ETS LEONE, société de droit italien, dont le siège est établi à Sesto Fiorentino (Florence - Italie), Via Ponte A. Quaracchi, 50,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Cécile Draps, avocat à la Cour de cassation,
contre
R. J. et cons .,
défendeurs en cassation ou, à tout le moins, parties appelées en déclaration d'arrêt commun.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 4 avril 2001 par la cour d'appel de Liège.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Didier Batselé a fait rapport
L'avocat général Xavier De Riemaecker a conclu.
III. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- article 5 de la loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux;
- article 1138, 2°, du Code judiciaire;
- article 149 de la Constitution;
- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt fait partiellement droit à la demande en tant qu'elle est dirigée contre la demanderesse et condamne celle-ci à payer aux consorts R.-C. la moitié de leur dommage évalué à un franc à titre provisionnel, aux motifs que:
«(.) l'appareil dentaire qui a causé des blessures à un oil de J. R1. présentait un risque d'utilisation, d'une part, en raison du fait qu'il était destiné à de jeunes enfants et, d'autre part, parce qu'il était susceptible de leur causer des blessures étant donné qu'il était mis sous tension à l'aide d'élastiques dont les effets sont souvent imprévisibles;
le fait pour (le docteur) H. d'avoir installé cet appareil dans la bouche de J. R. n'apparaît cependant pas fautif dès lors que l'université de Liège recommandait son utilisation et qu'il n'a pas manqué de prodiguer les conseils de prudence tant à l'enfant qu'à ses parents;
(le docteur) H. s'est comporté comme tout orthodontiste normalement prudent l'aurait fait à l'époque en sorte qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir prescrit l'appareil litigieux nonobstant les dangers qu'il pouvait présenter;
il s'ensuit que l'action basée sur l'article 1382 du Code civil n'est pas fondée;
(les consorts R.-C.) fondent également leur demande sur la loi du 25 février 1991 étant donné que l'appareil litigieux n'offrirait pas les garanties de sécurité auxquelles ils pouvaient s'attendre en sorte qu'il serait défectueux au sens de cette loi;
(.) l'usage du produit était susceptible de causer un dommage raisonnablement prévisible dans la mesure où il était destiné notamment à de jeunes enfants qui ne sont généralement pas en mesure d'apprécier les risques d'utilisation;
si J. R. a commis une imprudence en voulant retirer l'appareil litigieux de sa bouche sans avoir préalablement détaché les élastiques qui le maintenaient sous tension, cette circonstance n'est pas élusive de responsabilité dans le chef du producteur qui ne pouvait ignorer le risque que présentait l'utilisation de pareil appareil, nonobstant les conseils de prudence normalement prodigués aux jeunes utilisateurs;
la demande est dès lors fondée contre (la demanderesse), producteur du produit, qui (est) responsable (.) du dommage causé par un défaut de celui-ci et qui consiste dans le fait que son application requiert l'utilisation d'élastiques dont le système de fixation présentait un danger essentiellement pour les jeunes enfants;
(la demanderesse) ne pouvai(t) mettre dans le commerce l'appareil litigieux sans qu'il soit équipé d'un système de fixation ne présentant pas de danger pour les utilisateurs;
(.) le fait pour la victime d'avoir manipulé l'arc facial sans avoir préalablement décroché les élastiques, nonobstant les recommandations qui lui ont été faites sur ce point, est constitutif d'une faute dans son chef et justifie que la moitié de son dommage reste à sa charge».
Griefs
L'arrêt attaqué laisse incertain s'il a considéré la demanderesse comme le fabricant de l'appareil lui-même dans sa globalité ou comme le fabricant et fournisseur du seul arc facial et s'il a considéré que le défaut qu'il retient affectait l'appareil, soit l'ensemble des parties agencées, ou le seul arc facial.
1. Première branche
Si l'arrêt doit être lu en ce sens qu'il considère la demanderesse comme productrice de l'appareil dentaire dans sa globalité, il ne rencontre par aucune considération les conclusions où celle-ci faisait valoir qu'elle n'avait «pris part ni à la conception de l'appareil, ni à sa transformation, son rôle s'étant limité à fournir la pièce commandée par la société Dental Distribution, en l'espèce un arc facial extra-oral externe long, semi-fini, et conforme aux dispositions de la directive européenne 93/42 (.)». Il n'est, partant, pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).
2. Deuxième branche
Toutes les parties s'accordaient pour reconnaître que la demanderesse n'était ni le fabricant ni le fournisseur de l'appareil dentaire dans sa globalité, mais seulement de l'arc facial extra-oral métallique en faisant partie.
Dans l'interprétation critiquée à la première branche du moyen, s'il a considéré la demanderesse comme le fabricant de l'appareil dans sa globalité, l'arrêt attaqué élève ainsi une contestation dont les conclusions des parties excluaient l'existence (violation de l'article 1138, 2°, du Code judiciaire).
A tout le moins, en soulevant d'office ce moyen, sans ordonner une réouverture des débats afin que les parties puissent s'en expliquer plus avant, l'arrêt viole les droits de la défende de la demanderesse (violation du principe général du droit visé au moyen).
