C.G.U., s.a.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation,
contre
V. G. S.
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Cécile Draps, avocat à la Cour de cassation
La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 6 septembre 1999 par la cour du travail de Bruxelles.
La procédure devant la Cour
Le premier président Pierre Marchal a fait rapport.
Le premier avocat général Jean - François Leclercq a conclu.
Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- articles 7, alinéa 1er, 8, § 1er, spécialement alinéas 1er et 2, § 2, spécialement 2°, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, modifiée par les lois des 22 juillet 1981 et 22 décembre 1989;
- article 149 de la Constitution;
- principe général du droit relatif à la séparation des pouvoirs.
Décisions et motifs critiqués
Pour décider, par confirmation du jugement dont appel, que doit être considéré comme étant survenu sur le chemin du travail l'accident dont la défenderesse a été victime le lundi 6 juin 1994, vers 17 heures, sur le trajet parcouru par elle avec sa voiture personnelle au départ de sa résidence pour se rendre à l'Ecole de commerce Solvay où elle avait suivi des cours de maîtrise en gestion fiscale et devait se présenter à un examen, l'arrêt attaqué - après avoir relevé que la défenderesse avait été engagée comme secrétaire par le bureau de conseillers en matière fiscale dont la demanderesse est l'assureur-loi, qu'elle a ensuite opté pour une carrière de collaboratrice en cette matière, que son employeur l'a régulièrement récompensée par le biais de promotions, qu'il lui a demandé de suivre des cours de maîtrise en gestion fiscale organisés par l'institution universitaire précitée, que ces cours sont donnés de 17 heures 30 à 20 heures 30 ainsi que le samedi matin - se fonde sur les motifs:
«Il est incontestable que (la défenderesse) a suivi des cours de spécialisation fiscale suite au constat par l'employeur de son intérêt pour la matière, ainsi que de son ardeur au travail. Entrée comme secrétaire, elle fut très vite dirigée vers le secteur fiscal où elle devait d'ailleurs rester. Il ne peut être nié que les intérêts des parties devaient converger dans la mesure où, d'une part, l'employée ainsi jugée dut vraisemblablement marquer son accord pour se familiariser avec cette matière particulière et où, d'autre part, l'employeur estime, et ce, en vue de disposer d'un personnel compétent dans le bien même de la société, devoir l'encourager, allant jusqu'à consentir le paiement du minerval dû, effectuant directement les versements à l'institution universitaire choisie. Il va de soi aussi (.) que cet encouragement particulièrement appuyé ne se limite pas au seul paiement du minerval, mais aussi, dans le vécu quotidien, à accorder des facilités quant à l'horaire et à la quantité même du travail, afin de permettre à l'employée de concilier son travail et les études entreprises, ce qui ne fut certainement pas une tâche facile, vu la nature même, le niveau et la difficulté de la matière enseignée. Cette situation de fait - travail et études - est telle que l'on peut dire qu'il existe une véritable intégration de ces études dans l'activité professionnelle de la victime. S'il n'existe pas d'écrit quant à cette intégration, il n'en reste pas moins que ces études font partie intégrante du contrat de travail, de son évolution et de son exécution, d'autant que les deux parties avaient donné leur plein consentement, l'employée, pour consentir l'effort proposé et l'employeur, pour en faciliter l'accès (minerval) et la faisabilité (les facilités diverses). Il faut constater en outre, et si besoin en est, que la matière étudiée est celle traitée directement par l'employée en sa fonction. Enfin, et sans pouvoir en tirer un argument essentiel, il y a lieu de retenir que le salaire afférent au jour de congé et d'examen fut payé. Au vu de tous ces éléments, on peut affirmer qu'il s'agit bien d'une formation professionnelle au sens de l'article 8, § 2, 2°, de la loi du 10 avril 1971 et que, par ailleurs, le contrat de travail évolua pour permettre l'intégration en celui-ci d'un cycle d'études parfaitement adapté à la fonction, en mettant l'employée dans les conditions requises pour concilier les nécessités de son emploi et celles de ses études, y compris les examens. S'il est vrai que l'employée n'avait aucune obligation de suivre ces cours, il faut néanmoins admettre qu'elle y fut très encouragée et qu'elle était consciente que, dès l'instant où elle s'inscrivait, elle savait pouvoir compter sur la promesse de son employeur de l'aider au mieux tant financièrement que fonctionnellement. Quant à l'argument tiré par l'assureur-loi du fait que l'employeur indique qu''il rembourse les frais d'inscription des programmes d'études à la seule condition de réussir les examens', il faut noter ce qui suit: le minerval était payé directement à l'institution universitaire par l'employeur; l'employée n'a pas dû rembourser les frais d'inscription du cycle suivi pour l'année académique 1996-1997 alors pourtant qu'elle n'a pas pu passer les examens de cette année et a fortiori réussir ceux-ci; enfin, cette condition de ristourne en cas de non-réussite renforce la décision suivant laquelle il y eut convention liant les parties, l'inscription aux cours étant prise en charge pour autant bien sûr que l'employée continue à travailler pour l'employeur. Il en résulte que le jour, dit de congé, admis par l'employeur rentrait bien dans les conditions fixées par les deux parties en une convention non écrite intervenue entre elles, convention dont on ne peut nier l'existence. La cour [du travail] estime que le 'contrat d'études' constitue partie intégrante du contrat d'origine et, en conséquence, il y eut suspension du contrat de travail qui n'entraînait pas, comme l'expose le premier juge, la suspension de la protection en matière d'accident du travail ou sur le chemin du travail. L'article 8, § 2, ayant été complété par le mot 'notamment', la cour [du travail] déclare l'appel non fondé».
