La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/12/2007 | BELGIQUE | N°C.06.0421.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 03 décembre 2007, C.06.0421.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.06.0421.F

SOCIETE DES TRANSPORTS INTERCOMMUNAUX DE BRUXELLES, association de droitpublic dont le siège est établi à Ixelles, avenue de la Toison d'Or, 15,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont lecabinet est établi à Bruxelles, rue de Loxum, 25, où il est fait électionde domicile,

contre

 1. C. P.,

défendeur en cassation,

représenté par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établ

i à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est faitélection de domicile,

 2. UNION NATIONALE DES MUTUALITES SOCIALISTES, do...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.06.0421.F

SOCIETE DES TRANSPORTS INTERCOMMUNAUX DE BRUXELLES, association de droitpublic dont le siège est établi à Ixelles, avenue de la Toison d'Or, 15,

demanderesse en cassation,

représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont lecabinet est établi à Bruxelles, rue de Loxum, 25, où il est fait électionde domicile,

contre

 1. C. P.,

défendeur en cassation,

représenté par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est faitélection de domicile,

 2. UNION NATIONALE DES MUTUALITES SOCIALISTES, dont les bureaux sontétablis à Bruxelles, rue Saint-Jean, 32-38,

défenderesse en cassation.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 26 janvier2006 par le tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en degréd'appel.

Par ordonnance du 5 novembre 2007, le premier président a renvoyé la causedevant la troisième chambre.

Le conseiller Christine Matray a fait rapport.

L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 33, alinéa 2, 36, 40, alinéa 1^er, 109, 144, 145, 149 et 190 dela Constitution ;

- principe général du droit relatif à la séparation des pouvoirs ;

- article 6 du Code judiciaire ;

- article 2 du Code civil et principe général du droit relatif à lanon-rétroactivité des lois ;

- articles 1^er, 2, § 1^er, et 29bis de la loi du 21 novembre 1989relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière devéhicules automoteurs (l'article 29bis tel qu'il a été inséré parl'article 45 de la loi du 30 mars 1994) ;

- article 28 de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage du 6 janvier1989 ;

- article 2, b), de la loi du 19 janvier 2001 modifiant diversesdispositions relatives au régime de l'indemnisation automatique desusagers de la route les plus vulnérables et des passagers de véhicules ;

- article 4 de la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues enmatière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée envigueur des textes légaux et réglementaires.

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué, statuant contradictoirement et en degré d'appel,confirme le jugement entrepris sous la seule émendation du montant allouéà titre de provision au premier défendeur, lequel est porté à 10.000euros, à augmenter des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 10février 1995, sur un dommage évalué sous réserve à 37.500 euros.

Le jugement entrepris condamnait la demanderesse à payer également à laseconde défenderesse la somme provisionnelle de 22.760,67 euros etdésignait un expert.

Le jugement attaqué repose sur la motivation suivante :

« III. Discussion

1. Autorité de l'arrêt de la Cour d'arbitrage

L'article 28 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitragedispose que `la juridiction qui a posé la question préjudicielle ainsi quetoute autre juridiction appelée à statuer dans la même affaire sonttenues, pour la solution du litige à l'occasion duquel ont été posées lesquestions visées à l'article 26, de se conformer à l'arrêt rendu par laCour d'arbitrage'.

Il s'ensuit que le tribunal de céans est lié par l'arrêt n° 92/98 rendupar la Cour d'arbitrage le 15 juillet 1998 dans le cadre de la présenteaffaire.

2. Portée de l'arrêt n° 92/98

Dans sa version en vigueur au moment de l'accident, l'article 29bislitigieux excluait expressément du régime d'indemnisation qu'il instauraittout accident mettant en cause un véhicule sur rails.

Or, la Cour d'arbitrage a précisément sanctionné cette exclusion dans sonarrêt n° 92/98 rendu le 15 juillet 1998, y disant pour droit que`l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assuranceobligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs violeles articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il exclut du régimed'indemnisation qu'il prévoit les véhicules qui sont liés à une voieferrée'.

