La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/06/2003 | BELGIQUE | N°F.01.0079.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 19 juin 2003, F.01.0079.F


FLORINVEST, s.a.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,
contre
ETAT BELGE,
défendeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 29 juin 2001 par la cour d'appel de Bruxelles.
II. La procédure devant la Cour
Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
III. Les moyens de cassation
La demanderesse prés

ente trois moyens libellés dans les termes suivants:
1. Premier moyen
Dispositions légales violées
- art...

FLORINVEST, s.a.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,
contre
ETAT BELGE,
défendeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 29 juin 2001 par la cour d'appel de Bruxelles.
II. La procédure devant la Cour
Le président de section Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
III. Les moyens de cassation
La demanderesse présente trois moyens libellés dans les termes suivants:
1. Premier moyen
Dispositions légales violées
- article 6 de l'arrêté royal du 6 [lire : 8] octobre 1976 relatif aux comptes annuels des entreprises;
- articles 24, alinéa 1er, 2°, 43, 183 et 192 du Code des impôts sur les revenus 1992 ;
- article 1165 du Code civil;
- principe général du droit de l'opposabilité aux tiers des effets externes des conventions;
- pour autant que de besoin, articles 21, alinéa 1er, 2°, 32quinquies, alinéa 3, 96 et 105bis du Code des impôts sur les revenus (1964).
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que, le mercredi 18 décembre 1991, la demanderesse a acheté, par l'intermédiaire de la banque Wesselius établie à Amsterdam: (a) pour le prix, en francs belges, de 2.748.184 francs, nonante-quatre options d'achat (call), lui permettant chacune d'acheter 100 actions Royal Dutch au prix d'exercice de 130 florins par action; et (b) pour le prix, en francs belges, de 6.612.818 francs, nonante-quatre options de vente (put), lui permettant chacune de vendre 100 actions Royal Dutch au prix d'exercice de 180 florins par action; que, dès le jeudi 19 décembre 1991, elle leva les options call et acheta 9.400 actions Royal Dutch au prix unitaire de 130 florins par action, soit pour un prix total, en francs belges, de 22.328.995 francs; que, le lundi 23 décembre 1991, la demanderesse leva les options put et revendit 9.400 actions Royal Dutch au prix unitaire de 180 florins par action, soit pour un prix total, en francs belges, de 30.917.070 francs ; que la demanderesse a comptabilisé au débit du compte «charges financières diverses» le prix d'achat des options call et des options put, soit au total 9.361.002 francs ; que la plus-value réalisée sur la vente des actions Royal Dutch, s'élevant à 8.588.075 francs (différence entre le prix de vente de 30.917.070 francs et le prix d'achat de 22.328.995 francs), a été comptabilisée dans le compte de produits « plus-values sur vente de titres en portefeuille » ; qu'au point de vue fiscal, la demanderesse a déduit, à titre de frais professionnels, le prix total d'achat des options et le montant des commissions ; que, dans sa déclaration à l'impôt des sociétés de l'exercice d'imposition 1992, elle a déclaré la plus-value de 8.588.075 francs au titre de « plus-values sur actions ou parts », considérant que cette plus-value était exonérée par application de l'article 192 du Code des impôts sur les revenus 1992;
et après avoir décidé que le prix (ou la prime) d'acquisition des options d'achat sur les actions Royal Dutch aurait dû être comptabilisé, non comme une charge, mais comme un élément d'actif ; que lors de l'exercice de ces options, les actions acquises auraient dû être comptabilisées à leur prix d'achat majoré du prix (ou de la prime) d'acquisition des options d'achat ; que le prix (ou la prime) d'acquisition des options de vente sur les actions Royal Dutch aurait dû être comptabilisé, au moment de leur acquisition, non comme une charge, mais comme un élément d'actif,
