ETAT BELGE, représenté par le ministre de l'Intérieur,
partie civile,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation,
contre
FONDS COMMUN DE GARANTIE AUTOMOBILE, association d'assurances mutuelles,
partie intervenue volontairement,
défendeur en cassation,
représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 6 décembre 2002 par la cour d'appel de Liège, chambre correctionnelle.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Francis Fischer a fait rapport.
L'avocat général Jean Spreutels a conclu.
III. Les moyens de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé comme suit:
Dispositions légales violées
- Articles 1382 et 1383 du Code civil;
- Articles 1319, 1320 et 1322 du même Code;
- Article 149 de la Constitution;
- Article 60bis de la loi du 27 décembre 1973 relative au statut du personnel du cadre actif du corps opérationnel de la gendarmerie, inséré par l'article 50 de la loi du 9 décembre 1994, tel qu'il était en vigueur jusqu'à son abrogation par l'article 15 de la loi du 27 décembre 2000 portant diverses dispositions relatives à la position juridique du personnel des services de police;
- Article 50, spécialement § 1er, 2° (actuellement article 80, spécialement § 1er, 2°), de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurance;
- Articles 14 et 19 de l'arrêté royal du 16 décembre 1981, ce dernier modifié par l'article 5 de l'arrêté royal du 6 mai 1991.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué, pour tous les motifs qui y sont libellés, et notamment les motifs suivants:
«Attendu que le 4 octobre 1995, le gendarme F.[w1]D.a été victime d'un accident dont l'entière responsabilité a été judiciairement imputée à C.[w2]P.[w3], lequel pilotait de surcroît un véhicule automoteur non assuré;
Attendu que, suite à cet accident, F.[w4]D.[w5]s'est trouvé en état d'incapacité totale de travail du 4 octobre 1995 au 11 novembre 1995, l'Etat belge continuant toutefois à lui payer l'intégralité de sa rémunération;
Que, se prévalant à la fois des dispositions de l'article 60bis de la loi du 27 décembre 1973 et de celles de l'article 80 de la loi du 9 juillet 1975, l'Etat belge a postulé, dans le cadre du règlement des intérêts civils, la condamnation in solidum de C.[w6]P.[w7]et du 'Fonds commun de garantie automobile' à lui rembourser 122.332 francs, soit 3.032,53 ?, représentant le salaire brut de F.[w8]D.[w9]au cours de la période d'incapacité totale de travail;
Attendu que le premier juge a fait droit à cette demande;
Qu'il a estimé que l'Etat belge devait en l'occurrence être assimilé à la 'personne lésée' visée par l'article 80 de la loi du 9 juillet 1975;
Attendu qu'au stade actuel de la procédure, l'Etat belge, intimé, ne conclut que sur la nature et sur le montant du salaire qu'il prétend récupérer à charge du 'Fonds commun de garantie automobile' et invite expressément la cour [d'appel] à 'confirmer le jugement dont appel dans toutes ses dispositions' (dispositif des conclusions déposées à l'audience du 7 novembre 2002);
Attendu que l'Etat belge admet donc de manière implicite mais certaine que le 'Fonds commun de garantie automobile' n'est pas un 'tiers responsable' auquel se réfère l'article 60bis de la loi du 27 décembre 1973;
Attendu que, sur ce point, le tribunal a procédé à une analyse pertinente du texte législatif précité et en a tiré - au regard de la mission et des obligations du 'Fonds commun de garantie automobile' - la seule conséquence compatible tant avec son contenu qu'avec sa portée;
Qu'il est constant en effet qu'en cas de dommages causés par un véhicule automoteur non assuré, le Fonds commun de garantie automobile est substitué à la personne responsable de l'accident;
Attendu que, pour le surplus, l'Etat belge persiste tacitement à défendre la thèse - au demeurant partagée par le premier juge - selon laquelle sa demande est fondée sur la base de l'article 80 de la loi du 9 juillet 1975;
