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17/07/2025 | BELGIQUE | N°114/2025

Belgique | Belgique, Cour constitutionnel, 17 juillet 2025, 114/2025


Cour constitutionnelle

Arrêt n° 114/2025

du 17 juillet 2025

Numéro du rôle : 8418

En cause : la question préjudicielle relative à l’article 9 de la loi du 28 avril 1999 « visant à transposer la Directive 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres » et à l’article 11 de l’arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967 « relatif au dépôt d’instruments financiers fongibles et à la liquidation d’opérations sur ces instruments », coordonné p

ar l’arrêté royal du 27 janvier 2004 et confirmé par l’article 70 de la loi du 15 décembre 2004 « relative ...

Cour constitutionnelle

Arrêt n° 114/2025

du 17 juillet 2025

Numéro du rôle : 8418

En cause : la question préjudicielle relative à l’article 9 de la loi du 28 avril 1999 « visant à transposer la Directive 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres » et à l’article 11 de l’arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967 « relatif au dépôt d’instruments financiers fongibles et à la liquidation d’opérations sur ces instruments », coordonné par l’arrêté royal du 27 janvier 2004 et confirmé par l’article 70 de la loi du 15 décembre 2004 « relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers », posée par la Cour d’appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle,

composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Nicolas Dupont, présidée par le président Pierre Nihoul,

après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :

I. Objet de la question préjudicielle et procédure

Par ordonnance dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 21 janvier 2025, la Cour d’appel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante :

« L’article 9 de la loi du 28 avril 1999 visant à transposer la Directive 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres et l’article 11 de l’arrêté royal n° 62 (coordonné) du 10 novembre 1967 relatif au dépôt d’instruments financiers fongibles et à la liquidation d’opérations sur ces instruments, tel que confirmé par l’article 70 de la loi du 15 décembre 2004

relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le droit à l’exécution,

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garanti par l’article 13 de la Constitution et l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (et également lus en combinaison avec le droit de propriété, garanti par l’article 16 de la Constitution et l’article 1er du Premier protocole additionnel de la Convention), en tant qu’ils sont interprétés comme consacrant une insaisissabilité absolue protégeant également des actifs gelés ou immobilisés en vertu de sanctions internationales qui - de ce fait - ne participent de facto pas ou plus au système de règlement que ces dispositions légales visent à protéger, alors même que ces actifs seraient saisissables en Belgique dans le cadre d’une saisie-arrêt pratiquée entre les mains de tout autre tiers-saisi ? ».

Des mémoires et mémoires en réponse ont été introduits par :

- la société « X » et la société « Y », assistées et représentées par Me Hakim Boularbah, Me Olivier van der Haegen, Me Michel Kaiser et Me Marc Verdussen, avocats au barreau de Bruxelles;

- le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Bruno Lombaert, Me Marc Fyon, Me Sophie Brenard et Me Nicolas Cariat, avocats au barreau de Bruxelles.

Par ordonnance du 21 mai 2025, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Michel Pâques et Yasmine Kherbache, a décidé que l’affaire était en état et fixé l’audience au 18 juin 2025.

À l’audience publique du 18 juin 2025 :

- ont comparu :

. Me Hakim Boularbah, Me Olivier van der Haegen et Me Michel Kaiser, pour la société « X » et la société « Y »;

. Me Marc Fyon et Me Nicolas Cariat, pour le Conseil des ministres;

- les juges-rapporteurs Michel Pâques et Yasmine Kherbache ont fait rapport;

- les avocats précités ont été entendus;

- l’affaire a été mise en délibéré.

Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.

II. Les faits et la procédure antérieure

Une requête unilatérale en autorisation de pratiquer une saisie-arrêt exécution entre les mains d’un dépositaire central de titres, en exécution d’une créance résultant de sentences arbitrales exécutoires en Belgique, est introduite devant le juge des saisies du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles. La requête vise des actifs

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appartenant à une puissance étrangère gelés ou immobilisés en vertu de sanctions internationales et tend à faire appliquer l’article 1412quinquies, § 2, 3°, du Code judiciaire.

Le juge des saisies juge l’action initiale recevable mais non fondée, étant donné que l’immunité spéciale dont bénéficie le tiers-saisi interdit de manière absolue toute saisie, qu’elle soit autorisée par un juge ou non, et que l’existence d’un gel des avoirs, en ce que celui-ci ne change rien à la nature des comptes sur lesquels ces avoirs sont détenus, n’a aucune incidence sur l’insaisissabilité des actifs concernés.

