Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.06.0236.F
REGION WALLONNE, representee par son gouvernement en la personne duministre du Budget, des Finances, de l'Equipement et du Patrimoine, dontle cabinet est etabli à Namur (Jambes), rue Kefer, 2,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il est faitelection de domicile,
contre
1. VILLE DE MALMEDY, representee par son college des bourgmestre etechevins, dont les bureaux sont etablis à Malmedy, rue Steinbach, 1,
defenderesse en cassation,
2. L'ARDENNE PREVOYANTE, societe anonyme dont le siege social est etablià Stavelot, avenue des Demineurs, 5,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre Philippe Gerard, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 523, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le25 janvier 2006 par le tribunal de premiere instance de Verviers, statuanten degre d'appel.
Par ordonnance du 15 janvier 2008, le premier president a renvoye la causedevant la troisieme chambre.
Le conseiller Philippe Gosseries a fait rapport.
Le procureur general Jean-Franc,ois Leclercq a conclu.
II. Les moyens de cassation
La demanderesse presente quatre moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Disposition legale violee
Article 149 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
Le jugement attaque declare non fonde l'appel de la demanderesse, confirmeen toutes ses dispositions le jugement dont appel qui, considerant que leconducteur W. n'avait commis aucune faute, avait condamne in solidum lademanderesse et la premiere defenderesse à payer à la secondedefenderesse la somme de 85.543,42 euros, augmentee des interetscompensatoires puis moratoires, ainsi qu'aux depens de cette defenderesse,avait condamne la demanderesse à garantir la premiere defenderesse àconcurrence de trois quarts des sommes dues à la seconde defenderesse enprincipal, interets et depens, et avait condamne la demanderesse aux troisquarts des depens de la premiere defenderesse en lui delaissant troisquarts de ses propres depens, le jugement attaque condamnant en outresolidairement la demanderesse et la premiere defenderesse aux depensd'appel.
Le jugement attaque fonde ces decisions sur ses motifs propres « et ceuxnon contraires du premier juge ».
Griefs
Le jugement attaque fonde les decisions resumees au moyen sur ses motifspropres « et ceux non contraires du premier juge » sans preciser en rienceux des motifs du premier juge qu'il considere comme non contraires auxsiens propres et qu'il entend adopter.
Il est par suite impossible de discerner les motifs du premier juge que lejugement attaque adopte et sur lesquels reposent ses decisions.
Le jugement attaque n'est des lors pas regulierement motive (violation del'article 149 de la Constitution).
Deuxieme moyen
Dispositions legales violees
- articles 1317, 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;
- article 149 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
Le jugement attaque declare non fonde l'appel de la demanderesse, confirmeen toutes ses dispositions le jugement dont appel qui, considerant que leconducteur W. n'avait commis aucune faute, avait condamne in solidum lademanderesse et la premiere defenderesse à payer à la secondedefenderesse la somme de 85.543,42 euros, augmentee des interetscompensatoires puis moratoires, ainsi qu'aux depens de cette defenderesse,avait condamne la demanderesse à garantir la premiere defenderesse àconcurrence de trois quarts des sommes dues à la seconde defenderesse enprincipal, interets et depens, et avait condamne la demanderesse aux troisquarts des depens de la premiere defenderesse en lui delaissant troisquarts de ses propres depens, le jugement attaque condamnant en outresolidairement la demanderesse et la premiere defenderesse aux depensd'appel.