Si l'autorité de cet arrêt s'impose au tribunal de céans, encoreconvient-il d'analyser le contenu et la portée exacts de cette décision,la [demanderesse] soutenant, d'une part, que le tribunal ne peut appliquerl'article 29bis dans son ensemble du fait de son inconstitutionnalité et[le défendeur] soutenant, d'autre part, que le tribunal doit lui accorderl'indemnisation qu'il postule sur la base de ce même article 29bis, seulel'exclusion des véhicules sur rails du champ d'application de cet articleayant en réalité été déclarée inconstitutionnelle.

Le tribunal constate que l'insertion de la locution `en ce que' par laCour d'arbitrage dans son dispositif limite le constat d'invaliditéqu'elle pose à la partie de la norme soumise à son contrôle (voyez à cetégard V. Thiry, `La Cour d'arbitrage, compétence et procédure', Kluwer,n^os 213 et suiv. ; B. Lombaert, `Les techniques d'arrêt de la Courd'arbitrage', Revue belge de droit constitutionnel, 1996, pp. 320 etsuiv.).

Le constat d'invalidité est ainsi circonscrit à la partie précise del'article 29bis litigieux, qui crée une inégalité entre personnes victimesd'un accident de la circulation mettant en cause ou non un véhicule lié àla voie ferrée (B. Lombaert, op. cit., pp. 320-321), l'usage de locutionstelles que `en ce que, dans la mesure où' ayant pour objectif de limiterau maximum la portée de l'invalidation, en l'espèce par une délimitationprécise de la partie de la disposition anticonstitutionnelle.

En l'espèce, la question se pose de savoir si :

- le tribunal peut appliquer l'article 29bis, mutilé de son exemption desvéhicules sur rails et, partant, créer de facto un droit qui ferait défaut(dès lors qu'il ne se trouve aucune autre disposition belge applicable,similaire à l'article querellé), ce qui reviendrait, en fin de compte, àse substituer au législateur, ou

- s'il doit au contraire refuser d'appliquer purement et simplementl'article 29bis dans sa totalité, ce qui reviendrait dans les faits àmaintenir l'inégalité entre personnes victimes d'un accident de lacirculation, lié ou non à un véhicule sur rails, inégalité précisémentdénoncée et invalidée par la Cour d'arbitrage.

3. Position du tribunal

Le tribunal constate que l'article 28 de la loi du 6 janvier 1989 (émanantdu législateur lui-même) impose au juge de faire oeuvre de créativitélégislative lorsqu'une partie d'une disposition querellée est invalidéepar la Cour d'arbitrage, à la seule fin de pallier la discriminationdénoncée et dans la mesure nécessaire à cette finalité.

Il apparaît au demeurant que le pouvoir précis conféré par la loi dont ilest question ici n'est pas d'une nature essentiellement différente de lafonction interprétative qu'une doctrine traditionnelle et unanimereconnaît aux cours et tribunaux ; ainsi, le professeur de Leval (cité par[le défendeur] dans ses conclusions) relève que `la jurisprudence est lasomme de travail des magistrats appelés à statuer, dans le respect dudroit, au cas par cas. Seul le législateur peut édicter des règlesgénérales et abstraites ayant force contraignante pour l'avenir. Il n'endemeure pas moins que très souvent, le juge devra préciser la portée de larègle ou combler une lacune de celle-ci de telle sorte que l'exacte portéede la loi, éclairée par des travaux préparatoires et les commentairesdoctrinaux, procède de l'oeuvre collective des juges interprètes obligés,voire créateurs de la règle de droit dans les limites tracées(volontairement (...) ou involontairement) par le législateur.

En un mot le juge « parachève » l'oeuvre du législateur (en ce sens, il ya participation à la fonction législative) mais l'expression qu'il endonne ne constitue pas une règle de droit ; elle ne s'impose que dans lecadre du procès de telle sorte que la jurisprudence n'est pas, àproprement parler, une source formelle du droit' (G. de Leval,Institutions judiciaires, Liège, 1992, pp. 72 et 73, n° 43).