Griefs
1. Première branche
Ne constitue pas un accident sur le chemin du travail l'accident survenu pendant la période de suspension de l'exécution du contrat de travail. En relevant que le salaire afférent au jour de congé de la défenderesse et de l'examen a été payé par l'employeur, que ce jour, dit de congé, entrait bien dans les conditions fixées par les parties dans une convention non écrite intervenue entre elles et que, en conséquence de ce «contrat d'études» intégré dans le contrat de travail de la défenderesse, il y eut suspension de ce contrat de travail, l'arrêt constate que l'accident de la défenderesse s'est produit alors que l'exécution de son contrat de travail avait été suspendue. En décidant qu'elle parcourait cependant à ce moment un travail (lire: un trajet) assimilé au chemin du travail, l'arrêt n'est dès lors pas légalement justifié (violation des articles 7, alinéa 1er, 8, § 2, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail).
A tout le moins l'arrêt, dans la mesure où il relève «que le salaire afférent au jour de congé et d'examen fut payé» et se réfère au «jour dit de congé admis par l'employeur», laisse incertain s'il considère que la demanderesse (lire: défenderesse) bénéficiait ou non d'un jour de congé le jour de l'accident et, en raison de cette ambiguïté, n'est pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution coordonnée).
Il est par ailleurs contradictoire de décider que «il y eut suspension du contrat de travail qui n'entraînait pas, comme l'expose le premier juge, la suspension de la protection en matière d'accident du travail ou sur le chemin du travail».
En effet ne constitue pas un accident sur le trajet assimilé au chemin du travail, l'accident survenu pendant la suspension de l'exécution du contrat de travail.
En raison de cette contradiction, l'arrêt attaqué n'est ni légalement justifié (violation des dispositions de la loi du 10 avril 1971 visées au moyen) ni régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).
2. Deuxième branche
Aux termes de l'article 8, § 2, 2°, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, est notamment assimilé au chemin du travail le trajet parcouru par le travailleur «de son lieu de travail à l'endroit où il suit des cours en vue de sa formation professionnelle et de cet endroit à sa résidence». Cette disposition ne vise pas le trajet parcouru par le travailleur pour se rendre à l'endroit où il suit des cours, en partant, non de l'endroit où il travaille, mais de sa résidence. Sans doute l'énumération par l'article 8, § 2, des trajets assimilés au chemin du travail n'est-elle pas limitative. Il en résulte seulement que le juge peut assimiler au chemin du travail d'autres trajets que ceux prévus par la loi. Toutefois lorsque celle-ci a elle-même fixé les conditions auxquelles un trajet est assimilé au chemin du travail, il ne peut modifier ces conditions. L'article 8, § 2, 2°, de la loi du 10 avril 1971 a expressément subordonné l'assimilation du trajet parcouru par le travailleur à la condition qu'il soit parti du lieu de son travail. En l'espèce, ainsi que le constate l'arrêt, l'accident s'est produit alors que la défenderesse était partie de sa résidence un jour où elle ne travaillait pas. L'arrêt, en se fondant sur le caractère non limitatif de l'énumération des trajets assimilés au chemin du travail pour y ajouter le trajet suivi par la défenderesse, bien que le point de départ n'en ait pas été le lieu de son travail, viole l'article 8, § 2, 2°, de la loi du 10 avril 1971 sur les assurances (lire : sur les accidents du travail).
En retenant un cas, non prévu par la loi, d'accident sur le trajet assimilé au chemin du travail, et en substituant ainsi sa volonté à celle du législateur, l'arrêt viole en outre le principe général du droit visé au moyen.