Le jugement attaque fonde ces decisions, et specialement sa decisionrelative à la responsabilite de la demanderesse, sur les motifssuivants :
« Que les verbalisateurs resument l'accident comme suit :
'W. descend avec sa voiture la route venant de Francorchamps vers Malmedy.La route est mouillee et rendue glissante suite au revetement special s'ytrouvant. Roulant d'apres ses dires à environ 90 à 100 kilometres àl'heure, il perd une premiere fois le controle de sa voiture avant levirage à gauche, sait toutefois rattraper sa voiture avant de glisser ànouveau. La voiture tourne alors sur elle-meme pour aller ensuite entraversant la chaussee dans un chemin d'acces prive ou elle percute uneprise d'eau avec le flanc droit, percute un poteau electrique et finit sacourse apres un autre demi-tour dans le champ se trouvant en contrebas' ;
Que les verbalisateurs ajoutent que le revetement en macadam de lachaussee à l'endroit de l'accident est tres glissant par temps de pluiedu fait qu'il est tres lisse et que, de ce fait, des manoeuvres pourrattraper une voiture hors controle sont quasiment impossibles à partird'une certaine vitesse ;
Que l'accident est survenu sur la route nationale 62, à hauteur de laborne 37.3 ;
Que, à la suite de nombreux accidents survenus à cet endroit depuis lapose par la Region wallonne d'un revetement drainant dans les annees1991-1992, le tribunal de police de Verviers avait designe P. S. enqualite d'expert judiciaire ;
Qu'il resulte du jugement du 31 janvier 2000 du tribunal de police deVerviers, rendu apres le depot du rapport de l'expert S. le 11 mars 1999,que ce dernier conclut son rapport comme suit :
'Les examens effectues sur les lieux de l'accident ainsi que les calculseffectues par les specialistes, notamment le sieur B., de la Faculte degenie civil de l'Universite de Liege, permettent d'arriver à laconclusion qu'à l'endroit des faits, le danger de derapage estcertainement present à partir de 90 kilometres à l'heure.
Nous considerons que cette situation est dangereuse.
Nous estimons en effet qu'à un endroit ou la vitesse est limitee à 90kilometres à l'heure, c'est une situation accidenteur que de franchir unvirage ou à cette vitesse le derapage est possible.
Nous signalons egalement que tous les vehicules ne se comportent pas de lameme maniere.
Les uns ont une tenue de route meilleure que d'autres ; il s'agit làd'une situation qui ne peut pas etre ignoree par les ingenieurs quiconc,oivent les routes et, en consequence, ils doivent lors de laconception du revetement prendre des coefficients de securite suffisantsde maniere à ce que tous les types de vehicules puissent franchir unvirage sans danger de derapage.
Nous considerons qu'à l'endroit des faits, la chaussee ne correspondaitpas aux normes minimales de securite' ;
Qu'au vu de ce rapport, c'est à juste titre que le premier juge aconsidere que les caracteristiques de la chaussee etaient telles qu'ellesla rendaient vicieuse puisque, si le risque de derapage etait certainementpresent à partir de 90 kilometres à l'heure, cela signifie que ce risqueetait peut-etre present à une vitesse inferieure (tous les vehiculesn'ayant pas la meme capacite d'adherence) et surtout que ce risque etaitpresent meme lorsqu'on ne depassait pas la vitesse maximale autorisee de90 kilometres à l'heure ;
Que la Region wallonne emet à l'egard de ce rapport d'expertise les memescritiques que celles qui avaient ete adressees au sapiteur B. parl'ingenieur C. et auxquelles le professeur B. a repondu point par point àl'epoque ;
Qu'à bon droit, le premier juge a estime ne pas devoir designer un nouvelexpert pour repondre à ces critiques ;
Que determiner si un revetement repond ou non aux normes de securite n'estpas le reflet d'une position d'une ecole scientifique, ainsi qu'il estpretendu, mais l'examen d'un fait ;
Que la Region wallonne, bien consciente du probleme, a d'ailleurs depuislors modifie le revetement ;
Que, meme si, dans le present cas, l'accident s'est produit dans l'autresens de circulation que celui à l'occasion duquel l'expert s'estprononce, il n'est pas contestable que le revetement est, logiquement, lememe des deux cotes dans la mesure ou ledit revetement a du etre pose surtoute la largeur de la chaussee ; que la Region wallonne n'apporte, entout cas, aucun element de nature à dementir cette consideration ;
Que, de surcroit, les verbalisateurs ont expressement precise que lachaussee etait particulierement glissante par temps de pluie et que cetteconstatation se rapporte necessairement au sens suivi par le conducteur R.W., sinon cette remarque n'aurait aucun interet ;
Que la Region wallonne ne peut donc pas etre suivie lorsqu'elle affirme,sans aucunement le demontrer, que le coefficient d'adherence de lachaussee dans le sens de Francorchamps vers Malmedy serait fort differentde celui qui a ete mesure en sens inverse ;
Que, depuis l'accident litigieux, la Region wallonne a refait l'ensembledu revetement, ce qui permet de penser que la situation etait dangereusedans les deux sens de circulation ;
Qu'il n'est, par ailleurs, pas demontre que le dommage aurait une autrecause que ce vice ;
Que c'est des lors à bon droit que le premier juge a retenu laresponsabilite de la Region wallonne en tant que gardienne d'une choseviciee ».
