R. J.,
Me René Bützler, avocat à la Cour de cassation,
contre
SOFIMO, société anonyme,
Me Jean-Marie Nelissen Grade, avocat à la Cour de cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 30 juin 2000 par la cour d'appel de Gand.
II. La procédure devant la Cour
Le président Ivan Verougstraete a fait rapport.
L'avocat général Guido Bresseleers a conclu.
III. Les faits
Il ressort de l'arrêtque:
Le 14 décembre 1993, la défenderesse en tant que principal, et le demandeur, en tant qu'agent, ont conclu un contrat d'agence. Ce contrat d'agence concernait les services d'un courtier.
En vertu d'une clause du contrat d'agence, l'agent doit s'abstenir d'exercer une activité concurrente dans la région pendant une période de cinq ans après la fin du contrat d'agence à peine de devoir verser une indemnité forfaitaire de 3 millions de francs.
Le contrat d'agence a pris fin de commun accord entre les parties le 18 septembre 1995.
L'ancien agent a développé une activité concurrente dans la région via un intermédiaire.
IV. Le moyen
Le demandeur présente un moyen dans sa requête.
Dispositions légales violées
-les articles 24, spécialement §§ 1er et 4, et 29 de la loi du 13 avril 1995 sur le contrat d'agence commerciale;
-pour autant que de besoin l'article 4, alinéa 2, de la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires.
Décision attaquées
Dans la décision attaquée, la cour d'appel de Gand, confirmant la décision du tribunal de commerce de Ypres du 23 mars 1998, condamne le demandeur à payer à la défenderesse la somme de 1.839.317 francs belges majorée des intérêts et des dépens du chef de concurrence interdite après la cessation du contrat d'agence commerciale le 15 octobre 1995, par les motifs suivants:
15.L'article 24, § 1er, de la loi du 13 avril 1995 prescrit qu'une clause de non-concurrence n'est valable que si:
-elle a été stipulée par écrit,
-elle concerne le type d'affaires dont l'agent est chargé,
-elle ne vise que le secteur géographique ou le groupe de personnes et le secteur géographique confiés à l'agent,
-elle n'excède pas six mois après la cessation du contrat.
(.)
Le contrat contenant la clause de non-concurrence a été conclu le 14 décembre 1993, soit avant l'entrée en vigueur de la loi relative au contrat d'agence commerciale (12 juin 1995).
La nouvelle loi ne contient aucune disposition de droit transitoire de sorte que les principes généraux en la matière sont applicables.
La règle admise en matière de contrats, est que la nouvelle loi n'a pas un effet immédiat et exclusif à l'égard des effets futurs de contrats conclu sous l'empire de l'ancienne loi. Cela implique que les contrats qui sortissent encore un effet, sont soumis à la loi qui était en vigueur au moment où ils ont été conclus aussi en ce qui concerne les effets futurs du contrat (.).
Il existe une exception à cette règle, notamment lorsque la nouvelle loi est d'ordre public ou prescrit expressément qu'elle s'applique aux contrats en cours (.). L'exception qui vaut pour la matière qui est d'ordre public doit être étendue à celle de droit impératif, vu la distinction floue qui existe entre les deux notions et ce, dans l'intérêt de la sécurité juridique. Cela s'impose d'autant plus que l'application de la loi ancienne constitue, en général, l'exception et ne vaut notamment qu'à l'égard des règles légales supplétives (.).
La réglementation relative à la clause de non-concurrence est, par nature, de droit impératif.
Le fait que les conditions de validité des contrats sont de droit impératif et ont un effet direct ne signifie pas qu'elles interviennent dans les conditions des contrats qui ont été remplies auparavant. En décider autrement équivaudrait à reconnaître un effet rétroactif à la loi nouvelle. Les nouvelles dispositions impératives en matière de conditions de validité ne s'appliquent pas aux contrats qui ont été conclus avant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions (.).
Dès lors, la clause de non-concurrence litigieuse a été valablement prévue sous l'empire de l'ancienne loi et elle reste valable sous l'empire de la nouvelle loi.
16.La question de la validité de principe de la clause de non-concurrence est différente de celle de savoir si cette clause peut encore sortir ses effets dans la mesure où elle excède les limites prévues par l'article 24, §§ 1er et 4. Selon la cour, la réponse à cette question est négative.
