Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.07.0268.F
S. L.,
demanderesse en cassation,
admise au bénéfice de l'assistance judiciaire par décision du bureaud'assistance judiciaire du 1^er février 2007 (pro Deo n° G.06.0155.F),
représentée par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Charleroi, rue de l'Athénée, 9, où il estfait élection de domicile,
contre
1. G. J.-P.,
défendeur en cassation,
2. S. F.
3. V. A.-M.,
défenderesses en cassation ou, à tout le moins, parties appelées endéclaration d'arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 20 février 2006par la cour d'appel de Liège.
Le conseiller Albert Fettweis a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
Le demandeur présente deux moyens libellés dans les termes suivants :
Premier moyen
Disposition légale violée
Article 1068 du Code judiciaire.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir relevé que, « dans le cadre d'un litige successoral opposantles parties, (la demanderesse) soutient que le procès-verbal deliquidation de la succession ne lui a jamais été soumis et que lasignature et le paraphe qui sont censés confirmer son intervention ne sontpas les siens », que la procédure en faux civil visée aux articles 895 etsuivants du Code judiciaire a été mise en oeuvre devant le premier jugepar la demanderesse, que deux jugements interlocutoires ont été rendus enla cause les 26 octobre 2001 et 15 novembre 2002 par le tribunal depremière instance, saisi du litige, et qu'à l'audience de la cour d'appel,« le ministère public a soulevé la nullité du jugement entrepris », renduen prosécution de cause le 25 juin 2004 par le même tribunal, « eu égard àl'absence de son office au cours de la procédure de faux civil, procédurequi doit lui être obligatoirement communiquée conformément à l'article 764du Code judiciaire », l'arrêt, statuant sur l'appel de la demanderesse dujugement déjà cité du 25 juin 2004, ayant remplacé l'expert désigné par unjugement antérieur et taxé ses honoraires, met à néant ce jugement par lesmotifs suivants :
« Il est un fait que le ministère public ne fut pas présent dans le cadrede la procédure en faux civil, contrairement au prescrit légal. Lasanction du défaut de communication est la nullité (article 764 du Codejudiciaire). Il s'agit d'une nullité procédurale d'ordre public nonassujettie, comme l'acte juridictionnel, aux articles 860 et 864 du mêmecode. Le jugement dont appel doit être déclaré nul et la cour [d'appel],en raison de l'effet dévolutif de l'appel, doit statuer par voie dedispositions nouvelles ».
Dans son dispositif, l'arrêt met à néant le jugement entrepris et,statuant par voie de dispositions nouvelles comme il l'énonce dans lesmotifs reproduits ci-avant, remplace l'expert initialement désigné et taxeson état.
Et l'arrêt « renvoie la cause au premier juge conformément à l'article1068, alinéa 2, du Code judiciaire ».
Griefs
Aux termes de l'article 1068, alinéa 1^er, du Code judiciaire, qui énoncela règle générale de l'évocation de la cause par la juridiction d'appel, «tout appel d'un jugement définitif ou avant dire droit saisit du fond dulitige le juge d'appel ».
Cette règle ne reçoit exception, comme l'énonce l'article 1068, alinéa 2,du même code, que lorsque le juge d'appel « confirme, même partiellement,une mesure d'instruction ordonnée par le jugement entrepris ». Dans cecas, la cause est renvoyée au premier juge par application du même texte.
Il s'ensuit nécessairement que, dès lors qu'elle met à néant le premierjugement, la cour d'appel est tenue d'évoquer la cause par application dela règle générale (article 1068, alinéa 1^er), l'exception énoncée àl'article 1068, alinéa 2, ne trouvant pas application.
Il en est ainsi même si la décision de la juridiction d'appel, après avoirmis à néant le premier jugement et statuant nécessairement par voie dedispositions nouvelles, est identique à la décision du jugement entrepris.
Il s'ensuit que l'arrêt, qui, constatant la nullité du jugement entrepriset mettant ce jugement à néant, déclare statuer et statue effectivementpar voie de dispositions nouvelles, ne justifie pas légalement sa décisionde renvoyer la cause au premier juge.
Second moyen
Dispositions légales violées
- articles 963, 965, 976, 990, 1138, spécialement 2°, et 1495 du Codejudiciaire;
- principe général du droit dit principe dispositif, suivant lequel,notamment, les parties sont maîtresses de la procédure.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt, après avoir mis à néant le jugement entrepris et énoncé qu'ilstatue par voie de dispositions nouvelles, décharge l'expert désigné parle jugement interlocutoire, non frappé d'appel, rendu le 14 juin 2002 parle tribunal de première instance de Namur, saisi du litige à la suite dela procédure en faux civil intentée par la demanderesse par applicationdes articles 895 et suivants du Code judiciaire, désigne un nouvel expert,avec la mission que la cour d'appel lui assigne, et ordonne à lademanderesse de se conformer, s'agissant de la mise en oeuvre del'expertise, à la directive suivante que l'arrêt énonce :
« Dit que (la demanderesse) devra diligenter la procédure d'expertise dansun délai maximum de deux mois à dater du prononcé du présent arrêt etdevra provisionner l'expert dans le mois de sa demande ».
Griefs
Première branche
S'il se déduit des articles 963 et 976 du Code judiciaire que le juge, quiordonne une expertise, « fixe un délai pour le dépôt du rapport », aucunedisposition légale ne l'autorise à imposer aux parties un délai pour lamise en oeuvre de l'expertise ordonnée.
