Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° F.06.0069.F
LA PETITE PROPRIETE TERRIENNE DU PAYS DE HUY, société coopérative àresponsabilité limitée en liquidation dont le siège social est établi àHuy, rue d'Amérique, 26,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3,
contre
ETAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet estétabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Charleroi, rue de l'Athénée, 9, où il est faitélection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 9 novembre 2005par la cour d'appel de Liège.
Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Articles 133, alinéa 1^er, et 136 de l'arrêté royal du 27 août 1993d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté, en substance, par référence aux constatations dupremier juge, que la demanderesse est une société coopérative de logementagréée par la société coopérative à responsabilité limitée la Sociétérégionale wallonne du Logement, organisme d'intérêt public dont le siègeest établi à Charleroi qui exerce une tutelle sur la demanderesse ; quecelle-ci n'a pas souscrit dans le délai légal de déclaration à l'impôt dessociétés de l'exercice d'imposition 1995 ; que par lettre du 21 septembre1995, l'administration a envoyé à la « s.c.r.l. Société régionale wallonnedu Logement » (sic) mais au siège social de la demanderesse unenotification d'imposition d'office à l'impôt des sociétés ; que cettelettre indiquait le numéro national de la demanderesse ; que bien quecette lettre eût pour destinataire une autre société, la demanderesse arépondu à cette notification d'imposition d'office par lettre du 19octobre 1995 ; que le 12 juillet 1995, l'administration a envoyé au siègesocial de la demanderesse un avertissement-extrait de rôle à l'impôt dessociétés de l'exercice d'imposition 1995 (article 862.407.199 du rôle dela ville de Huy), établi au nom de la « s.c.r.l. Société régionalewallonne du Logement» (sic), mais indiquant à nouveau le numéro nationalde la demanderesse ; que cette cotisation a été enrôlée au nom de laditeSociété régionale wallonne du Logement ; que le 9 janvier 1998, lereceveur des contributions de Liège 6 a fait signifier un commandement depayer la somme de 7.712.640 francs à la demanderesse, cette foiscorrectement dénommée « s.c. la Petite Propriété Terrienne de Huy » ;qu'en janvier 1998, la demanderesse a souscrit tardivement sa déclarationà l'impôt des sociétés de l'exercice d'imposition 1995 sur la formuleétablie par l'administration portant une étiquette-adresse au nom de laSociété régionale wallonne du Logement ; que, par lettre du 12 février1998, la demanderesse a adressé au directeur régional de Liège une demandede dégrèvement de ladite cotisation de l'exercice d'imposition 1995 surpied de l'article 376 du Code des impôts sur les revenus 1992, pour erreurmatérielle ; que par décision du 8 avril 1998, le directeur a dit cetterequête non recevable en tant que réclamation en raison de sa tardiveté etnon fondée en tant que demande de dégrèvement d'office ;
et saisie de conclusions par lesquelles la demanderesse soutenait, à titreprincipal, que la cotisation litigieuse a été établie au nom d'une autresociété et que, pour ce motif, la réclamation de la demanderesse devaitêtre déclarée non recevable à défaut d'intérêt, avec cette conséquence queles actes d'exécution entamés à charge de la demanderesse ne sont pasvalables,
la cour d'appel, par l'arrêt attaqué, confirmant la décision du premierjuge, décide « que l'avertissement-extrait de rôle (établi au nom de las.c.r.l. Société régionale wallonne du Logement) était parfaitementvalable » à l'égard de la demanderesse et, sur ce fondement, décide que laréclamation de (la demanderesse) du 12 février 1998 était tardive etpartant non recevable.
L'arrêt fonde cette décision sur les motifs du premier juge et sur desmotifs propres.
Selon les motifs du premier juge « la dénomination du redevable figurantau rôle ainsi que sur l'avertissement-extrait de rôle (s.c.r.l. Sociétérégionale wallonne du Logement) n'est pas totalement exacte » et « peutêtre considérée comme manquant quelque peu de précision. Il estunanimement admis cependant (...) que des erreurs dansl'avertissement-extrait de rôle ne rendent celui-ci nul que lorsqu'ellesont nui au redevable. Il ressort des éléments du dossier que l'enrôlementde l'impôt au nom de la s.c.r.l. Société régionale wallonne du Logement,mais avec l'adresse et le numéro national [qui correspond au numéro deT.V.A.] de la (demanderesse) n'a pu prêter à confusion (...) Tant laréponse de la (demanderesse) sur son papier à firme, en date du 19 octobre1995, à la notification d'imposition d'office du 21 septembre 1995 (...)que sa demande de dégrèvement d'office, adressée, sous sa dénominationpropre, le 12 février 1998, au directeur régional des contributionsdirectes de Liège (...) ne laissent planer aucun doute sur le fait qu'elleavait parfaitement conscience que c'était bien elle qui était concernéetant par l'avis d'imposition d'office que par l'avertissement-extrait derôle litigieux (...) et non sa 'société mère' ou son 'organisme detutelle'. Elle ne désigne en effet en aucune manière cet organisme commeétant le véritable redevable de l'impôt mais elle le présente plutôt commele responsable des manquements et retards qui lui sont reprochés. Il fautdonc en conclure, aucune confusion n'étant possible, que l'impôt a bienété établi, tel qu'il l'a été, et l'avertissement-extrait de rôlerégulièrement envoyé au nom du redevable intéressé qu'est la(demanderesse) ».