Le jugement entrepris avait par ailleurs releve que, « certes, l'accidents'est produit dans l'autre sens de circulation (Francorchamps versMalmedy) mais que, selon les elements du dossier, c'est toute la surfacede la chaussee qui etait rendue particulierement glissante par temps depluie (voyez les constatations des verbalisateurs par rapport au sensemprunte par W.) ; qu'en outre, il ne resulte pas du rapport du sieur S.que les risques d'accident auraient ete moindres dans la direction deMalmedy (à cet egard, l'affirmation de la Region wallonne, dans sesconclusions, selon laquelle le CFT serait meilleur dans le sensFrancorchamps-Malmedy que dans le sens Malmedy-Francorchamps n'est pascorroboree par les pieces du dossier) ».
Mais, ainsi que le souligne le premier moyen, il est impossible dediscerner si le jugement attaque adopte ce motif.
Griefs
La demanderesse avait soutenu dans ses conclusions d'appel que :
« Aucune expertise n'a ete realisee en ce qui concerne le presentaccident ;
Le rapport utilise par le tribunal concerne un autre accident qui n'estpas survenu precisement au meme endroit ;
Plus particulierement, il apparait que le CFT de cette chaussee, dans lesens de Francorchamps vers Malmedy-Stavelot, est fort different du CFTmesure sur la bande de circulation inverse ;
Les conclusions du rapport d'expertise judiciaire sont pourtant fondeessur les mesures de CFT de la bande de circulation inverse à celle qui esten cause dans le present dossier ;
C'est à tort que le premier juge a indique : 'A cet egard, l'affirmationde la Region wallonne, dans ses conclusions, selon laquelle le CFT seraitmeilleur dans le sens Francorchamps-Malmedy que dans le sensMalmedy-Francorchamps n'est pas corroboree par les pieces du dossier' ;
La [demanderesse] deposait pourtant les mesures de CFT prises `versStavelot', ce qui correspond bien au sens Francorchamps-Malmedy, puisqueStavelot se trouve dans le prolongement de cette direction ;
Il resulte de cette piece que le tribunal de police a manifestement perdude vue que les valeurs relevees sont tout à fait normales sur la bande decirculation qui etait empruntee par R. W. ;
Ces valeurs ne descendent en effet jamais sous 0,45 (contre un minimum de0,32 dans le sens inverse concerne par tous les autres accidents) ;
Cette difference d'adherence sur les deux bandes de circulation estd'ailleurs parfaitement plausible puisque les machines ne posent pas lesrevetements routiers sur toute la largeur de la chaussee en une fois maisqu'au contraire, il est procede par bande de circulation ;
Les mesures de CFT produites par la [demanderesse] sur la bande decirculation empruntee par R. W. constituent un element tout à faitdeterminant pour reformer le jugement entrepris ;
C'est evidemment à tort que le premier juge a indique qu' 'il ne resultepas du rapport du sieur S. que les risques d'accident auraient etemoindres dans la direction de Malmedy' ;
En effet, l'expert judiciaire S. avait ete mandate dans le cadre d'unaccident de la circulation survenu dans le sens inverse de celui empruntepar R. W. et l'expert judiciaire S. n'avait aucune raison de mener desinvestigations sur la bande de circulation qui n'etait pas concernee parl'accident qu'il etait charge d'expertiser »,
et, dans sa requete d'appel, que :
« Le tribunal de police n'a pas tenu compte du fait que le CFT mesure surcette route dans le sens de Francorchamps vers Malmedy-Stavelot estnettement meilleur que sur la bande inverse de circulation, laquelle etaitseule concernee par les autres accidents qui etaient utilises à titre deprecedents ;
C'est à tort que le premier juge indique que, 'selon les elements dudossier, c'est toute la surface de la chaussee qui etait rendueparticulierement glissante par temps de pluie'. La Region wallonne avaiten effet depose le releve des mesures de CFT effectue à la demande del'expert S. dans le sens concerne par le present accident et l'on constateque les valeurs relevees sont tout à fait normales puisqu'elles nedescendent jamais sous 0,45 (contre un minimim de 0,32 dans le sensinverse concerne par tous les autres accidents). Il est donc objectivementetabli que l'adherence de la route n'est pas du tout la meme sur une bandede circulation et sur l'autre. Il faut rappeler que le revetement dechaque bande de circulation est pose distinctement ».
