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01/06/2006 | BELGIQUE | N°C.05.0371.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 01 juin 2006, C.05.0371.N


ELECTROLUX HOME PRODUCTS B.V.,
Me Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour de cassation,
contre
SOCIETE D'AUTEURS DANS LE DOMAINE DES ARTS VISUELS,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 2 mars 2005 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le président Ivan Verougstraete a fait rapport.
L'avocat général Dirk Thijs a conclu.
Les faits
Les faits suivants ressortent de la requête.
La défenderesse est une société de gestion qui détient les droits d'auteur de

ses associés. Lorsqu'ils entrent dans la société, les membres renoncent à tous leurs droits d...

ELECTROLUX HOME PRODUCTS B.V.,
Me Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour de cassation,
contre
SOCIETE D'AUTEURS DANS LE DOMAINE DES ARTS VISUELS,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 2 mars 2005 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le président Ivan Verougstraete a fait rapport.
L'avocat général Dirk Thijs a conclu.
Les faits
Les faits suivants ressortent de la requête.
La défenderesse est une société de gestion qui détient les droits d'auteur de ses associés. Lorsqu'ils entrent dans la société, les membres renoncent à tous leurs droits d'auteur à son profit.
D. D.K. est un associé de la défenderesse. Il est designer et exerce sa profession sous la dénomination «Conceptor's Office & Services», en abrégé «COS».
La demanderesse distribue des appareils électro-ménagers des marques AEG, Electrolux et Zanussi.
Au cours des périodes allant de 1996 à 1998, D. D. K. a réalisé chaque année un stand pour la demanderesse dans le cadre du salon Batibouw. Lors du salon 1998, Monsieur D.K. a fait une offre le 17 décembre 1997. Le prix total de location s'élevait à 6.986.500 francs belges, actuellement 173.190,81 euros, hors TVA. La demanderesse a accepté cette offre.
Le stand du salon a été réalisé et D. D.K. a facturé la somme de 6.986.500 francs belges, majorée de la TVA, et cette somme a été entièrement payée par la demanderesse. Cette somme comprend un montant de 5.752.890 francs belges pour les frais d'exécution et qui a été payée par D.K. à ses sous-traitants.
Lors de sa participation au salon Batibouw de 1999, la demanderesse n'a pas fait appel aux services de D. D.K. La défenderesse a toutefois estimé qu'en 1999 la demanderesse a fait réaliser un stand qui ressemblait fortement à celui qui a été réalisé en 1998 par D.K., à tout le moins en ce qui concernait les marques Electrolux et Zanussi.
La défenderesse a mis la demanderesse en demeure par lettre du 28 juillet 1999. La demanderesse aurait enfreint les droits de D.K. à tout le moins en reproduisant ou en faisant reproduire partiellement le stand sans son accord préalable. Elle a réclamé des dommages et intérêts.
La demanderesse a contesté cette action par lettre du 21 septembre 1999 en soutenant que le stand ne peut bénéficier de la protection des droits d'auteur dès lors qu'il ne présente pas «un caractère artistique marqué» comme l'exige l'article 21, 1°, de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles. Les parties ont maintenu leur point de vue dans une correspondance ultérieure.
Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen dans sa requête:
Dispositions légales violées
Articles 6.2 et 23 de la Loi uniforme Benelux du 25 octobre 1966 en matière de dessins ou modèles, approuvée par la loi du 1er décembre 1970 (l'article 23 tel qu'il était applicable avant sa modification par le Protocole du 20 juin 2002, approuvé par la loi du 13 mars 2003).
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué de réformation du jugement entrepris, condamne la demanderesse à payer une indemnité de 27.500 euros du chef de violation du droit d'auteur de la défenderesse sur un stand de salon et fonde sa décision que c'est la défenderesse et non la demanderesse qui est titulaire du droit d'auteur sur les motifs suivants:
«C'est à juste titre que la demanderesse invoque qu'un stand de salon constitue un produit à caractère utilitaire. Un stand de salon n'est pas créé pour de simples considérations artistiques. L'objectif est que le participant au salon utilise ce stand pour se présenter et pour présenter ses produits au public et pour attirer des clients potentiels.