Les prétentions de la défenderesse ne concernent pas la validité du contrat et ne trouvent pas leur origine dans le contrat avant sa cessation ni dans la cessation elle-même. Il s'agit, en l'espèce, d'obligations qui naissent après la cessation du contrat. Les prétentions de la défenderesse sont, dès lors, régies par les nouvelles dispositions impératives qui sont applicables aux droits et obligations réciproques des parties et il y a lieu d'examiner (i) si les actes concurrentiels prétendus ont été posés dans les six mois de la cessation du contrat (article 24, § 1er) et (ii) si l'indemnité forfaitaire fixée en cas de violation de la clause de non-concurrence n'excède pas un montant égal à un an d'indemnité calculé comme prévu par l'article 20, alinéa 4, à moins que le principal apporte la preuve de l'existence et de l'étendue de son préjudice (article 24, § 4).
Le contrat d'agence a cessé le 15 octobre 1995.
(.)
Il est donc établi que le demandeur a eu des activités concurrentielles dans les six mois de la cessation du contrat d'agence sous le couvert de la société S.A. IVVA dont il était administrateur délégué.
Au cours des vingt et un mois et demi pendant lesquels le demandeur a été occupé au service de la défenderesse, il a bénéficié d'un montant de commissions de 3.295.442 francs, ce qui correspond à une somme de 1.839.317 francs sur une base annuelle.
Ce chiffre n'est pas contesté par les parties.
L'indemnisation forfaitaire de 3.000.000 francs prévue par l'article 8 doit être réduite à cette somme, soit la limite maximale prévue par l'article 24, § 4.
(.)
18.Le demandeur invoque encore que si l'article 29 de la nouvelle loi dispose que la présente loi ne s'applique pas aux obligations dont l'exécution a été demandée en justice avant la date de son entrée en vigueur, il y a lieu d'en déduire a contrario que la loi s'applique aux obligations dont l'exécution n'a pas été demandée en justice comme c'est le cas en l'espèce.
L'article 29 contient une limitation à l'application des principes généraux du droit transitoire et ne peut être considéré comme une disposition exhaustive par rapport à ce qui n'est pas soumis à la nouvelle loi (.). «Le raisonnement a contrario» développé par le demandeur ne présente donc aucun intérêt» (arrêt pp. 8 et svtes).
Griefs
Conformément à l'article 24, § 1er, de la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale , le contrat d'agence peut contenir une clause de non-concurrence. Cette clause de non-concurrence n'est valable que si:
1°elle a été stipulée par écrit;
2°elle concerne le type d'affaires dont l'agent est chargé;
3°elle ne vise que le secteur géographique ou le groupe de personnes et le secteur géographique confiés à l'agent;
4°elle n'excède pas six mois après la cessation du contrat.
Conformément à l'article 24, § 4 de cette même loi l'indemnité forfaitaire prévue au contrat en cas de violation de la clause de non-concurrence ne peut dépasser une somme égale à une année de rémunération calculée de la manière prévue par cette disposition.
Conformément à l'article 29 de cette même loi, la présente loi ne s'applique pas aux obligations dont l'exécution a été demandée en justice avant la date de son entrée en vigueur.
Cette loi, publiée au Moniteur Belge du 2 juin 1995 est, dès lors, obligatoire à partir du 12 juin 1995, conformément à l'article 4, alinéa 2, de la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires.
La cour d'appel a constaté que les parties ont conclu un contrat d'agence commerciale le 14 décembre 1993 et qu'elles y ont mis fin de commun accord à partir du 15 octobre 1995.
1. Première branche
L'article 29 de la loi précitée implique une règle d'application de cette loi dans le temps et cette loi contient, dès lors, contrairement aux considérations de la cour d'appel, une disposition de droit transitoire.
En application dudit article 29, les obligations dont l'exécution a été demandée en justice après le 12 juin 1995, sont dès lors soumises à l'application de la loi du 13 avril 1995.
La défenderesse réclame une indemnité du chef d'actes présumés de concurrence interdite commis par le demandeur après le 15 octobre 1995 et a introduit une citation à ce propos le 14 octobre 1996.
La validité de la clause de non-concurrence figurant dans le contrat du 14 décembre 1993 et dont le non-respect a été dénoncé après le 12 juin 1995 devait dès lors être appréciée en vertu des dispositions de la loi du 13 avril 1995.
Le demandeur a invoqué (voir par ex. la requête d'appel p. 3) et la cour d'appel a admis, à tout le moins implicitement (voir arrêt p. 9, n° 16) que la clause de non-concurrence figurant dans le contrat était contraire aux dispositions de la loi du 13 avril 1995 quant à sa durée, à son application géographique et au montant de l'indemnité.