La demanderesse faisait ainsi etat de mesures de CFT demontrant que, surla bande de circulation sur laquelle s'etait produit l'accident et quin'avait pas fait l'objet du rapport de l'expert S., depose dans le cadred'un autre litige, le coefficient d'adherence etait tout à fait normal.
Il suit de là que
1DEG En enonc,ant que la demanderesse n'apporte, en tout cas, aucunelement de nature à dementir la consideration que le revetement estlogiquement le meme des deux cotes et qu'elle ne demontre aucunement quele coefficient d'adherence serait fort different dans le sens deFrancorchamps vers Malmedy, le jugement attaque refuse de lire dans lesconclusions d'appel et dans la requete d'appel de la demanderessel'affirmation, qui y figure, que les mesures de CFT produites par elledemontrent la difference des coefficients d'adherence des deux bandes decirculation de la chaussee, donne ainsi à ces conclusions et à cetterequete une portee inconciliable avec leurs termes et viole, partant, lafoi qui leur est due (violation des articles 1317, 1319, 1320 et 1322 duCode civil) ;
Le motif du jugement entrepris reproduit au moyen, à le supposer adoptepar le jugement attaque, encourt le meme grief en ce qu'il enonce quel'affirmation que le CFT serait meilleur dans le sens de Francorchampsvers Malmedy n'est pas corroboree par les pieces du dossier (violation desarticles du Code civil vises au moyen) ;
2DEG Le jugement attaque ne donne aucune reponse à la defensecirconstanciee, formulee dans les conclusions d'appel et dans la requeted'appel de la demanderesse et reproduite au moyen, de sorte qu'il n'estpas regulierement motive (violation de l'article 149 de la Constitution).
Troisieme moyen
Disposition legale violee
Article 149 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
Le jugement attaque declare non fonde l'appel de la demanderesse, confirmeen toutes ses dispositions le jugement dont appel qui, considerant que leconducteur W. n'avait commis aucune faute, avait condamne in solidum lademanderesse et la premiere defenderesse à payer à la secondedefenderesse la somme de 85.543,42 euros, augmentee des interetscompensatoires puis moratoires, ainsi qu'aux depens de cette defenderesse,avait condamne la demanderesse à garantir la premiere defenderesse àconcurrence de trois quarts des sommes dues à la seconde defenderesse enprincipal, interets et depens, et avait condamne la demanderesse aux troisquarts des depens de la premiere defenderesse en lui delaissant troisquarts de ses propres depens, le jugement attaque condamnant en outresolidairement la demanderesse et la premiere defenderesse aux depensd'appel.
