IMRY BELGE, s.a.
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation,
contre
SWISS LIFE, et cons.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 30 mars 2001 par la cour d'appel de Bruxelles.
II. La procédure devant la Cour
Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général Xavier De Riemaecker a conclu.
III. Les moyens de cassation
La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes suivants:
1. Premier moyen
Dispositions légales violées
- articles 10, 11, 142 et 149 de la Constitution;
- articles 26, spécialement § 2, et 29, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage;
- articles 1134, 1582, 1641 à 1648, spécialement 1648, et, pour autant que de besoin, 1792 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt, statuant sur la demande en intervention et garantie formée par la première défenderesse, acheteur de l'édifice litigieux, contre la demanderesse, vendeur de cet édifice, et tendant à obtenir le bénéfice de la garantie pour vice caché, en l'espèce vice de construction, due par le vendeur à l'acheteur conformément aux articles 1641 à 1648 du Code civil, déclare celle-ci recevable et rejette, par confirmation de la décision des premiers juges, la défense déduite par la demanderesse de l'exigence du bref délai imposé par l'article 1648 du Code civil à l'exercice de l'action en garantie pour vice caché affectant la chose vendue, exigence régissant tant la demande principale formée par la seconde défenderesse contre la première défenderesse que la demande en intervention et garantie, et ayant pour objet un vice de construction affectant un édifice immobilier, et ce notamment aux motifs que, «dans l'appréciation du bref délai dans lequel, selon l'article 1648 du Code civil, l'action fondée sur la garantie des vices cachés doit être intentée, le juge du fond tient compte de toutes les circonstances de la cause, notamment la nature de la chose vendue et celle du vice, les usages, la qualité des parties, ainsi que les actes tant judiciaires qu'extrajudiciaires accomplis par elles [.] ; qu'en l'espèce où il s'agit d'un vice qui concerne la vente d'un immeuble dans lequel les vices peuvent n'apparaître qu'au terme d'un certain nombre d'années, le bref délai doit être compté à partir de la date où le demandeur a eu connaissance du vice caché; qu'il n'est pas limité par la prescription de l'action en garantie décennale propre au contrat d'entreprise ; que la vente et l'entreprise sont des contrats spécifiques, qui obéissent à des règles figurant dans des titres différents du Code civil ; qu'elles concernent d'autres personnes selon le contrat: en matière de garantie décennale, les parties sont des spécialistes de la construction où l'intervention d'un homme de l'art, architecte, est obligatoire ; que tel n'est pas le cas pour la vente, où l'acheteur n'est pas légalement tenu de s'adjoindre l'avis d'un spécialiste professionnel ; qu'il n'y a pas lieu de poser [la] question préjudicielle proposée à la Cour d'arbitrage» ; que «la (première défenderesse) fut mise en demeure une première fois le 29 juin 1999 ; que la (seconde défenderesse) lui écrivit encore le 9 juillet 1999 et début août 1999 ; qu'un rapport du bureau V. du 20 septembre 1999, portant un résumé historique des éléments qui ont contraint les différents intervenants concernés par le projet à devoir demander de renforcer les structures en béton du bâtiment concerné, fut également communiqué par une nouvelle mise en demeure le 11 octobre 1999 ; que la (première défenderesse) a ensuite été citée le 20 octobre 1999, soit moins de cinq mois après les premières constatations faites par les entreprises générales M. (vacances du bâtiment comprises) ; que la demande de la (seconde défenderesse) n'est pas tardive et est recevable» et que «la (demanderesse) fut informée de la demande de la (seconde défenderesse) par lettre du 3 août 1999, à laquelle furent annexées la mise en demeure de la (seconde défenderesse) du 29 juin 1999, une copie conforme de la lettre que le conseil de (la première défenderesse) adressa à celle-ci le 3 août 1999, ainsi que le premier rapport du 22 juin 1999 effectué par les ingénieurs-conseils de la (seconde défenderesse), V. et M., la première réponse de la (première défenderesse) du 1er juillet 1999 ainsi que la lettre du 9 juillet 1999 de la (seconde défenderesse) ; qu'aucune autre correspondance à l'égard de la (demanderesse) n'est produite; qu'il n'y a pas eu de pourparlers ; que la (demanderesse) fut citée en intervention et garantie par exploit du 28 février 2000, soit au terme de huit mois après le 29 juin 1999 (après la demande de fixation conjointe dans la demande principale) ; que vu la nature du litige ce délai ne paraît pas tardif ; que la demande est recevable à l'égard de la (demanderesse)».
