MOSANE DE CONSTRUCTION, s.a.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,
contre
COLLIGNON, s.a.
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Lucien Simont, avocat à la Cour de cassation
La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 28 mars 2000 par la cour d'appel de Liège.
La procédure devant la Cour
Le conseiller Philippe Echement a fait rapport.
L'avocat général Xavier De Riemaecker a conclu.
Les moyens de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Article 20, 12°, de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, introduit par l'article 1er de la loi du 19 février 1990.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir constaté que la société demanderesse est en liquidation, que "(la défenderesse), créancière de la société (demanderesse), réclame le privilège de l'article 20, 12°, de la loi hypothécaire tant pour sa facturation que pour les accessoires qui figurent dans les conditions générales imprimées au dos de ses factures ; qu'elle entend se voir reconnaître le privilège non seulement sur le principal facturé pour les travaux qu'elle a réalisés mais aussi pour les intérêts et pour la clause pénale",
la cour d'appel, par confirmation du jugement dont appel, dit pour droit que les accessoires de la dette de la demanderesse ont un caractère privilégié fondé sur l'article 20, 12°, de la loi hypothécaire et condamne la demanderesse à payer à la défenderesse la somme de 177.054 francs, majorée des intérêts compensatoires [lire: moratoires] au taux de 15 % sur 570.026 francs depuis le 30 novembre 1993 et sur 610.338 francs depuis le 29 octobre 1993,
aux motifs "qu'en même temps qu'il créait ce nouveau privilège (de l'article 20, 12°, de la loi hypothécaire), le législateur accordait au sous-traitant une action directe [.] dont il n'est pas discuté qu'elle autorise le sous-traitant, titulaire d'un droit direct sanctionné au besoin par une action directe, à réclamer au maître de l'ouvrage tout ce que l'entrepreneur principal lui doit pour les travaux qu'il a facturés, soit le prix des travaux mais aussi les intérêts moratoires, les dommages et intérêts conventionnels et les frais [.] ; que lorsque le texte d'une loi n'est pas explicite, il y a lieu à interprétation de la loi en considération, notamment des objectifs qu'elle poursuit ; que le but déclaré des auteurs de la loi était de protéger autant que faire se peut, mais sans toutefois favoriser le créancier négligent, les petits entrepreneurs ayant travaillé pour un entrepreneur principal qui ne les paie pas alors qu'eux-mêmes ont déjà supporté les charges de leur travail, ce qui les expose à une faillite dont ils ne seraient pas responsables et qu'il faut leur éviter ; que la réalisation complète de cet objectif, comme aussi le besoin d'une certaine cohérence entre deux mesures cumulatives pour la protection d'un même créancier, exigent que la créance favorisée par deux dispositions distinctes soit la même [.] et donc que le privilège porte également sur les accessoires de la facture ; que les termes 'créance du sous-traitant pour les travaux qu'il a effectués' doivent s'entendre comme représentant la somme due par l'entrepreneur principal le plus souvent défaillant, c'est-à-dire avec les intérêts et pénalités qui, comme le principal, sont une dette de ce dernier ; que la réalisation des travaux n'est que le fait générateur de la créance, celle-ci ne pouvant être réduite au seul montant facturé et que la référence à la facture concerne essentiellement sa date, nécessaire dès lors que pour le maintien du privilège il était décidé d'une prescription atteinte au bout de cinq années seulement".
