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04/03/2004 | BELGIQUE | N°C.01.0322.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 mars 2004, C.01.0322.N


J. J.,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
contre
FLOORPUL INTERNATIONAL, société anonyme,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 16 février 2001 par la cour d'appel de Gand.
(.)
III. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen dans sa requête.
Dispositions légales violées
Articles 1er, 8°, 2, 28, 30, 32 et 70 des lois coordonnées sur la lettre de change et le billet à ordre.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir consta

té que la S.A. Prima Vac (actuellement défenderesse) a obtenu la condamnation qu'elle avait réclamée par ...

J. J.,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
contre
FLOORPUL INTERNATIONAL, société anonyme,
Me Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 16 février 2001 par la cour d'appel de Gand.
(.)
III. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen dans sa requête.
Dispositions légales violées
Articles 1er, 8°, 2, 28, 30, 32 et 70 des lois coordonnées sur la lettre de change et le billet à ordre.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que la S.A. Prima Vac (actuellement défenderesse) a obtenu la condamnation qu'elle avait réclamée par citation du 3 décembre 1993, sur la base de 40 lettres de change que le demandeur avait signées pour aval (n°2.1.) et dont 36 font encore l'objet du litige 'les échéances étant fixées le 5 du mois à partir du 5 septembre 1990 jusqu'au 5 août 1993 inclus' (n° 2.3), la cour d'appel a déclaré non fondé l'appel du demandeur dans la mesure où le jugement a été confirmé, en ce qui concerne la défenderesse et le demandeur en tant qu'il condamne le demandeur à payer la somme de 2.316.096 francs belges, majorée des intérêts judiciaires au taux légal à compter de la citation jusqu'au jour du paiement', notamment par les motifs suivants:
«5
5.1.La S.A. Prima Vac estime pouvoir réclamer sur la base des lettres de change valables la même chose que ce qu'elle réclame sur la base du contrat/facture.
.
5.2.Pour qu'une obligation puisse naître dans le chef du donneur d'aval, il faut que la lettre de change contienne la signature du tireur. A défaut de cette signature, il n'y a pas de lettre de change valable. Dans ses conclusions déposées le 14 septembre 1999, le demandeur a soulevé que les lettres de change invoquées par la défenderesse ne contiennent pas la signature du tireur.
Le demandeur produit une lettre du 29 mars 1994 (.) par laquelle le conseil de la S.A. Prima Vac communique les photocopies des lettres de change. Selon ces photocopies, ces lettres de change ne contenaient pas la signature du tireur. Lorsque la S.A. Prima Vac a produit les lettres de change originales, celles-ci contenaient la signature du tireur. Tant que le paiement des lettres de change peut être réclamé, il est possible de suppléer aux éléments faisant défaut. La régularisation après la citation ne pose aucun problème pour autant qu'il s'agisse de lettres de change dont la date d'échéance n'est pas expirée depuis plus de trois ans au jour de la citation.
5.3.La S.A. Prima Vac présente 32 lettres de change valables.
.
Vu la remise de 32 lettres de change valables qui ne sont pas encore prescrites, d'un montant de 72.378 francs belges chacune, le demandeur est redevable d'une somme de 2.316.096 francs belges».
Griefs
L'article 1er, 8°, des lois coordonnées sur la lettre de change et le billet à ordre dispose que la lettre de change contient notamment la signature de celui qui émet la lettre de change (tireur) et l'article 2 de cette même loi dispose que le titre dans lequel cette énonciation fait défaut ne vaut pas comme lettre de change, sauf dans des cas qui ne sont pas applicables en l'espèce (alinéa 1er). Il ressort de la combinaison des articles 28, 30 et 32 de cette loi qu'en tant que donneur d'aval le demandeur s'est, en principe, engagé à payer la lettre de change le jour de l'échéance. Pour apprécier si un titre contient les éléments constitutifs requis pour qu'il y ait lettre de change, il y a lieu de se référer au moment où le paiement en est réclamé et, dès lors, il ne peut être suppléé aux éléments constitutifs faisant défaut, comme le décide l'arrêt, 'tant que le paiement de la lettre de change peut être réclamé', à savoir 'même après la citation. pour autant qu'il s'agisse de lettres de change dont la date d'échéance n'était pas expirée depuis plus de trois ans au jour de la citation'. Il ne peut résulter du délai de prescription visé à l'article 70, alinéa 1er, de la loi que le moment auquel la validité de la lettre de change doit être appréciée soit différé et cette prescription ne vaut d'ailleurs que pour les actions résultant d'une lettre de change valable.