l'arrêt décide que, pour déterminer la plus-value ou la moins-value réalisée à l'occasion de la vente des actions Royal Dutch, il y a lieu de déduire du produit de vente des actions (30.917.070 francs) le prix d'acquisition des options de vente (6.612.818 francs) et qu'en conséquence, la demanderesse a réalisé, à l'occasion de la revente des 9.400 actions Royal Dutch, non pas une plus-value, mais une moins-value de 1.391.319 francs (résultat de la différence entre, d'une part, le prix de vente des actions diminué de la prime d'acquisition des options de vente, et d'autre part, le prix d'acquisition des actions majoré de la prime d'acquisition des options d'achat), ce qui implique que le prix d'acquisition des options de vente n'est pas déductible au titre de frais professionnels au moment de l'exercice de ces options,
pour les motifs suivants : (1) « il n'existe aucune disposition légale belge qui prescrive un mode de comptabilisation propre à l'option ou qui en organise un régime fiscal propre ; la comptabilisation ainsi que le régime fiscal doivent être réglés sur la base de la nature de l'option ; l'option est un instrument financier représentant un titre négociable ; elle confère à son titulaire, moyennant le paiement d'une prime (le prix de l'option), le droit d'acheter ou de vendre un actif (actif sous-jacent) à un prix convenu (prix d'exercice) à une date déterminée ; elle a une valeur patrimoniale propre (évaluable), une existence autonome (une durée d'utilisation) et est négociable (droit d'usage et de disposition) ; elle se distingue de l'actif sous-jacent (le titre) sur lequel elle porte puisque son propriétaire peut en faire différents usages et en disposer indépendamment de l'actif sous-jacent; la prime d'option est donc un élément d'actif qui a une valeur patrimoniale propre, correspondant à une valeur temps (durée de l'option) et à la valeur intrinsèque de l'option (variable en fonction du cours de l'action sous­-jacente, c'est-à-dire du titre sur lequel porte l'option), lequel (lire : laquelle) est un titre négociable; la valeur de cette prime est sujette à dépréciation et réévaluation en fonction desdits paramètres ; le titulaire de l'option détient un droit sur l'émetteur de celle-ci ; ce droit représente une valeur économique; l'option constitue en quelque sorte un démembrement des droits financiers attachés aux titres sous-jacents ; l'option ne peut donc être assimilée à une charge, telle une prime d'assurance, un intérêt ou un loyer, ni des frais accessoires ; l'option représente à l'égard de l'émetteur de celle-ci un avoir à porter à l'actif du bilan et non une charge à acter en tant que telle au compte de résultats ; par conséquent, selon l'avis de la Commission des normes comptables (avis 167/1 et 167/2), en cela suivi par l'administration et par la cour d'appel, en cas de levée d'une option d'achat, le prix payé pour l'exercice de l'option (le prix d'exercice) s'ajoutera au prix payé pour l'acquisition de l'option (la prime), pour déterminer la valeur de l'acquisition des titres en cause ; (...) (2) en cas de levée d'une option de vente, les titres sous-jacents sortent du patrimoine à leur valeur comptable nette, à savoir le prix de vente obtenu pour les titres, diminué du prix de l'option ; en l'espèce, c'est donc une perte qui est engendrée par une opération unique sans risques qui s'est toutefois déroulée en phases interdépendantes successives ; il s'ensuit que la prime d'option n'est donc pas une charge financière mais un élément d'actif non déductible au titre de frais, mais s'incorporant au prix d'acquisition et de vente des titres et intervenant à ce titre dans le calcul de la plus-value réalisée sur l'ensemble de l'opération ; (...) l'article 6, A.R. 8.10.1976, siège du principe de non-compensation, ne proscrit nullement, en matière d'option put, la méthode revendiquée par l'administration, dès lors que la valeur d'un actif est incluse postérieurement à la valeur d'un autre actif, ce qui se pratique pour des acomptes ou des immobilisations en cours ».
