ETAT BELGE, (Finances),
Me Ignace Claeys Bouuaert, avocat à la Cour de cassation,
contre
FOKKO DIJKSTRA BEHEER, société privée de droit néerlandais.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 16mai 2001 par la cour d'appel de Bruxelles.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Eric Stassijns a fait rapport.
L'avocat général délégué Dirk Thijs a conclu.
III. Les faits
Le 5janvier 1990, la défenderesse, une entreprise établie aux Pays-Bas, a acheté une voiture B.M.W. pour laquelle, outre le prix de NLG492.750, elle a payé la T.V.A. et la taxe de luxe dues en Belgique s'élevant à la somme de 571.733francs belges. Elle a introduit dans un premier temps une demande en restitution de 50% des taxes précitées (soit la somme de 285.883francs belges). L'administration ayant rejeté cette demande, elle a cité l'Etat belge en restitution de la somme globale des taxes en question.
L'arrêt attaqué a fixé la restitution à la somme de 171.530francs belges, soit 30% de la taxe.
La défenderesse a la qualité "d'assujetti mixte". Ses activités consistent, pour 30%, en des opérations permettant la déduction et, pour 70%, en des opérations ne donnant pas lieu à ce droit.
IV. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen, libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
-article 45, §2, et, conjointement, les articles 45, § 1er, et 46, §§1er et 2, de la loi du 3juillet 1969 créant le Code de la taxe sur la valeur ajoutée (abrégée ci-après Code T.V.A.), tels qu'ils étaient applicables à l'exercice de 1990, soit avant leur modification par la loi du 28décembre 1992;
-articles 12, alinéa 1er, tel qu'il était applicable après sa modification par l'arrêté royal du 23mars 1978, et 13, 2°, de l'arrêté royal n°3 du 10décembre 1969.
Décision attaquée
L'arrêt constate que la défenderesse doit être considérée comme une assujettie mixte, qu'en application de l'article 46 du Code T.V.A., la T.V.A. est déductible ou récupérable dans son chef au prorata des chiffres d'affaires résultant de ses activités soumises à la T.V.A. et de ses activités non soumises à la taxe, qu'en l'espèce, il y a lieu de fixer celui-ci conformément à l'article 46, §1er, du Code T.V.A.. L'arrêt fixe à 30% le prorata de la T.V.A. déductible en l'espèce. Il rejette la thèse du demandeur suivant laquelle, conformément à l'article 45, §2, du Code T.V.A., la déduction ne peut dépasser en aucun cas 50% des taxes qui ont été acquittées pour la livraison et l'importation de voitures automobiles qui peuvent servir tant au transport de personnes qu'au transport de marchandises et pour les livraisons et les services se rapportant à ces véhicules:
«Se ralliant au premier juge, la cour d'appel considère également que c'est à tort que (le demandeur) applique une seconde restriction dans son calcul, en ce sens que si elle indique le maximum déductible, la limite prévue à l'article 45, § 2, n'implique pas que la somme doive, ab initio, être réduite de moitié.
La restriction prévue à l'article 45, § 2, ne produit ses effets que si la fraction calculée conformément à l'article 46, § 1er, est supérieure à la limite de 50%.
Procéder à un autre calcul reviendrait à ajouter de manière illégale une condition à l'application de l'article 46, § 1er.
Ainsi, le prorata fixé à 30%, qui est inférieur à la limite de 50% et, en conséquence, est conforme à l'article 45, § 2, du Code T.V.A., doit être appliqué sur la totalité de la T.V.A. à l'importation, soit sur 571.766francs belges».
L'arrêt décide en conséquence que:
«(La défenderesse) a droit à la restitution d'une somme de 571.766francs belges x 30% = 171.530francs belges et aux intérêts légaux».
Griefs
En règle, conformément à l'article 45, § 2, alinéa 1er, du Code T.V.A., la déduction de la taxe en amont relative aux véhicules automobiles est limitée à 50% de la taxe acquittée.
Dans le chef des assujettis à part entière, la somme en principe déductible pour ces livraisons représente la moitié de la taxe payée.
