D. G.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
D. P., et cons.,
en cause
M. B.,
partie appelée en déclaration d'arrêt commun.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 9juin 2000 par le tribunal de première instance de Courtrai, statuant en degré d'appel.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Ernest Waûters a fait rapport.
L'avocat général délégué Dirk Thijs a conclu.
III. Les moyens de cassation
La demanderesse présente deux moyens libellés dans les termes suivants:
1. Premier moyen
Dispositions légales violées
Articles807 et 1042 du Code judiciaire.
Décisions et motifs critiqués
Par le jugement attaqué, les juges d'appel ont déclaré la demande introduite par la demanderesse tendant au paiement d'une indemnité d'éviction inadmissible aux motifs que:
«1.Les demandes originaires (de monsieur M. et de la demanderesse) dans le cadre de l'appel principal dans la cause relative au refus de renouveler le bail (R.G. n°432/91) et la demande introduite en degré d'appel tendant au paiement d'une indemnité d'éviction
(Monsieur M. et la demanderesse) ont interjeté appel du jugement attaqué notamment aux motifs qu'il a déclaré le refus de renouvellement du bail fondé et n'a pas alloué d'indemnité d'éviction.
(Monsieur M. et la demanderesse) allèguent qu'ils ont modifié leur demande originaire qui tendait à l'invalidation du refus de renouveler le bail (et à la prorogation du bail commercial) en une demande en paiement de l'indemnité d'éviction prévue par la loi, en application de l'article 807 du Code judiciaire qui, selon eux, est également applicable en degré d'appel.
En conséquence, dans la procédure d'appel, (Monsieur M. et la demanderesse) restreignent leur demande à l'indemnité d'éviction, de sorte que les questions concernant le bien-fondé du refus de renouvellement, le (défaut de) motivation du refus et la réalisation du motif de refus requise par la loi sur les baux commerciaux importent uniquement pour l'évaluation de l'indemnité.
C'est à bon droit que (Monsieur M. et la demanderesse) font valoir que l'article 807 du Code judiciaire est également applicable en degré d'appel. Il est toutefois requis que la demande étendue ou modifiée en degré d'appel ait été portée devant le premier juge (Cass., 2décembre 1982, R.W., 1982-83, 2811). Cela n'a pas été le cas en l'espèce: en première instance, (monsieur M. et la demanderesse) n'ont demandé l'indemnité d'éviction ni en ordre principal ni en ordre subsidiaire.
(Monsieur M. et la demanderesse) ne peuvent davantage soutenir que la demande en paiement d'une indemnité d'éviction était virtuellement contenue dans leur demande originaire qui tendait à l'invalidation du refus de renouveler le bail (et à la prorogation du bail commercial).
Les articles 807 et 1042 du Code judiciaire n'admettent pas qu'une demande qui n'est pas virtuellement contenue dans la demande originaire soit introduite pour la première fois en degré d'appel.
En conséquence, la demande en paiement d'une indemnité d'éviction introduite par (Monsieur M. et de la demanderesse) est inadmissible».
Griefs
L'article807 du Code judiciaire dispose que la demande dont le juge est saisi peut être étendue ou modifiée, si les conclusions nouvelles, contradictoirement prises, sont fondées sur un fait ou un acte invoqué dans la citation, même si leur qualification juridique est différente. Conformément à l'article1042 du Code judiciaire, l'article807 précité est également applicable en degré d'appel.
L'article807 du Code judiciaire autorise la modification de l'objet de la demande à la condition que la demande modifiée soit fondée sur un fait ou un acte invoqué dans la citation. Cette disposition ne requiert toutefois pas que la demande modifiée soit exclusivement fondée sur un tel fait ou un tel acte.
Le juge est tenu de statuer sur la demande modifiée conformément à l'article807 du Code judiciaire dont il a été saisi en tenant compte des faits qui se sont produits en cours d'instance et influent sur la contestation.
La demanderesse a invoqué dans la citation introductive d'instance le refus de renouveler le bail commercial opposé par les bailleurs et le défaut de fondement de ce refus. Dans la même citation, elle a réclamé le renouvellement du bail commercial aux conditions en vigueur.