3. Troisième branche
L'énumération par l'article 8, § 2, de la loi du 10 avril 1971 des trajets assimilés au chemin du travail ne peut être étendue aux trajets que le travailleur ne parcourt pas à partir du lieu de son travail ou qui sont sans rapport avec la formation, l'exécution ou la fin du contrat de travail. Pour avoir un rapport direct avec ce contrat, suivre les cours visés par l'article 8, § 2, 2°, doit être pour le travailleur une obligation découlant du contrat. Comme le reconnaît expressément l'arrêt, la défenderesse n'avait aucune obligation de suivre des cours de maîtrise de gestion fiscale. En l'absence de toute obligation de la défenderesse à cet égard, l'arrêt ne pouvait se fonder sur des éléments, tels que la convergence des intérêts des parties et l'encouragement de l'employeur sous la forme du paiement de l'inscription aux cours et de diverses facilités, le consentement de l'employée pour fournir l'effort nécessaire, la similitude de la matière étudiée et de celle faisant l'objet de son travail, pour décider qu'au moment de l'accident la défenderesse se rendait à l'endroit visé à l'article 8, § 2, 2°, de la loi du 10 avril 1971. L'arrêt méconnaît ainsi la notion de cours de formation professionnelle, au sens de cette disposition légale, et viole par conséquent celle-ci.
La décision de la Cour
Quant à la première branche:
Attendu que l'arrêt ne constate pas que l'accident s'est produit alors que l'exécution du contrat de travail était suspendue, la défenderesse et son employeur étant libérés de leurs obligations réciproques;
Que l'arrêt énonce que le contrat de travail avait intégré un «contrat d'études», que l'accident est survenu «un jour de congé et d'examen», que le salaire de ce jour avait été payé et que ce «jour dit de congé (.) rentrait dans les conditions fixées par les deux parties en une convention non écrite»;
Que, par le motif critiqué, l'arrêt considère qu'à la suite de l'intégration d'un «contrat d'études» dans le contrat de travail, la défenderesse était dispensée de travailler le jour où est survenu l'accident;
Attendu que, pour le surplus, une décision se fonde sur des motifs ambigus lorsque ces motifs sont susceptibles de différentes interprétations et qu'elle est justifiée dans une ou plusieurs de ces interprétations et non dans une ou plusieurs autres;
Que le moyen, en cette branche, soutient que l'arrêt laisse incertain s'il considère que la défenderesse bénéficiait ou non d'un jour de congé, le jour de l'accident, mais ne précise pas dans quelle hypothèse la décision ne serait pas légalement justifiée;
Qu'en cette branche, le moyen ne peut être accueilli;
Quant à la deuxième branche:
Attendu qu'il résulte des termes de l'article 8, § 2, de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail que l'énumération des trajets assimilés au chemin du travail par cette disposition n'est pas limitative et qu'elle peut être étendue, notamment, aux trajets qui sont en rapport direct avec l'exécution du contrat de travail;
Attendu que s'il considère que les études de la défenderesse étaient une formation professionnelle au sens de l'article 8, § 2, 2°, de la loi du 10 avril 1971, l'arrêt ne décide pas que la défenderesse se trouvait sur le trajet défini par cette disposition ou que le trajet suivi par la défenderesse devait être assimilé au chemin du travail en vertu de cette disposition;
Attendu qu'il ressort de l'ensemble des énonciations de l'arrêt reproduites dans le moyen que la cour du travail a décidé que l'accident est survenu sur un trajet qui pouvait être assimilé au chemin du travail, eu égard au libellé de la première phrase de l'article 8, § 2, de ladite loi, parce qu'il était en rapport direct avec l'exécution du contrat de travail;
Que, par cette décision, la cour du travail n'a violé ni l'article 8, § 2, 2°, de la loi du 10 avril 1971 ni le principe général du droit visé au moyen;
Qu'en cette branche, le moyen ne peut être accueilli;
Quant à la troisième branche:
Attendu qu'un trajet est en rapport direct avec l'exécution du contrat de travail, au sens de l'article 8, § 2, de la loi du 10 avril 1971, lorsque le travailleur s'y trouve en vue de remplir une obligation ou d'exercer un droit résultant du contrat de travail;
Attendu que le moyen, en cette branche, suppose que l'exécution du contrat de travail ne concerne que les obligations du travailleur;
Qu'en cette branche, le moyen manque en droit;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cent soixante-deux euros nonante-deux centimes envers la partie demanderesse et à la somme de soixante-sept euros six centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président
Pierre Marchal, les conseillers Christian Storck, Daniel Plas, Christine Matray et Sylviane Velu, et prononcé en audience publique du treize janvier deux mille trois par le premier président
Pierre Marchal, en présence du premier avocat général Jean-François Leclercq, avec l'assistance du greffier adjoint Christine Danhiez.