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08/10/2007 | BELGIQUE | N°C.06.0550.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 octobre 2007, C.06.0550.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.06.0550.F

 1. D. D. et

 2. A. T. R.,

demandeurs en cassation,

représentés par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est faitélection de domicile,

contre

P. P.,

défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 29 mai 2006par le tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en degréd'appel.

Par ordon

nance du 5 juillet 2007, le président a renvoyé la cause devantla troisième chambre.

Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.

L'avocat...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.06.0550.F

 1. D. D. et

 2. A. T. R.,

demandeurs en cassation,

représentés par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est faitélection de domicile,

contre

P. P.,

défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 29 mai 2006par le tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en degréd'appel.

Par ordonnance du 5 juillet 2007, le président a renvoyé la cause devantla troisième chambre.

Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.

L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation

Les demandeurs présentent trois moyens libellés dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution ;

- article 637 du Code civil.

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué considère que le chemin qui passe sur la propriété desdemandeurs est constitutif d'une servitude de passage au profit de lapropriété du défendeur.

Il justifie cette décision par tous ses motifs réputés ici intégralementreproduits, en particulier par les motifs suivants :

« Ces conditions spéciales s'imposant aux [demandeurs] stipulent ce quisuit :

`B. Le chemin existant sur le lot 3 part 3 du plan du sol (NDA : il s'agitde l'immeuble 170 des [demandeurs]) et du lot 4 part 4 en faveur des lots1 part 1, lot 2 part 2 (NDA : immeuble 172 [du défendeur]) et le lot 4part 4 du plan du sol devra conserver une largeur de 2,20 m, à la M.tjusqu'à passé la maison se trouvant sur le lot 3 part 3 du plan du sol'.

`A. Il existe un chemin commun avec la propriété attenante droit ayant2,20 m jusque passé la maison se trouvant sur cette propriété du côté dela L.. Le même chemin existe également derrière ladite maison pour lapropriété de gauche portant du puits (NDA : immeuble 172 [du défendeur]) àla largeur existante entre celle-ci et la façade arrière comme indiqué surle plan'.

Le simple examen de ces conditions spéciales et du plan du géomètre-expertde 1948 démontre à l'évidence l'existence du chemin longeant l'immeubledes [demandeurs], lequel se poursuit le long de leur façade arrière pourdonner accès à l'immeuble (n° 172) [du défendeur] qui bénéficie donc d'uneservitude de passage ».

Griefs

L'article 637 du Code civil dispose :

« Une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage etl'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire ».

L'article 637 du Code civil subordonne l'existence d'une servitude à laréunion de trois conditions :

1. L'existence de deux fonds (ou deux héritages) ;

2. Deux propriétaires différents ;

3. L'affectation d'un fonds au service de l'autre.

En l'espèce, les deux premières conditions d'existence d'une servitude, àsavoir l'existence de deux fonds et de deux propriétaires différents, sontvérifiées.

Selon le jugement attaqué, l'examen des conditions spéciales de l'acte devente des demandeurs et du plan du géomètre-expert de 1948 « démontre àl'évidence l'existence du chemin longeant l'immeuble des [demandeurs],lequel se poursuit le long de leur façade arrière pour donner accès àl'immeuble (n° 172) [du défendeur] ». Le jugement en conclut quel'immeuble du défendeur « bénéficie donc d'une servitude de passage ».

De la considération qu'il existe un chemin longeant l'immeuble desdemandeurs qui donne accès à l'immeuble du défendeur, le jugement n'a pulégalement conclure que ce chemin constituait une servitude dès lors quel'existence d'un tel chemin ne signifie pas nécessairement que le fondsdes demandeurs aurait été affecté au fonds du défendeur. De la sorte, lejugement attaqué viole la notion légale de servitude et, par conséquent,l'article 637 du Code civil.

En tout état de cause, le jugement attaqué ne contient pas lesconstatations nécessaires pour permettre à la Cour de vérifier que lacondition d'affectation d'un fonds au service de l'autre est remplie enl'espèce. Il viole par conséquent l'article 149 de la Constitution.