En l'espèce, le tribunal, en application de l'article 28 de la loi du 6janvier 1989, constate que la Cour d'arbitrage n'a invalidé qu'un aspectparticulier de l'article 29bis et estime qu'il y a lieu de faireapplication de l'article 29bis litigieux sans donner suite à ceux de sestermes générant l'inégalité sanctionnée par la Cour d'arbitrage (en cesens, mutatis mutandis, B. Lombaert, op. cit., p. 322), anticipant de lasorte, raisonnablement, la réaction qu'aura le législateur face à cetarrêt de la Cour d'arbitrage (et ce d'autant que la motivation de celui-ciinsistant sur l'historique ayant présidé à la différence des régimesjuridiques afférents aux véhicules sur rails et aux autres véhiculessouligne que cette différence, historiquement justifiée, n'avait désormaisplus lieu d'être, de manière globale et sans faire de distinctions ni denuances).

Le défaut de base légale ne peut être invoqué en l'espèce, l'article 29bisétant considéré comme valide pour le surplus de la discriminationdénoncée.

Il s'ensuit que [le défendeur] est fondé à invoquer, dans lescirconstances de l'espèce, l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989.

Le jugement entrepris sera dès lors confirmé, sous la seule émendation del'augmentation de la provision à accorder [au défendeur], le montantdemandé n'étant pas l'enjeu d'une contestation en tant que tel ».

Griefs

Première branche

L'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assuranceobligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs, telqu'il a été inséré par l'article 45 de la loi du 30 mars 1994, [dispose] :

« § 1^er. A l'exception des dégâts matériels, tous les dommages résultantde lésions corporelles ou du décès, causés à toute victime d'un accidentde la circulation ou à ses ayants droit, dans lequel est impliqué unvéhicule automoteur, sont indemnisés par l'assureur qui couvre laresponsabilité du propriétaire ou du détenteur de ce véhicule automoteurconformément à la présente loi ou, à défaut d'assurance, par le Fondscommun de garantie visé à l'article 50 de la loi du 9 juillet 1975relative au contrôle des entreprises d'assurance.

Les organismes assureurs, au sens de l'article 2 de la loi du 9 août 1963instituant et organisant un régime d'assurance obligatoire soins de santéet indemnités, qui ont indemnisé les victimes visées à l'alinéa précédent,sont subrogés dans les droits de celles-ci.

La victime âgée de plus de 14 ans qui a commis une faute inexcusable nepeut se prévaloir des dispositions visées à l'alinéa 1^er.

§ 2. Le conducteur et les passagers d'un véhicule automoteur et leursayants droit ne peuvent se prévaloir du présent article.

§ 3. Il faut entendre par véhicule automoteur tout véhicule visé àl'article 1^er de la présente loi, à l'exclusion du véhicule mis encirculation et qui ne permet pas de circuler à une vitesse supérieure àl'allure du pas.

§ 4. L'assureur ou le Fonds commun de garantie automobile ne peuventexercer leur droit de subrogation contre le responsable du dommage ou sesayants droit pour les indemnités qu'ils leur ont payées en vertu duprésent article. Ces indemnités ne peuvent faire l'objet de compensationou de saisie en vue du paiement des autres indemnités dues à raison del'accident de la circulation.

§ 5. Les règles de la responsabilité civile restent d'application pourtout ce qui n'est pas régi expressément par le présent article ».

L'article 1^er de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assuranceobligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs[dispose] que :

« Pour l'application de la présente loi on entend :

Par véhicules automoteurs : les véhicules destinés à circuler sur le solet qui peuvent être actionnés par une force mécanique sans être liés à unevoie ferrée; tout ce qui est attelé au véhicule est considéré comme enfaisant partie. Sont assimilées aux véhicules automoteurs, les remorquesconstruites spécialement pour être attelées à un véhicule automoteur envue du transport de personnes ou de choses et qui sont déterminées par leRoi ».

