E. C.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Philippe Gérard, avocat à la Cour de cassation,
contre
T. P.,
défenderesse en cassation.
La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 17 mai 2002 par la cour d'appel de Liège.
La procédure devant la Cour
Le conseiller Albert Fettweis a fait rapport.
L'avocat général Xavier De Riemaecker a conclu.
Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- article 1382 et 1383 du Code civil;
- article 149 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué dit pour droit «que l'action originaire (du demandeur) est vexatoire et le condamne à payer à (la défenderesse) la somme de 1.250 euros à majorer des intérêts au taux légal à dater du présent arrêt jusqu'à parfait paiement».
Il justifie cette décision par les motifs «que les termes de la correspondance (du demandeur) adressée au commissaire d'arrondissement le 28 mai 1997 expriment ostensiblement le peu de considération, voire le mépris qu'il affiche à l'égard de la personne même de (la défenderesse) (.)»; que, dans le même ordre d'idées, «(le demandeur) n'hésite pas à reproduire dans une réponse au ministre de l'Intérieur du 4 mars 1997 le prétendu surnom de 'Lucky Luke de la plainte puisqu'elle dépose plainte plus vite que son ombre'; (.) qu'en réclamant dès sa citation introductive d'instance et jusque dans ses conclusions d'instance la somme d'un million de francs à titre de dommages et intérêts, (le demandeur) ne pouvait ignorer qu'il allait nourrir une inquiétude légitime chez (la défenderesse) ou la crainte d'un moyen de pression de nature financière exorbitante, même si tel n'eût pas été sa volonté délibérée; (.) que si (le demandeur) a réduit à de plus justes proportions, soit à la somme de 100.000 francs, le montant de son dommage dans ses conclusions d'appel, il n'en reste pas moins que les éléments précités démontrent qu'il a fait preuve de légèreté coupable dans le contexte de mépris affiché dont il pensait pouvoir se prévaloir à l'égard d'une élue communale qu'il n'a pas hésité à assigner près d'un an suivant la clôture de la plainte administrative, en réclamation d'une somme d'un million de francs; que ce faisant il a ainsi causé un dommage moral incontestable à (la défenderesse), dont il doit réparation» et «que son action présente, comme le relève le premier juge, un caractère vexatoire».
Griefs
Les notions de procédure téméraire et de procédure vexatoire ne se confondent pas, mais, au contraire, se distinguent par l'intensité de la faute requise dans le chef de celui qui agit en justice, comme demandeur ou comme défendeur.
Une procédure est exercée témérairement lorsque la partie qui agit commet une erreur d'appréciation manifeste mais de bonne foi.
Une procédure revêt un caractère vexatoire lorsque la partie qui agit, animée par la volonté de nuire, celle de causer un dommage, se rend coupable d'une faute intentionnelle.
En l'espèce, il ressort des motifs de l'arrêt attaqué que si le demandeur «a fait preuve de légèreté coupable» en réclamant la condamnation de la défenderesse au paiement de la somme d'un million de francs, il n'a cependant pas été mû par la «volonté délibérée» de «nourrir une inquiétude légitime chez (la défenderesse) ou la crainte d'un moyen de pression d'une nature financière exorbitante». Il s'ensuit que l'arrêt attaqué ne caractérise pas, dans le chef du demandeur, une faute intentionnelle et, partant, ne justifie pas légalement sa décision que le demandeur a agi de manière vexatoire (violation de l'article 1382 du Code civil) ni ne motive régulièrement cette décision (violation de l'article 149 de la Constitution).
La décision de la Cour
Attendu qu'une procédure peut revêtir un caractère vexatoire non seulement lorsqu'une partie est animée de l'intention de nuire à une autre mais aussi lorsqu'elle exerce son droit d'agir en justice d'une manière qui excède manifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente;
Attendu que le moyen, qui soutient que le caractère vexatoire d'une procédure suppose l'intention de nuire, manque en droit;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent quatre-vingt-quatre euros nonante centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller Philippe Echement, faisant fonction de président, les conseillers Christian Storck, Albert Fettweis, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du trente et un octobre deux mille trois par le conseiller Philippe Echement, faisant fonction de président, en présence de l'avocat général Xavier De Riemaecker, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.