SECUREX, caisse commune d'assurances contre les accidents du travail dont le siège social est établi à Gand, Verenigde-Natieslaan, 1,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Cécile Draps, avocat à la Cour de cassation,
contre
N. A., et cons.,
défendeurs en cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 20 août 2001 par la cour du travail de Liège, section de Namur.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Daniel Plas a fait rapport.
Le premier avocat général Jean-François Leclercq a conclu.
III. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Disposition légale violée
Article 8, § 1er, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt retient que J. L avait un horaire coupé, travaillant de 10 à 14 heures et de 18 heures 30 à 22 heures 30, qu'il avait l'habitude le mardi et le vendredi ainsi qu'en cas de fortes intempéries de ne pas rentrer chez son père après sa première prestation de travail mais de passer l'après-midi et de prendre son repas du soir chez sa marraine, M. C; qu'il en était ainsi le jour des faits, jour de fortes intempéries, et que l'accident s'est produit à 18 heures 20 alors que la victime avait quitté en cyclomoteur le domicile de sa marraine et se trouvait à 5 kilomètres de son lieu de travail.
L'arrêt attaqué admet que le domicile de M.C. n'était pas une résidence au sens de l'article 8, § 1er, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971, «le chemin du travail s'entenda(n)t en conséquence, au sens de cette disposition, du seul trajet séparant le domicile du père de la victime du lieu de son travail».
L'arrêt considère néanmoins que la victime était sur le chemin du travail au sens de l'article 8, § 1er, de la loi du 10 avril 1971 aux motifs
«qu'à défaut d'avoir eu sa résidence chez M. C., sa présence au domicile de cette dernière ne peut être considérée que dans le cadre, sinon d'un détour, ladite résidence se trouvant sur le trajet normal parcouru par l'intéressé, d'une interruption de ce trajet normal ;
que le premier juge a fait droit à l'action (des défendeurs) en partant de la considération que le lieu de l'accident correspondait à un endroit par lequel la victime devait nécessairement passer pour se rendre au lieu d'exécution de son travail, que ce soit au départ d'Aiche-en-Refail (lieu de sa résidence) ou au départ de Perwez (domicile de M.C.) et que ce lieu se trouve en toute hypothèse sur le chemin du travail au sens de l'article 8, § 1er, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail ;
qu'il a cependant été jugé, comme le relève (la demanderesse), que lorsqu'un travailleur est victime d'un accident après avoir interrompu son trajet ou avoir fait un détour, l'accident ne peut être considéré comme un accident du travail au seul motif qu'au moment de l'accident ledit travailleur se trouvait sur le trajet normal quant au temps et à l'espace (Cass., 1er février 1993, Pas., 1993, I, n° 66) ;
que toutefois, dans la présente espèce, il y a lieu d'avoir égard à la circonstance que la décision prise par la victime de se rendre, durant l'interruption importante de sa journée de travail, chez sa marraine et non chez son père ne saurait avoir modifié le risque couvert par l'assureur-loi, si ce n'est dans le sens d'une atténuation de ce risque ;
qu'en effet, le domicile de M. C. se trouvait très précisément, sans qu'aucun détour soit nécessaire pour s'y rendre, sur le trajet normal du travail ;
que la décision prise par la victime de s'arrêter à Perwez l'a été, le jeudi 3 février 1994, en considération des conditions climatiques particulièrement difficiles auxquelles celle-ci se trouvait confrontée ;
que ces circonstances constituaient un motif légitime autorisant la victime à envisager une réduction du trajet qu'il lui fallait parcourir, notamment pour rejoindre, en fin d'après-midi, le lieu de son travail».
Griefs
En vertu de l'article 8, § 1er, de la loi du 10 avril 1971, est considéré comme accident sur le chemin du travail l'accident survenu alors que la victime se rendait de sa résidence au lieu d'exécution du contrat ou inversement. L'accident survenu alors que le travailleur n'a pas commencé le trajet vers le travail à partir de sa résidence n'est pas un accident sur le chemin du travail au sens de l'article 8, § 1er.