Le premier juge l'ayant déboutée, la demanderesse a été expulsée au mois de janvier 1993.
Par conclusions déposées le 10novembre 1993 au greffe du tribunal de première instance de Courtrai, la demanderesse a demandé la condamnation des défendeurs au paiement d'une indemnité d'éviction pour refus injustifié de renouvellement.
Ainsi, l'objet initial de la demande (le renouvellement du bail commercial) a été modifié et vise le paiement d'une indemnité d'éviction. Cette demande modifiée est fondée sur un fait ou un acte invoqué dans la citation, à savoir le refus non fondé de renouveler le bail commercial opposé par les bailleurs. Cette demande est en outre fondée sur un fait qui s'est produit en cours d'instance et influe sur la contestation auquel les juges d'appel sont tenus d'avoir égard, à savoir le fait que la demanderesse a déguerpi au mois de janvier 1993, comme le premier juge le lui avait ordonné.
La demande modifiée est, dès lors, fondée sur un fait ou un acte invoqué dans la citation et était virtuellement contenue dans la demande originaire.
Il s'ensuit qu'en déclarant inadmissible la demande modifiée par la demanderesse, qui tend à obtenir le paiement d'une indemnité d'éviction, au motif que la demande n'a pas été portée devant le premier juge et qu'elle n'était pas virtuellement contenue dans la demande originaire en invalidation du refus de renouveler le bail et en prorogation du bail commercial, les juges d'appel ont violé les articles807 et 1042 du Code judiciaire.
(.)
IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen:
Attendu que l'article 807 du Code judiciaire dispose que la demande dont le juge est saisi peut être étendue ou modifiée, si les conclusions nouvelles, contradictoirement prises, sont fondées sur un fait ou un acte invoqué dans la citation, même si leur qualification juridique est différente;
Que, conformément à l'article 1042 du Code judiciaire, l'article 807 est applicable en degré d'appel;
Qu'il suit de ces dispositions légales qu'en degré d'appel également, l'article 807 précité requiert uniquement que la demande étendue ou modifiée soit fondée sur un fait ou un acte invoqué dans la citation;
Qu'il ne requiert pas que la demande étendue ou modifiée à l'égard de la partie contre laquelle la demande originaire a été introduite ait été portée devant le premier juge ou ait été virtuellement contenue dans la demande originaire, en d'autres termes ait été implicitement contenue dans l'objet de la demande originaire;
Attendu que jugement attaqué constate que:
1. la demanderesse et la partie appelée en déclaration de jugement commun ont originairement demandé l'invalidation du refus de renouvellement avec la «prorogation du bail commercial» ;
2. ces parties ont modifié leur demande en degré d'appel et l'ont restreinte à une indemnité d'éviction, de sorte que les questions concernant le bien-fondé du refus de renouvellement, le défaut de motivation du refus et la réalisation du motif de refus requise par la loi sur les baux commerciaux importent uniquement pour l'évaluation de l'indemnité;
Attendu que le jugement attaqué déclare la demande modifiée tendant au paiement de l'indemnité d'éviction inadmissible au motif qu'elle n'a pas été portée devant le premier juge et n'était pas virtuellement contenue dans la demande originaire;
Qu'ainsi, le jugement attaqué viole les articles 807 et 1042 du Code judiciaire;
Que le moyen est fondé;
(.)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué en tant qu'il déclare la demande modifiée de la demanderesse et de la partie appelée en déclaration de jugement commun inadmissible et qu'il statue sur la diminution du loyer et sur les dépens;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance de Bruges, siégeant en degré d'appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Robert Boes, les conseillers Ernest Waûters, Greta Bourgeois et Ghislain Londers, et prononcé en audience publique du vingt-neuf novembre deux mille deux par le président Ivan Verougstraete, en présence de l'avocat général délégué Dirk Thijs, avec l'assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Christian Storck et transcrite avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier, Le conseiller,