L. V.
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Cécile Draps, avocat à la Cour de cassation,
contre
PORTE OUVERTE «HOME DE FAVENCE», association sans but lucratif dont le siège est établi à Nandrin, rue de Favence, 18,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation.
I. Les décisions attaquées
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts rendus les 26 mai 2000 et 18 juin 2001 par la cour du travail de Liège.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Christian Storck a fait rapport.
Le premier avocat général Jean - François Leclercq a conclu.
III. Les faits
Tels qu'ils ressortent des arrêts attaqués et des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, les faits de la cause et les antécédents de la procédure peuvent être ainsi résumés :
La demanderesse est entrée le 1er septembre 1993 au service de la défenderesse.
À la suite d'élections syndicales, la défenderesse a été informée le 20 octobre 1995 par l'organisation syndicale de la demanderesse de la désignation de celle-ci comme déléguée syndicale suppléante.
En l'absence dans l'entreprise exploitée par la défenderesse de comité de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, puis de comité pour la prévention et la protection au travail, les missions de ces organes y sont exercées par la délégation syndicale.
La demanderesse a été amenée à remplacer la déléguée syndicale effective pendant les périodes d'incapacité de travail et de chômage technique que celle-ci a connues jusqu'à ce qu'elle reprenne le travail le 1er avril 1998.
Le 3 août 1998, la défenderesse a mis fin au contrat de travail de la demanderesse moyennant le paiement d'une indemnité compensatoire de préavis de trois mois.
Après que son organisation syndicale eut vainement demandé sa réintégration, la demanderesse a formé contre la défenderesse une action tendant notamment au paiement des indemnités prévues aux articles 14 et 17 de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel.
IV. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
-article 1er, § 4, b, de la loi du 10 juin 1952 concernant la santé et la sécurité des travailleurs ainsi que la salubrité du travail et des lieux de travail, tel qu'il a été complété par l'article 12 de la loi du 23 janvier 1975;
-article 82 de l'arrêté royal du 12 août 1994 relatif aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail;
-article 52 de la loi du 4 août 1996 concernant le bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail;
-articles 1er, 2, 14 et 17 de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué du 26 mai 2000, après avoir constaté que, dans l'entreprise de la défenderesse, il n'existait pas de comité de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, devenu comité pour la prévention et la protection au travail, décide 1°) que la protection conférée à la délégation syndicale chargée d'exercer les missions dudit comité n'est accordée aux délégués «que si la délégation syndicale a exercé les missions dévolues» au comité et ordonne la réouverture des débats aux fins notamment de permettre à la demanderesse «de libeller des faits précis permettant d'établir la réalité de l'exercice par la délégation syndicale des missions confiées par la loi aux comités» et 2°) que la protection accordée par l'exercice effectif des missions ne s'étend pas aux délégués suppléants et ordonne la réouverture des débats pour permettre aux parties de débattre des conséquences de l'exercice effectif par la demanderesse du mandat de délégué syndical et de sa réintégration ultérieure dans des fonctions de suppléante, par tous les motifs repris aux pages 5 à 14 de l'arrêt sous l'intitulé «La protection des délégués syndicaux effectifs et suppléants lorsque la délégation syndicale exerce les missions dévolues au comité de sécurité et d'hygiène, actuellement comité pour la prévention et la protection au travail», motifs considérés comme ici intégralement reproduits.
L'arrêt attaqué du 18 juin 2001 décide qu'au vu de sa qualité de déléguée suppléante au jour où le congé a été donné, la demanderesse ne pouvait faire valoir un statut protecteur fondé sur la loi du 4 août 1996, de sorte qu'il est inutile de vérifier si la délégation syndicale a ou non effectivement exercé la mission dévolue au comité, par tous les motifs repris aux pages 3 et 4 de l'arrêt sous l'intitulé «Quant à l'incidence du retour de la déléguée syndicale effective sur le droit à la protection de la déléguée syndicale suppléante», motifs considérés comme ici intégralement reproduits.
Griefs
Le premier arrêt attaqué constate que, suite à des élections syndicales, le Syndicat des employés, techniciens et cadres (SETCA) a, le 20 octobre 1995, informé la défenderesse de la désignation de la demanderesse en qualité de déléguée syndicale suppléante; il est d'autre part constant qu'il n'existait pas dans l'entreprise de la défenderesse de comité de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, devenu ensuite comité pour la prévention et la protection au travail.
