R. J.,
Me Philippe Gérard, avocat à la Cour de cassation,
contre
LES ASSURANCES FEDERALES, société coopérative,
Me Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 8 mars 1996 par la cour d'appel de Gand.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Ghislain Londers a fait rapport.
L'avocat général Guy Dubrulle a conclu.
III. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen.
Dispositions légales violées
- article 1384, spécialement alinéas 2 et 5, du Code civil;
- article 18, spécialement alinéas 1er et 2, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.
Décisions attaquées
Les juges d'appel, confirmant le jugement entrepris, ont condamné la demanderesse au paiement d'une somme de 496.935 francs belges à la défenderesse et ont rejeté le moyen de défense de la demanderesse fondé sur l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, sur la base des motifs suivants:
«3.Les discussions interminables entre les parties quant au point de savoir si, au moment de l'incendie, la demanderesse se trouvait ou non dans les liens d'un contrat de travail avec V., ce qui pourrait, dans l'affirmative, l'exonérer de sa responsabilité en vertu de l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, est sans pertinence en l'espèce.
L'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ne s'applique en effet qu'aux fautes personnelles des travailleurs et pas au cas où, comme en l'espèce, le travailleur est mis en cause sur la base de sa responsabilité qualitative (article 1384, alinéa 2 du Code civil), dès lors qu'il est considéré comme tenu, en sa qualité de parent, des fautes qu'il n'a pas commises lui-même;
4.Le premier juge a considéré à juste titre qu'étant mineur, l'enfant de la demanderesse, K.M., n'était pas personnellement responsable.
Cela n'empêche pas que l'incendie volontaire constituait objectivement une faute pour laquelle la demanderesse peut être déclarée responsable en vertu de l'article 1384, alinéa 2, du Code civil.
Contrairement au premier juge, qui a déclaré la demanderesse responsable en raison d'un manquement présumé dans l'éducation, la cour considère que la responsabilité de la demanderesse doit être fondée sur un défaut de surveillance; il est irresponsable de laisser à lui-même un enfant âgé d'à peine cinq ans dans un café bondé en le laissant regarder la télévision dans une chambre.
La demanderesse savait ou devait savoir qu'à tout moment cet enfant pouvait quitter cette pièce dans laquelle il se trouvait seul et se rendre dans d'autres endroits où il pouvait se mettre lui-même en danger ou mettre des tiers en danger et/ou causer des accidents et des dommages.
C'est d'ailleurs en raison de ce défaut total de surveillance de l'enfant par la demanderesse que l'incendie et le dommage ont pu être causés.
L'action dirigée par la défenderesse contre la demanderesse est, dès lors, fondée sur l'article 1384, alinéa 2, du Code civil pour les motifs développés ci-dessus».
Griefs
Aux termes de l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, en cas de dommages causés par le travailleur à l'employeur ou à des tiers dans l'exécution de son contrat, le travailleur ne répond que de son dol et de sa faute lourde, et il ne répond de sa faute légère que si celle-ci présente dans son chef un caractère habituel plutôt qu'accidentel.
Cette exonération de responsabilité du travailleur concerne sa faute personnelle.
L'article 1384, alinéa 2, du Code civil établit une présomption de responsabilité à charge des parents pour le dommage causé par leurs enfants mineurs. La présomption de responsabilité instaurée par cet article est fondée sur une faute personnelle des parents, commise soit dans l'éducation soit dans la surveillance. Les parents peuvent renverser cette présomption en prouvant que le fait donnant lieu à la responsabilité ne résulte pas d'un défaut de surveillance ou d'un manquement dans l'éducation de leur enfant mineur qui leur serait imputable.
Lorsqu'un enfant mineur qui se trouve sous la surveillance d'un de ses parents alors que ce dernier exécute son contrat de travail, commet une faute qui cause un dommage à des tiers, l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ne met pas fin à la présomption de responsabilité instaurée par l'article 1384, alinéa 2, du Code civil, bien qu'il déroge au droit commun en matière de responsabilité civile. Dans un tel cas, même s'il ne peut apporter la preuve que le fait qui entraîne cette responsabilité ne résulte pas d'un défaut de surveillance ou d'un manquement dans l'éducation de son enfant mineur qui lui serait imputable, afin de renverser la présomption de responsabilité pesant sur lui, le parent peut toutefois opérer ce renversement en démontrant qu'il ne s'est pas rendu coupable de dol ou d'une faute lourde ou d'une faute légère présentant un caractère habituel plutôt qu'accidentel.