Le jugement attaque fonde ces decisions, et specialement sa decisionqu'aucune faute ne devait etre retenue dans le chef du conducteur W., surles motifs suivants :
« Que c'est à juste titre et par de pertinents motifs que le tribunaladopte que le premier juge a estime qu'aucune faute ne devait etre retenuedans le chef du conducteur R. W. ;
Que [la demanderesse et la premiere defenderesse] reprochent au conducteurR. W. d'avoir circule à une vitesse excessive, dans un vehicule surchargedont les pneus etaient usages ;
Qu'il n'est nullement demontre que le conducteur R. W. aurait depasse lavitesse maximale autorisee ni que ce depassement - à le supposer etabli,quod non - serait en lien causal avec l'accident ;
Que le vehicule transportait cinq personnes au lieu de quatre ;
Qu'il n'est pas demontre que la presence de ce passager supplementaire aeu une quelconque influence sur le deroulement de l'accident ;
Que, si le conducteur R. W. a precise avoir transfere sur son nouveauvehicule les pneus de l'ancien, il n'est nullement demontre que ces pneusetaient uses ;
Que les verbalisateurs n'ont formule aucune remarque quant à l'etat despneus du vehicule et que l'on peut supposer que, si le conducteur R. W. aplace d'anciens pneus sur son nouveau vehicule, c'est precisement parcequ'ils n'etaient pas uses »,
et, par adoption des motifs du premier juge, sur ce que
« Il est reproche au conducteur W. d'avoir circule à vitesse excessive,par temps de pluie, dans un vehicule surcharge (cinq personnes au lieu dequatre) et dont les pneus etaient usages ;
Pour ce qui concerne la vitesse, W. a reconnu une allure de 90 à 100kilometres à l'heure ; il s'agit d'une vitesse approximative et il n'estpas objectivement demontre qu'il a reellement depasse la vitesse maximaleautorisee ni que ce depassement (à le supposer etabli) n'etait pas tropminime, au point de ne pouvoir aggraver les consequences dommageables del'accident ;
La route nationale 62 est une route tres large (ancien circuit automobile)et on ne peut donc considerer que les conducteurs y circulant à 90kilometres à l'heure roulent necessairement à une allure inadaptee ;
Les circonstances que le vehicule Renault ait ete detruit et que lespassagers aient ete blesses ne permet pas d'induire un exces de vitessedes lors que le vehicule a effectue plusieurs tete-à-queue et heurte deuxobstacles avant de s'immobiliser dans un champ en contrebas (voir lesphotos au dossier repressif) ;
Le conducteur W. avait certes emmene un passager en trop mais celan'implique pas l'existence d'un risque particulier en rapport avecl'accident litigieux car, au lieu d'un passager supplementaire,l'interesse aurait pu transporter des bagages dans son coffre en toutelegalite ;
Les verbalisateurs n'ont formule aucune remarque quant à l'etat des pneusdu vehicule ;
L'expert S. est certes passe sans encombre au meme endroit en circulant à110 kilometres à l'heure mais posterieurement à l'accident et alors quela route avait ete refaite ;
Il n'est donc pas demontre que le conducteur W., circulant dans les memescirconstances, aurait perdu brusquement le controle de son vehicule eneffectuant des tete-à-queue s'il avait circule sur une chausseepresentant un revetement de qualite, et non, comme en l'espece, unrevetement anormalement glissant lorsque la chaussee est mouillee ; unefaute en lien causal avec l'accident n'est en tout cas pas demontree aveccertitude dans son chef ».
Griefs
La demanderesse avait fait valoir dans ses conclusions d'appel
« Que le jugement entrepris n'a pas tenu compte de la presence d'unpanneau A 15 (chaussee glissante) avec un panneau additionnel 'parchaussee humide' ;
Qu'au moment de l'accident, les verbalisants ont releve que la chausseeetait effectivement humide ;
Que, sauf à considerer que les usagers ne doivent pas preter attention àla signalisation routiere, il doit etre considere que R. W. avait eu sonattention particulierement attiree sur la prudence qui etait attendue delui à cet endroit ;
Qu'il a pourtant manifestement decide de ne pas en tenir compte, notammenten circulant à une vitesse superieure à la vitesse maximale autorisee ;
Que c'est donc de fac,on consciente que R. W. a pris des risques, de sorteque la responsabilite doit lui etre delaissee »,
et, dans sa requete d'appel, que « le tribunal de police n'a pas non plustenu compte de la presence d'un panneau A 15 (chaussee glissante) avec unpanneau additionnel 'par chaussee humide' et que W.avait donc eu sonattention particulierement attiree sur la prudence qui etait attendue delui et qu'il a manifestement decide de ne pas en tenir compte ».