Griefs
1.1. Première branche
Les bénéfices soumis à l'impôt des sociétés comprennent les plus­-values réalisées sur les éléments d'actif (articles 24, alinéa 1er, 2°, et 183 du Code des impôts sur les revenus 1992). Aux termes de l'article 43 du Code des impôts sur les revenus 1992, applicable aux sociétés en vertu de l'article 183, « la plus-value réalisée est égale à la différence positive entre, d'une part, ... la valeur de réalisation du bien et, d'autre part, sa valeur d'acquisition ou d'investissement diminuée des réductions de valeur et amortissements admis antérieurement ». «Sont intégralement exonérées (de l'impôt des sociétés) les plus-values réalisées sur des actions dont les revenus éventuels sont susceptibles d'être déduits des bénéfices en vertu de l'article 202 » (article 192 du Code des impôts sur les revenus, texte antérieur à sa modification par la loi du 28 décembre 1992). Lorsqu'une société assujettie à l'impôt des sociétés, propriétaire d'actions d'une autre société, acquiert, moyennant un prix appelé « prime », une option de vente négociable donnant le droit de vendre ces actions à un prix déterminé à une date ultérieure, cette option de vente doit être comptabilisée comme un élément d'actif, ainsi que le déclare à bon droit l'arrêt. Si la société n'exerce pas l'option de vente dans le délai d'exercice de celle-ci, cet élément d'actif disparaît de l'avoir social et la société doit comptabiliser une charge d'un montant correspondant à la valeur d'acquisition de l'option. Il en est de même si l'option de vente sort du patrimoine de la société par l'effet de son exercice. En ce cas, la plus-value (ou moins-value) réalisée par la société sur la vente des actions est égale, en vertu de l'article 43 du Code des impôts sur les revenus 1992 précité, à la différence entre le prix de vente (en l'espèce, d'après les constatations de l'arrêt, 30.917.070 francs) et le prix d'acquisition (en l'espèce, d'après les constatations de l'arrêt, 22.328.995 francs + 2.748.184 francs). Pour l'application de l'article 43 du Code des impôts sur les revenus 1992, il n'est pas permis de déduire du prix de vente des actions le prix d'acquisition de l'option de vente. En effet, sauf dérogation expresse de la loi fiscale, inexistante en la matière, les bénéfices imposables d'une société sont déterminés conformément aux règles du droit comptable. Aux termes de l'article 6 de l'arrêté royal du 6 octobre 1976 relatif aux comptes annuels des entreprises, « toute compensation entre des avoirs et des dettes, entre des droits et des engagements, entre des charges et des produits est interdite, sauf les cas prévus par le présent arrêté». Déduire du produit de la vente des actions la charge résultant de la disparition de l'option de vente par l'effet de son exercice, et ce afin de déterminer la plus-value ou la moins-value réalisée sur la vente des actions, constitue une compensation entre une charge et un produit, formellement interdite par ledit article 6. En l'espèce, l'arrêt considère qu'au moment de leur acquisition, les options de vente doivent être comptabilisées comme un élément d'actif distinct. Dès lors, en considérant que, pour déterminer la plus-value ou moins-value réalisée par la demanderesse sur la vente des actions, « la valeur de réalisation » des actions, au sens de l'article 43 du Code des impôts sur les revenus 1992, était le produit de la vente de ces actions diminué de la prime d'acquisition des options de vente, l'arrêt viole l'article 6 de l'arrêté royal du 6 octobre 1976 précité et les articles 24, alinéa 1er, 2°, et 43 du Code des impôts sur les revenus 1992, applicables aux sociétés en vertu de l'article 183 du Code des impôts sur les revenus 1992, et par voie de conséquence, l'article 192 du Code des impôts sur les revenus 1992 (violation de toutes ces dispositions légales et, pour autant que de besoin, violation des articles 21, alinéa 1er, 2°, 32quinquies, alinéa 3, 96 et 105 bis du Code des impôts sur les revenus (1964).
1.2. Seconde branche
La considération de l'arrêt selon laquelle l'achat des options d'achat et des options de vente, suivi de la levée d'abord des options d'achat puis des options de vente, constitue « une opération unique et sans risque qui s'est toutefois déroulée en phases interdépendantes successives » ne justifie pas légalement une dérogation aux dispositions de droit comptable et de droit fiscal dont la violation est invoquée dans la première branche du moyen. A moins que les actes successifs soient entachés de simulation (fait qui ne ressort pas des constatations de l'arrêt), ces actes et leur qualification sont opposables au fisc en vertu du principe, consacré implicitement par l'article 1165 du Code civil, selon lequel les effets externes des conventions sont opposables aux tiers. Si la décision entreprise, selon laquelle la plus-value réalisée sur la vente des actions doit être déterminée en déduisant du produit de la vente le prix de l'option de vente, est fondée sur la considération qu'il s'agit en l'espèce d'actes successifs réalisant une même opération, l'arrêt viole, non seulement les dispositions visées dans la première branche du moyen, mais en outre l'article 1165 du Code civil et le principe général de l'opposabilité aux tiers des effets externes des conventions.