Attendu qu'aux termes de cette disposition légale, toute personne lésée peut obtenir du 'Fonds commun de garantie automobile' la réparation de dommages résultant de lésions corporelles causées par un véhicule automoteur, notamment lorsque, comme en l'espèce, aucune entreprise d'assurances agréée n'est obligée à ladite réparation du fait que l'obligation d'assurance n'a pas été respectée;
Attendu qu'au sens de l'article 80 de la loi du 9 juillet 1975, la personne lésée est celle qui a subi un dommage réparable suivant les règles de la responsabilité aquilienne;
Attendu d'ailleurs que le juge tenu de statuer sur une contestation relative à l'existence d'un dommage d'un employeur qui, ensuite du fait qu'un travailleur a été victime d'un accident dû à la faute d'un tiers, a effectué des paiements en vertu d'obligations légales, réglementaires ou conventionnelles doit non seulement constater que ledit employeur a effectué ces paiements sans contrepartie mais encore l'existence d'un dommage indépendant de ces obligations;
Qu'en particulier, les pouvoirs publics qui, suite à la faute d'un tiers, doivent continuer à payer à l'un de leurs agents la rémunération et les charges grevant celle-ci en vertu d'obligations légales ou réglementaires qui leur incombent, sans bénéficier de prestations de travail ou contrepartie, n'ont droit à une indemnité que dans la mesure où ils subissent ainsi un dommage;
Attendu qu'il s'agit dès lors de déterminer si l'Etat belge, dont il n'est pas discuté qu'il a payé, en sa qualité d'employeur et en exécution de ses obligations légales, la rémunération normale de son agent au cours des incapacités temporaires, a ainsi subi un préjudice au sens des articles 1382 et suivants du Code civil;
Attendu que cette question appelle une réponse négative;
Que l'Etat belge ne démontre pas et n'offre pas de démontrer l'existence, dans son chef, d'un dommage spécifique né de l'indisponibilité temporaire de son agent, auquel il s'est borné, malgré son absence, à verser les sommes litigieuses ainsi qu'il y était légalement tenu;
Qu'il convient plus spécialement d'observer que l'Etat belge n'affirme pas avoir été contraint, pour pallier les conséquences de la situation à laquelle il a été confronté, de modifier l'organisation du service dont l'agent faisait partie, de réduire les prestations de ce service au détriment des usagers ou de supporter le coût, soit de la rémunération d'un travailleur engagé temporairement pour remplacer son agent momentanément indisponible, soit d'heures supplémentaires payées ou de déplacements imposés à un autre préposé pour les mêmes raisons;
Attendu qu'il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que la demande de l'Etat belge n'est pas fondée».
Première branche
L'arrêt attaqué, constate, à juste titre au demeurant, que le premier juge a estimé que le demandeur devait être assimilé à la «personne lésée» visée par l'article 80 de la loi du 9 juillet 1975.
Il résulte du jugement dont appel que celui-ci, prenant acte de la thèse qui lui était alors soumise par le défendeur, mais ne statuant pas à ce stade sur le bien-fondé de cette thèse, énonce que: «(le défendeur) tout en excipant de cette disposition légale (l'article 60bis de la loi du 27 décembre 1973 relative au statut du personnel de la gendarmerie), oppose que la subrogation légale ne vise que les droits et actions à l'encontre des tiers responsables, ce qu'(il) n'est évidemment pas».
Il résulte de la suite immédiate du jugement dont appel que celui-ci, statuant alors mais alors seulement sur la thèse proposée par le défendeur, la rejette en énonçant d'une part «que l'intervention même (du défendeur) est cependant uniquement justifiée par la nécessité d'assurer aux victimes, et partant aux titulaires d'une subrogation, une indemnisation, même si le tiers responsable n'est pas régulièrement assuré au jour de l'accident; que l'article 80 de la loi du 9 juillet 1975 prévoit en effet que toute personne lésée peut obtenir (du défendeur) la réparation des dommages résultant des lésions corporelles causées par un véhicule automoteur; que telle est bien la situation de l'Etat belge».
