Etat Belge, ministre des Finances,
Me Claeys Bouuaert, avocat à la Cour de cassation,
contre
UTO-FASHION, société anonyme.
I. La décision attaquée
Le pourvoi est dirigé contre l'arrêt rendu le 24 mai 2000 par la cour d'appel de Gand.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Eric Stassijns a fait rapport.
L'avocat général Guido Bresseleers a conclu.
III. Les faits
Le juge d'appel constate que:
1) la défenderesse a été condamnée par défaut le 13 octobre 1995 par le tribunal de commerce de Gand au payement de 4.077.211 FB augmenté des intérêts à la s.a. Waesland;
2) ce jugement a été enregistré et les droits d'enregistrement s'élevaient à 122.319 FB;
3) ultérieurement la défenderesse et la s.a. Waesland sont arrivées à un accord et ont comparu volontairement devant le tribunal, soutenant que la défenderesse faisait opposition au jugement du 13 octobre 1995 et demandaient au tribunal de modifier le jugement par défaut conformément à l'accord conclu;
4) le tribunal, par jugement du 12 janvier 1996 rendu en application de l'article 1043 du Code judiciaire donnait acte aux parties de leur accord, qui impliquait que la défenderesse devait payer une provision de 2.500.000 FB au moyen de payements mensuels de 350.000 FB et que le solde de 123.322 FB, la clause de majoration de 414.053 FB, les intérêts moratoires et les frais de la procédure feraient l'objet d'un jugement ultérieur;
5) le jugement du 12 janvier 1996 infirme celui du 13 octobre 1995 et est passé en force de chose jugée;
Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que les parties avaient mentionné dans la «requête (comparution volontaire)» que le solde dû était réduit à 2.636.322 FB en raison d'un payement effectué postérieurement au 13 octobre 1995 et qu'elles avaient demandé que «conformément à l'article 1043 du Code judiciaire, l'accord entre les parties soit incorporé dans un jugement qui est exécutoire par provision et qui exclut même la possibilité de cantonnement».
IV. Les moyens de cassation
Le demandeur invoque un moyen dans sa requête.
Dispositions légales violées
- articles 142, 208 et 210 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe (ci-après C. enreg.);
- articles 142 et 210 tels qu'ils ont été modifiés par la loi du 12 juillet 1960.
Décisions critiquées
L'arrêt, après avoir rappelé les faits qui ont donné lieu à la demande de restitution des droits payés et après avoir résumé la décision du premier juge et la thèse des parties, constate qu'il n'est pas contesté que l'article 210 du Code des droits d'enregistrement doit être interprété restrictivement mais considère cependant:
«Le texte de l'article 210 requiert uniquement que la première décision judiciaire soit infirmée par une autre décision judiciaire passée en force de chose jugée. La loi n'impose pas de limites en ce qui concerne les 'raisons' de l'infirmation de la première décision et la ratio legis ne peut être invoquée afin de rendre la restitution tributaire de conditions (auxquelles le jugement infirmé devrait satisfaire), qui ne sont pas prévues dans le texte de la loi. Il est dès lors sans importance d'examiner pour quel motif la première décision a été infirmée par la nouvelle décision.
En l'espèce, il ne peut être contesté:
- que le jugement rendu le 12 janvier 1996 a été prononcé sur opposition contre celui du 13 octobre 1995, à savoir à la suite de l'utilisation d'une voie de recours; que le fait que cette opposition a été faite par comparution volontaire n'est à cet égard pas pertinent;
- que le jugement rendu le 12 janvier 1996 infirme celui du 13 octobre 1995: le texte de son dispositif énonceen effet: 'rétracte le jugement critiqué du 13 octobre 1995 et statuant à nouveau.'; il en résulte que le jugement rendu le 13 octobre 1995 est réputé n'avoir jamais eu de conséquence en droit;
- que le jugement rendu le 12 janvier 1996 est passé en force de chose jugée;
De ce qui précède, il suit que les conditions de l'article 210 du Code des droits d'enregistrement sont remplies et que la (défenderesse) prétend à juste titre à la restitution des droits payés».
