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24/10/2003 | BELGIQUE | N°C.02.0219.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 24 octobre 2003, C.02.0219.F


1. BRUNEEL Jacky, avocat, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 22, agissant en qualité de curateur à la faillite de Hendrick dit Harry Van Gelder,
2. TOURNAI BETON, société anonyme dont le siège social est établi à Tournai, quai Donat Casterman, 65, inscrite au registre du commerce de Tournai sous le numéro 37.287,
demandeurs en cassation
contre
VILLE DE CHARLEROI, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, dont les bureaux sont établis en l'hôtel de ville,
défenderesse en cassation,
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cas

sation est dirigé contre l'arrêt rendu le 23 novembre 2001 par la cour d'appel de Bruxe...

1. BRUNEEL Jacky, avocat, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 22, agissant en qualité de curateur à la faillite de Hendrick dit Harry Van Gelder,
2. TOURNAI BETON, société anonyme dont le siège social est établi à Tournai, quai Donat Casterman, 65, inscrite au registre du commerce de Tournai sous le numéro 37.287,
demandeurs en cassation
contre
VILLE DE CHARLEROI, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, dont les bureaux sont établis en l'hôtel de ville,
défenderesse en cassation,
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 23 novembre 2001 par la cour d'appel de Bruxelles.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Didier Batselé a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
III. Le moyen de cassation
Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- article 1398, spécialement alinéa 2, du Code judiciaire;
- articles 1382 et 1383 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Pour condamner le demandeur qualitate qua à payer à la défenderesse les intérêts compensatoires aux taux légaux sur 11.000.000 francs depuis le 9 septembre 1986 et sur 2.029.318 francs depuis le 13 février 1987, jusqu'au 9 novembre 1988, l'arrêt attaqué, qui rappelle que «(.) la (défenderesse) expose qu'en exécution du jugement du 14 février 1986, déclaré exécutoire par provision, elle a payé, [au failli], 11.000.000 francs le 9 septembre 1986 et 2.029.318 francs le 13 février 1987, soit 13.029.318 francs», qu' «(.) elle fait valoir qu'après cassation de l'arrêt du 27 février 1987 de la cour d'appel de Mons par l'arrêt du 10 novembre 1988 de la Cour de cassation, elle a fait signifier [au failli], par exploit du 20 avril 1989, un commandement de restituer ce montant, commandement resté sans effet» et qu'elle «postule le remboursement de 13.029.318 francs augmentés d'intérêts compensatoires au taux légal, du jour du paiement jusqu'au 9 novembre 1988, sur 11.000.000 francs à partir du 13 février 1987 et sur 2.029.318 francs à partir du 13 février 1987, outre des intérêts moratoires sur le total de ces sommes depuis le 10 novembre 1988», décide que la demande est fondée, aux motifs que «les intérêts compensatoires réclamés depuis les dates des deux paiements successifs sont également dus sur la base de l'article 1382 du Code civil, l'exécution d'un jugement susceptible de réformation causant à celui qui s'est exécuté un dommage consistant dans la privation des intérêts qu'aurait pu leur rapporter le montant de la condamnation, s'il n'avait pas été contraint de s'exécuter».
Griefs
1. Première branche
L'octroi d'intérêts compensatoires, sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil, suppose l'existence d'une faute, d'un dommage et d'un lien causal entre faute et dommage; le seul fait d'entamer l'exécution d'un jugement exécutoire par provision n'est pas constitutif d'une faute, au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil, n'étant rien d'autre que l'exercice légitime du droit conféré par la loi ou par décision de justice au bénéficiaire de l'exécution provisoire.
Il s'ensuit que l'arrêt n'a pas pu légalement, sans violer les articles 1382 et 1383 du Code civil, faire droit à la demande d'intérêts compensatoires formée par la défenderesse dans la mesure où, fondant sa décision sur l'article 1382 du Code civil, il ne constate aucune faute qui serait différente du seul exercice légitime, par le demandeur, d'un droit à lui conféré par décision de justice.
2. Seconde branche
En vertu de l'article 1398, alinéa 2, du Code judiciaire, lorsque le juge a accordé l'exécution provisoire du jugement, celui qui la poursuit agit à ses risques et périls; en cas de réformation ou d'annulation totale ou partielle dudit jugement, la partie qui en a poursuivi l'exécution est tenue, outre de rembourser ce qu'elle a reçu en vertu de la décision réformée ou annulée, d'indemniser le dommage né de la seule exécution, sans qu'il soit requis qu'il y ait eu mauvaise foi ou faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.
Cette règle n'est toutefois applicable que lorsque la partie à qui l'exécution provisoire a été accordée a dû poursuivre effectivement l'exécution forcée de la décision; elle n'est pas applicable, en revanche, lorsque la condamnation, exécutoire par provision, a été exécutée volontairement par la partie condamnée, même après signification d'un commandement de payer.
Des constatations faites par l'arrêt attaqué, il n'est pas permis de déterminer si la défenderesse s'est acquittée de la condamnation prononcée au bénéfice de l'exécution provisoire après que le demandeur ait poursuivi effectivement l'exécution forcée de ladite condamnation ou, plutôt, de manière volontaire, auquel cas des dommages et intérêts sont dus, le cas échéant, sur la base, non pas de l'article 1398 du Code judiciaire, mais de l'article 1382 du Code civil qui suppose la preuve d'une faute, d'un dommage et d'un lien causal, l'exécution - volontaire - d'une décision susceptible de réformation n'étant pas, en soi, constitutive d'une faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.
Il s'ensuit que l'arrêt qui condamne le demandeur au paiement des intérêts compensatoires depuis les dates des deux paiements successifs, sur la base de l'article 1382 du Code civil, au motif que l'exécution d'un jugement susceptible de réformation cause à celui qui s'est exécuté un dommage consistant dans la privation des intérêts qu'auraient pu [lui] rapporter le montant de la condamnation s'il n'avait pas été contraint de s'exécuter, ne justifie pas légalement sa décision et, partant, viole les articles 1398, spécialement alinéa 2, du Code judiciaire et 1382 et 1383 du Code civil.
IV. La décision de la Cour
Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par le ministère public et notifiée conformément à l'article 1097 du Code judiciaire:
Attendu que le ministère public soulève une fin de non-recevoir au pourvoi, déduite de ce que la demanderesse n'était pas partie à l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 10 mai 2001, attaqué par le pourvoi;
Attendu que l'arrêt précité n'a fait l'objet d'aucun pourvoi;
Que la fin de non-recevoir ne peut être accueillie;
Sur le moyen:
Quant à la première branche:
Sur la fin de non-recevoir opposée par la défenderesse à cette branche du moyen et déduite du défaut d'intérêt:
Attendu que l'arrêt condamne le demandeur à des intérêts compensatoires au taux légal sur la base de l'article 1382 du Code civil par le motif que «l'exécution d'un jugement susceptible de réformation [cause] à celui qui s'est exécuté un dommage consistant dans la privation des intérêts qu'aurait pu [lui] rapporter le montant de la condamnation s'il n'avait pas été contraint de s'exécuter»;
Que l'arrêt, qui ne relève pas de faute qu'aurait commise le demandeur en procédant à l'exécution d'un jugement déclaré exécutoire par provision, ne justifie pas légalement sa décision;
Mais attendu que la Cour peut substituer aux motifs critiqués dans le moyen, sur lesquels se fonde la décision attaquée, un fondement juridique justifiant le dispositif;
Attendu qu'en vertu de l'article 1398, alinéa 2, du Code judiciaire, lorsque le juge a accordé l'exécution provisoire du jugement, celui qui la poursuit agit à ses risques et périls et sans préjudice des règles du cantonnement;
Qu'il s'ensuit qu'en cas de réformation ou d'annulation totale ou partielle du jugement, la partie qui en a poursuivi l'exécution est tenue, outre de rembourser ce qu'elle a reçu en vertu de la décision réformée ou annulée, d'indemniser le dommage né de la seule exécution, sans qu'il soit requis qu'il y ait eu mauvaise foi ou faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil;
Attendu qu'il ressort des constatations de l'arrêt que la défenderesse a dû exécuter un jugement déclaré exécutoire par provision et susceptible de réformation et que cette exécution lui a causé un dommage;
Que ce dommage est indemnisable en application de l'article 1398, alinéa 2, du Code judiciaire;
Que, dès lors, le moyen, quoique fondé, ne saurait entraîner la cassation de l'arrêtet est, partant, dénué d'intérêt ;
Que la fin de non-recevoir est fondée;
Quant à la seconde branche:
Sur la fin de non-recevoir opposée par la défenderesse à cette branche du moyen et déduite du défaut de mention, parmi les dispositions violées, de l'article 149 de la Constitution:
Attendu que le moyen reproche à l'arrêt de ne pas permettre à la Cour de déterminer si la défenderesse s'est acquittée par une exécution volontaire ou forcée de la condamnation prononcée au bénéfice de l'exécution provisoire, le fondement de la décision étant différent dans l'un ou l'autre cas;
Attendu que le moyen, qui ne vise pas l'article 149 de la Constitution, revient à critiquer la régularité de la motivation de l'arrêt, celle-ci ne permettant pas d'en vérifier la légalité;
Que la fin de non-recevoir est fondée;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de huit cent soixante-quatre euros deux centimes envers les parties demanderesses et à la somme de cent soixante euros cinquante-deux centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Didier Batselé, Daniel Plas, Christine Matray et Benoît Dejemeppe, et prononcé en audience publique du vingt-quatre octobre deux mille trois par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.02.0219.F
Date de la décision : 24/10/2003
1re chambre (civile et commerciale)