2. Deuxième moyen

Dispositions légales violées
- article 1832 du Code civil, avant sa modification par la loi du 13 avril 1995;
- articles 1er (dans sa version antérieure à la loi du 13 avril 1995) et 77 du titre IX du Livre Ier du Code de commerce;
- articles 7, § 1er, et 11, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 8 octobre 1996 [lire: 1976] relatif aux comptes annuels des entreprises et du schéma de compte de résultats formant la section 2 du chapitre 1er de l'Annexe audit arrêté, remplacée par l'arrêté royal du 12 septembre 1983, spécialement rubriques IX, X et XI;
- articles 49 et 183 du Code des impôts sur les revenus 1992;
- pour autant que de besoin, articles 44 et 96 du Code des impôts sur les revenus (1964).
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté (1) que la société demanderesse a pour objet « - la prise d'intérêts ou de participation dans toutes sociétés, entreprises industrielles, commerciales, financières, de services, mobilières et immobilières, ainsi que dans les fondations ; - la gestion de ces intérêts et participations ; - toutes opérations financières quelconques... » ; (2) que, le mercredi 18 décembre 1991, la demanderesse a acheté, par l'intermédiaire d'une banque établie à Amsterdam, (a) pour le prix, en francs belges, de 2.748.184 francs, 94 options d'achat (call), lui permettant chacune d'acheter 100 actions Royal Dutch au prix d'exercice de 130 florins chacune ; et (b) pour le prix, en francs belges, de 6.612.818 francs, 94 options de vente (put), lui permettant chacune de vendre 100 actions Royal Dutch au prix d'exercice de 180 florins chacune ; que, dès le 19 décembre 1991, elle leva les options call et acheta 9.400 actions Royal Dutch au prix unitaire de 130 florins, pour un prix total, en francs belges, de 22.328.995 francs ; que le lundi 23 décembre 1991, la demanderesse leva les options put et revendit 9.400 actions Royal Dutch au prix unitaire de 180
florins, soit pour un prix total, en francs belges, de 30.917.070 francs ; que la demanderesse a comptabilisé au débit du compte « charges financières diverses » le prix d'achat des options call et des options put, soit au total 9.361.002 francs ; que la plus-value réalisée sur la vente des actions Royal Dutch s'élevant à 8.588.075 francs (différence entre le prix de vente de 30.917.070 francs et le prix d'achat de 22.328.995 F), a été comptabilisée dans le compte de produits « plus-values sur vente de titres en portefeuille » ; qu'au point de vue fiscal, la demanderesse a déduit, à titre de frais professionnels, le prix total d'achat des options et le montant des commissions ; que, dans sa déclaration à l'impôt des sociétés de l'exercice d'imposition 1992, elle a déclaré la plus-value de 8.588.075 francs à titre de « plus-values sur actions ou parts », considérant que cette plus-value était exonérée par application de l'article 192 du Code des impôts sur les revenus 1992,
l'arrêt décide que le montant des commissions payées à la banque sur l'achat des actions Royal Dutch (312.606 francs) et sur la revente de ces actions (312.606 francs) n'est pas déductible au titre de frais professionnels,
pour les motifs suivants : « il résulte ... de l'analyse de ladite opération, que la (demanderesse) tente de scinder vainement en différentes opérations distinctes, qu'elle n'a jamais encouru le moindre risque financier sur les actions Royal Dutch dont elle avait déterminé avec les vendeurs par le prix payé pour les options tant le prix d'achat que le prix de vente ; de la circonstance qu'une société commerciale est un être moral créé en vue d'une activité lucrative, il ne se déduit pas que toutes ses dépenses peuvent être déduites de son bénéfice brut ; les dépenses d'une société commerciale peuvent être considérées comme des frais professionnels déductibles lorsqu'elles sont inhérentes à l'exercice de la profession ; afin de pouvoir prétendre à la déduction des commissions relatives aux achats et aux ventes des actions Royal Dutch, la (demanderesse) est tenue de démontrer que ces opérations se rattachent nécessairement à l'activité sociale, or l'objet général de toute société commerciale est d'engendrer du lucre alors que la (demanderesse) reste en défaut de démontrer que l'opération avait un autre but que de changer par une opération à perte une partie de son bénéfice taxable dans un bénéfice immunisé ; l'opération n'est en effet qu'une seule opération à perte entreprise dans le seul but d'éviter le payement de l'impôt des sociétés sur le montant des bénéfices correspondant à ce que la (demanderesse) considérait comme les charges dégagées par l'opération et dont elle savait avant de l'entreprendre qu'elle aboutirait à une perte de 1.319.119 francs, à savoir la différence entre le prix des options et des commissions, d'une part, et la `plus value' déterminée en fonction du prix de ces options, d'autre part ; le seul intérêt de l'opération consistait en la mutation d'un bénéfice taxable dans une prétendue plus-value immunisée ; la (demanderesse) reste en défaut de démontrer, alors que cette démonstration lui incombe, qu'une telle opération serait une opération effectuée en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables ; le fait que tous les acteurs au contrat savaient que cette opération sans risques, dont les phases successives s'exécutaient dans un laps de temps extrêmement réduit, allait se solder par une perte de 1.398.119 francs, permet une déduction contraire ; (...) l'opération sans risque et sciemment à perte sort dès lors de l'objet social de la (demanderesse) et les charges y relatives ne peuvent faire l'objet d'une déduction ».
