S. B.,
demandeur en cassation,
admis au bénéfice de l'assistance judiciaire par décision du bureau d'assistance judiciaire de la Cour du 8 mars 2001 (pro Deo n° G.01.0006.F),
représenté par Maître Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,
contre
AGF BELGIUM, anciennement Assubel Accidents et Dommages, s.a.,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 8 juin 1999 par la cour d'appel de Mons.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Claude Parmentier a fait rapport.
L'avocat général André Henkes a conclu.
III. Les moyens de cassation
Le demandeur présente deux moyens libellés dans les termes suivants:
1. Premier moyen
Dispositions légales violées
- articles 1134, plus particulièrement alinéa 1er, 1319, 1320 et 1322 du Code civil;
- article16 de la loi du 11 juin 1874 sur les assurances en général, formant le titre X du livre 1er du Code de commerce;
- articles 1er, 8, alinéas 1er et 2, et 148, § 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt, après avoir fait droit à l'action d'O. S. contre le demandeur, a débouté celui-ci de son appel en garantie contre la défenderesse, son assureur «R.C. familiale», l'a condamné aux dépens de son action contre la défenderesse et lui a délaissé ses frais d'appel aux motifs:
«que l'appel du (demandeur) n'est pas [.] fondé en tant qu'il a pour objet d'obtenir la garantie de son assureur 'responsabilité civile familiale';
qu'en effet, ce contrat exclut les dommages causés intentionnellement par les assurés;
qu'il ressort clairement de l'ensemble des considérations émises ci-avant que l'incident pour lequel la garantie est sollicitée résulte bien d'un geste délibéré, volontaire et conscient de son auteur;
que c'est dès lors à juste titre que la compagnie d'assurances refuse son intervention».
Griefs
1.1. Première branche
Les conditions générales de la police d'assurance «responsabilité civile familiale» conclue le 16 octobre 1984 entre la défenderesse et le demandeur disposaient en leur article 3 «étendue de la garantie, 5°», que les «dommages causés intentionnellement par des assurés ou qui sont dus à leur faute grave ne sont pas compris dans la garantie».
Les mots «les dommages causés intentionnellement par des assurés ou [.] dus à leur faute grave ne sont pas compris dans la garantie» sont clairs et inconciliables avec l'interprétation qu'en donne l'arrêt.
En effet, ce qui suivant les termes dudit article 3, 5°, est exclu de la garantie de l'assureur, ce sont «les dommages» intentionnellement causés et non pas tout geste délibéré, volontaire et conscient ayant entraîné un dommage.
Ceci est confirmé par l'article 16 de la loi du 11 juin 1974 sur les assurances en général auquel se réfère implicitement la clause d'exclusion litigieuse et qui prévoyait qu' «aucune perte ou dommage causé par le fait ou la faute grave de l'assuré n'est à charge de l'assureur».
Il faudrait donc pour que la clause d'exclusion de la garantie puisse s'appliquer que non seulement la demanderesse ait porté volontairement un coup au sieur O. S. mais qu'il ait voulu que ce coup lui cause des blessures et incapacités, ce que l'arrêt ne constate pas.
Il s'ensuit que l'arrêt, qui rejette l'action en garantie du demandeur contre la défenderesse au motif que la garantie sollicitée «résulte bien d'un geste délibéré, volontaire et conscient de son auteur» tel qu'exclu par le contrat, donne de la clause querellée une interprétation inconciliable avec ses termes et partant viole la foi qui lui est due (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil), qu'il méconnaît en outre l'article 16 de la loi du 11 juin 1874 ainsi que la force obligatoire du contrat conclu entre le demandeur et la défenderesse en considérant à tort comme justifié légalement et contractuellement le refus d'intervention de la défenderesse (violation de l'article 1134 du Code civil, de son alinéa 1er plus spécialement).
1.2.Seconde branche
L'article 8 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre dispose en son alinéa 1er que nonobstant toute convention contraire, l'assureur ne peut être tenu de fournir sa garantie à l'égard de quiconque a causé intentionnellement le sinistre» et, en son alinéa 2, que «l'assureur répond des sinistres causés par la faute, même lourde, du preneur d'assurance, de l'assuré ou du bénéficiaire. Toutefois, l'assureur peut s'exonérer de ses obligations pour les cas de faute lourde déterminés expressément et limitativement dans le contrat».