À l'égard des assujettis mixtes, la somme déductible est en principe restreinte à une fraction de ce que les assujettis à part entière peuvent déduire.
Cette fraction, soit le «prorata déductible», est fonction du rapport entre le chiffre d'affaires donnant lieu à déduction et le chiffre d'affaires global.
Ni les dispositions de l'article 45, § 2, du Code T.V.A. ni aucune autre disposition légale ne permettent de déduire que la limite de 50% prévue pour la déduction de la T.V.A. sur les véhicules automobiles serait moindre ou pratiquement inexistante à l'égard des assujettis mixtes.
Cette restriction doit être cumulée avec le prorata.
En conséquence, l'assujetti mixte qui n'exploite pas d'entreprise de vente ou de location de véhicules automobiles ou de transport de personnes et dont le droit à la déduction de la taxe en amont est fixé au prorata, est tenu d'appliquer ce prorata sur la taxe en amont qu'il déduirait s'il était un assujetti à part entière.
Ainsi, la restriction de l'article 45, §2, du Code T.V.A. doit être appliquée antérieurement au calcul du prorata.
La considération suivant laquelle le fait de «procéder à un autre calcul reviendrait à ajouter de manière illégale une condition à l'application de l'article 46, § 1er» ne peut fonder la décision, la restriction du droit à la déduction étant prescrite par la loi même.
L'arrêt n'a pu décider sans violer la disposition de l'article 45, § 2, du Code T.V.A. que, par cette disposition, le législateur «a uniquement voulu fixer le maximum déductible» et c'est à tort qu'il n'a pas eu égard à cette disposition lors du calcul du prorata de la T.V.A. déductible dans le chef du défendeur (violation, en ordre principal, de l'article 45, § 2, du Code T.V.A. et, en ordre subsidiaire, des autres dispositions légales citées au début du moyen).
V. La décision de la Cour
Attendu qu'aux termes de l'article 46, § 1er, du Code T.V.A., tel qu'il est applicable en l'espèce, lorsque l'assujetti effectue dans l'exercice de son activité professionnelle tant des opérations permettant la déduction sur la base de l'article 45 que d'autres opérations, les taxes ayant grevé les biens et les services qu'il utilise pour cette activité sont déductibles au prorata du montant des premières opérations par rapport au montant total des opérations professionnelles qu'il effectue;
Qu'aux termes de l'article 45, § 2, alinéa 1er, du code précité, pour la livraison et l'importation de voitures automobiles servant au transport de personnes et pour les livraisons et les services se rapportant à ces véhicules, la déduction ne peut dépasser en aucun cas 50% des taxes qui ont été acquittées;
Que la disposition de l'article 46, § 1er, qui instaure uniquement un mode de calcul, ne déroge pas à la règle de l'article 45 suivant laquelle la déduction ne peut dépasser en aucun cas 50% des taxes qui ont été acquittées; que l'intention du législateur était de limiter la déductibilité à la moitié de la T.V.A. acquittée; qu'en règle, seules les taxes établies sur les livraisons et les services effectués au bénéfice de l'assujetti sont déductibles dans la mesure où celui-ci utilise les biens pour des opérations soumises à la taxe; que si l'assujetti est un assujetti mixte dont les activités sont en partie soumises à la T.V.A., seule la partie soumise à la taxe est prise en compte, sans dépasser toutefois 50%;
Que toute autre interprétation aurait pour effet de procurer aux assujettis mixtes un avantage en matière de déduction disproportionné à celui dont bénéficie les assujettis exerçant une activité entièrement soumise à la taxe;
Attendu que les juges d'appel considèrent que la T.V.A. déductible doit être calculée au prorata visé à l'article 46, § 1er, sans tenir compte de la restriction prévue à l'article 45;
Qu'ainsi, ils violent les dispositions légales citées au moyen;
Que le moyen est fondé;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Gand.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, les conseillers Ernest Waûters, Ghislain Londers, Eric Dirix et Eric Stassijns, et prononcé en audience publique du deux octobre deux mille trois par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général délégué Dirk Thijs, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Eric Stassijns et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,