CENTRE PUBLIC D'AIDE SOCIALE DE HUY,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Philippe Gérard, avocat à la Cour de cassation,
contre
B. N. et cons.,
défendeurs en cassation,
admis au bénéfice de l'assistance judiciaire par décision du 2 novembre 2000 (pro Deo n° G.00.0114.F),
représentés par Maître Cécile Draps, avocat à la Cour de cassation
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 14 juin 2000 par la cour du travail de Liège.
II. Les antécédents de procédure
Par son arrêt du 10 septembre 2001, la Cour a posé à la Cour d'arbitrage une question préjudicielle.
Par l'arrêt n° 15/2002 du 17 janvier 2002, la Cour d'arbitrage a dit pour droit que l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale, modifié par les lois des 30 décembre 1992 et 15 juillet 1996, interprété en ce sens que le droit à l'aide sociale de l'étranger séjournant illégalement sur le territoire et qui a introduit une demande de régularisation de séjour sur la base de la loi du 22 décembre 1999 est limité à l'aide médicale urgente aussi longtemps que son séjour n'est pas régularisé, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
III. La procédure devant la Cour
Le premier président Pierre Marchal a fait rapport.
Le premier avocat général Jean-François Leclercq a conclu.
IV. Le moyen de cassation
Le demandeur a présenté deux moyens.
Par l'arrêt du 10 septembre 2001, la Cour a répondu au premier moyen.
Le second moyen est libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- articles 1349 et 1353 du Code civil ;
- article 57, §2, spécialement alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale tel qu'il a été modifié par la loi du 15 juillet 1996 ;
- articles 6, alinéa 1er, et 9, spécialement alinéa 3, de la loi du 15 septembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers;
- articles 2, 9, 14 et 15 de la loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation de séjour de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du Royaume ;
- article 20 de l'arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers ;
- principe général du droit relatif au respect des droits de la défense.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que les défendeurs, de nationalité bosniaque, avaient effectué un premier séjour en Belgique de 1994 à 1997; qu'ils avaient, au cours de ce premier séjour, bénéficié d'une aide sociale qui leur avait été octroyée tout d'abord par le demandeur et ensuite par le C.P.A.S. de Watermael-Boitsfort; que les défendeurs affirment avoir dû quitter la Belgique en octobre 1997 pour identifier les corps de membres de leur famille assassinés pendant la guerre et avoir ensuite été dans l'impossibilité de revenir rapidement en Belgique; que les défendeurs «ont été radiés des registres de la commune de Boitsfort en avril 1998; qu'au mois de juillet 1999, ils ont pu regagner la Belgique grâce à des visas délivrés par les ambassades d'Allemagne pour (la défenderesse) et de France pour (le défendeur) et se sont réinstallés à Huy chez des compatriotes; qu'ils ont sollicité l'aide (du demandeur) d'autant plus que les personnes qui les hébergeaient quittaient la Belgique; (.) que figurent notamment au dossier déposé par (les défendeurs) leur déclaration d'arrivée sur le territoire de la commune de Huy le 15 juillet 1999, des attestations de réception de demandes introduites dans le cadre de l'article 9, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980, des accusés de réception de demandes de régularisation portant la date du 20 janvier 2000 (.) ; que (les défendeurs) sont entrés en Belgique en possession de passeports et de visas en bonne et due forme; qu'ils sont détenteurs d'annexes 3; qu'ils n'ont fait l'objet d'aucun ordre de quitter le territoire; qu'ils ont introduit une demande pour raison humanitaire basée sur l'article 9, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980; qu'ils ont également introduit des demandes de régularisation le 20 janvier 2000» et que les défendeurs «font grief aux premiers juges de ne pas leur avoir octroyé le bénéfice de l'aide sociale en considérant leur séjour en Belgique comme illégal alors qu'ils estiment qu'ils rentrent dans les conditions d'un séjour régulier n'étant pas détenteurs d'un ordre de quitter le territoire et ayant introduit une demande basée sur l'article 9, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980», l'arrêt réforme le jugement du tribunal du travail, lequel, avant de statuer sur le recours introduit par les défendeurs contre les décisions administratives prises par le demandeur en date des 7 et 21 septembre 1999, la première suspendant et la seconde refusant la demande d'aide sociale introduite par les défendeurs le 