En degré d’appel, la juridiction a quo relève que l’article 9 de la loi du 28 avril 1999 « visant à transposer la Directive 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres » (ci-après : la loi du 28 avril 1999 et la directive 98/26/CE) et l’article 11

de l’arrêté royal coordonné n° 62 du 10 novembre 1967 « relatif au dépôt d’instruments financiers fongibles et à la liquidation d’opérations sur ces instruments », confirmé par l’article 70 de la loi du 15 décembre 2004 « relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers » consacrent une insaisissabilité absolue qui s’applique également aux actifs gelés ou immobilisés en vertu de sanctions internationales.

La juridiction a quo relève que, selon la section de législation du Conseil d’État, l’article 9 de la loi du 28 avril 1999 ne transpose pas purement et simplement la directive 98/26/CE. La section de législation du Conseil d’État avait à ce sujet remarqué que « [cette] disposition semble toutefois particulièrement large, bien plus large en tout cas que ce qu’annonce l’exposé des motifs selon lequel ‘ le but de l’article 9 du projet de loi n’est pas d’édicter à présent une insaisissabilité généralisée des comptes des intermédiaires financiers mais d’éviter que des saisies intempestives, voire abusives, ne viennent complètement paralyser le règlement d’un système de paiement ou de règlement-titres ’ », et précisé que, dans le bref délai qui lui était imparti, il ne lui avait pas été possible « de s’assurer que l’ajout de cette disposition était compatible avec les principes d’égalité et de proportionnalité ». La juridiction a quo estime que le gouvernement n’a pas justifié sa réponse à cette remarque et, dès lors, elle pose à la Cour la question préjudicielle reproduite plus haut.

III. En droit

-A-

A.1.1. Les parties appelantes devant la juridiction a quo soutiennent que l’article 13 de la Constitution et l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme garantissent le droit d’accès à un juge compétent, qui comprend celui d’obtenir l’exécution des décisions de justice et des sentences arbitrales. Une limitation de ce droit n’est possible que si elle tend à la réalisation d’un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Par ailleurs, le droit à l’exécution des décisions de justice doit être interprété à l’aune du principe de l’assujettissement général du patrimoine du débiteur consacré par l’article 3.36 du nouveau Code civil, en vertu duquel le créancier peut exercer son droit de recours sur tous les biens de son débiteur. Enfin, une créance à charge d’une puissance étrangère constatée par une décision judiciaire définitive constitue un bien protégé par l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention précitée.

A.1.2. Les parties appelantes devant la juridiction a quo allèguent que, dans l’interprétation selon laquelle ils instaurent une insaisissabilité absolue des comptes de règlement, applicable à tous les actifs sur un tel compte tenu auprès d’un organe de règlement (ou dépositaire central (international) de titres) belge, même si ces actifs ne participent pas ou plus au système de règlement organisé par cet organe, l’article 9 de la loi du 28 avril 1999

« visant à transposer la Directive 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres » (ci-après : la loi du 28 avril 1999 et la directive 98/26/CE) et l’article 11 de l’arrêté royal coordonné n° 62 du 10 novembre 1967 « relatif au dépôt d’instruments financiers fongibles et à la liquidation d’opérations sur ces instruments », confirmé par l’article 70

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de la loi du 15 décembre 2004 « relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers » (ci-après :

l’arrêté royal coordonné n° 62), sont inconstitutionnels. Il en découle une différence de traitement entre, d’une part, les créanciers qui exécutent leurs titres contre des débiteurs dont les actifs financiers sont logés en Belgique auprès d’un organe de règlement de titres et, d’autre part, les créanciers qui exécutent leurs titres contre des débiteurs dont les actifs financiers sont logés en Belgique sur des comptes auprès de tout autre tiers-saisi.

Selon les parties appelantes devant la juridiction a quo, les travaux préparatoires ne justifient pas adéquatement la mesure en cause, d’autant que la directive 98/26/CE ne prévoit pas une telle interdiction de saisie générale et absolue des comptes de règlement. Il s’ensuit que la mesure en cause va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par la directive 98/26/CE et par les dispositions en cause.

Les parties appelantes devant la juridiction a quo relèvent ensuite, à titre de comparaison, que la faillite d’un participant n’opère pas avec effet rétroactif. En cas de faillite, celle-ci sortit ses effets vis-à-vis des participants d’un système de règlement au plus tôt à compter du prononcé du jugement et au plus tard au moment de la connaissance effective de la faillite, et rend immédiatement inopposables les ordres de transfert ultérieurs. Il n’est pas raisonnablement justifié de traiter plus sévèrement la saisie en ce que celle-ci est interdite de manière absolue par la loi du 28 avril 1999, qui n’opère pas non plus avec effet rétroactif.