3. Troisième branche
Dans la même interprétation, l'arrêt méconnaît la notion de produit défectueux au sens de l'article 5 de la loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
L'arrêt retient le «risque que présentait l'utilisation de (l')appareil» litigieux pour considérer que cet appareil était affecté d'un défaut «qui consiste dans le fait que son application requiert l'utilisation d'élastiques dont le système de fixation présentait un danger essentiellement pour les jeunes enfants» et décider «que (la demanderesse) ne pouvai(t) mettre dans le commerce l'appareil litigieux sans qu'il soit équipé d'un système de fixation ne présentant pas de danger pour les utilisateurs». Il constate en outre, d'une part, qu'en l'espèce, les précautions que requiert l'utilisation de pareil appareil ont été communiquées «tant à l'enfant qu'à ses parents» et n'ont pas été respectées par J. R., puisqu'il décide que celle-ci «a commis une imprudence en voulant retirer l'appareil litigieux de sa bouche sans avoir préalablement détaché les élastiques qui le maintenaient sous tension (.)» et que «le fait pour la victime d'avoir manipulé l'arc facial sans avoir préalablement décroché les élastiques, nonobstant les recommandations qui lui ont été faites sur ce point, est constitutif d'une faute dans son chef (.)» et, d'autre part, que «l'université de Liège recommandait (l')utilisation (de cet appareil)», que «le fait pour (le docteur H.) (de l')avoir installé dans la bouche de J. R. n'apparaît (.) pas fautif» et que le docteur H. «s'est comporté comme tout orthodontiste normalement prudent l'aurait fait à l'époque en sorte qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir prescrit l'appareil litigieux nonobstant les danger qu'il pouvait présenter».
L'article 5 de la loi du 25 février 1991 définit le produit défectueux comme celui qui «n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de toutes les circonstances et notamment: a) de la présentation du produit; b) de l'usage normal ou raisonnablement prévisible du produit (.)». Aux termes de cette disposition, la notion de défaut ne vise donc que la sécurité à laquelle le consommateur peut «légitimement s'attendre», compte tenu notamment de «l'usage normal ou raisonnablement prévisible du produit» ainsi que de «la présentation du produit», laquelle recouvre en particulier l'information délivrée par le producteur ou le fournisseur au consommateur au sujet du danger potentiel que le produit présente et des nécessaires précautions à adopter de ce fait.
L'arrêt, qui relève que l'utilisation de pareil appareil dentaire pour de jeunes enfants est médicalement adéquate et que toutes les recommandations d'utilisation ont été données, et qui ne constate pas que l'appareil litigieux se soit en l'espèce comporté de manière anormale, ne pouvait déduire de ces éléments que l'appareil pris dans sa globalité était un produit défectueux au sens de l'article 5 de la loi du 25 février 1991. Il n'est, partant, pas légalement justifié (violation de cette disposition).
4. Quatrième branche
Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse faisait valoir «que l'arc fourni par elle est un produit semi-fini, conforme quant à sa conception et à sa fabrication aux dispositions de la directive communautaire 93/42 concernant les dispositifs médicaux qui, tels que fournis, ne peuvent être placés dans la bouche d'un patient, sans être auparavant ajustés selon la dimension de la bouche de celui-ci et modifiés par des professionnels avant usage spécifique (cfr également, à ce sujet, les conclusions d'instance de [la demanderesse],: '.qu'au contraire, il doit être ajusté selon les mensurations du patient, modifié avec des «stops» d'arrêt de compensation, et enfin, activé plusieurs fois par le praticien; qu'en outre, cet arc est une partie de la prothèse entière; que cette prothèse est normalement composée de parties appliquées (1) sur les dents (bagues, tubes, brackets), (2) sur la tête du patient (casque) et (3) avec des tractions de sécurité (cfr catalogues .) .'» et «qu'il est en tout cas essentiel de savoir si l'arc fourni a bien été utilisé avec des tractions de sécurité; qu'au cas où ces dernières n'auraient pas été placées, il est manifeste que l'orthodontiste et/ou le(s) préparateur(s) auraient commis une faute engageant leurs seules responsabilités professionnelles respectives».
L'arrêt attaqué se borne à relever «que (la demanderesse) ne pouvai(t) mettre dans le commerce l'appareil litigieux sans qu'il soit équipé d'un système de fixation ne présentant pas de danger pour les utilisateurs», sans rencontrer par aucune considération les moyens déduits, d'une part, de la conformité de l'arc facial à la directive 93/42 concernant les dispositifs médicaux et, d'autre part, de la circonstance qu'il devait être utilisé avec des tractions de sécurité, dont le placement ne lui incombait pas.
Il n'est, partant, pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).
5. Cinquième branche
Si l'arrêt attaqué doit être lu comme ayant considéré que la demanderesse a produit et mis dans le commerce non pas l'appareil dentaire dans sa globalité mais seulement l'arc facial extra-oral, il ne pouvait, sur la base des éléments qu'il relève, considérer que cet arc serait affecté d'un défaut au sens de l'article 5 de la loi du 25 février 1991.