26 août 1999, avait soumis à la Cour d'arbitrage une question préjudicielle relative à la constitutionnalité de l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale et «condamne (le demandeur) à accorder (aux défendeurs) l'aide sociale équivalant au minimex au taux chef de ménage depuis la date de la demande», aux motifs «qu'il est permis de déduire de (l') énumération (reprise dans l'énoncé des faits) que (les) demandes (introduites par les défendeurs respectivement sur pied de l'article 9, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980 et de la loi du 22 décembre 1999) sont actuellement à l'examen; (que les défendeurs) sont titulaires d'annexes 3 permettant leur séjour et n'ont fait l'objet d'aucun ordre de quitter le territoire; qu'au stade actuel de l'examen du dossier et des pièces produites, on peut donc considérer que le séjour (des défendeurs) est régulier; qu'il en est d'autant plus ainsi que dans le cadre de la loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation de certaines catégories d'étrangers, l'article 14 a prévu que durant l'examen des demandes il ne serait pas procédé matériellement à un éloignement jusqu'à ce qu'une décision soit prise sauf atteinte à l'ordre public ou à la sécurité nationale ou si la demande ne répond manifestement pas aux conditions prévues; qu'ainsi que l'écrit (un commentateur), 'la loi offre donc aux candidats à la régularisation une sorte d'immunité les garantissant contre un éloignement du territoire dans l'attente d'une décision. Il ne s'agit pas de l'octroi d'un titre de séjour mais d'un engagement de l'Etat à ne pas procéder à l'exécution d'une mesure d'éloignement précédemment notifiée ou à l'éloignement d'un étranger qui aurait toujours séjourné en Belgique dans la clandestinité'; qu'en l'espèce, (les défendeurs) sont titulaires d'un titre de séjour régulier et peuvent en sus bénéficier des dispositions de l'article 14; (.) qu'une autre conséquence de la demande de régularisation est inscrite à l'article 15 de la loi: si une demande de régularisation pour motif humanitaire avait déjà été introduite sur pied de l'article 9, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980, celle-ci sera automatiquement transmise pour examen à la Commission de régularisation sauf lettre recommandée adressée au ministre de l'Intérieurdans les quinze jours de la publication de la loi au Moniteur ; que (les défendeurs) rentrent dans ce cadre et qu'ils n'ont pas envoyé de lettre recommandée au ministre de l'Intérieur; (.) que la Constitution réformée le 17 février 1994 contient un principe selon lequel 'chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine'; que ce droit est reconnu à l'article 1er de la loi du 8 juillet 1976 à toute personne qui se trouve sur le territoire belge; que tel est le cas (des défendeurs) dont il n'est pas contesté qu'ils reçoivent l'aide de la Croix-Rouge sous forme d'hébergement et de colis alimentaires notamment par des bénévoles; que dès l'introduction de leur demande, (les défendeurs) rentraient donc dans les conditions pour bénéficier de l'aide sociale; que la cour [du travail] considère que ce droit est renforcé si besoin était par l'introduction des demandes de régularisation; qu'en effet, tout demandeur de régularisation, dans la mesure où il se trouve sur le territoire belge notamment pour pouvoir soutenir sa demande, doit être dans les conditions pour mener une vie conforme à la dignité humaine; que dès lors que les autres conditions sont rencontrées telles que: un séjour établi, un état de besoin avéré, l'aide sociale doit être accordée; qu'il en est d'autant plus ainsi que la suppression de l'aide lorsqu'un ordre de quitter le territoire a été délivré avait pour objectif d'inciter les intéressés à obtempérer à l'ordre de quitter le territoire; que cet objectif ne peut plus être invoqué pour priver un demandeur de l'aide sociale qu'il sollicite puisqu'il ne sera pas procédé à son éloignement du territoire jusqu'à la décision du ministre; qu'autorisé à rester, le demandeur d'aide doit pouvoir survivre; qu'en conséquence, en séjour régulier et non pas illégal et irrégulier comme le soutient (le demandeur), se trouvant sur le territoire en état de besoin non contesté, (les défendeurs) doivent bénéficier de l'aide sociale correspondant au minimex au taux chef de ménage; que la cour [du travail] n'examine pas en l'espèce l'argument soulevé fondé sur la force majeure et l'impossibilité de retourner dans son pays; que ces éléments seront examinés en même temps que la demande de régularisation et à ce stade de la procédure ne sont pas de nature à modifier l'octroi des droits déjà obtenu par le biais des arguments déjà examinés ci-dessus».