L'article 2, § 1^er, de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assuranceobligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs[dispose] que :

« Les véhicules automoteurs ne sont admis à la circulation sur la voiepublique, les terrains ouverts au public et les terrains non publics maisouverts à un certain nombre de personnes ayant le droit de les fréquenterque si la responsabilité civile à laquelle ils peuvent donner lieu estcouverte par un contrat d'assurance répondant aux dispositions de laprésente loi et dont les effets ne sont pas suspendus.

L'obligation de contracter l'assurance incombe au propriétaire duvéhicule. Si une autre personne a contracté l'assurance, l'obligation dupropriétaire est suspendue pour la durée du contrat conclu par cette autrepersonne.

L'assurance doit être contractée auprès d'un assureur agréé à cette fin oudispensé de l'agrément en application de la loi du 9 juillet 1975 relativeau contrôle des entreprises d'assurances ».

En vertu du paragraphe 1^er de l'article 29bis de la loi du 21 novembre1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière devéhicules automoteurs, tel qu'il a été inséré par l'article 45 de la loidu 30 mars 1994, l'indemnisation de la victime est subordonnée à au moinstrois conditions :

- il doit s'agir d'un accident de la circulation ;

- dans lequel est impliqué un véhicule automoteur ;

- l'indemnisation est à charge de l'assureur qui couvre la responsabilitédu propriétaire ou du détenteur du véhicule automoteur conformément à laloi du 21 novembre 1989 ou, à défaut d'assurance, à charge du Fonds communde garantie visé à l'article 50 de la loi du 9 juillet 1975 relative aucontrôle des entreprises d'assurance.

Au regard de l'article 1^er de la loi du 21 novembre 1989 relative àl'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhiculesautomoteurs, seuls les véhicules automoteurs non liés à une voie ferréepeuvent être impliqués dans un accident de la circulation donnant lieu àl'application de l'article 29bis précité.

Il résulte de l'arrêt n° 92/98 rendu par la Cour d'arbitrage que ladifférence de traitement parmi les victimes d'accidents de la circulationsuivant que le véhicule automoteur impliqué dans l'accident est lié à unevoie ferrée ou ne l'est pas, les victimes ne pouvant bénéficier dumécanisme d'indemnisation des dommages corporels prévu par l'article 29bisque dans la seconde hypothèse, est contraire aux articles 10 et 11 de laConstitution.

La demanderesse conteste les conséquences que le jugement attaqué attacheà cet arrêt de la Cour d'arbitrage.

La discrimination relevée par la Cour d'arbitrage ne pourrait êtresupprimée qu'en acceptant que les véhicules automoteurs liés à une voieferrée peuvent être impliqués dans un accident de la circulation donnantlieu à l'application de l'article 29bis précité.

Cela ne suffit cependant pas à permettre aux victimes de bénéficier dumécanisme d'indemnisation des dommages corporels prévu par l'article 29bisprécité.

En vertu de l'article 29bis précité, l'obligation d'indemnisation incombeà l'assureur qui couvre la responsabilité du propriétaire ou du détenteurdu véhicule automoteur conformément à la loi du 21 novembre 1989 ou, àdéfaut d'assurance, au Fonds commun de garantie visé à l'article 50 de laloi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurance.

Etant donné l'exclusion des véhicules automoteurs liés à une voie ferréedu champ d'application de la loi (voyez l'article 1^er de la loi), la loidu 21 novembre 1989 n'impose pas aux propriétaires ou aux détenteurs deces véhicules de s'assurer en responsabilité civile.

Il en résulte que l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989, tel qu'ila été inséré par l'article 45 de la loi du 30 mars 1994, ne permet dedésigner la personne tenue d'indemniser le dommage que lorsqu'il s'agitd'un accident impliquant un véhicule automoteur non lié à une voie ferrée.

L'arrêt n° 92/98 de la Cour d'arbitrage a donc permis de conclure à lanature discriminatoire de l'exclusion des véhicules liés à une voie ferréedu champ d'application de l'article 29bis précité mais ne permet pas, entant que tel, de désigner qui est tenu d'indemniser le dommage consécutifà un accident dans lequel est impliqué un véhicule lié à une voie ferrée.