2.1. Première branche
Il ressort des constatations mêmes de l'arrêt que les opérations d'achat d'options sur actions et de levée de ces options décrites par l'arrêt entrent dans l'objet statutaire de la société demanderesse qui vise expressément « toutes opérations financières quelconques ». Pour considérer que ces opérations sortiraient de l'objet social de la demanderesse, l'arrêt se fonde sur la considération que « l'objet général de toute société commerciale est d'engendrer du lucre » et qu'en l'occurrence la demanderesse « savait, avant d'entreprendre l'opération litigieuse, qu'elle aboutirait à une perte de 1.398.119 francs». Toutefois, l'arrêt constate par ailleurs que la demanderesse (a) considérait que les primes payées pour l'acquisition des options d'achat et de vente et les frais d'acquisition des actions étaient des frais professionnels déductibles et les a comptabilisés comme tels, et (b) considérait que la plus-value réalisée sur la revente des actions Royal Dutch, de 8.588.075 francs, était une plus-value réalisée sur actions, exonérée de l'impôt des sociétés en vertu de l'article 192 du Code des impôts sur les revenus 1992. Dès lors, par l'effet des opérations analysées par l'arrêt, la perte comptable de 1.398.119 francs s'accompagnait de la réalisation d'une plus-value immunisée de l'impôt des sociétés de 8.588.075 francs, en sorte que l'opération avait pour but de réaliser un bénéfice net, après impôt des sociétés. Pour déterminer, en droit privé, si une opération d'une société a été accomplie dans un but de lucre, il faut tenir compte de la charge fiscale sur le bénéfice, qui constitue une charge en droit des sociétés et en droit comptable (en vertu des dispositions du Code de commerce et de la réglementation comptable visées en tête du moyen). Pour considérer que les opérations litigieuses n'ont pas été accomplies dans un but de lucre et en déduire que ces opérations sortent de l'objet statutaire d'une société commerciale et ne sont dès lors pas déductibles au titre de frais professionnels, l'arrêt fait abstraction de l'économie fiscale que ces opérations tendaient à réaliser ; qu'ainsi, l'arrêt viole l'ensemble des dispositions visées en tête du moyen.
2.2. Seconde branche­
Si le motif de l'arrêt selon lequel la demanderesse « reste en défaut de démontrer... qu'une telle opération serait une opération effectuée en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables » doit être considéré comme indépendant de la motivation critiquée dans la première branche, ce motif ne justifie pas légalement la décision entreprise. Certes, en droit fiscal, depuis la loi du 20 novembre 1962 portant réforme des impôts sur les revenus, l'impôt des sociétés ne constitue pas une charge déductible, en vertu d'une disposition expresse (article 198, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992). On ne peut toutefois déduire de cette règle que les frais supportés par une société dans le but d'augmenter son bénéfice net, au sens du droit des sociétés et du droit comptable (c'est-à-dire son bénéfice net après impôt sur le résultat) et non son bénéfice avant impôt sur le résultat, ne seraient pas supportés en vue d'acquérir ou de conserver des revenus imposables au sens de l'article 49 du Code des impôts sur les revenus 1992. Ainsi, il n'a jamais été contesté que soient déductibles les intérêts d'un emprunt contracté par une société soit pour faire un versement anticipé destiné à éviter la majoration d'impôt prévue à l'article 218 du Code des impôts sur les revenus 1992, laquelle n'est pas déductible au titre de frais professionnels (article 198, 3°, du Code des impôts sur les revenus 1992), soit pour payer un impôt enrôlé, non exigible par l'effet d'une réclamation, de manière à éviter la débition d'intérêts de retard fiscalement non déductibles (même article). De même, il n'a jamais été contesté que soient déductibles les honoraires payés par une société à un avocat en vue d'obtenir en justice l'annulation d'une cotisation à l'impôt des sociétés. Ces dépenses ont pourtant pour but d'augmenter le revenu net après impôt. Pour rendre compte de ces solutions, il faut admettre que, dans l'article 49 du Code des impôts sur les revenus 1992, l'expression « revenus imposables » doit s'entendre au sens de « revenus professionnels », les revenus professionnels constituant l'une des catégories de revenus imposables visées à l'article 6 du Code des impôts sur les revenus 1992. Dès lors, l'arrêt viole l'article 49 du Code des impôts sur les revenus 1992, applicable en matière d'impôt des sociétés en vertu de l'article 183 du Code des impôts sur les revenus 1992 (la violation de ce dernier n'étant invoquée que pour autant que de besoin, de même que la violation des articles 44 et 96 du Code des impôts sur les revenus (1964)).