Il en résulte qu'en énonçant que le demandeur, en sollicitant la confirmation du jugement dont appel en toutes ses dispositions, admet de manière implicite mais certaine que le défendeur n'est pas un tiers responsable auquel se réfère l'article 60bis de la loi du 27 décembre 1973, l'arrêt attaqué donne au jugement dont appel une interprétation radicalement contraire aux termes de ce jugement, et donc inconciliable avec ceux-ci, en sorte qu'il viole la foi qui leur est due et, par voie de conséquence, la foi due aux conclusions d'appel du demandeur (violation des articles 1329, 1320 et 1322 du Code civil). A tout le moins il ne répond pas ainsi auxdites conclusions (violation de l'article 149 de la Constitution).
Seconde branche
L'arrêt décide avec le premier juge que le défendeur est substitué à la personne responsable de l'accident, ce qui implique qu'il est, par l'effet de l'article 80, § 1er, 2°, de la loi du 9 juillet 1975 et des articles 14 et 19 de l'arrêté royal du 16 décembre 1981, tenu, sous réserve de la franchise ou d'autres exceptions non pertinentes en l'espèce, des obligations identiques à celles qui pèsent sur la personne responsable de l'accident en vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil.
En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, celui qui cause à autrui un dommage par sa faute est tenu d'indemniser intégralement ce dommage, ce qui implique le rétablissement du préjudicié dans l'état où il serait demeuré si l'acte dont il se plaint n'avait pas été commis.
En conséquence, les pouvoirs publics qui, à la suite de la faute d'un tiers, doivent continuer à payer à l'un de leurs agents la rémunération et les charges grevant la rémunération en vertu d'obligations légales ou réglementaires qui leur incombent, sans bénéficier de prestations de travail en contrepartie, ont droit à une indemnité dans la mesure où il subissent ainsi un dommage.
En effet, l'existence d'une obligation contractuelle, légale ou réglementaire, n'exclut pas qu'il y ait dommage, au sens de l'article 1382 du Code civil, lorsqu'il ressort du contenu ou de la portée du contrat, de la loi ou du règlement, que ladite dépense ou prestation à intervenir doit définitivement rester à charge de celui qui s'y est obligé ou qui doit l'effectuer en vertu de la loi ou du règlement.
L'arrêt attaqué constate que le demandeur a payé («s'est borné à payer») à son agent, malgré son absence, les sommes litigieuses ainsi qu'il y était légalement tenu. Il décide ensuite que les pouvoirs publics qui, à la suite de la faute d'un tiers, doivent continuer à payer à un de leurs agents la rémunération et les charges grevant celle-ci, sans bénéficier de prestations de travail en contrepartie, n'ont droit à une indemnité que dans la mesure où ils subissent ainsi un dommage. Il décide enfin que tel n'est pas le cas pour le demandeur, dès lors que celui-ci n'affirme pas - et donc n'établit pas selon l'arrêt attaqué - avoir été contraint, pour pallier les conséquences de la situation à laquelle il a été confronté, de modifier l'organisation du service dont l'agent faisait partie, de réduire les prestations de service au détriment des usagers ou de supporter le coût, soit de supporter la rémunération d'un travailleur engagé temporairement pour remplacer son agent momentanément indisponible, ou des heures supplémentaires payées ou de déplacements imposés à un autre préposé pour les mêmes raisons.
En exigeant ainsi du demandeur, pour justifier l'existence d'un dommage réparable dans son chef, que celui-ci établisse l'existence de circonstances autres que celle qui résulte du paiement de la rémunération et des charges qui la grèvent sans le bénéfice des prestations de travail en contrepartie, l'arrêt méconnaît la notion de dommage réparable et viole donc les articles 1382 et 1383 du Code civil. En refusant, pour ce motif, de condamner le défendeur à réparer le dommage subi par le demandeur, l'arrêt attaqué refuse de condamner le défendeur à exécuter les obligations qui résultent pour lui de l'article 80, spécialement § 1er, 2°, de la loi du 9 juillet 1975 et des articles 14 et 19 de l'arrêté royal du 16 décembre 1981, et partant viole ces dispositions légales et réglementaires.