Les parties appelantes devant la juridiction a quo soulignent que les travaux préparatoires ne visent que l’hypothèse de saisies intempestives et abusives, alors que le texte de la loi est bien plus large, ce que la section de législation du Conseil d’État avait également relevé. En outre, le législateur n’a pas examiné s’il existait des mesures moins extrêmes, par exemple l’obligation, pour le créancier, d’obtenir l’autorisation préalable du juge des saisies.

A.1.3. Les parties appelantes devant la juridiction a quo font valoir qu’eu égard à l’objectif de fluidité des échanges et de « finalité » des ordres de règlement, une interdiction absolue de toute saisie d’actifs logés sur les comptes de règlement n’est pas nécessaire. En particulier, il est inutile de protéger des actifs qui, en vertu de sanctions européennes, ne participent plus à un système de règlement et sont dès lors logés dans des comptes qui ne répondent plus à la définition d’un compte de règlement au sens de l’article 2, l), de la directive 98/26/CE. En l’espèce, sous réserve des cas d’autorisation administrative de déblocage des actifs, les sanctions européennes interdisent à peu près tout mouvement ou manipulation quelconque, ainsi que toute transaction liée à ces actifs, si bien que ceux-ci ne peuvent plus participer au système de règlement. Du reste, la saisie d’actifs gelés ou immobilisés n’est pas de nature à créer un risque de perte de confiance des participants dans le système de règlement, puisque ces derniers sont parfaitement au fait de l’existence des sanctions et de leurs effets, ni donc à créer un risque systémique ou de menace de paralysie du système de règlement.

A.1.4. Les parties appelantes devant la juridiction a quo soutiennent enfin que la mesure en cause porte une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux du créancier. Certains débiteurs peuvent mettre leurs actifs financiers à l’abri de toute mesure d’exécution en les logeant au sein d’un système de règlement situé en Belgique.

En outre, il est illusoire d’affirmer que l’insaisissabilité des comptes de règlement n’entrave pas le droit à l’exécution des créanciers au motif que pareille insaisissabilité ne s’étend pas aux comptes bancaires détenus auprès des participants mêmes. Lorsque des participants déposent des actifs sur des comptes de règlement auprès d’un organe de règlement, ils peuvent le faire tant pour le compte de leur client que pour leur propre compte. Dans le second cas, aucune saisie n’est possible et l’insaisissabilité des comptes de règlement a pour effet d’accorder une immunité à une partie potentiellement très importante du patrimoine du participant. En outre, dans les deux cas, lorsque, comme en l’espèce, les autres actifs du participant ou du client final se trouvent dans une juridiction n’offrant pas aux créanciers un accès à un tribunal indépendant et impartial, il est alors impossible pour ces derniers de faire valoir leurs droits.

A.2.1. Le Conseil des ministres fait valoir, à titre liminaire, que l’exposé des motifs de la loi du 28 avril 1999

répond adéquatement à la préoccupation de la section de législation du Conseil d’État. Conformément à cet exposé des motifs, l’article 9 de ladite loi n’instaure pas une insaisissabilité généralisée des comptes des intermédiaires financiers, puisqu’il s’applique uniquement aux comptes de règlement tenus dans les systèmes désignés en vertu

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de la loi du 28 avril 1999. Par ailleurs, l’exposé des motifs de la loi du 26 septembre 2011 « transposant la Directive 2009/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 modifiant la Directive 98/26/CE

concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres et la Directive 2002/47/CE concernant les contrats de garantie financière, en ce qui concerne les systèmes liés et les créances privées » explicite que le dispositif actuel vise à empêcher toute saisie, au vu des nombreuses procédures judiciaires entravant le fonctionnement efficace des systèmes de paiement.

A.2.2. Selon le Conseil des ministres, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît que la stabilité du système bancaire mérite une protection renforcée et que les mesures nationales qui visent à assurer son contrôle et son bon fonctionnement poursuivent des objectifs légitimes. Chaque État dispose d’une large marge d’appréciation en ce qui concerne tant le choix des mesures législatives poursuivant cet objectif que leur mise en balance avec les droits fondamentaux. En l’espèce, les dispositions en cause poursuivent un objectif légitime, à savoir éviter que le bon fonctionnement d’un système de règlement dont le gestionnaire est établi sur le territoire belge puisse être paralysé ou entravé par une mesure de saisie, de séquestre ou d’ordre judiciaire de blocage, avec les conséquences systémiques qui en découleraient pour les systèmes bancaires et de paiement au niveau mondial.