Analyses

APPEL - MATIERE CIVILE (Y COMPRIS LES MATIERES COMMERCIALE ET SOCIALE) - Décisions et parties / Jugement en premier ressort / Exécution provisoire / Appel / Réformation ou annulation / Dommage / Indemnité

En cas de réformation ou d'annulation totale ou partielle d'un jugement dont le juge en premier ressort a accordé l'exécution provisoire, la partie qui en a poursuivi l'exécution est tenue, outre de rembourser ce qu'elle a reçu en vertu de la décision réformée ou annulée, d'indemniser le dommage né de la seule exécution, sans qu'il soit requis qu'il y ait mauvaise foi ou faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil. Voir, Cass., 7 avril 1995, RG C.93.0182.N, Bull., n° 189.

CASSATION - GENERALITES. MISSION ET RAISON D'ETRE DE LA COUR DE CASSATION. NATURE DE L'INSTANCE EN CASSATION / Mission de la Cour / Matière civile / Décision fondée sur un motif illégal / Substitution de motif

La Cour peut substituer aux motifs critiqués dans le moyen, sur lesquels se fonde la décision attaquée, un fondement juridique justifiant le dispositif (1). (1) Voir Cass., 29 octobre 1992, RG 9386, Bull., n° 704; 11 septembre 2002, RG P.02.0732.F, n° 439.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2003-10-24;c.02.0219.f ?
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