Il s'ensuit que, sans contester la thèse du demandeur selon laquelle les lettres de change ne contenaient pas la signature du tireur au jour de la citation (3 décembre 1993) mais en constatant au contraire que le 29 mars 1994 cette signature faisait défaut sur les lettres de change, la cour d'appel ne condamne pas légalement le demandeur au paiement du montant des 32 lettres de change d'un montant de 72.378 francs belges chacune, soit au total 2.316.096 francs belges, par le motif 'que tant que le paiement de la lettre de change peut être réclamé (.) il est possible de suppléer aux éléments constitutifs faisant défaut' et 'que la régularisation après la citation (.) ne pose aucun problème pour autant qu'il s'agisse de lettres de change dont la date d'échéance n'était pas expirée depuis plus de trois ans au jour de la citation' (violation de toutes les dispositions légales citées par le moyen).
IV. La décision de la Cour
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite de ce que le moyen requiert un examen des faits:
Attendu que l'arrêt énonce que, suivant son appréciation, la signature du tireur n'avait pas encore été apposée le 29 mars 1994 et qu'elle n'a donc été apposée qu'après la demande de paiement;
Que la fin de non-recevoir ne peut être accueillie;
Sur le moyen:
Attendu qu'en vertu de l'article 1er, en son début et 8°, des lois coordonnées sur la lettre de change et le billet à ordre, la lettre de change contient le nom de celui auquel ou à l'ordre duquel le paiement doit être fait; qu'en vertu de l'article 2 de cette loi, le titre dans lequel cette énonciation fait défaut ne vaut pas comme lettre de change; que pour déterminer si un titre contient les éléments constitutifs d'une lettre de change, il y a lieu de se référer à la date à laquelle son paiement est demandé;
Attendu que l'arrêt constate que les 32 lettres de change qui ont été présentées par le prédécesseur de la défenderesse le 29 mars 1994 ne contiennent pas la signature du tireur et que cette partie «présente actuellement les lettres de change originales qui contiennent, quant à elles, la signature du tireur»;
Que l'arrêt considère que «tant que le paiement de la lettre de change peut être réclamé, il peut être suppléé au défaut de signature du tireur » et que «la régularisation après citation ne pose aucun problème»;
Que, par ces motifs, il condamne le demandeur au paiement du montant desdites lettres de change;
Qu'en décidant ainsi, l'arrêt viole les articles 1er, en son début et 8°, et 2 des lois coordonnées sur la lettre de change et le billet à ordre;
Que le moyen est fondé;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il considère que l'appel est non fondé dans la mesure où le jugement «est déjà confirmé en ce qui concerne la S.A. Floorpul International et J.J., pour autant qu'il condamne J.J. au paiement d'une somme de 2.316.096 francs, majorée des intérêts judiciaires au taux légal à compter de la citation jusqu'au jour du paiement»;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause devant la cour d'appel d'Anvers.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Robert Boes, les conseillers Greta Bourgeois, Ghislain Londers et Eric Dirix, et prononcé en audience publique du quatre mars deux mille quatre par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Guy Dubrulle, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Conclusions du Ministère public:
Le pourvoi pose la question suivante : "Une lettre de change qui ne porte pas la signature du tireur peut-elle être régularisée après sa présentation au paiement et, le cas échéant, en cours d'instance ?"
La défenderesse a introduit une action contre le demandeur sur la base de plusieurs lettres de change pour lesquelles celui-ci avait donné aval.
Le demandeur a fait valoir que les lettres de change ne portaient pas la signature du tireur et a produit la lettre du 29 mars 1994 par laquelle le conseil de la défenderesse a communiqué une photocopie des lettres de change litigieuses sur lesquelles la signature du tireur ne figurait pas. La défenderesse a ensuite produit les originaux des lettres de change qui portaient la signature litigieuse.
L'arrêt attaqué a accueilli la demande, à tout le moins pour une partie des lettres de change.