A.2.3. Le Conseil des ministres allègue que les mesures d’insaisissabilité sont adéquates au regard de l’objectif poursuivi. Les saisies-arrêts ou autres mesures de blocage pratiquées sur les comptes de règlement détenus au niveau des dépositaires centraux de titres sont susceptibles de perturber gravement le fonctionnement de ces systèmes, dans la mesure où elles rendent tout ou partie du solde de ces comptes indisponible pour le règlement des transactions introduites dans le système, menant à une annulation de ces transactions. L’annulation de ces transactions a, à son tour, pour conséquence que les espèces et les titres destinés à alimenter d’autres participants n’ont pas été transférés, ce qui est susceptible de mener à l’annulation d’autres instructions introduites dans le système dans une réaction en chaîne potentiellement dévastatrice.

En d’autres termes, un obstacle à la liquidation d’opérations en espèces ou en titres d’un participant est de nature à engendrer des défauts de paiement d’autres participants qui ne recevraient pas les paiements en titres ou en espèces escomptés « en amont » et qui seraient dès lors en défaut pour des opérations subséquentes « en aval ».

D’ailleurs, le droit luxembourgeois prévoit une règle identique (article 111, § 5, de la loi du 10 novembre 2009

« relative aux services de paiement, à l’activité d’établissement de monnaie électronique et au caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et les systèmes de règlement des opérations sur titres [...] »).

Clearstream Banking Luxembourg exerce des activités très similaires à celles d’Euroclear Bank et présente une importance systémique équivalente dans l’architecture des systèmes de règlement de titres au niveau mondial.

A.2.4. Le Conseil des ministres souligne que, selon les cas et sous réserve d’autres normes internationales ou nationales y faisant obstacle, les créanciers peuvent poursuivre le paiement de leurs créances sur les autres actifs de leurs débiteurs, en Belgique ou à l’étranger. La circonstance que des institutions financières d’importance systémique sont établies en Belgique n’implique pas que celle-ci doive garantir, au détriment de l’intégrité et de la stabilité des systèmes de paiement et de règlement-titres au niveau mondial et des entités qui en garantissent la stabilité, la mise en œuvre de procédures d’exécution sur le sol belge et entre les mains des opérateurs de comptes de règlement à toute entité (où qu’elle soit établie dans le monde) qui serait titulaire d’une créance vis-à-vis du titulaire d’un compte de règlement.

Le Conseil des ministres souligne que les dispositions actuellement en vigueur constituent l’aboutissement d’une évolution législative qui s’est révélée concrètement nécessaire afin de garantir le fonctionnement des systèmes de paiement et de règlement de titres face aux actions judiciaires nombreuses et protéiformes portées devant les juridictions belges.

A.2.5. Le Conseil des ministres soutient enfin que le régime d’insaisissabilité qui vaut de manière générale pour tous les actifs visés par les dispositions en cause ne peut être neutralisé ni amoindri en ce qui concerne des actifs qui sont gelés ou immobilisés en vertu de sanctions internationales. Les dépositaires centraux de titres doivent geler les actifs repris sur les comptes des personnes ou entités visées par de telles sanctions. La circonstance que les actifs concernés (insaisissables par l’effet des dispositions en cause) sont gelés ou immobilisés par des sanctions internationales ne peut avoir pour effet de les rendre saisissables. Lorsque plusieurs normes juridiques

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imposent l’insaisissabilité d’actifs déterminés, les effets de ces normes s’additionnent sans s’annuler mutuellement.

Le Conseil des ministres considère que ce gel ou cette immobilisation fait en toute hypothèse obstacle à une saisie-exécution. La Cour de justice de l’Union européenne a admis la validité d’une mesure d’interdiction de pratiquer une saisie conservatoire sur des fonds qui sont gelés en vertu de sanctions européennes (CJUE, 11 novembre 2021, C-340/20, Bank Sepah, ECLI:EU:C:2021:903). L’enseignement de cet arrêt vaut a fortiori pour les saisies-exécution. Lorsqu’une mesure de gel ou d’immobilisation est en vigueur, le gestionnaire d’un compte de règlement (sauf dérogation d’interprétation restrictive prévue par le régime de gel ou d’immobilisation)

ne peut libérer les actifs concernés. Pareille libération engagerait sa responsabilité pénale et civile, ainsi que la responsabilité internationale de la Belgique.