La demanderesse soutenait ainsi que le conducteur W.avait commis une fauteen ne tenant aucun compte des panneaux A 15 et « par chaussee humide »pour adapter sa vitesse aux conditions de la circulation.
Le jugement attaque ne donne aucune reponse à cette defensecirconstanciee et, par suite, n'est pas regulierement motive (violation del'article 149 de la Constitution).
Quatrieme moyen
Dispositions legales violees
- articles 1382 et 1383 du Code civil ;
- article 149 de la Constitution.
Decisions et motifs critiques
Le jugement attaque declare non fonde l'appel de la demanderesse, confirmeen toutes ses dispositions le jugement dont appel qui, considerant que leconducteur W. n'avait commis aucune faute, avait condamne in solidum lademanderesse et la premiere defenderesse à payer à la secondedefenderesse la somme de 85.543,42 euros, augmentee des interetscompensatoires puis moratoires, ainsi qu'aux depens de cette defenderesse,avait condamne la demanderesse à garantir la premiere defenderesse àconcurrence de trois quarts des sommes dues à la seconde defenderesse enprincipal, interets et depens, et avait condamne la demanderesse aux troisquarts des depens de la premiere defenderesse en lui delaissant troisquarts de ses propres depens, le jugement attaque condamnant en outresolidairement la demanderesse et la premiere defenderesse aux depensd'appel.
Le jugement attaque fonde ces decisions, specialement quant au partage desresponsabilites qu'il confirme entre la demanderesse et la premieredefenderesse, sur ce
« Que le jugement entrepris sera egalement confirme en ce qu'il a partageles responsabilites à raison des trois quarts à charge de la Regionwallonne et d'un quart à charge de la ville de Malmedy ;
Qu'en effet, la Region wallonne est gardienne de la chaussee etresponsable de la qualite de son revetement, de sorte que sa faute estplus importante que celle de la ville de Malmedy dont le role n'etait, enl'occurrence, que de suppleer les carences de la Region wallonne ».
Griefs
La demanderesse avait fait valoir à titre subsidiaire, dans sesconclusions d'appel, que la responsabilite de l'accident devrait etrepartagee à concurrence de 50 pour cent entre elle et la premieredefenderesse pour autant « que le tribunal considere que les pouvoirspublics ont une responsabilite en l'espece ».
Le jugement attaque confirme cependant un partage des responsabilites àraison de trois quarts à charge de la demanderesse et d'un quart àcharge de la premiere defenderesse et ce, par le motif, reproduit aumoyen, que la faute de celle-là est plus importante que la faute decelle-ci.
Or, dans le cas d'un dommage cause par les fautes de plusieurs personnes,le partage des responsabilites entre ces dernieres doit etre opere, non enfonction de la gravite de leurs fautes respectives, mais en fonction del'incidence causale de ces fautes sur le dommage (articles 1382 et 1383 duCode civil).
Il suit de là que, en operant le partage des responsabilites sur la based'un critere illegal, le jugement attaque n'est pas legalement justifie(violation des articles 1382 et 1383 du Code civil) et qu'à tout lemoins, à defaut d'avoir recherche quelle etait l'incidence causalerespective sur l'accident des fautes qu'il retient dans le chef de lademanderesse et dans celui de la premiere defenderesse, le jugementattaque met la Cour dans l'impossibilite de controler la legalite de sadecision sur le partage des responsabilites et, partant, n'est pasregulierement motive (violation de l'article 149 de la Constitution).
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Le jugement attaque, qui confirme le jugement entrepris en toutes sesdispositions, declare statuer par ses motifs propres et par ceux « noncontraires du premier juge ».