L'UNIQUE moyen de cassation invoque la violation des articles 1.8°, 2, 28, 30, 32 et 70 des lois coordonnées sur la lettre de change et le billet à ordre.
L'arrêt peut être interprété en ce sens qu'il constate qu'au 29 mars 1994, la preuve que les lettres de change portaient la signature du signataire n'était pas encore apportée et que la signature figurait sur les originaux ultérieurement produits. Bien qu'il ne détermine pas la date à laquelle la signature a été apposée, l'arrêt décide au motif "qu'il peut être suppléé aux éléments constitutifs faisant défaut aussi longtemps que l'action cambiaire peut être exercée" que les lettres de change pouvaient être régularisées après la citation introductive d'instance du 3 décembre 1993 "pour autant qu'il s'agisse de lettres de change qui, à la date de la citation, n'étaient pas arrivées à échéance depuis plus de trois ans". Ecartant trois lettres de change annulées ("aux motifs que la signature du tireur faisait défaut et que la régularisation était tardive"), l'arrêt a constaté de manière implicite mais certaine la régularité de trente-deux lettres de change, en admettant qu'elles soient régularisées postérieurement à la citation (même si elle était antérieure).
Ainsi, l'arrêt applique une règle dont la Cour est tenue de contrôler la validité. En conséquence, la Cour devra formuler au préalable la règle applicable.
En vertu de l'article 1er, 8°, des lois coordonnées sur la lettre de change et le billet à ordre, la lettre de change contient "la signature de celui qui émet la lettre (tireur)" et en vertu de l'article 2 de la même loi, le titre dans lequel une des énonciations indiquées à l'article 1er fait défaut ne vaut pas comme lettre de change.
Le texte est clair et il est unanimement admis que la signature du tireur est indispensable (1).
La question est de savoir si une lettre de change irrégulière peut être régularisée et jusqu'à quel moment la régularisation peut avoir lieu. Avant l'arrêt de la Cour du 30 juin 1989 (2), Van Ryn et Heenen (3) notamment soutenaient déjà qu'en ce qui concerne les énonciations requises, la validité de la lettre de change doit être appréciée au moment où le paiement en est demandé. C'était déjà la teneur de l'arrêt rendu le 4 décembre 1913 par la Cour (4).
La Cour de cassation de France s'est également prononcée à plusieurs reprises en ce sens (5) et il y a lieu de relever à cet égard que le texte des lois coordonnées sur la lettre de change et le billet à ordre reproduit quasiment celui de la loi uniforme concernant la lettre de change et le billet à ordre introduite par la convention portant loi uniforme sur les lettres de change et billets à ordre, signée à Genève, le 7 juin 1930.
Se référant à la jurisprudence allemande et suisse, Ronse a, au contraire, défendu la thèse qu'il peut être suppléé aux éléments constitutifs faisant défaut aussi longtemps que l'action cambiaire peut être exercée et même en cours d'instance (6). Toutefois, ni la jurisprudence ni la doctrine belge n'ont adopté ce point de vue (7).
Dans son arrêt du 30 juin 1989 (8), la Cour a décidé "qu'en vertu de l'article 1er, début et 6°, des lois coordonnées sur la lettre de change et le billet à ordre, la lettre de change doit contenir le nom de celui auquel ou à l'ordre duquel le paiement doit être fait ; que, conformément à l'article 2 de la même loi, le titre dans lequel cette énonciation fait défaut ne vaut pas comme lettre de change ; qu'aux fins d'apprécier si un titre contient toutes les énonciations prescrites pour une lettre de change, il y a lieu de se placer à l'époque de la demande en paiement".
D. Blommaert note relativement à cet arrêt qu'il peut être admis que la thèse de la Cour de cassation de Belgique "(...) garantit au mieux la sécurité juridique et doit être suivie ; (...) qu'il peut être conclu que la thèse belge, qui rejoint celle de la jurisprudence française, interprète cet article de la Convention signée à Genève le 7 juin 1930 de manière restrictive en qu'en tous cas, elle énonce une directive juridictionnelle stable au profit des cours et tribunaux (9)".
Il semble être unanimement admis qu'à la suite de cet arrêt, "la thèse suivant laquelle il ne peut plus être suppléé en cours d'instance aux éléments constitutifs de la lettre de change faisant défaut, primait définitivement (10)".