En l'absence de comité de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, la délégation syndicale a été chargée d'exercer les missions revenant à celui-ci par des arrêtés royaux pris avant chaque élection sociale en vertu de l'habilitation donnée au Roi par l'article 12 de la loi du 23 janvier 1975 complétant l'article 1er, § 4, b, de la loi du 10 juin 1952; pour les élections sociales de 1995, la disposition réglementaire conférant à la délégation syndicale cette mission était l'article 82 de l'arrêté royal du 12 août 1994 relatif aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité et d'hygiène; l'article 52 de la loi du 4 août 1996 a ensuite confié directement à la délégation syndicale les missions que cette loi attribue au comité pour la prévention et la protection au travail.
1. Première branche
En vertu de l'article 1er, § 4, b, 4°, de la loi du 10 juin 1952, tel qu'il a été complété par l'article 12 de la loi du 23 janvier 1975, puis de l'article 52 de la loi du 4 août 1996, la délégation syndicale amenée à exercer les fonctions du comité de sécurité et d'hygiène, devenu comité pour la prévention et la protection au travail, bénéficie de la même protection contre le licenciement que les délégués du personnel au sein de ces comités; cette protection commence à la date à laquelle le Roi, puis la loi, ont décidé que la mission commençait, indépendamment de l'exercice effectif de cette mission par la délégation syndicale, en d'autres termes à la date à laquelle le comité aurait pris ses fonctions s'il avait été institué. En décidant que la protection n'est accordée aux délégués syndicaux que si la délégation syndicale a exercé effectivement les missions dévolues au comité et en ordonnant la réouverture des débats aux fins de permettre à la demanderesse d'établir cet exercice effectif, l'arrêt attaqué du 26 mai 2000 viole, partant, les articles 1er, § 4, b, de la loi du 10 juin 1952, 82 de l'arrêté royal du 12 août 1994 et 52 de la loi du 4 août 1996.
2.Deuxième branche
Lorsque la délégation syndicale est chargée d'exercer les missions du comité de sécurité et d'hygiène, devenu comité pour la prévention et la protection au travail, la protection contre le licenciement accordée à la délégation syndicale par les articles 1er, § 4, b, de la loi du 10 juin 1952, tel qu'il a été modifié par la loi du 23 janvier 1975, et 52 de la loi du 4 août 1996, est celle dont bénéficient, en vertu de l'article 1er de la loi du 19 mars 1991, les délégués représentant le personnel dans le comité; elle s'applique donc tant aux membres effectifs qu'aux membres suppléants de la délégation syndicale; il s'en déduit que, lorsqu'en vertu des conventions collectives conclues au niveau des commissions paritaires et des sous-commissions paritaires ou à défaut au niveau de l'entreprise, des délégués syndicaux suppléants sont désignés ou élus, ceux-ci font partie de la délégation syndicale appelée à exercer les missions du comité et jouissent, comme les délégués syndicaux effectifs, de la protection accordée par la loi du 19 mars 1991.
L'arrêt attaqué du 26 mai 2000, qui ne conteste pas que la demanderesse a été régulièrement élue en qualité de déléguée suppléante dans une entreprise n'ayant pas de comité de sécurité et d'hygiène, devenu comité pour la prévention et la protection au travail, mais qui décide que le délégué suppléant n'est pas protégé par l'article 1er, § 4, b, de la loi du 10 juin 1952 et l'article 52 de la loi du 4 août 1996, viole ces dispositions légales.
3.Troisième branche
En toute hypothèse, à supposer même que la protection contre le licenciement ne soit acquise à un délégué syndical dans une entreprise au sein de laquelle il n'existe pas de comité de sécurité et d'hygiène, devenu comité pour la prévention et la protection au travail, qu'à la double condition, d'une part, que la délégation syndicale ait exercé effectivement les missions du comité et, d'autre part, que le travailleur concerné ait exercé effectivement un mandat syndical, cette protection, une fois qu'elle est acquise à ce dernier, lui est, en vertu de l'article 52 de la loi du 4 août 1996, accordée, en règle, jusqu'à la date à laquelle les candidats élus aux élections suivantes sont installés comme membres du comité; elle ne se perd pas par la seule circonstance qu'au jour du licenciement, le travailleur n'exerçait plus de mandat effectif de délégué.