Cette désignation ne peut se faire que par une loi. Il n'appartient pas aujuge de combler la lacune législative résultant de l'arrêt n° 92/98 de laCour d'arbitrage.

Suite à l'arrêt n° 92/98 de la Cour d'arbitrage, le juge pouvait constaterla discrimination et juger qu'un véhicule lié à une voie ferrée pouvaitêtre impliqué dans un accident impliquant un véhicule automoteur au sensde l'article 29bis précité mais ne pouvait pas décider que la demanderesseétait tenue d'indemniser la victime de l'accident en question.

Par conséquent, le jugement attaqué viole l'article 29bis de la loi du21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilitéen matière de véhicules automoteurs, tel qu'il a été inséré par l'article45 de la loi du 30 mars 1994, dans la mesure où il décide que le défaut debase légale ne peut être invoqué en l'espèce, l'article 29bis étantconsidéré comme valide pour le surplus de la discrimination dénoncée, etqu'il s'ensuit que le premier défendeur est fondé à invoquer, dans lescirconstances de l'espèce, l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989alors que la discrimination en cause a mis au jour une lacune législativequ'il n'appartient pas au juge de combler.

Dans la mesure où le jugement attaqué se base, de manière implicite, surles articles 1^er et 2, § 1^er, de la loi du 21 novembre 1989 pour obligerla demanderesse à indemniser la victime de l'accident, il viole cesarticles puisque ceux-ci ne permettent pas d'imposer une telle obligationà la demanderesse.

Le principe général du droit relatif à la séparation des pouvoirs impliquenotamment que le pouvoir judiciaire ne puisse pas se substituer au pouvoirlégislatif en exerçant des compétences réservées à ce dernier.

L'article 33, alinéa 2, de la Constitution dispose que les pouvoirs sontexercés de la manière établie par la Constitution.

Conformément à l'article 36 de la Constitution, le pouvoir législatiffédéral s'exerce collectivement par le Roi, la Chambre des représentantset le Sénat.

Conformément à l'article 40, alinéa 1^er, de la Constitution, le pouvoirjudiciaire est exercé par les cours et tribunaux.

Conformément aux articles 144 et 145 de la Constitution, les contestationsqui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort destribunaux et les contestations qui ont pour objet des droits politiquessont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi.

En vertu de l'article 6 du Code judiciaire, les juges ne peuvent prononcerpar voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leursont soumises.

L'article 28 de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage du 6 janvier 1989[dispose] que la juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsique toute autre juridiction appelée à statuer dans la même affaire, sonttenues, pour la solution du litige à l'occasion duquel ont été posées lesquestions visées à l'article 26 de cette même loi, de se conformer àl'arrêt rendu par la Cour d'arbitrage.

Comme il a été décrit plus haut, l'article 29bis de la loi du 21 novembre1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière devéhicules automoteurs, tel qu'il a été inséré par l'article 45 de la loidu 30 mars 1994, ne permet pas d'imposer à la demanderesse d'indemniser lavictime de l'accident puisqu'il ne prévoit pas à qui il incombe de réparerle dommage causé à un usager faible dans un accident de circulationimpliquant un véhicule lié à une voie ferrée.

En jugeant que le défaut de base légale ne peut être invoqué en l'espèce,l'article 29bis étant considéré comme valide pour le surplus de ladiscrimination dénoncée et qu'il s'ensuit que le premier défendeur estfondé à invoquer, dans les circonstances de l'espèce, l'article 29bis dela loi du21 novembre 1989, le jugement attaqué complète l'article 29bis précitéd'une manière qui excède les compétences du pouvoir judiciaire et quientre dans les compétences du pouvoir législatif.

L'article 28 de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage ne permet pas nonplus au juge de se substituer au législateur dans le cas d'espèce.