3. Troisième moyen
Dispositions légales violées
- article 444 du Code des impôts sur les revenus 1992 ;
- article 226 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, annexé à l'arrêté royal du 27 août 1993.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté (1) que la société demanderesse a pour objet « - la prise d'intérêt ou de participation dans toutes sociétés, entreprises industrielles, commerciales, financières, de services, mobilières et immobilières, ainsi que dans les fondations ; - la gestion de ces intérêts et participations ; - toutes opérations financières quelconques... » ; (2) que le mercredi 18 décembre 1991, la demanderesse a acheté, par l'intermédiaire d'une banque établie à Amsterdam, (a) pour le prix, en francs belges, de 2.748.184 francs, 94 options d'achat (call), lui permettant chacune d'acheter 100 actions Royal Dutch au prix d'exercice de 130 florins chacune ; et (b) pour le prix, en francs belges, de 6.612.818 francs, 94 options de vente (put), lui permettant chacune de vendre 100 actions Royal Dutch au prix d'exercice de 180 florins chacune ; que, dès le 19 décembre 1991, elle leva les options call et acheta 9.400 actions Royal Dutch au prix unitaire de 130 florins, pour un prix total, en francs belges, de 22.328.995 francs ; que le lundi 23 décembre 1991, la demanderesse leva les options put et revendit 9.400 actions Royal Dutch au prix unitaire de 180 florins, soit pour un prix total, en francs belges, de 30.917.070 francs ; que la demanderesse a comptabilisé au débit du compte « charges financières diverses » le prix d'achat des options call et des options put, soit au total 9.361.002 francs ; que la plus-value réalisée sur la vente des actions Royal Dutch s'élevant à 8.588.075 francs (différence entre le prix de vente de 30.917.070 francs et le prix d'achat de 22.328.995 francs), a été comptabilisée dans le compte de produits « plus-values sur vente de titres en portefeuille » ; qu'au point de vue fiscal, la demanderesse a déduit, à titre de frais professionnels, le prix total d'achat des options et le montant des commissions ; que, dans sa déclaration à l'impôt des sociétés de l'exercice d'imposition 1992, elle a déclaré la plus-value de 8.588.075 francs à titre de « plus-values sur actions ou parts », considérant que cette plus-value était exonérée par application de l'article 192 du Code des impôts sur les revenus 1992,
l'arrêt rejette le recours de la demanderesse en tant qu'il tendait à faire annuler l'accroissement d'impôt enrôlé au taux de 50 %,
pour les motifs suivants : « la (demanderesse) a voulu profiter du régime réservé à des opérations d'achat et de revente par la déductibilité des primes d'options, des commissions et des courtages exposés lors des achats et des reventes pour exonérer une partie de son bénéfice taxable en y substituant un revenu immunisé ; les dépenses exposées n'ont pas été engagées pour acquérir ou conserver des revenus professionnels imposables mais pour substituer un revenu moins important immunisé à un bénéfice alors que le montant du bénéfice immunisé, le bénéfice taxable et le coût total de l'opération sans risque aucun pour la (demanderesse) étaient connus de tous les acteurs de l'opération qui y faisaient tous un bénéfice sans risque au seul détriment du fisc ; (.) en concevant cette opération la (demanderesse) a entendu soustraire une partie de son bénéfice taxable au fisc ; elle a, en ce faisant, violé l'esprit de la loi ; puisqu'elle a en l'espèce non seulement méconnu l'esprit de la loi mais violé le texte de la loi fiscale en déduisant des charges qui n'en étaient pas dans le seul but d'éluder l'impôt, elle a commis une fraude fiscale ; le fait qu'elle ait conçu et exécuté sa construction sans s'en cacher et avec l'aide de financiers et de personnes hautement qualifiées n'enlève rien à son intention d'éviter le payement de contributions sur des bénéfices réalisés et au fait qu'elle a pour ce faire violé l'article 44 du Code des impôts sur les revenus (1964) (article 49 du Code des impôts sur les revenus 1992) et partant la loi fiscale ; les éléments de 'fraude' sont dès lors réunis et l'administration a appliqué à bon droit la majoration de 50 % telle que prévue par l'article 238 ter de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus (1964) (article 226 C de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 ».