Griefs
Interprété à la lumière des pièces de la procédure et de l'ensemble des motifs de l'arrêt, le considérant selon lequel les défendeurs sont «en séjour régulier et non pas illégal et irrégulier comme le soutient (le demandeur)» signifie que les défendeurs sont entrés régulièrement sur le territoire belge au mois de juillet 1999, en vertu de visas délivrés par des ambassades, qu'ils ont obtenu de l'administration communale de Huy, le 15 juillet 1999, le titre de séjour visé à l'article 20 et à l'annexe 3 de l'arrêté royal du 8 octobre 1981, pris en exécution de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers (ci-après l'arrêté d'exécution de la loi de 1980), titre de séjour dont la validité ne peut excéder trois mois et qui est communément désigné par les termes «annexe 3»; les défendeurs n'ont pas obtenu du ministre ou de son délégué l'autorisation de pouvoir séjourner dans le Royaume au-delà du terme initial prévu par leur «annexe 3» mais ils ont introduit une demande à cette fin, sur pied de l'article 9, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers (ci-après «la loi de 1980 sur les étrangers»); cette demande a été automatiquement commuée en demande de régularisation, en vertu de l'article 15 de la loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation de séjour de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du Royaume (ci- après «la loi de régularisation de 1999») et elle était toujours «à l'examen» à la date du prononcé de l'arrêt; ils ont apparemment introduit de nouvelles demandes de régularisation le 20 janvier 2000 et, à la date du prononcé de l'arrêt, ces demandes n'avaient pas encore fait l'objet d'une décision; en revanche, ce considérant ne signifie pas que les défendeurs auraient été titulaires d'un titre de séjour délivré par une autorité compétente et dont la durée de validité couvrait toute la période allant de l'introduction de la demande d'aide sociale, le 26 août 1999, au jour du prononcé de l'arrêt.
2.1. Première branche
(I) L'article 57, § 2, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale (ci-après «la loi organique des C.P.A.S.»), tel que modifié par la loi du 15 juillet 1996, dispose que «par dérogation aux autres dispositions de la loi, la mission du centre public d'aide sociale se limite à l'octroi de l'aide médicale urgente, à l'égard d'un étranger qui séjourne illégalement dans le Royaume»; l'étranger qui est entré régulièrement sur le territoire national et qui a obtenu de l'administration de la commune d'arrivée le titre de séjour, d'une durée ne pouvant excéder trois mois, visé par l'article 20 de l'arrêté d'exécution de la loi de 1980 sur les étrangers devient, s'il n'a pas quitté la Belgique à l'expiration de la durée de validité de ce titre de séjour, «un étranger qui séjourne illégalement dans le Royaume», au sens de l'article 57, § 2, alinéa 1er, précité de la loi organique des C.P.A.S.; il demeurera un étranger en séjour illégal, au sens de cette disposition, aussi longtemps qu'il n'aura pas obtenu un nouveau titre de séjour, délivré par le ministre ou son délégué, conformément aux dispositions de la loi de 1980 sur les étrangers et de son arrêté d'exécution; sauf dans l'hypothèse (étrangère au cas d'espèce) visée par l'article 57, § 2, alinéa 4, il est sans pertinence, du point de vue du droit à l'aide sociale, que l'étranger non titulaire d'une autorisation de séjour encore valable se soit ou non vu notifier un ordre de quitter le territoire; est, a fortiori, sans pertinence, la question de savoir si un tel ordre, notifié à l'intéressé, est obligatoire ou exécutoire; le seul fait de ne pas être titulaire d'une autorisation de séjour encore valable suffit à faire entrer l'étranger dans le champ d'application de l'article 57, § 2, alinéa 1er, précité de la loi organique des C.P.A.S.; l'intéressé demeure un étranger en séjour illégal, au sens dudit article 57, § 2, alinéa 1er, même après avoir introduit, soit une demande d'autorisation de