Il s'ensuit que la cour d'appel ne pouvait décider sans violation des dispositions légales citées par le moyen que «la clause de non-concurrence litigieuse a été légalement stipulée sous l'empire de l'ancienne loi et qu'elle reste valable sous l'empire de la nouvelle loi» (arrêt p. 9, n° 15, in fine) (violation des toutes les dispositions légales citées au début du moyen).
2. Seconde branche
En principe, une nouvelle loi est applicable non seulement aux situations nées postérieurement à son entrée en vigueur mais aussi aux effets futurs de situations nées sous l'empire de l'ancienne loi se produisant ou perdurant sous l'empire de la nouvelle loi, pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés. En matière de conventions, l'ancienne loi reste applicable sauf si la nouvelle loi est d'ordre public ou si elle prescrit expressément son application aux conventions en cours.
Pour ces deux motifs, il y avait lieu d'appliquer en l'espèce la nouvelle loi, à savoir la loi du 13 avril 1995 sur le contrat d'agence commerciale.
La cour d'appel a, en effet, admis que « la réglementation concernant la clause de non-concurrence est, par sa nature, de droit impératif» (arrêt p. 8 bas de la page) et qu'en l'espèce, la réglementation en matière de lois d'ordre public doit être étendue aux lois de droit impératif «vu la distinction floue qui existe entre les deux notions et ce, dans l'intérêt de la sécurité juridique».
La loi sur le contrat d'agence commerciale ne se borne pas à prescrire son application aux obligations dont l'exécution n'a pas encore été demandée en droit à la date de son entrée en vigueur, mais il ressort aussi des travaux préparatoires de la loi que le législateur avait l'intention de rendre cette loi directement applicable aux contrats d'agence commerciale en cours, vu les dispositions, spécialement l'article 22 de la directive du Conseil des Communautés européennes du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants (86/653/CEE).
La cour d'appel ne pouvait, dès lors, pas refuser légalement d'appliquer les dispositions de la loi du 13 avril 1995 concernant la validité de la clause de non-concurrence reprise dans le contrat d'agence commerciale.
Il s'ensuit que la cour d'appel viole les dispositions légales citées par le moyen.
V. La décision de la Cour
Première et seconde branches
Attendu qu'en vertu de l'article 29 de la loi du 13 mai 1995 relative au contrat d'agence commerciale, cette loi ne s'applique pas aux obligations dont l'exécution a été demandée en droit avant la date de son entrée en vigueur, soit le 12 juin 1995;
Qu'il ne résulte pas de cette règle que cette loi est applicable de manière illimitée aux obligations dont l'exécution est demandée en justice après la date de son entrée en vigueur;
Que, sans préjudice des restrictions concernant l'exécution du contrat d'agence après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, l'article 29 ne déroge pas à la validité des clauses du contrat conclu sous l'empire de l'ancienne loi;
Que le législateur n'avait pas l'intention de faire apprécier la validité des anciens contrats d'agence commerciale à la lumière des nouvelles normes; que le législateur a uniquement voulu que la nouvelle norme régisse l'exécution des contrats existants;
attendu qu'en principe, la nouvelle loi est applicable non seulement aux situations nées postérieurement à son entrée en vigueur mais aussi aux effets futurs de situations nées sous l'empire de l'ancienne loi se produisant ou perdurant sous la nouvelle loi pour autant qu'il ne soit pas ainsi porté atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés; que la nouvelle loi n'a pas pour effet que la validité d'une clause de non-concurrence pourrait être appréciée à la lumière de la loi entrée postérieurement en vigueur; qu'en matière de conventions, l'ancienne loi reste applicable à une telle clause sauf si la nouvelle loi est d'ordre public ou impérative ou si elle prescrit expressément son application aux conventions en cours;
Que ledit article 29 est conforme à ce principe et n'a pas pour effet que la validité d'une clause de non-concurrence pourrait être appréciée à la lumière de la loi entrée en vigueur postérieurement;
Attendu qu'en statuant en ce sens, l'arrêt ne viole pas les dispositions légales citées par le moyen;
Que le moyen ne peut être accueilli;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne le demandeur aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, les conseillers Ernest Waûters, Ghislain Londers, Eric Dirix et Eric Stassijns, et prononcé en audience publique du vingt-huit février deux mille trois par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Guido Bresseleers, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du président Ivan Verougstraete et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le président,