Le juge du fond devant lequel l'existence d'un contrat de travail et l'exonération de la responsabilité prévue par l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail sont invoqués par le parent contre lequel une action en responsabilité est intentée sur la base de la responsabilité présumée de l'article 1384, alinéa 2, du Code civil, est, dès lors, tenu d'examiner si ledit parent est lié par un contrat de travail ou si les conditions de l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail sont remplies.
En l'espèce, en réponse à la défense de la demanderesse qui invoquait en conclusions qu'elle était engagée dans les liens d'un contrat de travail, que l'employeur lui avait donné l'autorisation d'emmener son fils et lui avait demander d'installer l'enfant devant la télévision dans la chambre voisine et que, dès lors, elle ne pouvait être déclarée responsable que dans les conditions prévues à l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, les juges d'appel ont considéré qu'il est «sans intérêt» de savoir si au moment de l'incendie la demanderesse était ou non engagée dans les liens d'un contrat de travail dès lors que l'article 18 ne vaut que pour les fautes personnelles des travailleurs et non dans le cas où, comme en l'espèce, le travailleur est mis en cause sur la base de sa responsabilité qualitative parce qu'il est considéré, en sa qualité de parent, comme tenu des fautes qu'il n'a pas commises lui-même.
Il s'ensuit qu'en décidant, afin d'exclure que l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail puisse influencer la responsabilité du parent fondée sur l'article 1384, alinéa 2, du Code civil, que la responsabilité prévue par l'article 1384 ne concerne pas une faute personnelle du travailleur mais une responsabilité qualitative du chef de fautes que le parent n'a pas commises lui-même, les juges d'appel ont méconnu le fait que la présomption de responsabilité instaurée par l'article 1384, alinéa 2, du Code civil est fondée sur la faute personnelle commise par les parents soit dans l'éducation soit dans la surveillance (violation de l'article 1384, spécialement alinéas 2 et 5, du Code civil).
Qu'en décidant que l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ne s'applique pas à la responsabilité du parent fondée sur l'article 1384, alinéa 2, du Code civil, en excluant que cet article 18 puisse réduire cette responsabilité dérivant de l'article 1384, alinéa 2, et en refusant d'examiner si le parent déclaré responsable en vertu de l'article 1384, alinéa 2, était lié par un contrat de travail, les juges d'appel ont méconnu tant l'article 1384, spécialement alinéas 2 et 5, du Code civil que l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail (violation de l'article 1384, spécialement alinéas 2 et 5, du Code civil et de l'article 18, spécialement alinéas 1er et 2, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail).
IV. La décision de la Cour
Attendu qu'en vertu de l'article 18, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, en cas de dommages causés par le travailleur à l'employeur ou à des tiers dans l'exécution de son contrat, le travailleur ne répond que de son dol et de sa faute lourde;
Qu'en vertu de l'alinéa 2 de cet article, le travailleur ne répond de sa faute légère que si celle-ci présente dans son chef un caractère habituel plutôt qu'accidentel;
Attendu que la limitation de la responsabilité civile du travailleur a pour but de protéger celui-ci contre les risques accrus de responsabilité auxquels il est exposé dans l'exécution de son contrat de travail et qui peuvent entraîner pour lui une lourde charge financière;
Que la présomption de responsabilité inscrite dans l'article 1384, alinéa 2, du Code civil est fondée sur l'obligation des parents d'éduquer et de surveiller leurs enfants d'une manière adéquate;
Que cette obligation est étrangère à l'exécution du contrat de travail liant [le] parent ;
Que, dès lors, le parent ne peut se libérer de la responsabilité fondée sur l'article 1384, alinéa 2, du Code civil en apportant la preuve du fait qu'il n'a commis ni dol, ni faute lourde, ni une faute légère présentant un caractère habituel dans l'exécution de son contrat de travail;
Que le moyen manque en droit;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Robert Boes, les conseillers Ernest Waûters, Ghislain Londers et Eric Dirix, et prononcé en audience publique du quatorze février deux mille trois par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Guy Dubrulle, avec l'assistance du greffier adjoint délégué Johan Pafenols.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Sylviane Velu et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,