Griefs
1.1. Première branche
L'article 149 de la Constitution impose notamment au juge du fond de motiver sa décision en sorte que la Cour puisse en contrôler la légalité. L'article 1648 du Code civil dispose que l'action résultant des vices rédhibitoires affectant l'objet vendu doit être intentée par l'acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires et l'usage du lieu où la vente a été faite. Si le juge du fond apprécie, en fait et donc souverainement, le bref délai dans lequel l'acheteur doit intenter sa demande en garantie résultant des vices rédhibitoires en tenant compte de toutes les circonstances de la cause, notamment de la nature de la marchandise vendue, de la nature du vice, des usages, de la qualité des parties et des actes judiciaires ou extrajudiciaires accomplis par elle, il est tenu de constater non seulement l'existence de tels éléments mais en outre leur pertinence pour l'appréciation du bref délai.
L'arrêt relève, pour l'appréciation du bref délai applicable à l'action en intervention et garantie dirigée contre la demanderesse, l'existence d'une mise en demeure reçue par la première défenderesse le 29 juin 1999, l'existence d'une information transmise par la première défenderesse à la demanderesse le 3 août 1999 et l'absence de pourparlers ultérieurs. Il constate que la demanderesse fut citée en intervention et garantie par exploit du 28 février 2000 et qu'elle en déduisait que l'exigence du bref délai n'avait pas été respectée. L'affirmation selon laquelle «vu la nature du litige, ce délai ne paraît pas tardif» ne constitue qu'une pétition de principe et non la constatation de la pertinence de ces actes extrajudiciaires et du défaut de pertinence de l'absence de pourparlers ultérieurs, pour l'appréciation du caractère tardif de la citation en intervention et garantie.
Ainsi, à défaut d'indiquer en quoi les éléments de fait qu'il relève sont pertinents pour justifier la décision qu'il prend sur le point de départ du bref délai dans lequel la demande en intervention et garantie dirigée contre la demanderesse devait être formée, l'arrêt attaqué ne permet pas à la Cour de contrôler la légalité de cette décision.
Il s'ensuit que l'arrêt viole l'obligation de motivation prescrite par l'article 149 de la Constitution.
1.2. Deuxième branche
L'article 1648 du Code civil dispose que l'action résultant des vices rédhibitoires affectant l'objet vendu doit être intentée par l'acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires et l'usage du lieu où la vente a été faite. Si le juge du fond apprécie en fait, souverainement, le bref délai dans lequel l'acheteur doit intenter sa demande en garantie résultant des vices rédhibitoires en tenant compte de toutes les circonstances de la cause, notamment de la nature de la marchandise vendue, de la nature du vice, des usages, de la qualité des parties et des actes judiciaires ou extrajudiciaires accomplis par elles, il est tenu de constater non seulement l'existence de tels éléments mais en outre leur pertinence pour l'appréciation du bref délai.
L'arrêt relève, pour l'appréciation du bref délai applicable à l'action en intervention et garantie dirigée contre la demanderesse, l'existence d'une mise en demeure reçue par la première défenderesse le 29 juin 1999, l'existence d'une information transmise par la première défenderesse à la demanderesse le 3 août 1999 et l'absence de pourparlers ultérieurs. Il constate que la demanderesse fut citée en intervention et garantie par exploit du 28 février 2000 et qu'elle en déduisait que l'exigence du bref délai n'avait pas été respectée. L'affirmation selon laquelle «vu la nature du litige, ce délai ne paraît pas tardif» ne constitue qu'une pétition de principe et non la constatation de la pertinence de ces actes extrajudiciaires et du défaut de pertinence de l'absence de pourparlers ultérieurs, pour l'appréciation du caractère tardif de la citation en intervention et garantie.
