V. M.
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Philippe Gérard, avocat à la Cour de cassation,
contre
ETAT BELGE,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 14 mai 2001 par la cour du travail de Bruxelles.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Daniel Plas a fait rapport.
Le premier avocat général Jean - François Leclercq a conclu.
III. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
-articles 10, 11 et 159 de la Constitution;
-article 7, § 1er, de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux handicapés;
-article 10 de l'arrêté royal du 6 juillet 1987 relatif à l'allocation de remplacement de revenus et d'intégration.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué décide, par confirmation du jugement dont appel, que le défendeur a, à bon droit, considéré que les allocations de remplacement de revenus et d'intégration octroyées à la demanderesse par décision administrative du 25 février 1999 prendraient cours le 1er octobre 1998, soit le premier jour du mois suivant la fin de la cohabitation d'au moins un an au sens de l'article 10, alinéa 3, de l'arrêté royal du 6 juillet 1987 (article 23, § 2, dudit arrêté royal) et non, comme le revendiquait la demanderesse, le 1er octobre 1997, soit le premier jour du mois suivant la fin de la cohabitation. L'arrêt justifie sa décision par tous les motifs, qu'il s'approprie, du jugement dont appel et par ses motifs propres - motifs censés être ici intégralement reproduits.
Griefs
1.Première branche
L'article 7, § 1er, de la loi du 27 [février] 1987 dispose notamment que le montant des allocations de remplacement de revenus et d'intégration est diminué du montant du revenu de la personne avec laquelle le handicapé forme un ménage et prévoit que «le Roi peut déterminer ce qu'il faut entendre par 'former un ménage'». En exécution de cette disposition, le Roi a, à l'article 10, alinéa 2, littera a), de l'arrêté royal du 6 juillet 1987, énoncé qu'il fallait entendre par «'fin de la cohabitation de personnes qui sont établies en ménage', la situation qui naît lorsque les personnes qui étaient établies en ménage ont des résidences principales distinctes (.)» et, à l'article 10, alinéa 3, du même arrêté royal, prévu que «pour l'application des articles 4, 6, 6bis, 8 et 9, il n'est tenu compte (.) de la fin de la cohabitation des personnes qui sont établies en ménage, que pour autant que (cette situation dure) depuis un an au moins». En habilitant le Roi à déterminer ce qu'il fallait entendre par «former un ménage», le législateur Lui a sans doute attribué le pouvoir de définir la fin de la cohabitation entre le handicapé et la personne avec laquelle il formait un ménage, ainsi qu'Il l'a fait à l'article 10, alinéa 2, de l'arrêté royal du 6 juillet 1987, mais n'a pu Lui reconnaître le pouvoir de les considérer, par une fiction, comme formant toujours un ménage pendant l'année qui a suivi leur séparation. Il s'ensuit que l'arrêt attaqué a, en violation de l'article 159 de la Constitution, donné effet à une disposition réglementaire - l'alinéa 3 de l'article 10 de l'arrêté royal du 6 juillet 1987 -illégale et n'a, partant, pas justifié légalement sa décision que les allocations litigieuses étaient octroyées à la demanderesse à partir du 1er octobre 1998 (violation des articles 159 de la Constitution et 7, § 1er, de la loi du 27 février 1987 et, pour autant que de besoin, 10, alinéa 3, de l'arrêté royal du 6 juillet 1987).
2.Seconde branche
Les règles de l'égalité et de la non-discrimination consacrées par les articles 10 et 11 de la Constitution impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière, mais n'excluent pas qu'une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable, l'existence d'une telle justification devant s'apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise. Le principe d'égalité est également violé lorsqu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Si, contrairement à ce que soutient la première branche du moyen, l'article 7, § 1er, de la loi du 27 février 1987 doit être compris en ce sens que le Roi a le pouvoir de décider que la personne handicapée continue de former un ménage avec la personne avec laquelle elle a cohabité et ce, pendant une période d'un an à partir de la fin de la cohabitation et, partant, confère un fondement légal à l'article 10, alinéa 3, de l'arrêté royal du 6 juillet 1987, ledit article 7, § 1er, crée une différence de traitement dépourvue de justification objective et raisonnable et sans proportion raisonnable avec le but poursuivi, d'une part, entre la personne handicapée dont le ménage a pris fin et celle qui n'a pas formé de ménage, le montant des allocations octroyées à la première continuant pendant un an à subir les diminutions prévues par cette disposition légale et, d'autre part, entre la personne handicapée dont le ménage a pris fin et celle qui est effectivement établie en ménage, le montant des allocations allouées à la première continuant à être diminué pendant un an des revenus, qu'elle ne perçoit plus, de la personne avec laquelle elle avait formé un ménage. Il s'ensuit que, pour justifier sa décision que les allocations litigieuses avaient à bon droit été octroyées à la demanderesse à partir du 1er octobre 1998, l'arrêt attaqué s'est fondé sur une disposition légale qui, dans l'interprétation qu'il retient, institue une discrimination contraire aux principes constitutionnels d'égalité et de non-discrimination (violation des articles 10 et 11 de la Constitution); par voie de conséquence, l'arrêt attaqué a donné effet à une disposition réglementaire -l'article 10, alinéa 3, de l'arrêté royal du 6 juillet 1987 - dépourvue de fondement légal et qu'il devait, par suite, refuser d'appliquer (violation de l'article 159 de la Constitution et, pour autant que de besoin, de l'article 10, alinéa 3, de l'arrêté royal du 6 juillet 1987).
IV. La décision de la Cour
Quant aux deux branches réunies :
Attendu que les règles relatives à la prise de cours d'une décision de révision des allocations sont édictées par l'article 23 de l'arrêté royal du 6 juillet 1987 relatif à l'allocation de remplacement de revenus et à l'allocation d'intégration; que, lorsque la révision d'office a lieu, comme l'arrêt le constate, à la date à laquelle le bénéficiaire a cessé, depuis un an, d'être établi en ménage, cet article, dans sa version applicable aux faits, dispose, en son paragraphe 2, 1°, c), que la révision produit ses effets le premier jour du mois qui suit celui au cours duquel le bénéficiaire se trouve dans l'une des situations suivantes: séparation de faitou fin de la cohabitation d'au moins un an au sens de l'article 10, alinéa 3 ;
Que ces dispositions sont prises en exécution de l'article 10, alinéa 4, de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux handicapés, aux termes duquel le Roi fixe les règles selon lesquelles les décisions peuvent être revues sur demande ou d'office;
Attendu que, partant, en tant qu'il précise la portée de l'article 23, l'article 10, alinéa 3, de l'arrêté royal du 6 juillet 1987 n'est pas pris en exécution de l'article 7 de la loi du 27 février 1987;
Que le moyen manque en droit;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de poser à la Cour d'arbitrage la question préjudicielle proposée par le moyen, en sa seconde branche, dès lors que l'hypothèse juridique sur laquelle il repose est erronée;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Vu l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le défendeur aux dépens.
Les dépens liquidés jusqu'ores à zéro euro envers la partie demanderesse et taxés à la somme de cent vingt-deux euros soixante-six centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller faisant fonction de président Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Daniel Plas, Christine Matray et Sylviane Velu, et prononcé en audience publique du sept avril deux mille trois par le conseiller faisant fonction de président Christian Storck, en présence du premier avocat général Jean-François Leclercq, avec l'assistance du greffier adjoint Christine Danhiez.