METALUNION, S.C.,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation,
contre
S.P.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre un arrêt rendu le 8 novembre 2000 par la cour du travail de Gand.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Ghislain Dhaeyer a fait rapport.
L'avocat général Anne De Raeve a conclu.
III. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen dans sa requête.
Dispositions légales violées
- articles 4, 6, 20, 3°, 89 et 90, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail;
-article 1134 du Code civil.
Décisions attaquées
Dans la décision attaquée, statuant sur la demande du défendeur, la cour d'appel a déclaré l'appel de la demanderesse recevable et non fondé et a confirmé dès lors le jugement du premier juge condamnant la demanderesse à payer au défendeur la somme de 328.647 francs, et ce sur la base des motifs suivants:
«4.1. Le défendeur était engagé avec la demanderesse dans les liens d'un contrat de travail de représentant de commerce.
Le contrat de travail écrit dispose en son article 2.1 que la rémunération brute totale consiste en une partie fixe (rémunération mensuelle de base) et en une partie variable (provision). La rémunération brute totale constitue l'indemnisation de tous les services fournit par le défendeur, y compris les heures supplémentaires et les missions spéciales.
L'article 2.2 fixe la rémunération mensuelle brute à 55.000 francs par mois. L'article 2.3 concerne la provision brute et prévoit notamment:
2.3.1.chiffre d'affaires minimum.
Il y a lieu d'entendre par chiffre d'affaires toutes les ventes hors TVA qui ont été conclues directement ou indirectement par X pour le compte de Y et qui ont été acceptées par Y et qui pourraient faire l'objet d'une action en récupération déduction faite de toutes les notes de crédit hors TVA qui concernent ces ventes, à l'exception des ventes mentionnées sub 2.3.4.
Il faut partir d'un chiffre d'affaires minimum de 20.000.000 francs belges par an, ce montant étant majoré chaque année de 10 pct (.).
3.2.Provision
Une provision brute sera accordée uniquement sur un chiffre d'affaires réalisé en plus de ce chiffre d'affaires minimum:
0,50 pct pour la partie (min ca x 1.50) - min. ca.
0,75 pct pour la partie (min ca. X 2.00) - (min ca. X 1.50)
1.0pct pour la partie réalisée en plus du min ca. X 2.00
2.3. 3.Payement
On effectuera un calcul provisoire mensuel de la provision brute. Le paiement s'effectue à la fin du mois suivant le mois de facturation. Un décompte définitif sera effectué chaque année et le solde positif (ou négatif) sera ajouté (ou déduit) du salaire mensuel.
3.6.Clause de ducroire.
(.) en cas de non-paiement par un client (par ex. insolvabilité du client/faillite) X en sera responsable à concurrence de sa provision sur l'action relative à une somme irrécupérable (.).
4.2.La rémunération du défendeur consistait en partie en un traitement fixe et en partie en des commissions. L'article 2.3 du contrat de travail fixe la rémunération fixe à 55.000 FB brut par mois. La commission est accordée sur le seul chiffre d'affaires qui a été réalisé en plus du chiffre d'affaires minimum de 20.000.000 FB (article 2.3.1 du contrat).
4.3. L'article 89 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail dispose que la rémunération du représentant de commerce consiste soit en un traitement fixe soit en des commissions, soit en partie en un traitement fixe et en partie en des commissions.
L'article 90 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail dispose que la commission est due sur tout ordre accepté par l'employeur, même s'il n'est pas suivi d'exécution.».
L'octroi de commissions est un système de rémunération qui ne peut être imposé. En application de l'article 89 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, les parties ont le choix entre trois possibilités. Les parties sont légalement convenues que la rémunération consistait en partie en un traitement fixe et en partie en commissions. Le traitement fixe est forfaitaire et évidemment limité.
Par contre, la clause stipulant que le travailleur ne peut prétendre à une commission sur les ordres inférieurs à un certain chiffre d'affaires réalisé est contraire à l'article 90 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Même s'il a été convenu que la rémunération ne consiste qu'en partie en des commissions, aucune limitation n'est possible. La commission est notamment due sur tout ordre accepté. La limitation de la commission (qui ne serait pas due sur tout ordre accepté) est contraire aux dispositions impératives de la loi du 3 juillet 1978 (voir Cass., 27 novembre 1995, Bull. 1995, n° 509; C.T. Gand, 14 octobre 1991, Soc. Kron. 1992, 416; C.T. Gand, 10 avril 2000, RG 428/98, pas publié). C'est à bon droit que le premier juge a précisé que le contrat de travail ne constitue pas une obligation de résultat de sorte que la clause selon laquelle la commission est subordonnée à l'obtention d'un certain chiffre d'affaires transforme le contrat de travail en obligation de résultat et est donc nulle.