Le Conseil des ministres allègue donc que les restrictions du droit à l’exécution ne découlent pas uniquement des dispositions en cause, mais aussi de plusieurs dispositions internationales, européennes ou nationales supérieures. En l’espèce, l’impossibilité de procéder à la saisie-arrêt exécution peut découler, séparément et a fortiori cumulativement, de nombreuses normes juridiques, dont les mesures de sanctions internationales et européennes en vigueur, qui font obstacle à des mesures d’exécution, même conservatoires, sur les avoirs concernés, sauf dans le respect des exceptions et conditions éventuellement prévues par la mesure de sanction même, les règles d’immunité de juridiction découlant du droit international coutumier et des conventions internationales et les règles d’immunité d’exécution découlant du droit international coutumier, des conventions internationales et du Code judiciaire. La situation spécifique visée dans la question préjudicielle n’est donc susceptible de se concrétiser en pratique que dans l’hypothèse exceptionnelle où le créancier saisissant démontre devant le juge des saisies qu’aucune autre norme de rang hiérarchique supérieur (internationale ou européenne) ni aucune norme nationale de portée plus générale (comme par exemple les règles d’insaisissabilité découlant des articles 1408 à 1412quinquies du Code judiciaire) ne font obstacle à la saisie-arrêt. À défaut de pareille démonstration, les restrictions éventuelles du droit à l’exécution ne découlent pas des dispositions en cause.

A.3.1. Les parties appelantes devant la juridiction a quo répondent que la Cour ne peut pas porter sur le litige au fond des appréciations qui relèvent de la compétence de la juridiction a quo. En outre, la Cour ne peut pas étendre la portée de la question préjudicielle. Or, les règles d’immunité de juridiction ou d’exécution dont bénéficieraient les États étrangers, ainsi que les considérations relatives à l’obtention de l’autorisation de déblocage des actifs sanctionnés auprès de l’autorité nationale compétente conformément aux règlements européens sont étrangères à la question préjudicielle posée. En tout état de cause, si la juridiction a quo a posé la question préjudicielle, c’est qu’elle est indispensable à la solution du litige. Il a été démontré devant la juridiction a quo que l’article 1412quinquies, § 2, du Code judiciaire s’applique en l’espèce et qu’il permet donc la saisie-arrêt sollicitée.

Ensuite, l’immunité de juridiction est sans pertinence en l’espèce, s’agissant d’une demande d’autorisation de saisie d’actifs situés en Belgique, sur la base d’un titre exécutoire de droit belge. Enfin, l’arrêt Bank Sepah de la Cour de justice ne s’oppose pas à ce qu’une saisie-arrêt exécution en droit belge (qui ne produit pas les mêmes effets que la saisie conservatoire de droit français) soit pratiquée dans un État membre de l’Union européenne sur des avoirs gelés situés sur le territoire de cet État.

A.3.2. Les parties appelantes devant la juridiction a quo soutiennent ensuite que, lors des modifications législatives de 2004 et de 2011, il n’a été apporté aucune justification valable, a posteriori, de l’interdiction généralisée préexistante de toute saisie. Quant aux dispositions législatives luxembourgeoises citées par le Conseil des ministres, il s’agit de répliques des dispositions en cause, adoptées ultérieurement; elles n’attestent en rien de la constitutionnalité en droit belge des dispositions en cause.

A.3.3. Les parties appelantes devant la juridiction a quo font valoir qu’une saisie ne crée pas ni n’aggrave le risque systémique lorsque les actifs visés ne participent de facto pas ou plus au système de règlement. Les risques identifiés par le Conseil des ministres ne correspondent à aucun risque identifié comme systémique par la directive 98/26/CE ou la loi du 28 avril 1999 et ne sont documentés par aucune source. En outre, ils reposent tous sur l’hypothèse que les actifs visés participent au système de règlement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En effet, une saisie-arrêt pratiquée sur des actifs gelés ou immobilisés ne peut pas influencer négativement la « finalité » de transactions en cours au sein d’un système de règlement, puisque ces actifs ne peuvent plus faire l’objet d’aucune transaction.

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A.3.4. Les parties appelantes devant la juridiction a quo allèguent ensuite que la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais avalisé une insaisissabilité générale des actifs logés sur des comptes bancaires. Au contraire, l’arrêt Süzer et Eksen Holding A.Ş. c. Turquie du 23 octobre 2012

(ECLI:CE:ECHR:2013:0409DEC000633405) confirme que le droit à l’exécution des décisions de justice est fondamental et consubstantiel au droit au procès équitable et que l’objectif d’assurer le bon fonctionnement du système bancaire ou financier n’exclut pas la nécessité pour les mesures concernées d’être adéquates, justifiées et proportionnées, compte tenu des entraves importantes qu’elles peuvent occasionner aux droits fondamentaux – ces entraves entraînant un contrôle plus strict de la proportionnalité des mesures concernées et l’obligation pour l’État de vérifier s’il existe des mesures moins extrêmes ou moins attentatoires aux droits fondamentaux affectés.

