ETAT BELGE,
demandeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation,
contre
L. E.,
défenderesse en cassation
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 23 mars 2001 par la cour d'appel de Mons.
II. La procédure devant la Cour
Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
III. Les moyens de cassation
1. Premier moyen
Dispositions légales violées
Articles 75 (tel qu'il a été modifié par la loi du 8 août 1980), 294 et 295, § 1er, (tels qu'ils ont été modifiés par la loi du 10 février 1981) du Code des impôts sur les revenus établi par l'arrêté royal du 26 février 1964 portant coordination des dispositions légales relatives aux impôts sur les revenus, devenus respectivement, à la suite de la loi du 12 juin 1992 portant confirmation du Code des impôts sur les revenus 1992 coordonné par l'arrêté royal du 10 avril 1992, les articles 128, 393 et 394, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que la défenderesse avait contracté mariage avec le sieur M. C. en 1971 sous le régime de la communauté légale, que leur divorce fut prononcé par jugement du 5 mars 1987 transcrit le 3 juin 1987, que les cotisations litigieuses relatives aux exercices d'imposition 1987 et 1988 (pour partie) devaient être considérées comme communes, que toutefois seul l'époux de la défenderesse a fait l'objet d'un enrôlement pour les cotisations concernées, l'arrêt dit pour droit que le demandeur «n'est pas . fondé à invoquer l'article 295 du Code des impôts sur les revenus (1964) pour justifier sa saisie» aux motifs que cette disposition «ne constitue qu'une application des principes énoncés à l'article 294 du même code qui suppose un enrôlement au nom de plusieurs personnes», que «la place de l'article 295 et sa référence implicite à l'article précédent par la double reprise des termes 'quotités de l'impôt afférentes aux revenus' conduit à la lecture conjointe et indissociable des deux dispositions» et qu'ainsi l'article 295 ne peut trouver à s'appliquer «que pour les cotisations enrôlées au nom des deux conjoints, ce qui n'est pas le cas en l'espèce».
Griefs
Les termes généraux dans lesquels l'article 295 du Code des impôts sur les revenus (1964) est rédigé ne permettent pas de déduire que cette disposition ne viserait que l'hypothèse où l'impôt a été enrôlé au nom des deux conjoints.
En effet, l'article 295, § 1er, alinéa 1er, de ce code énonce que «chacune des quotités de l'impôt afférentes aux revenus respectifs des conjoints ainsi que le précompte enrôlé au nom de l'un d'eux peuvent, quel que soit le régime matrimonial, être recouvrés sur tous les biens propres et sur les biens communs des deux conjoints».
Le principe est ainsi posé suivant lequel, en présence de «conjoints», le receveur va pouvoir procéder au recouvrement sur tous les biens de ceux-ci sans même être tenu d'avoir égard à leur régime matrimonial.
Les époux séparés de fait n'échappent pas à la règle puisqu'ils sont toujours, au regard de la loi, des «conjoints».
De la même manière que le texte ne distingue pas selon que les conjoints se trouvent ou non dans une situation de séparation de fait, il ne distingue pas non plus selon que l'enrôlement est fait à leurs deux noms ou séparément.
Les impositions enrôlées distinctement au nom de chaque époux en application de l'article 75, alinéas 1er, 2°, et 2, du Code des impôts sur les revenus (1964), n'en restent pas moins des impositions frappant «les revenus respectifs des conjoints» au sens de l'article 295 de ce code.
Si l'article 295 recourt effectivement aux termes «chacune des quotités de l'impôt afférentes aux revenus respectifs des conjoints», par ailleurs également repris à l'article 294 qui vise lui l'hypothèse spécifique d'un enrôlement au nom de plusieurs personnes, encore cela ne permet-il pas de présupposer nécessairement que l'article 295 ne couvrirait que l'hypothèse où l'enrôlement a eu lieu au nom des deux conjoints.
En effet, l'article 295 se distingue de l'article 294 par le fait qu'il s'applique uniquement aux «conjoints» et qu'il ne précise pas autrement de quelle manière est enrôlé l'impôt dont les quotités permettent d'apprécier l'étendue du recouvrement.
En ce sens, l'article 295 offre un champ d'application à la fois plus restreint et plus général que celui qui est couvert par l'article 294.
Ces deux dispositions n'ont d'autres liens entre elles que de préciser, sans doute au départ d'expressions communes, mais chacune pour ce qui la concerne, les règles de recouvrement qui accompagnent l'impôt légalement enrôlé.
Si, sans doute, l'article 295, lorsque les conjoints font l'objet d'un enrôlement effectué à leurs deux noms, peut être analysé comme une application particulière ou le prolongement, pour les conjoints, des principes énoncés à l'article 294, en revanche, il laisse transparaître toute son autonomie par rapport à cette dernière disposition lorsque les conjoints font l'objet d'enrôlements distincts.