La cour d'appel constate en outre qu'il n'y a pas lieu de restituer l'amende ou les intérêts payés et que les intérêts sur la restitution ne sont accordés qu'à partir de la citation et ce, au taux d'intérêt légal, et infirme par ces motifs la décision du premier juge et accueille en ces limites la demande de la défenderesse.
Griefs
Les droits régulièrement perçus ne peuvent, aux termes de l'article 208 du Code des droits d'enregistrement, être restitués, quels que soient les événements ultérieurs, sauf les cas prévus par la loi.
Selon la règle de l'article 210 du Code des droits d'enregistrement les droits proportionnels perçus sur la décision infirmée sont sujets à restitution, en tout ou en partie, en cas d'infirmation totale ou partielle d'un jugement ou arrêt par une autre décision judiciaire passée en force de chose jugée (alinéa suivant non pertinent en l'espèce).
Le juge d'appel considère que cette disposition doit être interprétée restrictivement.
L'infirmation d'un jugement ou arrêt par une autre décision judiciaire, comme requis dans ce texte, suppose et implique que cette décision se prononce sur la contestation qui fait l'objet du jugement ou arrêt infirmé.
Le jugement par lequel le juge donne acte aux parties d'un accord convenu entre elles ne contient pas de décision du juge quant au contenu du litige existant entre les parties.
Dans de tels jugements le juge ne se prononce en effet pas sur la contestation, qui faisait l'objet du jugement rétracté et ce n'est que l'accord intervenu postérieurement entre les parties qui donne lieu à l'infirmation prononcée.
Le jugement qui prend acte d'un accord ultérieur entre les parties, sans aucune décision du juge concernant la contestation tranchée par le premier jugement, ne peut dès lors être compris comme la décision judiciaire qui infirme une décision antérieure.
Il s'en suit dès lors que l'arrêt qui autorise la restitution demandée sur la base d'un jugement qui est borné à acter par juge un accord intervenu entre les parties pour mettre à néant la décision antérieure, fait une application erronée de l'article 210 du Code des droits d'enregistrement et dispense ainsi illégalement le contribuable du payement du droit d'enregistrement légalement dû sur le jugement antérieur (violation des dispositions légales mentionnées en tête du moyen).
IV. La décision de la Cour
Attendu qu'en vertu de l'article 208 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, les droits régulièrement perçus ne peuvent être restitués, quels que soient les événements ultérieurs, sauf les cas prévus par la loi;
Attendu qu'en vertu de l'article 210 du même code, en cas d'infirmation totale ou partielle d'un jugement ou arrêt par une autre décision judiciaire passée en force de chose jugée, les droits perçus sur la décision infirmée sont sujets à restitution, en tout ou en partie; que cette exception à la règle de l'article 208 doit être interprétée restrictivement;
Attendu que le droit perçu sur les jugements et arrêts contribue à la couverture du coût de la justice;
Qu'il y a toujours lieu à perception lorsqu'une deuxième décision sans nouvel examen de la cause infirme totalement ou partiellement la décision critiquée en application d'un accord auquel les parties sont arrivées;
Attendu que la demande en restitution faite en application de l'article 210 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe ne peut être accueillie que lorsque le juge constate, après examen d'une voie de recours, que la contestation n'avait pas été correctement tranchée;
Attendu qu'il n'y a pas d'infirmation au sens de cette disposition lorsque la décision critiquée est infirmée ou modifiée par un juge qui se borne à acter l'accord intervenu entre les parties;
Attendu que le juge d'appel estime que la loi n'impose pas de limitation en ce qui concerne les raisons de l'infirmation de la première décision de telle sorte qu'il est sans importance d'examiner pour quel motif la première décision a été infirmée par la nouvelle décision;
Qu'en ordonnant pour ces motifs la restitution du droit d'enregistrement payé, il a violé l'article 210 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe;
Que le moyen est fondé;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il déclare l'appel recevable;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel d'Anvers.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Robert Boes, les conseillers Eric Dirix, Eric Stassijns et Albert Fettweis et prononcé en audience publique du vingt-trois mai deux mille trois par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Guido Bresseleers, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Christine Matray et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,