Deuxième moyen

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution ;

- articles 688, 706, 707 et 2248 du Code civil.

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué considère que la servitude litigieuse n'est pasprescrite dès lors que le chemin de passage est toujours utilisé, que sonaccès n'est empêché que depuis le début du litige et que les demandeursont reconnu l'existence de la servitude lors de l'acte d'achat du 23 avril1996.

Il justifie cette décision par tous ses motifs réputés ici intégralementreproduits, en particulier par les motifs suivants :

« Les [demandeurs] soutiennent qu'en tout état de cause, la servitudeétablie au bénéfice de l'immeuble [du défendeur] serait éteinte.

Toutefois, il résulte notamment du rapport d'expertise que le chemin depassage est toujours utilisé (les parties l'ayant emprunté lors del'expertise) et que ce n'est manifestement que depuis la naissance dulitige opposant les parties quant aux travaux réalisés par les[demandeurs] que ceux-ci ont empêché l'accès du chemin de passage [audéfendeur].

En outre, dans le cadre de leur acte d'achat du 23 avril 1996, les[demandeurs] ont reconnu l'existence de cette servitude ».

Griefs

L'article 688 du Code civil dispose :

« Les servitudes sont ou continues, ou discontinues.

Les servitudes continues sont celles dont l'usage est ou peut être continusans avoir besoin du fait actuel de l'homme ; tels sont les conduitesd'eau, les égouts, les vues et autres de cette espèce.

Les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel del'homme pour être exercées ; tels sont les droits de passage, puisage,pacage et autres semblables ».

L'article 706 du Code civil dispose :

« La servitude est éteinte par le non-usage pendant trente ans ».

L'article 707 du Code civil dispose :

« Les trente ans commencent à courir, selon les diverses espèces deservitudes, ou du jour où l'on a cessé d'en jouir, lorsqu'il s'agit deservitudes discontinues, ou du jour où il a été fait un acte contraire àla servitude, lorsqu'il s'agit de servitudes continues ».

L'article 2248 du Code civil dispose :

« La prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur oule possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait ».

La servitude dont [le jugement] attaqué retient l'existence est uneservitude de passage, donc une servitude discontinue.

Il résulte de l'article 707 du Code civil que la prescription de trenteans de la servitude litigieuse a commencé à courir « du jour où l'on acessé d'en jouir ».

Le jugement attaqué rejette l'argument de la prescription soulevé par lesdemandeurs aux motifs que le chemin de passage serait toujours utilisé,les parties l'ayant emprunté lors de l'expertise, que ce n'est que depuisle début du litige que les demandeurs en ont empêché l'accès et que, entout état de cause, les demandeurs ont reconnu l'existence de cetteservitude.

De la sorte, le jugement attaqué expose différentes causes d'interruptionde la prescription (l'usage, la reconnaissance du droit) mais il nedétermine pas quand la prescription aurait commencé à courir et neconstate donc pas qu'elle aurait commencé à courir depuis moins de trenteans à la date de ces causes d'interruption. En effet, ni l'usage ni lareconnaissance du droit ne peuvent faire revivre une servitude du fait del'homme dont la prescription aurait été acquise.

Sur la base des considérations de fait et de droit qu'il retient, lejugement attaqué n'a pu légalement considérer que la prescription n'étaitpas acquise. De la sorte, il viole les articles 688, 706, 707 et 2248 duCode civil.

En outre, en ce qu'il ne précise pas que la servitude aurait été utiliséependant la période de trente ans qui a précédé la reconnaissance de detteconstituée par l'acte d'achat du 23 avril 1996, le jugement attaqué necontient pas les constatations permettant à la Cour de vérifier salégalité et viole, par conséquent, l'article 149 de la Constitution.

Troisième moyen

Disposition légale violée

Article 694 du Code civil.