L'alinéa 1er précité est entré en vigueur le 21 septembre 1992 (arrêté royal du 24 août 1992, article 1er) et l'alinéa 2, le 1er janvier 1993 (arrêté royal du 24 août 1992, article 3).
L'article 148, § 1er, de la loi du 25 juin 1992 a prévu que «les dispositions de la présente loi ne s'appliquent aux contrats d'assurance souscrits avant leur entrée en vigueur qu'à partir de la date de la modification, du renouvellement, de la reconduction ou de la transformation de ces contrats».
En l'espèce la police litigieuse a été conclue le 16 octobre 1984.
Elle était renouvelable annuellement à partir du 2 octobre 1985.
La première échéance annuelle après l'entrée en vigueur de la loi se situait donc le 2 octobre 1993 de sorte que la loi du 25 juin 1992 est applicable à l'incident litigieux survenu selon les constatations de l'arrêt le 16 octobre 1993.
Il résulte des alinéas 1er et 2 précités de l'article 8 de la loi du 25 juin 1992:
1° que la garantie de l'assureur n'est pas due à l'égard de l'assuré qui a causé intentionnellement le sinistre et
2° que, sauf exception, ne peut être exclu conventionnellement de la garantie le dommage causé non intentionnellement par l'assuré, serait-il même le résultat d'une faute lourde, c'est-à-dire d'un fait dont son auteur avait ou aurait dû avoir conscience.
Il s'ensuit qu'en décidant que la défenderesse n'est pas tenue de garantir le demandeur des dommages qu'il a causés au sieur Omer S. aux motifs qu'il a posé « un geste délibéré, volontaire et conscient» et que la garantie d'un tel geste serait exclue par le contrat, sans constater que le demandeur aurait causé intentionnellement les dommages que son geste a provoqués, l'arrêt a violé l'article 8, alinéas 1er et 2, de la loi du 25 juin 1992 ainsi que l'article 148, § 1er, de la même loi. Il a également violé l'article 1er de ladite loi de 1992 et l'article 1134, spécialement alinéa 1er, du Code civil en validant pour les motifs ci-dessus dénoncés le refus de la défenderesse d'exécuter les obligations du contrat qu'elle a conclu avec le demandeur.
2. Second moyen
Dispositions légales violées
Article 149 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué a rejeté l'appel en garantie du demandeur contre la défenderesse et l'a condamné aux dépens, aux motifs:
«Que l'appel du (demandeur) n'est pas [.] fondé en tant qu'il a pour objet d'obtenir la garantie de son assureur ' responsabilité civile familiale';
Qu'en effet, ce contrat exclut les dommages causés intentionnellement par les assurés;
Qu'il ressort clairement de l'ensemble des considérations émises ci-avant que l'incident pour lequel la garantie est sollicitée résulte bien d'un geste délibéré, volontaire et conscient de son auteur;
Que c'est dès lors à juste titre que la compagnie d'assurance refuse son intervention».
Griefs
Dans ses conclusions d'appel, le demandeur avait soutenu:
«Que l'article 3, 5°, des conditions générales de la police R.C. familiale souscrite par [le demandeur] exclut la couverture des 'dommages causés intentionnellement ou qui sont dus à la faute grave des assurés';
Qu'à la lumière des circonstances dans lesquelles se sont déroulés les faits, les coups et blessures pour lesquels le sieur S. postule réparation présentent un caractère tout à fait involontaire, l'intervention du [demandeur] n'ayant consisté qu'à séparer les parties S. et L.;
Qu'en considérant qu' 'en application de l'article 3, 5°, de la police R.C. familiale souscrite par [le demandeur], la garantie de l'assureur est exclue en raison du caractère intentionnel de la poussée effectuée par [le demandeur] qui entraîna perte d'équilibre et chute du sieur S., le premier juge n'a pas fait une correcte application de la loi sur les assurances terrestres;
Que la faute intentionnelle se caractérise, en effet, par la volonté de causer le dommage [.];
Que [le demandeur] n'a certes pas eu la volonté de causer un dommage au sieur S.;
Que son geste avait pour seul et unique objectif de faire cesser les coups portés à son épouse;
Que la preuve de la volonté de nuire dans le chef [du demandeur] n'est pas rapportée en l'espèce;
Que, par ailleurs, l'article 8, alinéa 2, de la loi du 25 juin 1992 stipule que 'l'assureur répond des sinistres causés par la faute même lourde du preneur d'assurance, de l'assuré ou du bénéficiaire'».