S'appropriant ces motifs du premier juge, l'arrêt attaqué ajoute : « c'estabusivement qu'elle (la demanderesse) soutient qu'aurait existé entre elleet la société de tutelle une confusion alors qu'elle a répondu à l'avisd'imposition d'office qui portait la même dénomination que celle figurantsur l'avertissement-extrait de rôle, tout comme la déclaration non rentréedans le délai. Il n'est nullement démontré que l'erreur commise dans laseule dénomination aurait nui à la (demanderesse). Les éléments figurantsur l'avertissement-extrait de rôle permettaient parfaitement à la(demanderesse) d'introduire un recours dans le délai légal. Il ne peutêtre perdu de vue que l'avertissement délivré portait bien le numéronational de (la demanderesse) et qu'il lui fut adressé à son siège socialtout comme les autres documents. Dans ces circonstances, (la demanderesse)ne peut plaider qu'il y a eu confusion de sociétés. Elle s'est d'ailleursabstenue de transmettre l'avertissement-extrait de rôle à la société detutelle ».
Griefs
L'article 133 de l'arrêté d'exécution du Code des impôts sur les revenus,pris en exécution de l'article 300, § 1^er, du même code, dispose en sonalinéa 1^er : « les cotisations sont portées aux rôles au nom desredevables intéressés ». Selon l'article 136 du même arrêté, « aussitôtque les rôles sont rendus exécutoires, il en est adressé des extraits auxredevables intéressés ».
En l'espèce, il ressort des constatations des juges du fond que lacotisation litigieuse n'a pas été enrôlée au nom de la demanderesse,dénommée « Petite Propriété Terrienne du Pays de Huy » mais au nom d'uneautre société coopérative à responsabilité limitée dénommée « Sociétérégionale wallonne du Logement » et que l'avertissement-extrait de rôleenvoyé à l'adresse de la demanderesse indique de la même manière le nom duredevable de l'impôt enrôlé.
Il en résulte que cet impôt ne peut être considéré comme valablementétabli à charge de la demanderesse et que le rôle ne peut constituer untitre exécutoire à son égard, même si, eu égard aux circonstances relevéespar les juges du fond (numéro national et adresse indiqués surl'avertissement-extrait de rôle et sur la notification d'impositiond'office qui a précédé l'enrôlement ; réponse de la demanderesse à cetavis d'imposition d'office ; dénomination indiquée par l'administrationsur la formule de déclaration que la demanderesse a remplie tardivement),la demanderesse a été consciente du fait que l'intention del'administration était d'enrôler un impôt à sa charge. L'article 133 del'arrêté d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 constitue, eneffet, une disposition d'ordre public.
Certes, comme le soutenait la demanderesse elle-même dans le passage deses conclusions principales précité, le fait que l'impôt avait été enrôléau nom d'un tiers et que l'administration n'avait dès lors pas de titrecontre la demanderesse avait pour conséquence qu'indépendamment du délaide réclamation, la réclamation introduite par la demanderesse était nonrecevable à défaut d'intérêt. Toutefois, en fondant la non-recevabilité dela réclamation sur la considération illégale que la cotisation litigieuseavait été valablement enrôlée à charge de la demanderesse, l'arrêt attaquéa pris une décision consacrant la validité du titre du défendeur et cettedécision est de nature à permettre au défendeur de poursuivre l'exécution,à charge de la demanderesse, de ce prétendu titre, ce qui justifiel'intérêt de la demanderesse à demander l'annulation de cette décision quiviole les articles 133, alinéa 1^er, et 136 de l'arrêté d'exécution duCode des impôts sur les revenus.
III. La décision de la Cour
L'article 133, alinéa 1^er, de l'arrêté royal du 27 août 1993 d'exécutiondu Code des impôts sur les revenus 1992 dispose que les cotisations sontportées aux rôles au nom des redevables intéressés.
Aux termes de l'article 136 de cet arrêté royal, aussitôt que les rôlessont rendus exécutoires, il en est adressé des extraits aux redevablesintéressés.
Des erreurs commises par l'administration dans l'avertissement-extrait derôle ne rendent celui-ci nul que si elles ont porté préjudice auredevable.
L'arrêt relève, certes, par référence aux motifs du premier juge, quel'enrôlement de l'impôt litigieux a été fait au nom de la s.c.r.l. Sociétérégionale wallonne du Logement, et non au nom de la demanderesse.
Il constate toutefois que, d'une part, l'avertissement-extrait de rôlementionnait le numéro national de la demanderesse, correspondant à sonnuméro individuel d'identification à la T.V.A., et a été adressé au siègede celle-ci et que, d'autre part, c'est la demanderesse elle-même qui arépondu à la notification de l'imposition d'office dont elle a faitl'objet et a envoyé au directeur régional des contributions directes unedemande de dégrèvement d'office de la cotisation.
Il considère que « les éléments objectifs du dossier démontrent que [lademanderesse] n'ignorait pas que la cotisation litigieuse la concernait »et « qu'il n'est nullement démontré que l'erreur commise dans la seuledénomination aurait nui à [la demanderesse] ».
L'arrêt justifie ainsi légalement sa décision que l'avertissement-extraitde rôle était régulier.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de deux cent nonante et un euros vingt-sixcentimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent trente-sixeuros dix-huit centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillersDidier Batselé, Albert Fettweis, Sylviane Velu et Martine Regout, etprononcé en audience publique du huit février deux mille huit par leprésident de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat généralAndré Henkes, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
8 FEVRIER 2008 F.06.0069.F/1