séjour, sur pied de l'article 9, alinéa 3, de la loi sur les étrangers de 1980, soit une demande de régularisation, sur pied des dispositions de la loi de régularisation de 1999, soit une demande initialement fondée sur l'article 9, alinéa 3, de la loi sur les étrangers de 1980 mais commuée en demande de régularisation en vertu de l'article 15 de la loi de régularisation de 1999; en conséquence, l'étranger dont le titre de séjour initial ou «annexe 3» est arrivé à expiration ne peut bénéficier de l'aide sociale (sous réserve de «l'aide médicale urgente») aussi longtemps qu'il n'a pas été réservé une suite favorable à l'une des demandes précitées.
(II) En l'espèce, la durée de validité de «l'annexe 3», délivrée aux défendeurs, selon les constatations de l'arrêt, le 15 juillet 1999, est venue à expiration à une date non précisée par l'arrêt mais au plus tard le 15 octobre 1999; ni la demande initialement introduite par les défendeurs, sur pied de l'article 9, alinéa 3, de la loi sur les étrangers de 1980 (demande ultérieurement commuée en demande de régularisation, en vertu de l'article 15 de la loi de régularisation de 1999) ni les demandes de régularisation introduites
le 20 janvier 2000 n'avaient fait l'objet d'une décision favorable, à la date du prononcé de l'arrêt attaqué; il en résulte que depuis une date non précisée par l'arrêt, mais au plus tard à dater du 15 octobre 1999, les défendeurs étaient des «étrangers séjournant illégalement dans le Royaume», au sens de l'article 57, § 2, alinéa 1er, de la loi organique des C.P.A.S. et ne pouvaient donc bénéficier d'aucune aide sociale à charge du demandeur, à l'exception de l'aide médicale urgente; en condamnant le demandeur à accorder aux défendeurs l'aide sociale équivalant au minimex au taux chef de ménage, l'arrêt a dès lors méconnu l'article 57, § 2, spécialement alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale, tel que modifié par la loi du 15 juillet 1996, et les articles 6, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers et 20 de l'arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.
2.2. Deuxième branche
L'article 9, alinéa 2, de la loi de 1980 sur les étrangers dispose que, sauf les exceptions prévues par la loi, l'autorisation de séjourner dans le Royaume pour une période supérieure à trois mois «doit être demandée par l'étranger auprès du poste diplomatique ou consulaire belge compétent pour le lieu de sa résidence ou de son séjour à l'étranger»; l'alinéa 3 du même article 9 dispose toutefois que «lors de circonstances exceptionnelles, cette autorisation peut être demandée par l'étranger auprès du bourgmestre de la localité où il séjourne, qui la transmettra au ministre ou à son délégué»; cet alinéa 3 se borne donc à prévoir à quelles conditions la demande d'autorisation de séjour de plus de trois mois peut être introduite en Belgique; l'introduction d'une telle demande ne modifie pas le statut de l'étranger concerné; si celui-ci n'est pas titulaire d'un titre de séjour valable lors de l'introduction de cette demande, il demeurera, aussi longtemps que celle-ci n'aura pas reçu de suite favorable, un étranger en séjour illégal; en conséquence, en se fondant sur le motif que les défendeurs ont introduit une demande basée sur l'article 9, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980 sur les étrangers, pour décider que leur séjour «est régulier», l'arrêt a attaché à la demande précitée des effets qu'elle ne peut légalement comporter (violation de l'article 9, spécialement alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers)et n'a pu légalement déduire de l'introduction d'une telle demande que les défendeurs échappaient au champ d'application de l'article 57,§ 2, alinéa 1er, de la loi organique des C.P.A.S. (violation des articles 57, § 2, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale, tel que modifié par la loi du 15 juillet 1996, et de l'article 9, spécialement alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers).