Il y a encore lieu de relever que, contrairement à ce que la défenderesse soutient, l'arrêt du 30 juin 1989 a retenu comme date ultime de régularisation non pas la date de la citation mais l'époque de la demande en paiement". Dès qu'elle est présentée au paiement alors qu'elle ne contient pas tous les éléments constitutifs requis, la lettre de change doit être considérée comme étant un titre irrégulier non susceptible de faire l'objet d'une régularisation. On ne peut se rallier à la thèse de la défenderesse qui invoque l'économie procédurale pour faire admettre la possibilité de régulariser après citation, aux motifs qu'il suffit de se désister de l'instance, de régulariser la lettre de change et de citer à nouveau. La lettre de change qui doit être considérée comme irrégulière au motif qu'elle ne contient pas les tous éléments constitutifs requis à la date de la présentation au paiement reste irrégulière et n'est plus susceptible de fonder une action cambiaire.
C'est également à tort que la défenderesse se réfère à l'article 2, dernier alinéa, des lois coordonnées sur la lettre de change et le billet à ordre qui, au cas où le tireur est dans l'impossibilité de signer la lettre de change (11), prévoit la possibilité de suppléer à la signature "par un acte notarié en brevet inscrit sur la lettre de change et constatant la volonté de celui qui aurait dû signer". S'il est susceptible d'exprimer la volonté de celui qui aurait dû signer, l'exploit de citation n'équivaut pas à un acte notarié inscrit sur la lettre de change. En effet, la circonstance qu'une action cambiaire est introduite sur la base d'un titre irrégulier ne peut être de nature à suppléer à l'irrégularité.
Ainsi, il n'y a pas lieu de déroger à la thèse de la Cour. Celle-ci garantit non seulement la sécurité juridique
mais relève aussi de la logique, même si les lois coordonnées sur la lettre de change et le billet à ordre ne fixent pas le moment jusqu'auquel la lettre de change peut être régularisée. Les effets juridiques de la lettre de change se cristallisent (se fixent) au moment de sa présentation au paiement et aucune partie ne peut encore modifier ceux-ci unilatéralement, au préjudice d'une autre partie. L'arrêt attaqué en décide cependant autrement.
Le moyen semble fondé.
Conclusion : cassation.
_________________________
(1) Van Gerven, W., Cousy, H. & Stuyck, J., "Beginselen van Belgisch Privaatrecht", XIII, t. I, Ondernemingsrecht, vol. A., Waardepapieren, texte révisé et complété par Dirix, E., au 1er janvier 1989, n° 376.
(2) RG 6271, n° 642 ; R.D.C., 1992, 128.
(3) Van Ryn, J. & Heenen, J., Principes de Droit commercial, T. III, n° 303 ; dans le même sens : Van Gerven, W., Cousy, H. & Stuyck, J., o.c., n° 377.
(4) Cass., 4 décembre 1913, Pas. 1914, I, 20 et les conclusions de Monsieur le premier avocat général Janssens, publiées avant cet arrêt.
(5) Becque, J. & Cabrillac, M., Crédit et titres de crédit, Rev. Trim. Dr. Com., 1966, 89 ; Blommaert, D., "Het tijdstip waarop de wisselbrief de formele bestanddelen dient te bevatten", R.D.C., 1992, 130 e.s.
(6) Ronse, J., Wisselbrief en orderbriefje, A.P.R., T. I, n° 219.
(7) Blommaert, D., o.c., n° 5 ; voir le n° 6 pour la jurisprudence allemande et suisse relevée par Ronse.
(8) Voir note 2.
(9) O.c., nos 7 et 8.
(10) Merchiers, Y., Colle, Ph. & Dambre, M., "Overzicht van rechtspraak Algemeen Handelsrecht, Handelscontracten, Bank-, Krediet-, Wissel- en Chequeverrichtingen (1987-1991)", T.P.R., 1992, 975, n° 264 ; Moreau, Y. & Geortay, P., "Les lettres de change et les billets à ordre Chronique de jurisprudence (1981 à 1998), R.D.C., 2001, 11, n° 32.
(11) Ronse, J., o.c., n° 165.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.01.0322.N
Date de la décision : 04/03/2004
1re chambre (civile et commerciale)

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2004-03-04;c.01.0322.n ?
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