Partant, le jugement attaqué viole les articles 33, alinéa 2, 36, 40,alinéa 1^er, 144 et 145 de la Constitution, le principe général du droitrelatif à la séparation des pouvoirs, l'article 6 du Code judiciaire etl'article 28 de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage du 6 janvier 1989.

Deuxième branche

L'inconstitutionnalité constatée par la Cour d'arbitrage dans son arrêt n°92/98 mène à inclure les véhicules automoteurs liés à une voie ferrée dansle champ d'application de l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière devéhicules automoteurs, tel qu'il a été inséré par l'article 45 de la loidu 30 mars 1994, mais ni l'article 29bis ni l'arrêt de la Cour d'arbitragene permettent de prévoir à qui il incombe de réparer le dommage causé à unusager faible dans un accident de circulation impliquant un véhicule lié àune voie ferrée.

L'article 2, b), de la loi du 19 janvier 2001 modifiant diversesdispositions relatives au régime de l'indemnisation automatique desusagers de la route les plus vulnérables et des passagers de véhiculesinsère l'alinéa suivant à l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière devéhicules automoteurs, inséré par la loi du 30 mars 1994 et remplacé parla loi du 13 avril 1995, dans le paragraphe 1^er, entre les alinéas 1^eret 2 :

« En cas d'accident de la circulation impliquant un véhicule automoteurlié à une voie ferrée, l'obligation de réparer les dommages prévue àl'alinéa précédent incombe au propriétaire de ce véhicule ».

Il n'est pas contesté que cette disposition n'était pas en vigueur aumoment de l'accident à la base du présent litige.

Par cette disposition, le législateur indique qui est tenu d'indemniser ledommage pour les accidents de la circulation impliquant un véhicule lié àune voie ferrée, dans les cas prévus à l'alinéa 1^er de l'article 29bisprécité.

La loi du 19 janvier 2001 ne comprend pas de disposition transitoire.Conformément aux articles 109 et 190 de la Constitution et 4 de la loi du31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à laprésentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légauxet réglementaires, elle est entrée en vigueur le dixième jour (le 3 mars2001) suivant sa publication au Moniteur belge (le 21 février 2001).

Conformément à l'article 2 du Code civil, la loi ne dispose que pourl'avenir et elle n'a pas d'effet rétroactif.

Il existe un principe général du droit relatif à la non-rétroactivité deslois.

Dans le jugement attaqué, le tribunal [considère] que : « il y a lieu defaire application de l'article 29bis litigieux, sans donner suite à ceuxde ses termes générant l'inégalité sanctionnée par la Cour d'arbitrage (ence sens, mutatis mutandis, B. Lombaert, op. cit., p. 322), anticipant dela sorte, raisonnablement, la réaction qu'aura le législateur face à cetarrêt de la Cour d'arbitrage (et ce, d'autant que la motivation decelui-ci, insistant sur l'historique ayant présidé à la différence desrégimes juridiques afférents aux véhicules sur rails et aux autresvéhicules souligne que cette différence, historiquement justifiée, n'avaitdésormais plus lieu d'être, de manière globale et sans faire dedistinctions ni nuances).

Le défaut de base légale ne peut être invoqué en l'espèce, l'article 29bisétant considéré comme valide pour le surplus de la discriminationdénoncée.

Il s'ensuit que [le défendeur] est fondé à invoquer, dans lescirconstances de l'espèce, l'article 29bis de la loi du 21 novembre1989 ».

Dans la mesure où le jugement doit être interprété comme appliquant, demanière rétroactive, l'article 2, b), de la loi du 19 janvier 2001modifiant diverses dispositions relatives au régime de l'indemnisationautomatique des usagers de la route les plus vulnérables et des passagersde véhicules, il viole l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 de laloi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de laresponsabilité en matière de véhicules automoteurs, tel qu'il a été insérépar l'article 45 de la loi du 30 mars 1994, l'article 2, b), de la loi du19 janvier 2001 modifiant diverses dispositions relatives au régime del'indemnisation automatique des usagers de la route les plus vulnérableset des passagers de véhicules, les articles 109 et 190 de la Constitution,l'article 4 de la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues enmatière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée envigueur des textes légaux et réglementaires, l'article 2 du Code civil etle principe général du droit relatif à la non-rétroactivité des lois.