2.3. Troisième branche
L'article 2 de la loi de régularisation énumère les quatre catégories d'étrangers qui, à la condition de séjourner déjà effectivement en Belgique à la date du 1er octobre 1999, peuvent introduire une demande de régularisation de séjour selon la procédure prévue par cette loi; l'article 14 de la même loi dispose que, «hormis les mesures d'éloignement motivées par l'ordre public ou la sécurité nationale, ou à moins que la demande ne réponde manifestement pas aux conditions de l'article 9, il ne sera pas procédé matériellement à un éloignement entre l'introduction de la demande et le jour où une décision négative a été prise en application de l'article 12»; cet article se borne à suspendre la force exécutoire d'un ordre de quitter le territoire qui aurait été notifié à l'étranger ayant introduit une demande fondée sur les dispositions de la loi; l'article 14 ne confère toutefois pas un caractère légal au séjour de l'étranger qui ne bénéficierait pas d'un titre de séjour encore valable; dès lors, en se fondant sur la considération que les défendeurs pouvaient «bénéficier des dispositions de l'article 14», pour en déduire que leur séjour était régulier, l'arrêt a attaché à l'introduction d'une demande de régularisation, fondée sur la loi de régularisation de 1999, des effets qu'une telle demande ne comporte pas légalement (violation des articles 2, 9, 14 et 15 de la loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation de séjour de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du Royaume); l'arrêt n'a pu légalement se fonder, ni sur la circonstance que la demande initiale introduite par les défendeurs, sur pied de l'article 9, alinéa 3, de la loi sur les étrangers de 1980 avait été commuée en demande de régularisation en vertu de l'article 15 de la loi de régularisation de 1999, ni sur la circonstance que les défendeurs avaient introduit des demandes de régularisation le 20 janvier 2000, pour en déduire que ces défendeurs ne seraient pas des étrangers en séjour illégal, au sens de l'article 57, § 2, alinéa 1er, de la loi organique des C.P.A.S. (violation de l'article 57, § 2, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale, modifié par la loi du 15 juillet 1996, et des articles 2, 9, 14 et 15 de la loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation de séjour de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du Royaume).
2.4. Quatrième branche (subsidiaire)
L'article 20 de l'arrêté d'exécution de la loi de 1980 sur les étrangers dispose: «L'étranger qui entre en Belgique pour un séjour n'excédant pas trois mois reçoit de l'administration communale du lieu où il loge un document établi conformément au modèle figurant à l'annexe 3. Ce document est valable trois mois au maximum à partir de la date d'entrée dans le Royaume, à moins que le visa ou l'autorisation tenant lieu de visa, apposé sur le passeport ou le titre de voyage en tenant lieu, ne fixe une durée plus courte»; en l'espèce, l'arrêt constate que les défendeurs avaient effectué, le 15 juillet 1999, leur déclaration d'arrivée sur le territoire de la commune de Huy; dès lors, le document appelé «annexe 3» qui leur fut délivré par l'administration communale ne pouvait, en vertu de l'article 20 précité, être valable au-delà du 15 octobre 1999; en conséquence, si les motifs de l'arrêt reproduits dans l'énoncé du moyen signifient que les défendeurs étaient titulaires d'un titre de séjour dont la durée de validité couvrait toute la période allant de l'introduction de la demande d'aide sociale, le 26 août 1999, au jour du prononcé de l'arrêt, la décision attaquée a violé l'article 20 de l'arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers (violation dudit article 20 et, pour autant que de besoin, violation de l'article 6, alinéa 1er, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers).