IV. La décision de la Cour
Sur le moyen:
Quant à la seconde branche:
Attendu qu'en vertu de l'article 80, § 1er, 2°, de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances et des articles 14 et 19 de l'arrêté royal du 16 décembre 1981 portant mise en vigueur et exécution des articles 79 et 80 de cette loi, toute personne lésée peut obtenir du Fonds commun de garantie automobile la réparation des dommages résultant de lésions corporelles causées par un véhicule automoteur, ainsi que des dommages matériels causés par pareil véhicule, lorsque aucune entreprise d'assurances n'est obligée à ladite réparation en raison du fait que l'obligation d'assurance n'a pas été respectée;
Attendu qu'en vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, celui qui cause à autrui un dommage est tenu de réparer intégralement ce dommage, ce qui implique le rétablissement du préjudicié dans l'état où il serait demeuré si l'acte dont il se plaint n'avait pas été commis;
Attendu que cette obligation résultant des articles 1382 et 1383 du Code civil s'étend au Fonds commun de garantie automobile intervenant en application des dispositions précitées de la loi du 9 juillet 1975 et de l'arrêté royal du 16 décembre 1981, en ce qui concerne les dommages visés dans celles-ci;
Attendu que les pouvoirs publics qui, ensuite de la faute d'un tiers, doivent continuer à payer à l'un de leurs agents la rémunération et les charges grevant la rémunération en vertu d'obligations légales ou réglementaires qui leur incombent, sans bénéficier de prestations de travail en contrepartie, ont droit à une indemnité réparant le dommage ainsi subi, pour autant qu'il résulte des dispositions légales ou réglementaires applicables que les décaissements précités auxquels ils sont tenus, ne doivent pas rester définitivement à leur charge;
Attendu que, pour obtenir pareille indemnisation, ces autorités ne sont pas tenues d'établir qu'elles subissent un dommage distinct de celui résultant de la circonstance qu'elles ont payé la rémunération et les charges sans bénéficier de prestations de travail en contrepartie;
Attendu que l'arrêt attaqué énonce notamment «qu'il s'agit [.] de déterminer si [le demandeur], dont il n'est pas discuté qu'il a payé, en sa qualité d'employeur et en exécution de ses obligations légales, la rémunération normale de son agent au cours des incapacités temporaires,
a ainsi subi un préjudice au sens des articles 1382 et suivants du Code civil; que cette question appelle une réponse négative; que [le demandeur] ne démontre pas et n'offre pas de démontrer l'existence, dans son chef, d'un dommage spécifique né de l'indisponibilité temporaire de son agent, auquel il s'est borné, malgré son absence, à verser les sommes litigieuses ainsi qu'il y était légalement tenu; qu'il convient plus spécialement d'observer que [le demandeur] n'affirme pas avoir été contraint, pour pallier les conséquences de la situation à laquelle il a été confronté, de modifier l'organisation du service dont l'agent faisait partie, de réduire les prestations de ce service au détriment des usagers ou de supporter le coût, soit la rémunération d'un travailleur engagé temporairement pour remplacer son agent momentanément indisponible, soit d'heures supplémentaires payées ou de déplacements imposés à un autre préposé pour les mêmes raisons»;
Qu'ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision que la réclamation du demandeur n'est pas fondée;
Qu'en cette branche, le moyen est fondé;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé;
Condamne le défendeur aux frais du pourvoi;
Renvoie la cause à la cour d'appel de Mons.
Lesdits frais taxés en totalité à la somme de deux cent dix-neuf euros septante-huit centimes dont septante-sept euros vingt-cinq centimes dus et cent trent-deux euros trente centimes payés par le demandeur.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Marc Lahousse, président de section, Francis Fischer, Jean de Codt, Frédéric Close et Paul Mathieu, conseillers, et prononcé en audience publique du neuf avril deux mille trois par Marc Lahousse, président de section, en présence de Jean Spreutels, avocat général, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier adjoint principal.