La demanderesse a commandé un stand auprès de Monsieur D.K. La convention conclue entre les parties concerne un stand et pas les plans pour le réaliser.
L'argument de la défenderesse qu'un stand est unique et n'est utilisé qu'une seule fois n'y déroge pas davantage Le stand demeure un produit qui est utilisé dans le commerce même s'il ne s'agit que d'un usage unique.
Les considérations précédentes signifient que le stand bénéficie tant de la protection de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles que de la protection la loi sur les droits d'auteur.
La défenderesse soutient qu'elle détient un droit d'auteur alors que la demanderesse soutient qu'elle est titulaire de ce droit.
La demanderesse se fonde sur les articles 6.2 et 23 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles.
L'article 23 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles dispose que, lorsqu'un dessin ou modèle ayant un caractère artistique marqué est créé dans les conditions visées à l'article 6, le droit d'auteur relatif à ce dessin ou modèle appartient à celui qui est considéré comme créateur, conformément aux dispositions de cet article.
L'article 6.2 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles dispose que si un dessin ou un modèle a été créé sur commande, celui qui a passé la commande sera considéré, sauf stipulation contraire, comme créateur, pourvu que la commande ait été passée en vue d'une utilisation commerciale ou industrielle du produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé.
La demanderesse estime qu'elle doit être considérée en tant que créateur au sens de l'article 6.2 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles, dès lors qu'elle a commandé le stand auprès de Monsieur D.K. En tant que créateur elle estime détenir le droit d'auteur
La défenderesse ne conteste pas que le stand a été créé sur commande de la demanderesse. Elle invoque toutefois que Monsieur D.K. a uniquement loué le stand à la demanderesse. Selon la défenderesse l'objectif des parties était d'utiliser une seule fois le stand pour la brève période du salon Batibouw 1998. A la fin du salon, Monsieur D.K. aurait démonté le stand et il aurait, comme d'habitude, conservé les éléments qui étaient réutilisables pour d'autres stands alors que les éléments plus typiques qui n'étaient plus réutilisables auraient été détruits. La demanderesse ne serait au aucun cas devenue propriétaire du stand.
La demande conteste, à tort, cette qualification.
L'offre du 17 décembre 1997 fait clairement état 'du prix total de location'. L'indication dans l'intitulé de l'offre ('Voici l'offre de prix pour la construction du stand (.) pour Batibouw 1998') n'y déroge pas. Il s'agit d'un prix global et forfaitaire pour la mise à disposition d'un stand terminé pour Batibouw 1998 comprenant tant le montage que le démontage.
Il y a donc lieu de se rallier à l'opinion de la défenderesse suivant laquelle le stand était uniquement loué à la demanderesse.
La demanderesse soutient qu'il est sans intérêt pour l'application de l'article 6.2 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles que la commande soit faite dans le cadre d'une entreprise, d'une vente ou d'une location. Il serait suffisant de constater que Monsieur D.K. a construit un stand sur commande de la demanderesse et pour son compte et qu'elle a payé un prix.
C'est à juste titre que ce point de vue est rejeté par la défenderesse.
Le stand a été loué pour être utilisé au cours de la brève période du salon Batibouw 1998. Le but n'était pas que la demanderesse réutilise ce stand par la suite. Il était convenu entre les parties qu'il s'agissait d'un usage unique.
Une telle hypothèse n'est pas visée par l'article 6.2 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles. Cet article doit être interprété en ce sens que la personne sur l'ordre de laquelle un dessin ou un modèle est créé, ne peut en être considéré comme le créateur que si le dessin ou le modèle est créé en vue de son utilisation par le donneur d'ordre.
Un modèle créé en vue d'un usage unique et temporaire, comme en l'espèce, même si cet usage se situe dans le secteur commercial, ne répond pas à cette condition.
La demanderesse ne peut, dès lors, pas être considérée comme créateur du stand de sorte que le droit d'auteur appartient à la défenderesse».