La vérification de la condition relative au point de départ s'apprécie trajet par trajet. Lorsque la victime exécute ses prestations selon un horaire fractionné, le juge ne peut, pour apprécier la normalité du trajet parcouru par elle pour se rendre au travail dans le but de débuter la seconde partie de ses prestations, prendre en considération la circonstance que l'accident est survenu sur le trajet qu'elle a parcouru pour effectuer la première partie de ses prestations et qu'elle eût dû parcourir après avoir terminé définitivement lesdites prestations. Il ne peut pas plus prendre en considération la circonstance que, si la victime était rentrée chez elle entre ses deux prestations de travail, elle serait passée à l'endroit où l'accident s'est produit. Enfin, il est tout aussi indifférent que la victime ait atténué les risques du trajet en réduisant celui-ci en considération de conditions climatiques particulièrement difficiles.
Le trajet peut certes - dans certaines circonstances - rester normal si le travailleur a, entre les deux points de repère géographiques que constituent la résidence et le lieu d'exécution du travail, effectué un détour ou une interruption. Le travailleur effectue un détour lorsqu'il parcourt un chemin plus long que le chemin direct qui mène au même point, à savoir sa résidence ou son lieu de travail. L'interruption est le fait pour le travailleur de suspendre, dans le temps, le trajet entre la résidence et le lieu d'exécution du travail ou inversement. En partant d'un autre lieu que sa résidence pour se rendre directement au travail, le travailleur n'effectue ni un détour ni une interruption de trajet, de sorte que la normalité de celui-ci ne peut être appréciée au regard de ces deux notions.
L'arrêt attaqué admet que la victime n'avait qu'une seule résidence, à savoir celle de son père, que le jour des faits elle a travaillé de 10 à 14 heures; qu'elle s'est rendue ensuite non pas à cette résidence mais chez sa marraine ; qu'elle a quitté ce lieu vers 18 heures pour reprendre son travail à 18 heures 30 et que l'accident s'est produit sur le trajet entre le domicile de sa marraine et le lieu de travail à 18 heures 20. L'arrêt attaqué ne constate pas que ledit trajet aurait été interrompu et admet que la victime n'a pas effectué dans le cours de ce trajet de détour. Il qualifie néanmoins l'accident d'accident sur le chemin du travail pour des motifs dont il peut uniquement se déduire, d'une part, qu'il s'est produit à un endroit où la victime passait, chaque jour, lorsqu'elle se rendait de sa résidence au lieu de travail, où elle serait passée si, après la fin de sa première prestation de travail, elle était rentrée à sa résidence et non chez sa marraine et où elle eût dû passer pour rentrer à sa résidence après la fin de sa seconde prestation de travail et, d'autre part, que sa démarche consistant à réduire son trajet était légitime en considération des conditions climatiques particulièrement difficiles. [Il] viole l'article 8, § 2 (lire: § 1er), de la loi du 10 avril 1971.
IV. La décision de la Cour
Attendu qu'aux termes de l'article 8, § 1er, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, le chemin du travail s'entend du trajet normal que le travailleur doit parcourir pour se rendre de sa résidence au lieu de l'exécution du travail, et inversement ;
Attendu que, même lorsqu'il est parcouru à plusieurs reprises en vue d'exécuter le travail convenu, le trajet visé par cette disposition suppose un déplacement de la résidence du travailleur au lieu de l'exécution du travail, ou inversement ;
Attendu que l'arrêt constate que le travailleur a quitté le lieu du travail le 3 février 1994 à 14 heures, au terme de la première partie de sa journée de travail, pour se rendre au domicile de sa marraine, chez laquelle il n'a jamais eu sa résidence ; qu'après avoir quitté ce domicile, le même jour à 18 heures, pour rejoindre son lieu de travail, il fut victime d'un accident mortel de la circulation ;
Attendu que, par aucune de ses considérations, l'arrêt ne justifie légalement sa décision que la victime, bien que parcourant un trajet dont le point de départ n'était pas sa résidence, était sur le chemin du travail ;
Que le moyen est fondé ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé;
Vu l'article 68 de la loi du 10 avril 1971, condamne la demanderesse aux dépens ;
Renvoie la cause devant la cour du travail de Mons.
Les dépens taxés à la somme de deux cent quarante-huit euros treize centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller faisant fonction de président Philippe Echement, les conseillers Christian Storck, Daniel Plas, Sylviane Velu et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du treize octobre deux mille trois par le conseiller faisant fonction de président Philippe Echement, en présence du premier avocat général Jean-François Leclercq, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.