Il ressort du jugement attaque, qui, en plusieurs passages de samotivation, se refere, en les approuvant, aux motifs du jugemententrepris, et du rapprochement de ces deux decisions que les juges d'appelont entendu adopter tous les motifs du premier juge en constatant qu'aucunde ceux-ci n'etait contraire à ceux qu'eux-memes avaient enonces.
Le moyen, qui pretend qu'il est impossible de discerner les motifs surlesquels se fondent les decisions du jugement attaque, manque en fait.
Sur le deuxieme moyen :
Le jugement attaque considere que « le revetement est, logiquement, lememe des deux cotes dans la mesure ou le revetement a du etre pose surtoute la largeur de la chaussee ; [...] que [la demanderesse] n'apporte[...] aucun element de nature à dementir cette consideration ; [...] queles verbalisateurs ont [...] precise que la chaussee etaitparticulierement glissante par temps de pluie et [...] que cetteconstatation se rapporte necessairement au sens suivi par le conducteur[...] ; que [la demanderesse] ne peut des lors etre suivie lorsqu'elleaffirme sans le demontrer que le coefficient d'adherence de la chausseedans le sens de Francorchamps vers Malmedy serait fort different de celuiqui a ete mesure en sens inverse et que, depuis l'accident litigieux, la[demanderesse] a refait l'ensemble du revetement, ce qui permet de penserque la situation etait dangereuse dans les deux sens de la circulation ».
Le jugement attaque repond ainsi, en les contredisant, à la requeted'appel et aux conclusions d'appel de la demanderesse reproduites aumoyen.
Pour le surplus, ne viole pas la foi due à des conclusions le juge quirejette, en les contredisant, les defenses proposees dans ces conclusions.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le troisieme moyen :
Le jugement attaque enonce que « force est de constater que le dossierrepressif ne fait etat de la presence d'aucune signalisation particuliereà l'endroit de l'accident ».
Cette enonciation, rendant sans pertinence les conclusions de lademanderesse reproduites au moyen, dispensait les juges d'appel derepondre à celles-ci.
Le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le quatrieme moyen :
En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, donne seul lieu àreparation le dommage dont l'existence et l'etendue sont etablies et qui,sans les fautes retenues, ne se serait pas produit tel qu'il s'estrealise.
En cas de concours de fautes commises par plusieurs personnes, le jugeapprecie dans quelle mesure la faute de chacune a contribue à causer ledommage ; il determine sur cette base, dans leurs rapports respectifs, lapart du dommage qui leur est imputable.
Le jugement attaque, qui retient une faute à charge de la demanderesse etde la premiere defenderesse, decide de « partage[r] les responsabilitesà raison de trois quarts à charge de la [demanderesse] et d'un quart àcharge de la [premiere defenderesse] » au motif que « la demanderesseest gardienne de la chaussee et responsable de la qualite de sonrevetement, de sorte que sa faute est plus importante que celle de la[premiere defenderesse], dont le role n'est que de suppleer les carencesde la [demanderesse] ».
En partageant les responsabilites entre la demanderesse et la premieredefenderesse en fonction de la gravite de leurs fautes respectives, lejugement attaque viole les articles 1382 et 1383 du Code civil.
Dans cette mesure, le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaque en tant qu'il statue sur le partage desresponsabilites entre la demanderesse et la premiere defenderesse, et surles depens de ces parties ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugementpartiellement casse ;
Condamne la demanderesse aux trois quarts de ses depens et aux depens dela seconde defenderesse ; reserve le surplus pour qu'il soit statue surcelui-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant le tribunal de premiere instanced'Eupen, siegeant en degre d'appel.
Les depens taxes à la somme de cinq cent nonante-huit eurosquatre-vingt-six centimes envers la partie demanderesse et à la somme decent septante et un euros dix-huit centimes envers la seconde partiedefenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president Christian Storck, les conseillers Daniel Plas,Christine Matray, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononce enaudience publique du quatre fevrier deux mille huit par le presidentChristian Storck, en presence du procureur general Jean-Franc,oisLeclercq, avec l'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.
4 FEVRIER 2008 C.06.0236.F/7