A.3.5. Les parties appelantes devant la juridiction a quo soutiennent que l’impossibilité, en l’espèce, d’exécution en Belgique ne résulte pas des principes d’immunité de juridiction ou d’exécution dont bénéficient, en droit international et en droit belge, dans certaines hypothèses et non sans limites, les États souverains étrangers, mais uniquement de la mesure d’interdiction de saisie des comptes de règlement détenus au sein d’un organe de règlement situé en Belgique.

A.3.6. Les parties appelantes devant la juridiction a quo soutiennent que le régime des sanctions européennes et le régime d’insaisissabilité prévu par les dispositions en cause sont distincts quant à leur portée et à leur objectif;

ils n’ont pas vocation à se renforcer ni à s’additionner mutuellement. Le gel d’actifs prévu par le règlement (UE) n° 269/2014 du Conseil du 17 mars 2014 « concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine » (ci-

après : le règlement (UE) 269/2014) vise à sanctionner certaines personnes responsables d’actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Il n’a pas pour objectif et ne peut avoir pour effet de sanctionner des créanciers de la Fédération de Russie. D’ailleurs, l’article 5, paragraphe 1, du règlement permet aux autorités compétentes des États membres d’autoriser le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés. Il a été démontré devant la juridiction a quo que les conditions prévues par cette disposition sont réunies en l’espèce, de sorte que l’existence du gel imposé par le règlement (UE) n° 269/2014 sur les actifs visés par la saisie-arrêt sollicitée sur le territoire belge ne constitue pas un obstacle qui viendrait se superposer à l’obstacle résultant des dispositions en cause. En outre, le règlement (UE) n° 833/2014 du Conseil du 31 juillet 2014 « concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine » prévoit des mesures d’immobilisation d’actifs ainsi que des mesures interdisant le financement de la Russie, de son gouvernement et de sa Banque centrale. Il n’entraîne pas davantage une insaisissabilité des actifs concernés au préjudice des créanciers de la Fédération de Russie.

A.4.1. Le Conseil des ministres relève que le régime d’insaisissabilité en cause ne concerne pas, en Belgique, que le système Euroclear. L’article 9 de la loi du 28 avril 1999 s’applique à l’égard de tous les systèmes au sens de cette loi, dont le système de paiement géré par la Banque nationale de Belgique (BNB), qui vise principalement les titres dématérialisés de la dette publique belge, en vertu de la loi du 2 janvier 1991 « relative au marché des titres de la dette publique et aux instruments de la politique monétaire ». L’article 10 de cette loi organise, pour les comptes-titres ouverts auprès d’un teneur de comptes dans le système de règlement de titres de la BNB, un régime d’insaisissabilité absolue qui est identique à celui qui est en cause. Une limitation du dispositif en cause affecterait donc aussi le marché des instruments de la dette publique belge.

Le Conseil des ministres souligne également que chaque client pour le compte duquel ce participant dépose des titres dans le système Euroclear est quant à lui titulaire d’un compte-titres dans les livres de ce participant (et non dans ceux d’Euroclear Bank). Ce compte-titres ne fait pas partie du système Euroclear puisqu’Euroclear Bank n’a et ne peut avoir aucune relation contractuelle avec les clients de ses participants. Ce compte-titres du client dans les livres du participant n’est pas soumis au régime d’insaisissabilité prévu par l’arrêté royal coordonné n° 62.

Le même raisonnement s’applique mutatis mutandis aux comptes-espèces.

Le Conseil des ministres rappelle par ailleurs que la question préjudicielle vise spécifiquement l’application des dispositions en cause à des actifs gelés ou immobilisés en vertu de sanctions internationales. Il n’y a pas lieu,

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contrairement à ce que les parties appelantes devant la juridiction a quo tentent de faire, d’étendre la portée de la question préjudicielle à la constitutionnalité des dispositions en cause in abstracto, en toute hypothèse.