Il s'ensuit que l'arrêt viole l'article 1648 du Code civil.
1.3. Troisième branche
La demanderesse avait fait valoir, dans ses conclusions régulièrement soumises aux juges d'appel, que «si par impossible la cour (d'appel) décidait d'interpréter de manière aussi large que le premier juge la notion de 'bref délai' contenue dans l'article 1648 du Code civil, il conviendrait d'interpeller la Cour d'arbitrage ; que l'interprétation donnée par le premier juge de l'exigence du 'bref délai' contenue dans l'article 1648 du Code civil et du point de départ de ce délai laisse, en effet, apparaître une discrimination entre, d'une part, les vendeurs dont la garantie pour vices cachés est recherchée avant l'expiration du délai de garantie décennale des architectes et constructeurs et, d'autre part, ceux dont la garantie pour vices cachés est recherchée après l'expiration de ce délai, en ce que, alors que ces deux catégories de vendeurs se trouvent au regard de la mesure incriminée dans des situations semblables, la première catégorie de vendeurs pourrait encore se retourner contre ces architectes et constructeurs et l'autre pas ; qu'une telle situation paraît d'autant plus discriminatoire que, comme rappelé ci-avant, l'exigence du 'bref délai' contenue dans l'article 1648 du Code civil trouve sa raison d'être dans la possibilité pour le vendeur de 'mettre son fabricant à la cause' ; qu'il y aurait dès lors lieu de poser la question préjudicielle suivante à la Cour d'arbitrage : 'L'article 1648 du Code civil tel qu'interprété par le premier juge viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il permet indistinctement à l'acheteur de se retourner contre son vendeur pour les vices cachés entrant dans le champ d'application de la garantie décennale des architectes et constructeurs avant et après l'expiration du délai de cette garantie et crée ainsi une différence de traitement injustifiée entre deux catégories de vendeurs -à savoir, d'une part, ceux dont la garantie est recherchée avant l'expiration du délai précité et, d'autre part, ceux dont la garantie est recherchée après l'expiration de ce délai- les premiers conservant la possibilité de se retourner encore contre ces architectes et constructeurs alors que les seconds en sont empêchés ?'».
Ainsi la demanderesse faisait valoir que, dans l'interprétation qu'elle critiquait, l'article 1648 du Code civil instituait une discrimination, prohibée par les articles 10 et 11 de la Constitution, entre les deux catégories de vendeurs qu'elle définissait et que cette disposition légale violait dès lors les règles constitutionnelles précitées, et la demanderesse avait en conséquence soulevé la question préjudicielle libellée ci-avant.
Il s'ensuit qu'en énonçant, pour justifier son refus de poser à la Cour d'arbitrage la question préjudicielle proposée par la demanderesse, que la vente et l'entreprise sont deux contrats différents et concernent d'autres personnes selon le contrat, l'arrêt décide ou paraît décider ainsi qu'il n'existe pas de discrimination entre le vendeur et le cas échéant l'acheteur, d'une part, et l'entrepreneur et le cas échéant le maître de l'ouvrage, d'autre part, et laisse partant sans réponse les conclusions par lesquelles la demanderesse dénonçait une discrimination existant entre deux catégories de vendeurs et non une discrimination affectant les parties au contrat de vente par rapport aux parties au contrat d'entreprise, et le cas échéant le vendeur par rapport à l'entrepreneur ou l'acheteur par rapport au maître de l'ouvrage. Cette absence de réponse aux conclusions de la demanderesse équivaut à une absence de motivation et constitue dès lors la violation de l'article 149 de la Constitution, et en outre de l'article 29, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 qui dispose que la décision par laquelle une juridiction refuse de poser une question préjudicielle doit indiquer les motifs de refus.
