F. D. et cons.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation,
contre
M. R. et cons.,
défendeurs en cassation.
I. La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 28 juin 2000 par le tribunal de première instance de Charleroi, statuant en degré d'appel.
II. La procédure devant la Cour
Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.
L'avocat général Xavier De Riemaecker a conclu.
III. Les moyens de cassation
Les demandeurs présentent deux moyens dont le premier est libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées
- article 2 du Code civil,
- article 4, alinéa 2, de la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires,
- article 682, § 1er, et 684, spécialement alinéa 2, du Code civil, tels qu'ils ont été modifiés par la loi du 1er mars 1978 sur le droit de passage, 690 et 691 du Code civil,
- article 1370, 1°, du Code judiciaire.
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué, après avoir décidé que le fonds des défendeurs est enclavé, déclare recevable, et par surcroît fondée, l'action possessoire formée par les défendeurs, tendant à ce qu'il fût mis fin aux entraves que les défendeurs imputaient aux demandeurs et qui auraient eu pour objet de porter atteinte à l'exercice de la servitude légale de passage dont les défendeurs invoquaient l'existence au profit de leur fonds sur les fonds des demandeurs, fait en conséquence défense aux demandeurs d'entraver la liberté de passage sur l'assiette d'une largeur de trois mètres jouxtant leur bien et conduisant au bien appartenant aux défendeurs et condamne les deux premiers demandeurs à enlever une clôture ainsi que toute clôture ou entrave qui pourraient entraver le passage litigieux, et ce aux motifs que «les (défendeurs) soutenant bénéficier d'une servitude de passage depuis des temps immémoriaux, il convient d'examiner les règles de la protection possessoire avant la loi du 1er mars 1978, laquelle n'a d'effet que pour l'avenir; qu'ainsi, sous l'empire de la loi du 25 mars 1876, les actions possessoires ne sont recevables que 'sous la condition qu'il s'agisse d'immeubles ou de droits immobiliers susceptibles d'être acquis par prescription'; que par conséquent une servitude de passage étant discontinue, elle ne peut s'acquérir par prescription et par conséquent faire l'objet d'une action possessoire; que toutefois il était admis que l'assiette ou le mode d'exercice d'une servitude de passage pouvaient s'acquérir par prescription et partant bénéficier de la protection possessoire; qu'ainsi, le juge du possessoire, saisi d'une action tendant au maintien de la possession d'une servitude de passage sur une assiette déterminée, doit-il vérifier si le demandeur a entendu exercer un droit et non profiter d'une simple tolérance; qu'à cet égard il échet de se référer au titre dont se prévaut le demandeur sans pour autant qu'il puisse en être déduit une quelconque violation des dispositions de l'article 1371 du Code judiciaire et, partant, d'examiner au regard des règles ci-avant si les (défendeurs) disposent d'un titre légal d'où résulte le droit qu'ils entendent exercer sur l'assiette litigieuse et si cette dernière était acquise par prescription au moment de l'entrée en vigueur de la loi du 1er mars 1978».
Griefs
L'article 1370, 1°, du Code judiciaire subordonne l'action possessoire à la condition qu'il s'agisse d'immeubles ou de droits immobiliers susceptibles d'être acquis par prescription. L'article 690 du Code civil dispose que seules les servitudes continues et apparentes s'acquièrent par titre ou par la prescription de trente ans. L'article 691 du Code civil dispose que les servitudes discontinues, tel le droit de passage, ne peuvent s'établir que par titre. Selon l'article 684, alinéa 2, du Code civil, relatif au droit de passage institué par l'article 682, § 1er, du même code, ces dispositions ayant été modifiées par la loi du 1er mars 1978, aucune prescription ne peut être invoquée en matière de servitude légale de passage, quelle que soit la durée d'existence du passage. Par application de l'article 2 du Code civil et de l'article 4, alinéa 2, de la loi du 31 mai 1961, l'article 684 nouveau du Code civil, entré en vigueur dix jours après sa publication au Moniteur belge, est d'application immédiate en sorte qu'il interdit d'invoquer aucune prescription en matière de servitude légale de passage et en conséquence, depuis son entrée en vigueur, aucune action ne peut être formée sur la base de l'article 1370, 1°, du Code judiciaire en vue d'obtenir la protection de la possession d'un prétendu droit de passage à l'appui duquel on ne peut invoquer aucune prescription.
Il s'ensuit que le jugement attaqué, en déclarant recevable, et par surcroît fondée, l'action possessoire formée par les défendeurs, en se référant aux règles relatives à la protection possessoire telles qu'elles étaient, selon lui, applicables avant l'entrée en vigueur de la loi du 1er mars 1978, et en écartant les règles de la protection possessoire applicables à la date de l'intentement de la demande, telles qu'elles résultent, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 1er mars 1978, de la combinaison des articles 682, § 1er, et 684, alinéa 2, nouveaux du Code civil modifiés par la loi du 1er mars 1978 et de l'article 691 du Code civil, d'une part, et de l'article 1370, 1°, du Code judiciaire, d'autre part, le jugement attaqué viole l'article 2 du Code civil et l'article 4, alinéa 2, de la loi du 31 mars 1961, et en outre 1370, 1°, du Code judiciaire, et pour autant que de besoin les articles 682, § 1er, et 684, alinéa 2, nouveaux, 690 et 691 du Code civil.
IV. La décision de la Cour
Attendu qu'en vertu de l'article 1370 du Code judiciaire, les actions possessoires ne peuvent être admises qu'à la condition notamment qu'il s'agisse d'immeubles ou de droits immobiliers susceptibles d'être acquis par la prescription ;
Attendu que, suivant l'article 684 du Code civil, aucune prescription ne peut être invoquée en matière de servitude légale de passage, quelle que soit la durée d'existence du passage ;
Attendu que le jugement attaqué n'a pu, sans violer ces dispositions légales, déclarer recevable l'action possessoire réintégrande des défendeurs relative au passage sur le fonds des demandeurs, destiné à leur permettre d'accéder à leur fonds enclavé ;
Que le moyen est fondé ;
V. Sur les autres griefs:
Attendu qu'il n'y a pas lieu d'examiner le second moyen qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse le jugement attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel principal ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance de Mons, siégeant en degré d'appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Pierre Marchal, les conseillers Philippe Echement, Didier Batselé, Christine Matray et Sylviane Velu, et prononcé en audience publique du vingt-deux mars deux mille deux par le premier président Pierre Marchal, en présence de l'avocat général Xavier De Riemaecker, avec l'assistance du greffier adjoint Christine Danhiez.