A.4.2. Le Conseil des ministres soutient que le droit à l’exécution n’a pas le caractère fondamental que les parties appelantes devant la juridiction a quo lui prêtent, lequel devrait aboutir à le faire primer par principe sur tout autre objectif. La jurisprudence citée par ces parties ne conduit pas à une telle conclusion. Au reste, les parties appelantes devant la juridiction a quo ne sont pas privées de toute mesure d’exécution contre leur débiteur, à la différence des personnes concernées par cette jurisprudence. Les comptes de règlement ne contiennent en effet par nature qu’une partie limitée du patrimoine des participants ou de leurs clients. Les participants ne peuvent d’ailleurs pas utiliser les comptes ouverts auprès d’Euroclear Bank comme comptes de dépôt (conformément au règlement (UE) n° 909/2014 du 23 juillet 2014 du Parlement et du Conseil « concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union européenne et les dépositaires centraux de titres, et modifiant les directives 98/26/CE et 2014/65/UE ainsi que le règlement (UE) n° 236/2012 », ces comptes ne peuvent être utilisés qu’en rapport avec les services fournis par Euroclear Bank en sa qualité de dépositaire central de titres).

Ces comptes ne sont d’ailleurs pas rémunérés. Enfin, l’application des dispositions en cause doit reposer sur des critères objectifs et donc incontestables. Cette application ne peut varier en fonction de circonstances de fait et de critères à ce point indéterminés et subjectifs que le juge du fond ne pourrait les appliquer sans enfreindre le principe de sécurité juridique. Or, les parties appelantes devant la juridiction a quo contestent le caractère proportionné des dispositions en cause dans des situations de fait spécifiques, à savoir quand une partie importante du patrimoine du débiteur est inscrite dans des comptes de règlement d’un système de règlement opéré par une entité établie en Belgique, qu’il existerait corrélativement peu (ou pas suffisamment) d’autres actifs susceptibles d’être saisis quelque part dans le monde, ou que les actifs théoriquement saisissables ne seraient pas localisés dans des États permettant aux créanciers d’accéder à un tribunal indépendant et impartial. Ces critères sont indéfinis, impraticables et non pertinents.

Le Conseil des ministres allègue que la comparaison de la mesure en cause avec le mécanisme encadrant la faillite d’un participant à un système de règlement est inintelligible et qu’elle sort du périmètre de la question préjudicielle, dès lors qu’elle porte sur des catégories qui ne sont pas visées dans la question. Pour le reste, la saisie présente un caractère individuel, à la différence de la faillite, qui constitue une procédure de liquidation collective et qui, à ce titre, rend l’ensemble des avoirs du participant définitivement indisponibles pour une affectation au désintéressement de ses créanciers. Il est donc justifié que les régimes ne soient pas identiques.

Le Conseil des ministres soutient qu’une disposition législative n’est pas disproportionnée au seul motif qu’elle vise une hypothèse qui n’est pas régie par une directive européenne. L’article 9 de la loi du 28 avril 1999

a un objet différent et plus général que celui de la directive 98/26/CE, à savoir empêcher toute perturbation du bon fonctionnement des systèmes de règlement qui pourrait découler de mesures de saisies, de séquestres ou d’un ordre judiciaire de blocage, compte tenu par ailleurs de la présence d’Euroclear Bank sur le territoire belge.

A.4.3. Le Conseil des ministres estime que les comptes concernés répondent toujours à la définition juridique du « compte de règlement » au sens de l’article 2, l), de la directive 98/26/CE. Tout d’abord, cette question relève de la juridiction a quo, et celle-ci a considéré que les comptes concernés sont des comptes de règlement. Le fait que les actifs soient rendus temporairement indisponibles (par l’effet de sanctions réversibles) ne remet pas en cause la circonstance que ces actifs étaient logés dans des comptes de règlement au moment de l’adoption de la mesure de gel ou d’immobilisation ; qu’ils demeurent inscrits dans les comptes concernés, sans modification de la nature de ces actifs et sans modification de la nature ou de la destination des comptes de règlement; qu’ils demeureront logés dans le même compte de règlement au moment de l’éventuelle levée de la mesure de gel ou d’immobilisation, redevenant disponibles pour leur propriétaire et pour l’exécution de transactions. Tous les comptes ouverts auprès d’Euroclear Bank sont (et restent) des comptes de règlement au sens de la directive 98/26/CE. Euroclear Bank ne détient, dans ses livres, aucun compte à vue ni compte de dépôt classique.

La licence bancaire d’Euroclear Bank ne lui permet d’ailleurs pas d’exercer des activités bancaires autres que celles qui sont liées à son activité de gestionnaire de système de règlement au sens de la directive 98/26/CE.