Ni par les motifs ci-avant reproduits ni par aucun [autre] motif, l'arrêt n'a répondu à cette défense exposant de manière circonstanciée que la clause d'exclusion de la garantie figurant au contrat d'assurance entre parties n'est applicable que dans l'hypothèse où il y a eu volonté de l'assuré de causer le dommage.
Il s'ensuit que la décision qui rejette l'appel en garantie du demandeur contre la défenderesse n'est pas régulièrement motivée (violation de l'article 149 de la Constitution).
IV. La décision de la Cour
Sur le premier moyen:
Attendu que l'arrêt constate «qu'à l'occasion d'une querelle relative à la manière dont [l'épouse du demandeur] balayait son trottoir, son voisin [.], alors âgé de quatre-vingt-trois ans, lui a porté un coup de balai à la jambe; que ce geste a occasionné l'intervention [du demandeur] qui, en repoussant le vieil homme, a provoqué sa chute sur la chaussée»;
Que l'arrêt considère, sans être critiqué, «qu'en l'occurrence, cinquante-quatre années séparent [la victime], né[e] en 1910, [du demandeur], né en 1964» et «qu'en bousculant jusqu'à provoquer sa chute un homme âgé, peut-être irascible mais certainement pas redoutable, [le demandeur] a manifestement commis une faute que le comportement de la victime ne justifie en aucune manière»;
Que, par les motifs que le moyen critique, l'arrêt décide que la défenderesse, assureur de la responsabilité civile du demandeur, ne doit pas garantir les conséquences de cette faute;
Quant à la première branche :
Attendu qu'il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard qu'en vertu de l'article 148, § 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, les dispositions de cette loi s'appliquent au contrat liant les parties depuis le 2 octobre 1993 et que les faits sont survenus le 16 octobre 1993;
Qu'il s'ensuit que l'article 16 de la loi du 11 juin 1874 sur les assurances en général n'est pas applicable au litige; que l'arrêt n'en fait d'ailleurs pas application;
Attendu que, pour le surplus, en considérant qu'un dommage est causé intentionnellement par l'assuré, au sens de la clause qui exclut pareil dommage de la garantie, lorsque le dommage «résulte d'un geste délibéré, volontaire et conscient de son auteur», l'arrêt ne donne pas de cette clause une interprétation inconciliable avec ses termes et ne méconnaît pas la foi due à la police;
Qu'en déboutant le demandeur de sa demande de garantie, l'arrêt reconnaît à ladite clause les effets que, dans l'interprétation qu'il en donne, elle a légalement entre les parties;
Quant à la seconde branche:
Attendu qu'aux termes de l'article 8, alinéa 1er, de la loi du 25 juin 1992, nonobstant toute convention contraire, l'assureur ne peut être tenu de fournir sa garantie à l'égard de quiconque a causé intentionnellement le sinistre;
Qu'au sens de cette disposition, un sinistre a été causé intentionnellement lorsque l'assuré a volontairement et sciemment eu un comportement qui a causé à autrui un dommage raisonnablement prévisible;
Qu'il n'est pas requis que l'assuré ait eu l'intention de causer le dommage tel qu'il s'est produit;
Attendu que, d'une part, l'arrêt considère «que l'incident pour lequel la garantie est sollicitée résulte bien d'un geste délibéré, volontaire et conscient» du demandeur;
Que, d'autre part, en décrivant la violence de l'action qui a entraîné la chute de la victime et en soulignant l'importante différence d'âge et donc de force des protagonistes, l'arrêt constate le caractère raisonnablement prévisibledu dommage ;
Qu'ainsi, l'arrêt justifie légalement sa décision;
Attendu que, pour le surplus, le moyen, en cette branche, ne précise pas en quoi l'arrêt violerait l'article 8, alinéa 2, de la loi du 25 juin 1992;
Qu'en aucune de ses branches, le moyen ne peut être accueilli;
Sur le second moyen:
Attendu qu'en opposant à celle du demandeur son interprétation de la clause litigieuse, l'arrêt répond aux conclusions de celui-ci reproduites au moyen;
Que le moyen manque en fait;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de trois cent cinquante-six euros nonante-sept centimes en débet envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le conseiller Claude Parmentier, faisant fonction de président, les conseillers Philippe Echement, Christian Storck, Frédéric Close et Didier Batselé, et prononcé en audience publique du douze avril deux mille deux par le conseiller Claude Parmentier, faisant fonction de président, en présence de l'avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.