1.4. Quatrième branche
L'article 1648 du Code civil dispose que l'action résultant des vices rédhibitoires affectant l'objet vendu doit être intentée par l'acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires et l'usage du lieu où la vente a été faite. Si le juge du fond apprécie en fait, souverainement, le bref délai dans lequel l'acheteur doit intenter sa demande en garantie résultant des vices rédhibitoires, en tenant compte de toutes les circonstances de la cause, notamment de la nature de la marchandise vendue, de la nature du vice, des usages, de la qualité des parties et des actes judiciaires ou extrajudiciaires accomplis par elles, lorsque l'objet vendu est un immeuble édifié et lorsque le vice allégué est un vice de construction régi par la responsabilité décennale instituée par l'article 1792 du Code civil à charge des architectes et entrepreneurs, le bref délai dans lequel l'acheteur peut agir contre le vendeur en raison de vices de construction de l'édifice ne peut prendre naissance plus de dix ans après la réception de l'édifice et donc après l'expiration du délai dans lequel le vendeur peut exiger la garantie des architectes et entrepreneurs due en exécution de l'article 1792 du Code civil. Si l'article 1648 du Code civil était interprété en ce sens qu'il ne prohibe pas que l'action résultant de vices rédhibitoires de construction affectant un édifice soit intentée contre le vendeur de l'édifice après l'expiration du délai de dix ans régissant la garantie des architectes et entrepreneurs, il consacrerait effectivement une discrimination entre, d'une part, les vendeurs dont la garantie pour vices cachés de construction affectant l'édifice vendu est recherchée avant l'expiration du délai de la garantie décennale due par les architectes et entrepreneurs, et qui conservent la possibilité de mettre en oeuvre cette garantie décennale, et, d'autre part, les vendeurs dont la garantie pour vices cachés de construction affectant l'édifice vendu est recherchée par l'acheteur après l'expiration du même délai, et qui sont privés
de la possibilité de mettre en oeuvre cette garantie, et il violerait les articles 10 et 11 de la Constitution.
Il s'ensuit qu'en appliquant l'article 1648 du Code civil aux faits de la cause, dans l'interprétation selon laquelle le point de départ du bref délai de l'action tendant à obtenir la garantie pour vice caché de construction, vice donnant par ailleurs ouverture à la garantie des architectes et entrepreneurs régie par l'article 1792 du Code civil, peut se situer après l'expiration de la garantie décennale instituée par cette disposition légale, l'arrêt viole, d'une part, l'article 1648 du Code civil et, pour autant que de besoin, l'article 1792 du même code; il viole, d'autre part, les articles 10 et 11 de la Constitution. Il s'ensuit qu'à tout le moins, dans l'hypothèse où la Cour n'estime pas devoir dès à présent censurer l'arrêt pour l'interprétation et l'application qu'il fait de l'article 1648 du Code civil, et pour la violation de cet article qui en résulte, il y a lieu, conformément à l'article 26, § 2, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, de poser à celle-ci la question préjudicielle libellée au dispositif de la requête.
1.5. Cinquième branche
L'article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage dispose que lorsqu'une question préjudicielle portant sur la violation, par une loi, notamment des articles 10, 11 et 24 de la Constitution, est soulevée devant une juridiction, celle-ci doit demander à la Cour d'arbitrage de statuer sur cette question, que toutefois la juridiction n'y est pas tenue lorsque l'action est irrecevable pour des motifs de procédure tirés de normes ne faisant pas elles-mêmes l'objet de la demande de question préjudicielle et que la juridiction dont la décision est susceptible, selon le cas, d'appel, d'opposition, de pourvoi en cassation et de recours en annulation au Conseil d'Etat n'y est pas tenue non plus 1° lorsque la Cour a déjà statué sur une question ou un recours ayant le même objet ; 2° lorsqu'elle estime que la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable pour rendre sa décision ; 3° si la loi ne viole manifestement pas une règle ou un article de la Constitution visés au paragraphe 1er.
La demanderesse avait fait valoir, dans ses conclusions régulièrement soumises aux juges d'appel et reproduites dans la troisième branche du moyen ci-dessus, que, dans l'interprétation qu'elle critiquait, l'article 1648 du Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution en sorte qu'il ne pourrait être appliqué que si la Cour d'arbitrage le jugeait, ainsi interprété, conforme à ces règles constitutionnelles et elle avait en conséquence soulevé la question préjudicielle précitée.