La notion de «quotités de l'impôt afférentes aux revenus respectifs des conjoints» n'est pas nécessairement liée à la seule situation des enrôlements collectifs et peut tout aussi bien s'appliquer à des cotisations établies distinctement.
Historiquement l'article 295 succède à l'article 294 tel qu'il était en vigueur avant son abrogation par la loi du 10 février 1981.
Déjà dans l'article 294, et s'agissant d'un impôt établi au seul nom du chef de famille, il était question au paragraphe 2 du «recouvrement des quotités de l'impôt afférentes aux revenus respectifs du conjoint et des enfants».
En outre, la formule permet de couvrir différentes hypothèses de cotisations établies distinctement au nom d'un seul conjoint et notamment pour l'année du mariage ou pour l'année de sa dissolution (v. article 75, § 1er, 1° et 3°).
Dans de telles hypothèses, le recouvrement ne pourra s'opérer qu'après que l'administration aura déterminé, pour chaque conjoint, la quotité de l'impôt afférente aux revenus recueillis pendant le mariage.
Il s'ensuit qu'en disant fondée l'opposition de la défenderesse à la saisie-arrêt fiscale du 5 décembre 1984 en tant que celle-ci vise à obtenir le règlement des cotisations enrôlées sous les articles 8702099 et 9707838, au motif que le demandeur «n'est pas (.) fondé à invoquer l'article 295 du Code des impôts sur les revenus (1964) pour justifier sa saisie», cette disposition ne pouvant «trouver à s'appliquer que pour les cotisations enrôlées au nom des deux conjoints, ce qui n'est pas le cas en l'espèce», l'arrêt ajoute au texte légal une condition qui n'y est pas prévue, soit l'enrôlement au nom des deux conjoints, et viole l'ensemble des dispositions légales citées en tête du moyen.
2. Second moyen
Dispositions légales violées
- articles 75 (tel qu'il a été modifié par la loi du 8 août 1980), 266, 295 (tel qu'il a été modifié par la loi du 10 février 1981), du Code des impôts sur les revenus établi par l'arrêté royal du 26 février 1964 portant coordination des dispositions légales relatives aux impôts sur les revenus, devenus respectivement, suite à la loi du 12 juin 1992 portant confirmation du Code des impôts sur les revenus 1992 coordonné par l'arrêté royal du 10 avril 1992, les articles 128, 365 et 394 du Code des impôts sur les revenus 1992;
- article 6 de la loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l'Etat;
- article 176, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 4 mars 1965 d'exécution du Code des impôts sur les revenus (1964), devenu l'article 133 de l'arrêté royal du 27 août 1993 d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992;
- articles 1408, 1414, alinéa 1er, et 1440, alinéa 1er, du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Tout en reconnaissant que les cotisations litigieuses relatives aux exercices d'imposition 1987 et 1988 (pour partie) doivent être considérées comme communes et que cette «dette d'impôt pourrait être, en vertu de l'article 1440, alinéa 1er, du Code civil, récupérable après le divorce sur l'ensemble des biens de chacun des époux», l'arrêt décide toutefois que «sur cette base, l'administration ne peut procéder à une saisie-exécution sur les biens de (la défenderesse) sans disposer d'un titre exécutoire contre elle», qu'en l'occurrence elle ne disposait pas de pareil titre, «puisque le caractère exécutoire de celui-ci est lié à l'enrôlement et que (.) seul l'ex-époux de (la défenderesse) a fait l'objet d'un enrôlement pour les cotisations des exercices 1987 et 1988 dont le paiement est aujourd'hui réclamé à (la défenderesse)» et «qu'il incombe dès lors (au demandeur) de se faire délivrer au préalable un titre exécutoire judiciaire contre (la défenderesse)».
Griefs
Si le rôle rendu exécutoire par le directeur des contributions ou le fonctionnaire délégué constitue bien le titre légal de perception en matière d'impôts sur les revenus et si l'administration ne peut effectivement pas agir en recouvrement contre une personne vis-à-vis de qui elle ne dispose d'aucun titre, il ne peut par contre être inféré de la circonstance qu'une personne n'a fait l'objet d'aucun enrôlement et donc que le rôle n'est pas établi à son nom que l'administration serait dépourvue de titre exécutoire à son encontre.
En effet, l'article 6 de la loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l'Etat énonce que «la perception des deniers de l'Etat ne peut être effectuée que par un comptable du Trésor, et en vertu d'un titre légalement établi».