2.5. Cinquième branche (subsidiaire)
Le jugement du tribunal du travail a explicitement constaté que les «annexes 3» délivrées aux défendeurs par l'administration communale de Huy étaient valables jusqu'au 14 août 1999; ni dans leur requête d'appel, ni dans les conclusions qu'ils ont prises devant la cour du travail, les défendeurs n'ont soutenu que cette constatation de fait du jugement aurait été inexacte; dès lors, si les motifs reproduits dans l'énoncé du moyen signifient que les défendeurs étaient titulaires d'un titre de séjour, délivré en application de l'article 20 de l'arrêté royal d'exécution de la loi de 1980 sur les étrangers, valable au-delà du 14 août 1999, la décision attaquée a méconnu le principe général du droit du respect des droits de la défense, en fondant sa décision sur un motif qui n'avait été invoqué par aucune des parties, sans donner au demandeur la possibilité de conclure sur ce point (violation du principe général du droit visé en tête du moyen); la circonstance que les défendeurs auraient été en possession d'un titre de séjour, délivré conformément aux dispositions de la loi de 1980 sur les étrangers, valable au-delà du 14 août 1999, n'ayant été invoquée par aucune des parties, il ne pourrait s'agir que d'un fait que les magistrats connaissaient de science personnelle; en se fondant sur pareille circonstance, l'arrêt a méconnu la notion légale de présomption de l'homme, qui est une conséquence que le magistrat tire d'un fait connu, c'est-à-dire d'un fait dont le juge a eu régulièrement connaissance et qui a été soumis à la contradiction des parties (violation des articles 1349 et 1353 du Code civil).
V. La décision de la Cour
Quant aux trois premières branches :
Attendu que la Constitution proclame en son article 23, alinéa 1er, le droit de chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine;
Que, selon le deuxième alinéa de cet article, la loi garantit à cette fin, en tenant compte des obligations légales correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et détermine les conditions de leur exercice;
Que l'article 23, alinéa 3, inclut expressément parmi les droits sociaux ainsi garantis le droit à l'aide sociale;
Attendu que l'aide sociale, qui, comme l'affirme l'article 1er, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale, a précisément pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine, est, en vertu du second alinéa du même article, assurée par les centres publics d'aide sociale dans les conditions que cette loi détermine;
Attendu qu'aux termes de l'article 57, §2, alinéa 1er, de ladite loi, tel qu'il a été modifié par l'article 65 de la loi du 15 juillet 1996, par dérogation aux autres dispositions de cette loi, la mission du centre public d'aide sociale se limite à l'octroi de l'aide médicale urgente à l'égard d'un étranger qui séjourne illégalement dans le royaume;
Que, faisant usage de son pouvoir de déterminer les conditions d'exercice du droit à l'aide sociale, le législateur a, pour ne pas desservir la politique concernant l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, entendu par cette disposition décourager les étrangers qui y sont visés de prolonger leur séjour en Belgique;
Attendu que l'article 2 de la loi du 22 décembre 1999 relative à la régularisation de séjour de certaines catégories d'étrangers séjournant sur le territoire du Royaume, entrée en vigueur le 10 janvier 2000, énumère les catégories d'étrangers qui, séjournant effectivement en Belgique le 1er octobre 1999, peuvent introduire une demande de régularisation de séjour;
Attendu qu'en vertu de l'article 15 de cette loi, les demandes d'autorisation de séjour fondées sur l'article 9, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers n'ayant pas fait l'objet, au jour de l'entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 1999, d'une décision en vertu de la circulaire du 15 décembre 1998 relative à l'application dudit article 9, alinéa 3, et à la régularisation de situations particulières sont transmises pour examen à la Commission de régularisation, sauf si les demandeurs, par lettre recommandée adressée au ministre compétent, dans les quinze jours de la publication de ladite loi, manifestent leur volonté de voir leur demande instruite sur la base de l'article 9 de la loi du 15 décembre 1980;