L'arrêt attaqué du 18 juin 2001, qui décide que le délégué syndical qui, après avoir remplacé le délégué effectif, redevient suppléant a perdu toute protection, de sorte que, au vu de sa situation de déléguée suppléante au jour où le congé lui a été donné, la demanderesse ne peut faire valoir un statut protecteur fondé sur la loi du 4 août 1996, viole l'article 52 de cette loi; par voie de conséquence, cet arrêt, qui admet que la demanderesse a été licenciée moyennant la notification d'un préavis, c'est-à-dire en dehors des hypothèses prévues par l'article 2 de la loi du 19 mars 1991, mais qui la déboute de sa demande portant sur le paiement des indemnités prévues aux articles 14 et 17 de cette loi, viole, partant, ces dispositions légales.
V. La décision de la Cour
Quant à la deuxième et à la troisième branche:
Attendu que, tant en vertu de l'article 1er, § 4, b), de la loi du 10 juin 1952 concernant la santé et la sécurité des travailleurs, ainsi que la salubrité du travail et des lieux de travail, qu'en vertu de l'article 52, alinéa 2, de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail, dans le cas où la délégation syndicale est chargée d'exercer les missions du comité de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, devenu le comité pour la prévention et la protection au travail, les membres de cette délégation bénéficient de la même protection que les délégués du personnel de ces comités, telle qu'elle est prévue par la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d'entreprise et aux comités de sécurité, d'hygiène et d'embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel, et cette protection commence à la date du début de leur mission;
Qu'aux termes de l'article 52, alinéa 2, de la loi du 4 août 1996, la protection reconnue en ce cas aux membres de la délégation syndicale se termine à la date à laquelle les candidats élus aux élections suivantes sont installés comme membres du comité;
Attendu qu'il suit de ces dispositions qu'elles n'étendent la protection à laquelle elles se réfèrent qu'aux membres de la délégation syndicale, de sorte qu'un délégué syndical suppléant qui n'est pas membre de la délégation syndicale n'en bénéficie que dans la mesure où et aussi longtemps qu'il remplace le délégué syndical effectif;
Attendu que, d'une part, l'arrêt attaqué du 26 mai 2000 considère que «le délégué syndical suppléant n'exerce pas sa fonction mais est en quelque sorte en réserve» et que, «si la protection [litigieuse] est étendue aux membres de la délégation syndicale, encore faut-il en faire partie, ce qui n'est pas le cas du délégué suppléant»;
Que, d'autre part, l'arrêt attaqué du 18 juin 2001, qui rappelle que, «comme la cour [du travail] l'a relevé dans l'arrêt antérieur, le délégué syndical suppléant ne fait pas comme tel partie de la délégation syndicale», constate que la déléguée syndicale effective «est rentrée en fonction le 1er avril 1998» alors que «[la demanderesse] a été licenciée le 3 août 1998»;
Que, par ces énonciations, la cour du travail a légalement justifié sa décision de débouter la demanderesse de sa demande en paiement des indemnités prévues aux articles 14 et 17 de la loi du 19 mars 1991;
Qu'en ces branches, le moyen ne peut être accueilli;
Quant à la première branche:
Attendu que la décision de la cour du travail étant légalement justifiée par les considérations des arrêts attaqués vainement critiquées par les deuxième et troisième branches du moyen, celui-ci qui, en cette branche, ne saurait entraîner la cassation est, dès lors, dénué d'intérêt, partant, irrecevable;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cent vingt et un euros quatre-vingt-sept centimes envers la partie demanderesse et à la somme de nonante-neuf euros dix-neuf centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Pierre Marchal, les conseillers Christian Storck, Daniel Plas, Christine Matray et Sylviane Velu, et prononcé en audience publique du dix février deux mille trois par le premier président Pierre Marchal, en présence du premier avocat général Jean-François Leclercq, avec l'assistance du greffier adjoint Christine Danhiez.