L'article 266 du Code des impôts sur les revenus (1964) dispose que «le précompte immobilier, l'impôt des personnes physiques, (.), font l'objet de rôles annuels ou spéciaux».
L'article 176, alinéa 1er, de l'arrêté royal d'exécution de ce code précise que «les cotisations sont portées aux rôles au nom des redevables intéressés».
L'article 73 de ce code pose pour principe que «la cotisation est établie au nom des deux conjoints».
Par dérogation à ce principe, l'article 75, § 1er, 2°, du même code prévoit l'établissement de deux cotisations distinctes au nom de chacun des époux à partir de l'année qui suit celle au cours de laquelle une séparation de fait est intervenue.
S'agissant de conjoints séparés de fait, l'article 75, § 1er, 2°, répond donc directement à la question de savoir qui sont les «redevables intéressés» visés par l'article 176, alinéa 1er, de l'arrêté royal précité.
L'imposition établie conformément à l'article 75 constitue ainsi le titre légal de perception sur la base duquel le receveur, en qualité de comptable du Trésor, peut procéder au recouvrement en vertu de l'article 6 de la loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l'Etat.
Cette disposition n'apporte aucune limitation au «rayonnement» exécutoire de ce titre et n'exclut nullement que le titre établi au nom d'une personne puisse servir au recouvrement dans le chef d'une autre.
Si limitation il doit y avoir, elle ne procède pas des mentions nominatives du rôle, mais simplement des règles de recouvrement qui prévalent en droit commun ou qui résultent de dispositions fiscales spécifiques.
En disposer autrement revient à ajouter au texte légal des conditions qu'il ne comporte pas.
L'arrêt ne remet pas en question l'existence d'un titre exécutoire établi au nom de l'ex-époux de la défenderesse.
Comme développé dans le premier moyen, l'article 295 du Code des impôts sur les revenus (1964) doit permettre le recouvrement de la dette d'impôt litigieuse à charge du conjoint non repris au rôle.
Au surplus l'arrêt admet que la dette d'impôt litigieuse peut être recouvrée sur l'ensemble des biens de «chacun» des époux sur la base des dispositions de droit commun et en particulier sur la base de l'article 1440, alinéa 1er, du Code civil.
Il s'ensuit qu'en constatant que les cotisations querellées avaient été enrôlées au seul nom de l'ex-époux de la défenderesse en application de l'article 75, § 1er, 2°, du Code des impôts sur les revenus (1964), l'arrêt n'a pu légalement décider que l'administration était sans titre exécutoire pour procéder à une saisie sur les biens de la défenderesse et a violé l'ensemble des dispositions légales citées en tête du moyen.
IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Attendu qu'en vertu de l'article 295, § 1er, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus (1964), chacune des quotités de l'impôt afférentes aux revenus respectifs des conjoints ainsi que le précompte enrôlé au nom de l'un d'eux peuvent, quel que soit le régime matrimonial, être recouvrés sur tous les biens propres et sur les biens communs des deux conjoints ;
Qu'il s'ensuit que, pour autant qu'il soit établi sur les revenus perçus pendant le mariage, l'impôt peut être recouvré à charge du conjoint autre que celui au nom duquel il a été établi ;
Que cette disposition légale s'applique également lorsque, en vertu de l'article 75 de ce code, l'impôt dû par chacun des époux fait l'objet d'une imposition distincte ;
Attendu que l'arrêt, qui considère que «les dispositions de l'article 295 précité ne peuvent trouver à s'appliquer que pour les cotisations enrôlées au nom des deux conjoints», viole cette disposition légale ;
Que le moyen est fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu qu'il se déduit de l'article 295 du Code des impôts sur les revenus (1964) que la cotisation régulièrement établie au nom d'un époux et portée au rôle rendu exécutoire constitue le titre qui permet à l'administration d'exiger le paiement de cette cotisation et de procéder à son recouvrement sur les biens du conjoint qui n'a pas été repris au rôle;
Attendu que l'arrêt qui considère que, faute de s'être fait délivrer préalablement un titre exécutoire judiciaire contre la défenderesse, l'administration ne peut procéder à une saisie-exécution sur les biens de celle-ci, ne justifie pas légalement sa décision;
Que le moyen est fondé;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué, en tant qu'il déclare fondée l'opposition de la défenderesse à la saisie-arrêt fiscale du 5 décembre 1994 en ce que celle-ci tend à obtenir le règlement des cotisations enrôlées sous les numéros 8702099 et 9707838 et qu'il statue sur les dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Philippe Echement, Didier Batselé, Daniel Plas et Sylviane Velu, et prononcé en audience publique du douze septembre deux mille trois par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général André Henkes, avec l'assistance du
greffier Marie-Jeanne Massart.