Griefs
«L'article 23 (ancien) de la Loi uniforme Benelux du 25 octobre 1966 en matière de dessins ou modèles dispose que:
«Lorsqu'un dessin ou modèle ayant un caractère artistique marqué est créé dans les conditions visées à l'article 6, le droit d'auteur relatif à ce dessin ou modèle appartient à celui qui est considéré comme créateur, conformément aux dispositions de cet article».
L'article 6.2 de la Loi Uniforme Benelux du 25 octobre 1966 en matière de dessins ou modèles dispose que:
«Si un dessin ou un modèle a été créé sur commande, celui qui a passé la commande sera considéré, sauf stipulation contraire, comme créateur, pourvu que la commande ait été passée en vue d'une utilisation commerciale ou industrielle du produit dans lequel le dessin ou modèle a été incorporé».
Pour être considéré comme créateur et, le cas échéant, comme titulaire du droit d'auteur il est, dès lors requis qu'un dessin ou un modèle soit créé sur commande et que la commande ait été passée en vue d'une utilisation commerciale ou industrielle du produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé.
La circonstance que le produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé est loué pour un usage unique par celui qui a créé sur commande, n'empêche pas que ce dernier peut être considéré comme créateur respectivement titulaire du droit d'auteur en application de l'article 6.2 et de l'article 23 (ancien).
En décidant autrement, l'arrêt attaqué viole les articles 6.2 et 23 (ancien) de la Loi uniforme Benelux du 25 octobre 1996 en matière de dessins ou modèles approuvée par la loi du 1er décembre 1970.
La décision de la Cour
1. L'arrêt considère que:
- le stand peut bénéficier tant de la protection du droit d'auteur que de la protection de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins et modèles;
- le stand est un modèle ayant un caractère artistique marqué;
- le stand peut bénéficier de la protection du droit d'auteur et le fait «qu'il y ait eu ou non un dépôt n'est pas déterminant pour exclure l'application de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles».
Ces décisions ne sont pas critiquées.
2. La demanderesse invoque qu'elle peut bénéficier d'une protection en tant que créateur ou, le cas échéant, comme titulaire du droit d'auteur et se fonde à ce propos sur les articles 6.2 et 23 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles et en déduit que ni D.K. ni la défenderesse ne pouvaient faire valoir de droits.
3. L'article 23 de la Loi uniforme Benelux en matière de marques ou modèles dispose que lorsqu'un dessin ou modèle ayant un caractère artistique marqué est créé dans les conditions visées à l'article 6, le droit d'auteur relatif à ce dessin ou modèle appartient à celui qui est considéré comme créateur conformément aux dispositions de cet article.
L'article 6.2 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles dispose que si un dessin ou modèle a été créé sur commande, celui qui a passé la commande sera considéré, sauf stipulation contraire, comme créateur, pourvu que la commande ait été passée en vue d'une utilisation commerciale ou industrielle du produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé.
4. Tout d'abord se pose la question de savoir si une partie qui demande la protection en tant que créateur au sens des articles 23 et 6 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles peut demander l'application de la disposition de l'article 6.2 de la même loi, si le modèle ayant un caractère artistique marqué n'est pas déposé.
5. Cette question requiert une interprétation de l'article 6.2 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles dans sa version applicable avant sa modification par le protocole du 20 juin 2002.
6. Ensuite, se pose la question de savoir si la demanderesse pouvait être considérée comme créateur au sens des dispositions précitées.
7. Suivant l'examen des articles par les gouvernements pour la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles, le droit de dépôt revient au maître de l'ouvrage, si le modèle est créé sur commande et si la commande a été passée en vue d'une utilisation commerciale ou industrielle du modèle. C'est le cas lorsqu'un modèle standard est créé en vue de sa fabrication à une échelle industrielle dans l'entreprise du maître de l'ouvrage.
Si au contraire la commande est passée dans un autre but, le droit de dépôt revient au créateur.
8. La condition suivant laquelle la commande, dans laquelle est incorporé le dessin ou le modèle doit être passée en vue d'une utilisation commerciale ou industrielle est susceptible d'interprétation.
La question se pose de savoir si le maître de l'ouvrage doit être considéré comme le créateur d'un dessin ou d'un modèle si un modèle ou un dessin est créé sur commande en vue de son utilisation commerciale ou industrielle, sans que ce modèle ou ce dessin soit fabriqué ou commercialisé par le maître de l'ouvrage.
Plus spécialement se pose la question de savoir si le modèle qui est loué pour un usage unique, ce qui exclut que le modèle est créé en vue de la fabrication ou de la commercialisation par le maître de l'ouvrage, peut être considéré comme un modèle créé en vue d'une utilisation commerciale ou industrielle.
9. Cette question requiert aussi une interprétation de l'article 6.2 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles tel qu'il était applicable avant sa modification par le Protocole du 20 juin 2002.
10. La règle de droit formulée par l'article 6.2 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles est une règle juridique commune à la Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas, désignée comme telle par l'article 1er du Traité relatif à l'institution et au statut d'une Cour de Justice Benelux. La nécessité d'une décision sur l'interprétation de cette règle de droit oblige la Cour a soumettre à la Cour de Justice Benelux les questions posées dans le dispositif.
Par ces motifs,
La Cour
Sursoit à statuer jusqu'à ce que la Cour de Justice Benelux ait statué sur les questions suivantes:
1. Est-il requis pour l'application de l'article 6.2 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles , dans sa version applicable avant sa modification par le Protocole du 20 juin 2002, que le dessin ou le modèle soit déposé?
2. Le maître de l'ouvrage doit-il être considéré comme le créateur d'un dessin ou d'un modèle au sens de l'article 6.2 de la Loi uniforme Benelux en matière de dessins ou modèles, dans sa version telle qu'elle était applicable avant sa modification par le Protocole du 20 juin 2002, si un dessin ou un modèle est créé sur commande en vue d'une utilisation commerciale ou industrielle, sans que ce modèle ou ce dessin soit fabriqué ou commercialisé par le maître de l'ouvrage?
Plus
spécialement, le modèle qui est loué pour un usage unique, ce qui exclut que le modèle est créé en vue de la fabrication ou de la commercialisation par le maître de l'ouvrage, peut-il être considéré comme un modèle créé en vue d'une utilisation commerciale et industrielle?
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, les conseillers Ghislain Londers, Eric Dirix, Albert Fettweis et Beatrijs Deconinck, et prononcé en audience publique du premier juin deux mille six par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Dirk Thijs, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du président Verougstraete et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le président,