L'arrêt ne constate pas que serait vérifiée l'une au moins des conditions prévues par l'article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, pour qu'il soit fait exception à l'obligation de saisir la Cour d'arbitrage d'une question préjudicielle lorsqu'une telle question est soulevée devant la cour d'appel. L'arrêt ne décide ni que l'action est irrecevable pour des motifs de procédure tirés de normes ne faisant pas elles-mêmes l'objet de la demande de question préjudicielle, ni que la Cour d'arbitrage a déjà statué sur une question ou un recours ayant le même objet, ni que la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable pour rendre sa décision, ni que l'article 1648 du Code civil ne viole manifestement pas les articles 10 et 11 de la Constitution. Les motifs de l'arrêt concernant l'absence de discrimination existant entre les parties à un contrat de vente et les parties à un contrat d'entreprise n'impliquent nullement que ne serait pas indispensable, pour rendre la décision, la réponse à la question préjudicielle soulevée par la demanderesse et relative à la violation, par l'article 1648 du Code civil, des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qui concerne la discrimination existant entre les deux catégories de vendeurs décrites par la demanderesse dans la question préjudicielle qu'elle soulevait. Ces motifs n'impliquent pas davantage que, dans l'interprétation critiquée par la demanderesse, l'article 1648 du Code civil ne viole manifestement pas les articles 10 et 11 de la Constitution au regard de la discrimination dénoncée par la demanderesse entre ces deux catégories de vendeurs.
Il s'ensuit qu'en appliquant l'article 1648 du Code civil selon une interprétation telle qu'il était allégué que cette disposition légale viole les articles 10 et 11 de la Constitution, et en refusant de poser à la Cour d'arbitrage la question préjudicielle soulevée devant la cour d'appel, l'arrêt viole l'article 26, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage et pour autant que de besoin l'article 142 de la Constitution.
2. Second moyen
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution;
- articles 1134, 1582 et 1641 à 1648, spécialement 1643, du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt, statuant sur la demande en intervention et garantie formée par la première défenderesse, acheteur de l'édifice litigieux, contre la demanderesse, vendeur de cet édifice, et tendant à obtenir le bénéfice de la garantie pour vice caché, en l'espèce vice de construction, due par le vendeur à l'acheteur, conformément aux articles 1641 à 1648 du Code civil, déclare celle-ci recevable et rejette, par confirmation de la décision des premiers juges, la défense déduite par la demanderesse de la stipulation, contenue dans l'acte de vente du 30 janvier 1973, selon laquelle le bien était vendu «sans recours contre la venderesse pour vices cachés, (ni) vices de construction» et ce notamment aux motifs que «la clause d'exonération de responsabilité ne vaut en principe pas à l'égard du vendeur professionnel, sauf s'il établit le caractère indécelable du vice caché affectant la chose vendue ; que la (demanderesse) fait valoir que la jurisprudence ferait une distinction entre le vendeur professionnel et le vendeur spécialisé, qualité qu'elle n'aurait pas dans la mesure où, en tant que promoteur immobilier - et non constructeur immobilier - dont l'objet social est certes décrit d'une manière extrêmement large, elle n'avait nullement les capacités nécessaires à l'évaluation des qualités des matériaux utilisés par l'entreprise de construction H. et [du] respect par cette entreprise des règles de l'art ; qu'elle s'en remettait à l'avis de son architecte, que le caractère indécelable du vice caché ne dépend pas des moyens techniques dont le vendeur spécialisé dispose (...) ; que c'est la (demanderesse) qui a fait construire l'immeuble en 1973 en tant que maître de l'ouvrage ; qu'il ne lui suffit pas d'affirmer qu'elle s'en remettait à l'avis de son architecte, lequel n'aurait fait, à l'époque, aucune observation à ce sujet ; qu'elle n'en rapporte pas la moindre preuve, alors qu'il lui appartient de prouver que, quelle qu'ait été sa diligence, elle n'eût pu avoir connaissance du défaut ; que, pour autant que le vice soit établi, ce que l'expertise mettra ou non en évidence, son architecte, s'il avait été diligent, et, partant, elle aurait dû avoir connaissance de la composition de la structure du béton».