Décider que l'article 90 ne s'applique qu'à la partie de la rémunération qui est payée en commissions, consiste à ajouter à cet article une disposition ou une limitation qui n'est pas prévue. L'article 90 n'a en effet instauré aucune limitation et il ne s'applique donc pas seulement lorsque la rémunération consiste exclusivement en commissions mais aussi lorsqu'elle consiste en partie en des commissions.
La clause litigieuse du contrat de travail viole les articles 6 et 90 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail de sorte que c'est à bon droit que le premier juge a déclaré fondée la demande originaire».
Griefs
En vertu de l'article 89 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail la rémunération du représentant de commerce consiste soit en un traitement fixe, soit en des commissions, soit en partie en un traitement fixe et en partie en des commissions.
Aux termes de l'alinéa 1er de l'article 90 de cette loi, la commission est due en principe sur tout ordre accepté par l'employeur, même s'il n'est pas suivi d'exécution, sauf en cas d'inexécution par la faute du représentant de commerce.
Si, comme en l'espèce, la rémunération du représentant de commerce consiste en partie en un traitement fixe et en partie en des commissions, la disposition de l'alinéa 1er de l'article 90 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail n'est par nature applicable qu'à la partie de la rémunération qui consiste en des commissions.
La loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ne prévoit pas la manière dont les commissions dues doivent être fixées et de quelle manière elles doivent être calculées.
Aux termes de l'article 20, 3° de cette loi, l'employeur est tenu de payer la rémunération aux conditions, au temps et au lieu convenus.
Les parties sont, dès lors, libres de convenir du mode de calcul et du montant des commissions, en respectant les normes impératives applicables en l'espèce.
Le contrat qui prévoit un traitement fixe et une commission sur le chiffre d'affaires qui excède un certain montant, prévoit que cette commission est due sur tout ordre qui donne droit à une commission et n'est donc pas contraire à l'article 90 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.
Le fait qu'un certain élément de la rémunération, comme une commission, n'est dû qu'à partir du moment où un certain chiffre d'affaires est atteint, détermine la manière dont cet élément de la rémunération doit être constaté et calculé et ne transforme pas le contrat de travail en obligation de résultat, dès lors que le défaut d'obtention de ce chiffre d'affaires ne peut être considéré comme un manquement du travailleur.
Il s'ensuit que la cour du travail ne pouvait décider légalement que la clause du contrat de travail conclu entre les parties qui concerne la rémunération, viole les articles 6 et 90 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail et est nulle (violation de toutes les dispositions invoquées en tête du moyen).
IV. La décision de la Cour
Attendu que l'article 89 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail prévoit que la rémunération du représentant de commerce consiste soit en un traitement fixe, soit en des commissions, soit en partie en un traitement fixe et en partie en des commissions;
Que l'article 90, alinéa 1er, de cette loi dispose que la commission est due sur tout ordre accepté par l'employeur, même s'il n'est pas suivi d'exécution, sauf en cas d'inexécution par la faute du représentant de commerce;
Cette dernière disposition légale ne concerne que la commission convenue dans le contrat et implique que, dès qu'elle est convenue en principe pour tout ordre accepté, la commission ne peut être limitée;
Que la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail ne règle pas la détermination de la commission due ni son mode de calcul;
Que l'article 90, alinéa 1er, de cette loi n'empêche pas d'accorder un traitement fixe majoré de commissions dont le montant est en rapport avec un chiffre d'affaires qui dépasse un montant préalablement convenu;
Que l'on n'exclut ainsi aucune commission convenue sur un ordre accepté;
Attendu que l'arrêt constate que selon le contrat de travail la rémunération convenue du défendeur en tant que représentant de commerce consiste en partie en un traitement fixe et en partie en des commissions et que les commissions ne sont accordées que sur le chiffre d'affaires réalisé annuellement par le défendeur au-dessus d'un minimum fixé; que l'arrêt considère que cette clause limite le montant de la commission comprise dans la rémunération;
Attendu que l'arrêt viole les articles 6 et 90, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail;
Attendu que cette clause n'impose pas une obligation de résultat au représentant de commerce entraînant des conséquences en cas de manquement contractuel;
Qu'en considérant que cette clause impliquait bien une obligation de résultat, l'arrêt viole l'article 1134 du Code civil;
Que le moyen est fondé;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause devant la cour du travail de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Robert Boes, les conseillers Ernest Waûters, Ghislain Dhaeyer et Greta Bourgeois, et prononcé en audience publique du deux décembre deux mille deux par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général Anne De Raeve, avec l'assistance du greffier adjoint principal Lisette De Prins.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Philippe Echement et transcrite avec l'assistance du greffier adjoint Christine Danhiez.
Le greffier adjoint, Le conseiller,