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.05.0371.N
Date de la décision : 01/06/2006
1re chambre (civile et commerciale)

Analyses

BENELUX - QUESTIONS PREJUDICIELLES - Loi uniforme en matière de dessins et modèles du 25 octobre 1966 - Protection des droits de l'auteur -Celui qui commande un dessin ou un modèle - Conditions - Commande faite en vue d'une utilisation commerciale ou industrielle - Demande d'interprétation - Cour de cassation - Obligation /

Lorsqu'une question relative à l'interprétation d'une règle juridique commune à la Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas, désignée comme telle par l'article 1er du Traité relatif à l'institution et au statut d'une Cour de justice Benelux, est soulevée devant la Cour de cassation, telle la règle juridique de l'article 6.2 de la loi uniforme Benelux en matière de dessins et modèles qui désigne celui qui commande un dessin ou un modèle comme créateur protégé par le droit d'auteur, pourvu que la commande ait été passée en vue d'une utilisation commerciale ou industrielle du produit dans lequel le dessin ou modèle est incorporé, la Cour est tenue de poser cette question à la Cour de Justice Benelux.


Références :

Voir Cass., 27 juin 2002, RG C.00.0472.N, n° 391; Cass., 27 février 2003, RG C.01.0432.F et RG C.02.0107.F, n° 137 et 139; Cass., 28 mars 2003, RG C.99.0446.N, n° 214; Cass., 11 décembre 2003, RG C.02.0550.N, n° 640; Cass., 13 mai 2004, RG C.02.0614.N, n° 259; Cass., 2 septembre 2004, RG C.03.0076.F, n° 376.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2006-06-01;c.05.0371.n ?
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