Griefs
1. L'article 20, 12°, de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, introduit par l'article 1er de la loi du 19 février 1990, dispose : "Les créances privilégiées sur certains meubles sont : [.] 12° pendant cinq ans à dater de la facture, la créance du sous-traitant contre son cocontractant-entrepreneur pour les travaux qu'il a effectués ou fait effectuer à l'immeuble du maître de l'ouvrage, sur la créance se rapportant à la même entreprise qu'a ce cocontractant-entrepreneur contre le maître de l'ouvrage. Le sous-traitant est considéré comme entrepreneur et l'entrepreneur comme maître de l'ouvrage à l'égard des propres sous-traitants du premier" ; le texte de cette disposition vise "la créance du sous-traitant . pour les travaux qu'il a effectués ou fait effectuer", ce qui ne couvre pas les intérêts de retard ni l'indemnité due en vertu d'une clause pénale, qui réparent le préjudice résultant du retard de paiement ou de l'exécution des obligations du contractant ; d'après le contexte, "la créance du sous-traitant" garantie par le privilège est celle résultant de "la facture" mentionnée en début de phrase ; celle-ci ne peut porter que sur le principal ; les dispositions qui instituent un privilège dérogent au principe général de l'égalité des créanciers et sont d'interprétation stricte ; 2. à tort, la cour d'appel a cru pouvoir tirer argument du fait que la loi du 19 février 1990 qui a introduit l'article 20, 12°, de la loi hypothécaire a par ailleurs modifié l'article 1798 du Code civil qui, dans son texte modifié, dispose : "Les maçons, charpentiers, ouvriers, artisans et sous-traitants qui ont été employés à la construction d'un bâtiment ou d'autres ouvrages faits à l'entreprise ont une action directe contre le maître de l'ouvrage jusqu'à concurrence de ce dont celui-ci se trouve débiteur envers l'entrepreneur au moment où leur action est intentée" ; il ressort des termes de cette disposition que l'action directe qu'elle confère aux sous-traitants contre le maître de l'ouvrage leur permet d'agir directement contre celui-ci en paiement de tout ce qu'elles sont en droit de réclamer à l'entrepreneur principal, y compris, par conséquent, les accessoires de la créance du sous-traitant, et ce "jusqu'à concurrence de ce dont (le maître de l'ouvrage) se trouve débiteur envers l'entrepreneur" ; au contraire l'assiette du privilège institué par l'article 20, 12°, de la loi hypothécaire se limite à la "créance se rapportant à la même entreprise" qu'à l'entrepreneur principal contre le maître de l'ouvrage et le privilège se limite à la créance que le sous-traitant a facturée ; la rédaction différente des deux dispositions ne permet pas de les rendre entièrement cohérentes.
Il s'ensuit que l'arrêt a violé la disposition visée en tête du moyen.
La décision de la Cour
Attendu que le moyen fait grief à l'arrêt de décider que le privilège prévu par l'article 20, 12°, de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, introduit par l'article 1er de la loi du 19 février 1990, dont bénéficie la défenderesse en qualité de sous-traitant de la demanderesse, garantit aussi les intérêts et la clause pénale contractuels ;
Attendu qu'en vertu de cette disposition légale, la créance du sous-traitant contre son cocontractant-entrepreneur est privilégiée, pendant cinq ans à dater de la facture, pour les travaux qu'il a effectués ou fait effectuer à l'immeuble du maître de l'ouvrage sur la créance se rapportant à la même entreprise qu'a ce cocontractant-entrepreneur contre le maître de l'ouvrage;
Attendu que cette disposition, en tant qu'elle se réfère à la créance du sous-traitant pour les travaux qu'il a effectués ou fait effectuer, est conçue en termes généraux et vise tant le prix de ces travaux que les accessoires de ce prix;
Qu'il résulte des travaux préparatoires que le législateur s'est donné pour objectif de protéger le sous-traitant contre les risques d'insolvabilité de l'entrepreneur avec lequel il a contracté; que la proposition de loi initiale, qui prévoyait uniquement un privilège, fut complétée par une action directe contre le maître de l'ouvrage laquelle porte tant sur le principal que sur les accessoiresde la créance;
Attendu que le moyen, qui soutient que l'article 20, 12°, de la loi hypothécaire ne couvre pas les intérêts de retard ni l'indemnité due en vertu d'une clause pénale, manque en droit;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent dix-neuf euros quatre-vingt et un centimes envers la partie demanderesse et à la somme de cent trente-deux euros nonante-deux centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le premier président Pierre Marchal, le président de section Théo Verheyden, les conseillers Philippe Echement, Didier Batselé et Sylviane Velu, et prononcé en audience publique du vingt-deux mars deux mille deux par le premier président Pierre Marchal, en présence de l'avocat général Xavier De Riemaecker, avec l'assistance du greffier adjoint Christine Danhiez.