Griefs
En vertu de l'article 444 du Code des impôts sur les revenus (1964), en cas de déclaration incomplète ou inexacte, les impôts dus sur la portion des revenus non déclarée sont majorés d'un accroissement d'impôt fixé d'après la nature et la gravité de l'infraction, selon une échelle dont les graduations sont déterminées par le Roi et allant de 10 % à 200 % des impôts dus sur la portion des revenus non déclarée. En exécution de cette disposition, l'article 226 de l'arrêté d'exécution du Code des impôts sur les revenus (1964) règle l'échelle des accroissements d'impôts applicables en cas de déclaration incomplète ou inexacte comme suit: « B. Déclaration incomplète ou inexacte sans intention d'éluder l'impôt, première infraction : 10 % ; C. Déclaration incomplète ou inexacte avec intention d'éluder l'impôt, première infraction: 50 % ». Se rend coupable de déclaration inexacte avec intention d'éluder l'impôt (d'après le texte néerlandais : « met het opzet de belasting te ontduiken ») celui qui, « dans l'intention d'éluder l'impôt, ... produira une déclaration volontairement incomplète ou inexacte de nature à entraîner une modération de l'impôt dont il est redevable » (suivant les termes de l'article 341 du Code des impôts sur les revenus (1964), avant sa modification par la loi du 10 février 1981). Pour que l'accroissement de 50 % visé par l'article 226 de l'arrêté d'exécution soit applicable, il ne suffit donc pas de constater que le contribuable a fait des opérations dans le but d'éviter (en néerlandais : « ontwijken ») l'impôt et que la comptabilisation de ces opérations et la déclaration fiscale basée sur cette comptabilisation sont incorrectes. Il faut encore que l'administration prouve que cette comptabilisation et cette déclaration fiscale étaient délibérément inexactes dans le but d'éluder (c'est-à-dire d'éviter frauduleusement) un impôt que le contribuable savait légalement dû. En l'espèce, il ressort assurément des motifs précités de l'arrêt (a) que la demanderesse a acquis les options
d'achat et de vente et les a exercées ensuite en vue de réduire son bénéfice imposable « au détriment du fisc » ; (b) qu'elle a comptabilisé à tort les primes d'acquisition des options comme des charges et les a déduites à tort dans sa déclaration fiscale à titre de frais professionnels ; (c) que cette déduction n'est pas autorisée par l'article 49 du Code des impôts sur les revenus (1964). Des motifs précités, l'arrêt n'a pu légalement déduire que « les éléments de fraude sont réunis et que l'administration a appliqué à bon droit la majoration de 50 % prévue par l'article 226 C de l'arrêté d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 ». L'arrêt a dès lors violé les dispositions visées en tête du moyen.
IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Attendu qu'en vertu de l'article 6 de l'arrêté royal du 8 octobre 1976 relatif aux comptes annuels des entreprises, toute compensation entre des avoirs et des dettes, entre des droits et des engagements, entre des charges et des produits est interdite, sauf les cas que cet arrêté prévoit;
Attendu que, lorsqu'il déduit du produit de la vente des actions le prix d'acquisition des options de vente l'arrêt décide que le prix payé par l'acheteur couvre autant la disparition des actions du patrimoine du vendeur que celle des options;
Que l'arrêt, qui considère qu'il s'agit là de postes d'actif, n'effectue pas une compensation interdite par ledit article 6;
Que le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli;
Quant à la seconde branche :
Attendu que l'arrêt ne fonde pas la décision de déduire du produit de la vente le prix de l'option de vente sur la considération reproduite en cette branche du moyen ;
Que le moyen, en cette branche, manque en fait ;
Sur le deuxième moyen :
Quant à la première branche :
Attendu que, certes, l'arrêt constate que la demanderesse a notamment pour objet social de faire «toutes opérations financières quelconques» ;
Qu'il considère toutefois que «l'opération n'est [...] qu'une seule opération à perte entreprise dans le seul but d'éviter le payement de l'impôt des sociétés sur le montant des bénéfices correspondant à ce que la [demanderesse] considérait comme les charges dégagées par l'opération et dont elle savait, avant de l'entreprendre, qu'elle aboutirait à une perte de 1.398.119 francs, à savoir la différence entre le prix des options et des commissions, d'une part, et la 'plus-value' déterminée en fonction du prix de ces options, d'autre part. Le seul intérêt de l'opération consistait en la mutation d'un bénéfice taxable dans une prétendue plus-value immunisée» ;
Que, sur la base de ces considérations, l'arrêt décide légalement que l'opération litigieuse ne se rattachait pas de façon nécessaire à l'activité sociale, condition sans laquelle des charges ne peuvent constituer des dépenses professionnelles déductibles ;
Que le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli ;
Quant à la seconde branche :
Attendu qu'il ressort de la réponse à la première branche que le moyen, en cette branche, est dénué d'intérêt et, partant, irrecevable ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que l'article 444, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 dispose qu'en cas d'absence de déclaration ou en cas de déclaration incomplète ou inexacte, les impôts dus sur la portion des revenus non déclarés sont majorés d'un accroissement d'impôt fixé d'après la nature et la gravité de l'infraction, selon une échelle dont les graduations sont déterminées par le Roi et allant de 10 p.c. à 200 p.c. des impôts dus sur la portion des revenus non déclarés ;
Que l'article 226 de l'arrêté royal d'exécution de ce code prévoit qu'en cas de déclaration incomplète ou inexacte avec l'intention d'éluder l'impôt, l'accroissement est de 50 p.c. lors de la première infraction ;
Attendu que l'arrêt considère que la demanderesse "a entendu soustraire une partie de son bénéfice taxable au fisc" et qu'elle a "non seulement méconnu l'esprit de la loi mais violé le texte de la loi fiscale en déduisant des charges qui n'en étaient pas dans le seul but d'éluder l'impôt", commettant ainsi une «fraude fiscale» ;
Qu'ainsi l'arrêt justifie légalement sa décision que «l'administration a appliqué à bon droit la majoration de 50 p.c.» prévue à l'article 226 précité ;
Que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cent trente-cinq euros cinq centimes payés par la demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Philippe Echement, Didier Batselé, Albert Fettweis et Daniel Plas, et prononcé en audience publique du dix-neuf juin deux mille trois par le président de section Claude Parmentier, en présence de l'avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.


Synthèse
Numéro d'arrêt : F.01.0079.F
Date de la décision : 19/06/2003
1re chambre (civile et commerciale)

Analyses

IMPOTS SUR LES REVENUS - IMPOT DES SOCIETES - Détermination du revenu global net imposable - Pertes professionnelles - Opérations boursières - Activité sociale - Déductibilité /

Justifie légalement sa décision de refuser la déductibilité de la perte financière découlant de la prise en charge des frais et du prix d'achat de titres boursiers, dès lors que les dépenses d'une société commerciale ne peuvent être considérées comme des frais professionnels déductibles que lorsqu'elles se rattachent nécessairement à l'activité sociale, l'arrêt, qui après avoir constaté que la société commerciale a notamment pour objet social de faire toutes opérations financières quelconques, décide que l'opération boursière litigieuse ne se rattache pas de façon nécessaire à l'objet social.


Références :

Conclusions du ministère public. Cass., 19 juin 2003, RG 01.0079.F, n° ..., 3 mai 2001, RG F.99.0159.F, n° 253 et 18 janv. 2001, RG F.99.0114.F, n° 34.


Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2003-06-19;f.01.0079.f ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award