Décisions et motifs critiqués

Le jugement attaqué considère qu'il n'y a pas lieu d'appliquer l'article694 du Code civil.

Il justifie cette décision par tous ses motifs réputés ici intégralementreproduits, en particulier par les motifs suivants :

« Compte tenu des éléments relevés ci-dessus, il n'y a pas lieu àapplication de l'article 694 du Code civil qui vise le cas où, lors de laréunion de deux fonds dans la même main, l'un se trouvait déjà grevé d'uneservitude au profit de l'autre (J. Hansenne, Les servitudes en droit privé- synthèses de jurisprudence, p.19, n°16).

L'article 694 suppose précisément le maintien par le propriétaire communde l'état de fait antérieurement érigé en droit de servitude. Or, enl'espèce, il n'y a jamais eu de servitude de passage au profit du fondsnuméro 172 à charge du fonds numéro 168, ni même aucune apparence deservitude ».

Griefs

L'article 694 du Code civil dispose :

« Si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signeapparent de servitude dispose de l'un des héritages sans que le contratcontienne aucune convention relative à la servitude, elle continued'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur lefonds aliéné ».

Cette disposition n'exige pas l'existence d'une servitude antérieure maisseulement l'existence d'un signe apparent de servitude.

Selon le jugement attaqué, il n'y a pas lieu à application de l'article694 du Code civil dès lors que cette disposition viserait le cas où, lorsde la réunion de deux fonds dans la même main, l'un se trouvait déjà grevéd'une servitude au profit de l'autre.

En ne constatant pas, en fait, l'existence d'un tel signe apparent deservitude, le jugement attaqué fait une fausse application de l'article694 du Code civil et, par conséquent, le viole.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Pour retenir l'existence d'une servitude de passage grevant le fonds desdemandeurs au profit de celui du défendeur, le jugement attaqué se fondesur les stipulations des actes authentiques de vente du fonds desdemandeurs des 31 mai 1991 et 23 avril 1996, et notamment sur celle de cedernier acte qui est relative à la transmission des servitudes grevant lebien, ainsi que sur le plan d'un géomètre-expert.

Le moyen, qui soutient que le jugement ne déduirait l'existence de laditeservitude que de la constatation qu'il ressort des conditions spéciales del'acte de vente des demandeurs et dudit plan qu'un chemin longe l'immeubledes demandeurs, manque en fait.

Sur le deuxième moyen :

Le jugement attaqué, qui énonce que, « dans le cadre de leur acte d'achatdu 23 avril 1996, les [demandeurs] ont reconnu l'existence de [la]servitude » litigieuse, considère ainsi cet acte comme un titre récognitifde ladite servitude au sens de l'article 695 du Code civil.

Le moyen, qui suppose que le jugement ne retient cet acte que commeinterruptif de la prescription extinctive de cette servitude, manque enfait.

Sur le troisième moyen :

Pour décider qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 694 du Codecivil, le jugement attaqué constate «  qu'il n'y a jamais eu » entre lesdeux fonds litigieux d'« apparence de servitude ».

Le moyen, qui soutient que l'article 694 du Code civil n'exige pasl'existence d'une servitude antérieure mais seulement l'existence d'unsigne apparent de servitude mais qui fait grief au jugement attaqué, quiécarte l'application de cette disposition, de ne pas constater l'existenced'un tel signe apparent de servitude, est contradictoire et, dès lors,irrecevable.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne les demandeurs aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de sept cent soixante-six euros dix-huitcentimes envers les parties demanderesses.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président Christian Storck, les conseillers Daniel Plas,Christine Matray, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononcé enaudience publique du huit octobre deux mille sept par le présidentChristian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avecl'assistance du greffier Jacqueline Pigeolet.

8 OCTOBRE 2007 C.06.0550.F/10


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.06.0550.F
Date de la décision : 08/10/2007

Origine de la décision
Date de l'import : 31/08/2018
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2007-10-08;c.06.0550.f ?
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