Griefs
2.1. Première branche
L'article 149 de la Constitution impose notamment au juge du fond de motiver sa décision en sorte que la Cour puisse en contrôler la légalité. L'article 1643 du Code civil dispose que le vendeur est tenu des vices cachés, quand bien même il ne les aurait pas connus, à moins que dans ce cas il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie. L'arrêt constate que l'acte de vente de l'immeuble litigieux comportait une stipulation d'exonération de garantie pour vices cachés et vices de construction et que les vices allégués par les défenderesses constituent des vices de construction. Dans ses conclusions régulièrement soumises aux juges d'appel, la demanderesse avait, d'une part, fait valoir, comme le relève l'arrêt, que l'article 1643 du Code civil doit être interprété en ce sens qu'il considère exclusivement le vendeur spécialisé et non le vendeur professionnel comme devant nécessairement connaître le vice caché du bien vendu sauf la preuve du caractère indécelable de ce vice, et comme tenu à garantir l'acheteur, et en ce sens qu'il ne prive en conséquence d'effet toute stipulation contractuelle excluant cette garantie qu'à l'égard du vendeur spécialisé; elle avait, d'autre part, fait valoir que si elle avait vendu l'immeuble litigieux dans le cadre de son activité professionnelle, encore n'avait-elle pas la qualité de vendeur spécialiste, dans la mesure où elle ne dispose d'aucune compétence technique particulière en matière de construction, qu'elle ne pourrait dès lors se voir appliquer le régime plus strict en vigueur à l'égard des [vendeurs] spécialistes, que, société de gestion de patrimoines, elle n'a d'ailleurs jamais fait construire et vendu que le seul immeuble litigieux et que le caractère même professionnel de son activité est contesté, que son activité de promotion immobilière était distincte de la construction immobilière et qu'en conséquence elle était en droit de se prévaloir de la stipulation d'exonération de garantie des vices cachés stipulée dans l'acte de vente litigieux.
S'il déclare prendre acte de l'argumentation déduite par la demanderesse de la distinction qu'elle proposait entre le régime juridique du vendeur spécialisé, seul régime excluant la stipulation d'exonération de garantie, et le régime juridique du vendeur professionnel, qui n'exclut pas une telle stipulation, l'arrêt ne rencontre pas, par la motivation reproduite ci-avant ni par aucune autre motivation, la défense par laquelle la demanderesse faisait valoir qu'elle n'était pas un vendeur spécialisé qui ne peut invoquer l'insuffisance des moyens techniques dont il dispose pour obtenir le bénéfice de la stipulation d'exonération de garantie, et qu'en tant que vendeur non spécialisé, elle pouvait invoquer et invoquait effectivement l'insuffisance de tels moyens d'investigation pour obtenir le bénéfice de cette stipulation.
A tout le moins, l'arrêt, en ce qu'il ne se prononce pas sur la qualification de la demanderesse comme vendeur spécialisé ou non spécialisé, ne permet pas à la Cour de contrôler la légalité de la décision par laquelle il applique à la demanderesse le régime juridique de la garantie des vices cachés due par le vendeur spécialisé.
Il s'ensuit que, tant par l'absence de réponse aux conclusions de la demanderesse que par l'absence de constatation de ce que celle-ci serait un vendeur spécialisé, l'arrêt ne satisfait pas à l'obligation de motivation prescrite par l'article 149 de la Constitution et partant viole cette disposition.