Troisième branche

Dans l'hypothèse où le tribunal déciderait qu'il est possible d'appliquerl'article 29bis - ce qu'il a fait -, la demanderesse a développé un moyencirconstancié invoquant que l'accident s'était produit en site propre etnon sur la voie publique et que la victime n'avait donc pas un droit àl'indemnisation sur la base de l'article 29bis.

L'article 149 de la Constitution [dispose] que tout jugement doit êtremotivé.

Le jugement attaqué viole l'article 149 de la Constitution en ne répondantpas au moyen circonstancié développé par la demanderesse invoquant quel'accident s'était produit en site propre et non sur la voie publique etque la victime n'avait donc pas un droit à l'indemnisation sur la base del'article 29bis.

Le jugement ne répond en aucune façon, pas même implicitement, à ce moyendistinct et n'est donc pas régulièrement motivé.

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

En vertu de l'article 29bis, § 1^er, alinéa 1^er, de la loi du 21 novembre1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière devéhicules automoteurs, dans sa rédaction, applicable aux faits, antérieureà sa modification par l'article 1^er de la loi du 13 avril 1995, àl'exception des dégâts matériels, tous les dommages résultant de lésionscorporelles ou du décès, causés à toute victime d'un accident de lacirculation ou à ses ayants droit, dans lequel est impliqué un véhiculeautomoteur, sont indemnisés par l'assureur qui couvre la responsabilité dupropriétaire ou du détenteur de ce véhicule automoteur conformément àcette loi.

Dans sa rédaction modifiée par l'article 1^er de la loi du 13 avril 1995,qu'applique le jugement attaqué, l'article 29bis, § 1^er, alinéa 1^er,étend l'obligation d'indemnisation qu'il prévoit à l'assureur duconducteur du véhicule automoteur impliqué dans l'accident.

Conformément au paragraphe 3 de cet article, qui renvoie à l'article 1^erde la loi du 21 novembre 1989, les règles qu'il édicte ne s'appliquent pasen cas d'accident de la circulation impliquant un véhicule automoteur liéà une voie ferrée.

Répondant à une question préjudicielle que lui a posée le jugement renduen la cause le 8 décembre 1997 par le premier juge, la Courconstitutionnelle a, par l'arrêt n° 92/98 du 15 juillet 1998, dit pourdroit que l'article 29bis de la loi du 21 novembre 1989 viole les articles10 et 11 de la Constitution en ce qu'il exclut du régime d'indemnisationqu'il prévoit les véhicules automoteurs qui sont liés à une voie ferrée.

Le jugement attaqué, tenu, en vertu de l'article 28 de la loi spéciale du6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, de se conformer à cet arrêt,décide que le défendeur est fondé à invoquer l'article 29bis de la loi du21 novembre 1989 à l'appui de sa demande contre la demanderesse.

En étendant l'application de cette disposition légale à la demanderesse,qui est la propriétaire du véhicule automoteur impliqué dans l'accident,sans constater qu'elle serait, en vertu l'article 10 de la loi du 21novembre 1989, tenue à l'égard de la personne lésée dans les mêmesconditions que l'assureur, le jugement attaqué ne justifie pas légalementsa décision.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaqué ;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugementcassé ;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant le tribunal de première instance de Nivelles,siégeant en degré d'appel.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président Christian Storck, les conseillers Daniel Plas,Christine Matray, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononcé enaudience publique du trois décembre deux mille sept par le présidentChristian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avecl'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.

3 DECEMBRE 2007 C.06.0421.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.06.0421.F
Date de la décision : 03/12/2007

Analyses

ASSURANCES - ASSURANCE AUTOMOBILE OBLIGATOIRE


Origine de la décision
Date de l'import : 31/08/2018
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2007-12-03;c.06.0421.f ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award