et 1939 du Code civil et du principe general de droit selonlequel le contrat à caractere intuitu personae prend fin à la mort del'une des parties, notamment consacre par les articles 1795 (louaged'ouvrage), 1865 (contrat d'entreprise) et 2003 (mandat) du Code civil].
Deuxieme branche
L'accipiens, au sens des articles 1235 et 1376 du Code civil, est celuiqui rec,oit effectivement le paiement. Comme expose ci-avant, le contratde compte à vue prend fin au deces de l'une des parties contractantes.
Le jugement attaque considere qu'il est evident que le paiement indueffectue apres le deces ne fait partie ni de l'actif de la succession nidu passif de celle-ci, puisqu'elle est clichee au jour du deces.
Un paiement d'une rente representant des indemnites d'incapacite detravail, fait posterieurement au deces du beneficiaire sur le compte decelui-ci, n'est pas une dette de la succession mais un paiement indu dontla restitution ne peut etre demandee qu'à la personne qui l'a perc,u.
A defaut de contrat de depot ou de tout autre contrat, la defenderesse n'apu recevoir les paiements qu'en son nom personnel et, en tout cas, n'a purecevoir les paiements de la demanderesse pour compte du defunt ou de sasuccession.
Il en resulte que les sommes versees apres le deces du titulaire ducontrat de compte à vue sont un paiement effectue necessairement à labanque elle-meme.
Le jugement attaque, qui considere que les sommes remises au banquier dansle cadre d'un contrat de depot de fonds à vue ne sont pas payees à cebanquier et que, des lors, aucune action en remboursement d'indu n'estenvisageable contre ce banquier, puisqu'une telle action ne peut etredirigee que contre celui qui a rec,u le paiement et que la reception surle compte du mandant decede est donc valable, et qui decide, des lors, quela defenderesse n'est pas la personne qui a rec,u les paiements de lademanderesse executes posterieurement au deces du client de ladefenderesse, viole la notion legale d'accipiens au sens des articles 1235et 1376 du Code civil et ne justifie pas legalement sa decision.
Troisieme branche
L'action en repetition du paiement indu suppose la reunion de deuxconditions, à savoir l'existence d'un paiement et son caractere indu.
En vertu des articles 1235 et 1376 du Code civil, en cas de transfert àun tiers des sommes indument rec,ues, l'action en repetition de l'indudoit etre exercee contre celui qui rec,oit effectivement le paiement(accipiens materiel) et non contre le tiers, qui apparait comme lebeneficiaire ultime de ce paiement (accipiens intellectuel).
Le jugement attaque ne conteste pas l'existence d'un paiement indueffectue par la demanderesse mais considere que ce n'est pas ladefenderesse qui l'a rec,u mais l'heritier, qui a retire l'argent ducompte du defunt et qui n'avait signale le deces ni à la demanderesse nià la defenderesse, et avait permis ainsi que le paiement indu se realisesur le compte qu'il avait laisse survivre en n'en demandant pas lacloture.
Il en resulte que le jugement attaque considere cet heritier comme lebeneficiaire ultime du paiement indu de la demanderesse, donc l'accipiensintellectuel. La defenderesse a rec,u les paiements en qualite d'accipiensmateriel.
Le jugement attaque, qui considere que la demanderesse devrait reclamer àcet heritier du client de la defenderesse la restitution du paiement indu,contraint la demanderesse à exercer son action en repetition de l'inducontre le beneficiaire ultime du paiement indu et non contre l'accipiensmateriel de celui-ci et viole ainsi les articles 1235 et 1376 du Codecivil et ne justifie pas legalement sa decision.
III. La decision de la Cour
Sur la premiere fin de non-recevoir opposee au moyen par la defenderesseet deduite de son imprecision :
Le moyen ne precise pas en quoi le jugement attaque violerait les articles711, 718, 724, 811, 870, 873, 1110 et 1377 à 1381 du Code civil.
Sur la seconde fin de non-recevoir opposee au moyen par la defenderesse etdeduite de ce qu'il invoque la meconnaissance d'un principe general dudroit qui n'existe pas :
Il n'existe pas de principe general du droit suivant lequel un contratconclu en consideration de la personne prend fin à la mort de l'une desparties.
Les fins de non-recevoir sont fondees.
Sur le surplus du moyen :
Quant aux deux premieres branches reunies :
En vertu de l'article 1235, alinea 1er, du Code civil, tout paiementsuppose une dette et ce qui a ete paye sans etre du est sujet àrepetition.
L'article 1376 de ce code dispose que celui qui rec,oit par erreur ousciemment ce qui ne lui est pas du, s'oblige à le restituer à celui dequi il l'a indument rec,u.
Les sommes remises au banquier dans le cadre d'un contrat de depot defonds à vue ne sont pas payees à ce banquier, de sorte qu'il ne peutetre tenu de les restituer sur la base des dispositions precitees.
La reception d'un paiement par le banquier, mandataire de son client, dansl'ignorance du deces de celui-ci, est valide et ne fait pas de ce banquiercelui qui rec,oit le paiement au sens de l'article 1376 du Code civil.
Le jugement attaque, qui constate que la demanderesse a verse lesindemnites litigieuses sur le compte du client de la defenderesse, et quecette derniere ignorait à l'epoque le deces de son client, decidelegalement que celle-ci n'est pas tenue de les restituer à lademanderesse.
Le moyen, en aucune de ces branches, ne peut etre accueilli.
Quant à la troisieme branche :
Contrairement à ce que le moyen soutient, le jugement attaque ne deboutepas la demanderesse de son action au motif qu'elle aurait du agir contrel'accipiens intellectuel du paiement plutot que contre l'accipiensmateriel de celui-ci, mais au motif que la defenderesse n'a pas rec,u lepaiement litigieux.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de quatre cent quarante euros trente-quatrecentimes envers la partie demanderesse et à la somme de centseptante-quatre euros quinze centimes envers la partie defenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers ChristineMatray, Sylviane Velu, Philippe Gosseries et Martine Regout, et prononceen audience publique du vingt-deux fevrier deux mille huit par lepresident Christian Storck, en presence de l'avocat general Andre Henkes,avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.
22 FEVRIER 2008 C.07.0274.F/1