1.2.Deuxième branche
L'article 1134 du Code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et il résulte de l'article 1643 du Code civil que seul le vendeur spécialisé et non le vendeur professionnel doit nécessairement connaître le vice caché du bien vendu sauf la preuve du caractère indécelable de ce vice, et est tenu à garantir l'acheteur, et cette disposition légale ne prive en conséquence d'effet toute stipulation contractuelle excluant cette garantie qu'à l'égard du vendeur spécialisé. L'arrêt constate, d'une part, que l'acte de vente relatif à l'immeuble litigieux comportait une clause d'exonération de garantie pour vices cachés et vices de construction et, d'autre part, que la demanderesse déniait avoir la qualité de vendeur spécialisé.
Il s'ensuit qu'en décidant, d'une part, que l'article 1643 du Code civil régit les ventes conclues par les vendeurs professionnels et en décidant, d'autre part, sans avoir constaté que la demanderesse est un vendeur spécialisé, que celle-ci ne peut se prévaloir de la stipulation contractuelle d'exonération de garantie contenue dans l'acte de vente litigieux, l'arrêt viole les dispositions du Code civil visées au moyen, spécialement les articles 1134 et 1643 de ce code.
2.3. Troisième branche
L'article 1134 du Code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. L'article 1643 du Code civil dispose que le vendeur est tenu des vices cachés quand bien même il ne les aurait pas connus, à moins que dans ce cas il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie. L'arrêt constate, d'une part, que l'acte de vente relatif à l'immeuble litigieux comportait une stipulation d'exonération de garantie pour vice caché et vice de construction et, d'autre part, que la demanderesse déniait avoir la qualité de vendeur spécialisé. La faculté, pour un vendeur, spécialisé ou non, de déceler un vice caché affectant le bien vendu au moment de la vente, ne peut être appréciée par le juge du fond qu'après avoir constaté la nature, la gravité et le caractère caché du vice allégué. L'arrêt charge notamment l'expert qu'il désigne de décrire l'existence et la gravité des vices allégués, notamment par référence aux normes de construction applicables en 1973. A défaut d'avoir constaté notamment l'existence et la gravité du vice caché allégué, l'arrêt ne pouvait décider qu'il s'agissait d'un vice qui, s'il était établi, impliquerait que la demanderesse devait en avoir connaissance.
Il s'ensuit qu'en refusant pour ce motif de donner effet à la stipulation d'exonération de garantie invoquée par la demanderesse, l'arrêt viole les articles du Code civil visés au moyen, spécialement les articles 1134 et 1643 du Code civil.
IV. La décision de la Cour
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la seconde défenderesse:
Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par la seconde défenderesse et déduite du défaut d'instance liée entre elle et la demanderesse:
Attendu qu'il n'existait devant le juge du fond aucune instance liée entre la demanderesse et la seconde défenderesse et que l'arrêt ne prononce aucune condamnation de la demanderesse au profit de la seconde défenderesse;
Que la fin de non-recevoir est fondée;
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la première défenderesse:
Sur le premier moyen:
Quant à la première branche:
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la première défenderesse et déduite de ce que le grief formulé par le moyen est étranger à l'article 149 de la Constitution:
Attendu que le moyen, en cette branche, reproche à l'arrêt de ne pas constater la pertinence ou l'absence de pertinence des éléments de fait sur lesquels il fonde sa décision que la demande en garantie formée par la première défenderesse contre la demanderesse a été introduite dans le bref délai prévu par l'article 1648 du Code civil;
Que ce grief est étranger à la règle de forme prescrite par l'article 149 de la Constitution;
Que la fin de non-recevoir est fondée;
Quant à la deuxième branche:
Attendu que, sur la base des éléments de fait que l'arrêt
constate, les juges d'appel ont pu décider, sans violer l'article 1648 du Code civil, que la demande en garantie avait été introduite dans le bref délai prévu par cette disposition;
Qu'en cette branche, le moyen ne peut être accueilli;
Quant à la troisième branche:
Attendu que, contrairement à ce que soutient le moyen, l'arrêt, par les énonciations que le moyen reproduit, ne se borne pas à considérer qu'il n'existe pas de discrimination entre les parties à un contrat de vente, d'une part, et les parties à un contrat d'entreprise, d'autre part, mais précise les motifs pour lesquels la discrimination alléguée entre les deux catégories de vendeurs visées par la demanderesse ne peut être retenue;
Qu'en cette branche, le moyen manque en fait;
Quant à la quatrième branche:
Attendu que l'article 1648 du Code civil n'exclut pas que le point de départ du bref délai dans lequel doit être introduite l'action en garantie d'un vice caché puisse, s'agissant d'un immeuble, se situer après l'expiration du délai de la garantie décennale prévue par l'article 1792 du même code;
Que, dans la mesure où il invoque la violation de ces dispositions légales, le moyen, en cette branche, manque en droit;
Attendu que, pour le surplus, le moyen soutient que l'application de l'article 1648, ainsi interprété, emporte violation des règles de l'égalité des Belges devant la loi et de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés qui leur sont reconnus, contenues dans les articles 10 et 11 de la Constitution, en créant une distinction entre les vendeurs qui conservent la possibilité de mettre en ouvre la garantie décennale instituée par l'article 1792 du Code civil et ceux qui sont privés de cette possibilité en fonction de la date d'introduction de l'action fondée sur un vice rédhibitoire affectant l'objet vendu et dirigée contre eux;
Attendu que l'inégalité dénoncée ne gît pas dans l'article 1648 du Code civil, qui n'établit, quant à la prise de cours du bref délai, aucune distinction en fonction des recours dont disposerait le vendeur;
Qu'il n'y a, dès lors, pas lieu de poser une question préjudicielle à la Cour d'arbitrage;
Quant à la cinquième branche:
Attendu que, pour les motifs énoncés dans la réponse à la quatrième branche du moyen, la décision des juges d'appel de ne pas poser à la Cour d'arbitrage la question préjudicielle qui leur était soumise est légalement justifiée;
Qu'en cette branche, le moyen ne peut être accueilli;
Sur le second moyen:
Quant à la première branche:
Attendu que l'arrêt constate que la demanderesse reconnaît être un promoteur immobilier; qu'il énonce que «le caractère indécelable du vice caché ne dépend pas des moyens techniques dont le vendeur spécialisé dispose» et que «c'est la [demanderesse] qui a fait construire l'immeuble en 1973 en tant que maître de l'ouvrage»;
Attendu qu'ainsi l'arrêt considère que la demanderesse a la qualité de vendeur spécialisé et répond, en les contredisant, aux conclusions de la demanderesse qui faisaient valoir qu'elle n'était pas un vendeur spécialisé et qu'elle pouvait se prévaloir de l'insuffisance de ses moyens techniques;
Qu'en cette branche, le moyen manque en fait;
Quant à la deuxième branche:
Attendu qu'il ressort de la réponse à la première branche du moyen que le moyen, en cette branche, manque en fait;
Quant à la troisième branche:
Attendu que l'arrêt énonce que, «pour autant que le vice soit établi, ce que l'expertise mettra ou non en évidence, [l'] architecte [de la demanderesse], s'il avait été diligent, et, partant, elle, aurai[en]t dû avoir connaissance de la composition de la structure du béton»;
Qu'ainsi, l'arrêt précise la nature du vice susceptible d'avoir affecté l'immeuble vendu et considère que, compte tenu de cette nature, ce vice, à le supposer établi, ne présentait pas un caractère indécelable pour la demanderesse;
Que, par cette considération, l'arrêt justifie légalement sa décision de rendre l'expertise opposable à celle-ci, nonobstant la clause d'exonération de garantie stipulée à son profit;
Qu'en cette branche, le moyen ne peut être accueilli;
C. Sur la demande en déclaration d'arrêt commun:
Attendu que le rejet du pourvoi rend sans intérêt la demande en déclaration d'arrêt commun;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d'arrêt commun;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent septante-deux euros septante-six centimes envers la partie demanderesse, à la somme de cent trois euros quatre-vingt-quatre centimes envers la première partie défenderesse et à la somme de cent cinquante-sept euros trente-six centimes envers la deuxième partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Christian Storck, Didier Batselé, Albert Fettweis et Daniel Plas, et prononcé en audience publique du dix octobre deux mille trois par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général Xavier De Riemaecker, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.