Attendu que l'article 14 de la loi du 22 décembre 1999 dispose que, hormis les mesures d'éloignement motivées par l'ordre public ou la sécurité nationale, ou à moins que la demande ne réponde manifestement pas aux conditions de l'article 9 de cette loi, il ne sera pas procédé matériellement à un éloignement entre l'introduction de la demande et le jour où une décision négative aura été prise en application de l'article 12;
Qu'il suit de cette disposition que, soucieux de donner un effet utile à la possibilité de régulariser leur séjour qu'il ouvrait à certaines catégories d'étrangers, le législateur a, sous réserve des exceptions qu'il a prévues, interdit que soit mise à exécution durant l'examen de la demande toute mesure d'éloignement qu'eût autrement justifiée la situation de ces étrangers;
Que l'étranger qui a introduit une demande de régularisation ou dont la demande initiale s'est muée en demande de régularisation se trouve ainsi autorisé par la loi, dans le but de régler des difficultés liées à la politique concernant l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, à prolonger sur le territoire du royaume son séjour pourtant entaché d'illégalité;
Attendu qu'il résulte de l'économie de l'ensemble des dispositions constitutionnelles et légales précitées que la limitation du droit à l'aide sociale prévue à l'article 57, §2, alinéa 1er, de la loi du 8 juillet 1976 ne s'applique pas à un étranger contre qui il ne peut pas être procédé matériellement à un éloignement en vertu de l'article 14 de la loi du 22 décembre 1999;
Attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt que les défendeurs, qui sont régulièrement entrés en Belgique, ont obtenu le 15 juillet 1999 le titre de séjour visé à l'article 20 de l'arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, dont il ne précise pas la date d'expiration mais dont la validité n'excède pas trois mois; qu'ils ont, sur la base de l'article 9, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980, introduit le 24 août 1999 une demande tendant à l'autorisation de séjourner plus de trois mois dans le royaume; que cette demande a, en vertu de l'article 15 de la loi du 22 décembre 1999, été commuée en une demande de régularisation de séjour au sens de cette loi;
Attendu qu'il suit du rapprochement de ces constatations et des principes constitutionnels et légaux ci-avant rappelés que la décision de l'arrêt de condamner le demandeur à octroyer aux défendeurs l'aide sociale équivalant au minimum de moyens d'existence n'est légalement justifiée qu'en ce qui concerne la période ayant pris cours le 10 janvier 2000;
Que le moyen qui, en ces branches, ne peut, dans cette mesure, être accueilli, est fondé pour le surplus;
Quant aux quatrième et cinquième branches:
Attendu que, d'une part, les motifs de l'arrêt critiqués par les autres branches du moyen suffisent à justifier la décision de la cour du travail de ne pas limiter à l'aide médicale urgente le droit des défendeurs à l'aide sociale à partir du 10 janvier 2000;
Que, dirigé à cet égard contre des considérations surabondantes de l'arrêt, le moyen qui, en ces branches, ne saurait entraîner la cassation de cette décision est, dès lors, dans cette mesure, dénué d'intérêt, partant irrecevable;
Attendu
que, d'autre part, le moyen, en ces branches, ne saurait, s'agissant de la période antérieure au 10 janvier 2000, entraîner une cassation plus étendue que celle à laquelle conduisent les autres branches du moyen;
Qu'il n'y a, dans cette mesure, pas lieu de l'examiner;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur le droit à l'aide sociale des défendeurs pendant la période antérieure au 10 janvier 2000;
Rejette le pourvoi pour le surplus;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;
Vu l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le demandeur aux dépens;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Mons.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent soixante-six euros neuf centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Pierre Marchal, les conseillers Christian Storck, Daniel Plas, Christine Matray et Sylviane Velu, et prononcé en audience publique du sept octobre deux mille deux par le premier président Pierre Marchal, en présence du premier avocat général Jean-François Leclercq, avec l'assistance du greffier adjoint Christine Danhiez.