En tout état de cause, une décision de condamnation ne peut être exécutée,par application de l'article 1495 du Code judiciaire, qu'après sasignification.
Il s'ensuit que l'arrêt, qui fixe délai à la demanderesse pour« diligenter la procédure d'expertise », le délai courant à dater non dela signification de l'arrêt mais de son prononcé, ne justifie paslégalement sa décision (violation des articles 963, 976 et 1495 du Codejudiciaire).
Deuxième branche
Par application du principe dispositif, les parties sont maîtresses dulitige. Il leur incombe seules - l'initiative pouvant être prise par l'uned'elles - d'apprécier l'opportunité de mettre en oeuvre la mesured'expertise ordonnée et le délai dans lequel elles se détermineront à cetégard. Aux termes de l'article 965 du Code judiciaire, l'expertise estmise en oeuvre par la partie la plus diligente.
Il s'ensuit qu'en fixant un délai contraignant à charge de la demanderessepour la mise en oeuvre de l'expertise qu'il ordonne, l'arrêt ne justifiepas légalement sa décision (violation du principe dispositif et desarticles 965 et 1138, 2°, du Code judiciaire).
Troisième branche
L'article 990 du Code judiciaire fixe les règles applicables à laconsignation au greffe, par la partie la plus diligente, de la « provisiondestinée à garantir » les honoraires et le défraiement de l'expert.
Ce texte réserve notamment le droit de cette partie - et même de toutesles parties - de contester la provision demandée par l'expert et dedemander que cette provision soit fixée par voie d'ordonnance, le tribunalayant entendu les parties.
Il s'ensuit qu'en ordonnant à la demanderesse de « provisionner l'expertdans le mois » de la mise en oeuvre de l'expertise, l'arrêt est entachéd'illégalité (violation de l'article 990 du Code judiciaire).
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
En vertu de l'article 1068, alinéa 2, du Code judiciaire, le juge d'appelne renvoie la cause au premier juge que s'il confirme, même partiellement,une mesure d'instruction ordonnée par le jugement entrepris.
Après avoir reçu l'appel, l'arrêt annule le jugement entrepris du 25 juin2004 et, statuant par voie de dispositions nouvelles, décharge la premièredéfenderesse de sa mission d'expertise, désigne pour la remplacer laseconde défenderesse et définit, à l'instar du premier juge dans lejugement non entrepris du 15 novembre 2002, la mission d'expertise tout enprécisant certaines modalités du déroulement de celle-ci.
Ainsi, l'arrêt ne se limite pas à confirmer entièrement ou partiellementune mesure d'instruction ordonnée par le premier juge ; dès lors, enrenvoyant la cause à ce juge, il viole l'article 1068, alinéa 2, du Codejudiciaire.
Le moyen est fondé.
Sur le second moyen :
Quant à la première branche :
En vertu des articles 963 et 976 du Code judiciaire, applicables àl'espèce, le juge, qui ordonne une expertise, a l'obligation de fixer undélai pour le dépôt du rapport. Ni ces dispositions ni aucune autre neprivent le juge de la faculté de fixer également un délai dans lequel lapartie la plus diligente devra mettre l'expertise en mouvement.
Pour le surplus, contrairement à ce que suppose le moyen en cette branche,la décision de l'arrêt qui « dit que [la demanderesse] devra diligenter laprocédure d'expertise dans un délai maximum de deux mois à dater duprononcé du présent arrêt » ne constitue pas une décision prononçant unecondamnation au sens de l'article 1495 du Code judiciaire, qui puissefaire l'objet d'une exécution forcée.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième branche :
L'article 875 du Code judiciaire dispose que lorsqu'une mesured'instruction ordonnée par le juge n'a pas été exécutée dans les délaisfixés, la partie la plus diligente peut, en toutes matières, ramener lacause à l'audience pour y faire statuer comme de droit.
En vertu de cette disposition, le juge qui ordonne une mesured'instruction peut déterminer le délai dans lequel la mesure devra êtremise en œuvre par la partie qui l'a requise ou qui a intérêt à sonexécution, à défaut de quoi la partie la plus diligente pourra aussitôtramener la cause à l'audience pour y faire statuer comme de droit.
Ni le principe dispositif ni les dispositions légales visées au moyenn'interdisent au juge qui ordonne une expertise de fixer un délai danslequel la partie qui l'a requise ou qui a intérêt à son exécution doit lamettre en mouvement.
Le moyen qui, en cette branche, soutient le contraire, manque en droit.
Quant à la troisième branche :
L'arrêt qui décide que la demanderesse « devra provisionner l'expert dansle mois de sa demande » ne prive pas les parties du droit de contester laprovision demandée par l'expert et de demander au juge qui a ordonnél'expertise de fixer le montant de la provision après les avoir entendues.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il renvoie la cause au premier juge ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêtpartiellement cassé ;
Condamne la demanderesse à la moitié des dépens et réserve le surplus deceux-ci pour qu'il y soit statué par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.
Les dépens taxés à la somme de six cent septante-trois euros dix-neufcentimes en débet envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président Christian Storck, les conseillers Albert Fettweis,Christine Matray, Sylviane Velu et Martine Regout, et prononcé en audiencepublique du vingt-cinq janvier deux mille huit par le président ChristianStorck, en présence de l'avocat général Damien Vandermeersch, avecl'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
25 JANVIER 2008 C.07.0268.F/1