L'arrêt retient le «risque que présentait l'utilisation de (l')appareil» litigieux pour considérer que cet appareil était affecté d'un défaut «qui consiste dans le fait que son application requiert l'utilisation d'élastiques dont le système de fixation présentait un danger essentiellement pour les jeunes enfants» et décider «que (la demanderesse) ne pouvai(t) mettre dans le commerce l'appareil litigieux sans qu'il soit équipé d'un système de fixation ne présentant pas de danger pour les utilisateurs». Il constate en outre, d'une part, qu'en l'espèce, les précautions que requiert l'utilisation de pareil appareil ont été communiquées «tant à l'enfant qu'à ses parents» et n'ont pas été respectées par J. R., puisqu'il décide que celle-ci «a commis une imprudence en voulant retirer l'appareil litigieux de sa bouche sans avoir préalablement détaché les élastiques qui le maintenaient sous tension (.)» et que «le fait pour la victime d'avoir manipulé l'arc facial sans avoir préalablement décroché les élastiques, nonobstant les recommandations qui lui ont été faites sur ce point, est constitutif d'une faute dans son chef (.)» et, d'autre part, que «l'université de Liège recommandait (l')utilisation (de cet appareil)», que «le fait pour (le docteur H.) (de l')avoir installé dans la bouche de J. R. n'apparaît (.) pas fautif» et que le docteur H. «s'est comporté comme tout orthodontiste normalement prudent l'aurait fait à l'époque en sorte qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir prescrit l'appareil litigieux nonobstant les dangers qu'il pouvait présenter».
L'article 5 de la loi du 25 février 1991 définit le produit défectueux comme celui qui «n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de toutes les circonstances et notamment: a) de la présentation du produit; b) de l'usage normal ou raisonnablement prévisible du produit (.)». Aux termes de cette disposition, la notion de défaut ne vise donc que la sécurité à laquelle le consommateur peut «légitimement s'attendre», compte tenu notamment de «l'usage normal ou raisonnablement prévisible du produit» ainsi que de «la présentation du produit», laquelle recouvre en particulier l'information délivrée par le producteur ou le fournisseur au consommateur au sujet du danger potentiel que le produit présente et des nécessaires précautions à adopter de ce fait.
L'arrêt, qui relève que l'utilisation de pareil appareil dentaire pour de jeunes enfants est médicalement adéquate et que toutes les recommandations d'utilisation ont été données et qui ne constate pas que l'arc facial extra-oral se soit en l'espèce comporté de manière anormale, ne pouvait déduire de ces éléments que cet arc était un produit défectueux au sens de l'article 5 de la loi du 25 février 1991. Il n'est, partant, pas légalement justifié (violation de cette disposition).
IV. La décision de la Cour
Quant aux trois premières branches réunies :
Attendu qu'il ressort du contexte de l'arrêt que la cour d'appel a considéré que la demanderesse n'avait produit que l'arc facial de l'appareil dentaire;
Qu'en ces branches, le moyen manque en fait;
Quant à la quatrième branche:
Attendu que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre, d'une part, à des considérations d'où la demanderesse ne déduisait aucune conséquence juridique et, d'autre part, à des considérations énoncées sur un mode hypothétique;
Qu'en cette branche, le moyen ne peut être accueilli;
Quant à la cinquième branche:
Attendu qu'en vertu de l'article 5 de la loi du 25 février 1991 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de toutes les circonstances du moment et notamment de la présentation du produit et de l'usage normal ou raisonnablement
prévisible du produitpar ses utilisateurs;
Attendu que l'arrêt considère que, par le fait qu'il nécessitait «l'utilisation d'élastiques dont le système de fixation présentait un danger essentiellement pour les jeunes enfants», l'arc facial était affecté d'un défaut à l'origine du dommage et que «l'usage du produit était susceptible de causer un dommage raisonnablement prévisible dans la mesure où il était destiné notamment à de jeunes enfants qui ne sont généralement pas en mesure d'apprécier les risques d'utilisation; que si [la troisième défenderesse] a commis une imprudence en voulant retirer l'appareil litigieux de sa bouche sans avoir préalablement détachéles élastiques qui le maintenaient sous tension, cette circonstance n'est pas élusive de responsabilité dans le chef du producteur qui ne pouvait ignorer le risque que présentait pareil appareil, nonobstant les conseils de prudence normalement prodigués aux jeunes utilisateurs»;
Attendu qu'ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision que l'appareil n'offrait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre;
Qu'en cette branche, le moyen ne peut être accueilli;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille deux cent cinquante-quatre euros nonante-quatre centimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent quatre-vingt-huit euros nonante-six centimes envers les parties défenderesses.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Christian Storck, Didier Batselé, Albert Fettweis et Philippe Gosseries, et prononcé en audience publique du vingt-six septembre deux mille trois par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général Xavier De Riemaecker, avec l'assistance du greffier adjoint Christine Danhiez.