Ensuite, le considérant 16 du règlement (UE) 2024/576 du Conseil du 12 février 2024 modifiant le règlement (UE) n° 833/2014 « concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine » montre que les comptes concernés peuvent être encore crédités, de sorte qu’ils continuent de remplir une fonction de règlement. Par ailleurs, en tout état de cause, les mesures de sanction concernées sont

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par nature temporaires et réversibles. Il suffit donc que le compte ait pour objet de remplir une fonction de règlement et non qu’il soit de facto utilisé à tout moment pour le règlement de transactions pour qu’il réponde à la définition de compte de règlement au sens de la directive 98/26/CE et de la loi du 28 avril 1999. En cas de doute à ce sujet, il y aurait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Enfin, aussi longtemps que les sanctions internationales sont en vigueur, les actifs concernés sont en toute hypothèse insaisissables par l’effet desdites sanctions.

En ce qui concerne la comparaison faite par les parties appelantes devant la juridiction a quo entre les créanciers dont les avoirs du débiteur sont logés auprès d’un organe de règlement des titres en Belgique et les créanciers dont les avoirs sont logés auprès de tout autre tiers-saisi en Belgique, le Conseil des ministres relève qu’elle concerne des situations différentes et qu’elle excède la portée de la question préjudicielle. En tout état de cause, en cas de gel ou d’immobilisation, il n’existe, du fait des sanctions, aucune différence de traitement entre les catégories de créanciers, dès lors que les actifs concernés sont insaisissables pour tous.

A.4.4. Le Conseil des ministres déduit du jugement de renvoi et du mémoire des parties appelantes devant la juridiction a quo que le débiteur de celles-ci est la Fédération de Russie. La pertinence en l’espèce du règlement (UE) n° 269/2014 est sujette à caution dès lors que la Fédération de Russie n’est pas incluse dans la liste des personnes morales visées par les mesures de gels d’avoirs. Le règlement (UE) n° 269/2014 prévoit qu’une autorité nationale spécifiquement désignée (en Belgique : l’Administration générale de la Trésorerie, au sein du SPF Finances) peut autoriser la libération des avoirs gelés dans certains cas. Par ailleurs, le règlement (UE) n° 833/2014 ne prévoit qu’une exception aux interdictions qu’il instaure : en ce qui concerne l’interdiction de toute transaction liée à la gestion des réserves et des avoirs de la Banque centrale de Russie, l’article 5 du règlement (UE) n° 833/2014 prévoit que les autorités compétentes peuvent autoriser une transaction pour autant que cela soit strictement nécessaire pour assurer la stabilité financière de l’Union dans son ensemble ou de l’État membre concerné, moyennant notification préalable aux autres États membres et à la Commission européenne. Il est manifeste que cette exception ne s’applique pas en l’espèce.

Le Conseil des ministres souligne que, sur la base des informations publiquement disponibles (et comme semble le confirmer également le libellé de l’article 5bis, paragraphe 4, du règlement (UE) n° 833/2014 précité), les avoirs immobilisés dans les comptes d’Euroclear Bank ne sont pas des avoirs de la Fédération de Russie (dont il peut être raisonnablement déduit qu’elle est la débitrice en l’espèce), mais des avoirs de la Banque centrale de Russie. Or, la demande des parties appelantes devant la juridiction a quo est fondée exclusivement sur l’article 1412quinquies du Code judiciaire, qui concerne les avoirs « appartenant à une puissance étrangère qui se trouvent sur le territoire du Royaume » et non sur l’article 1412quater du même Code, qui vise « les avoirs de toute nature, dont les réserves de change, que des banques centrales étrangères ou des autorités monétaires internationales détiennent ou gèrent en Belgique pour leur propre compte ou pour compte de tiers ». Aussi, la validité de la base juridique qui fonde en l’espèce la demande de saisie-exécution est douteuse.

Selon le Conseil des ministres, les conditions prévues à l’article 1412quinquies du Code judiciaire, à le supposer pertinent en l’espèce, ne sont pas réunies. En ce qui concerne la troisième hypothèse visée dans cette disposition, il ne peut être considéré que les avoirs visés par la demande de saisie en l’espèce seraient « spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par la puissance étrangère autrement qu’à des fins de service public non commerciales ». En effet, l’article 21 de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 « sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens » identifie « les biens de la banque centrale ou d’une autre autorité monétaire de l’État » parmi les biens qui ne peuvent être considérés comme « des biens spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l’État autrement qu’à des fins de service public non commerciales », de sorte qu’ils sont en toute hypothèse couverts par la règle de droit coutumier international d’immunité d’exécution faisant obstacle à leur saisie.

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-B-

B.1. La juridiction a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l’article 9 de la loi du 28 avril 1999 « visant à transposer la Directive 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres » (ci-après : la loi du 28 avril 1999 et la directive 98/26/CE) et de l’article 11 de l’arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967 « relatif au dépôt d’instruments financiers fongibles et à la liquidation d’opérations sur ces instruments », coordonné par l’arrêté royal du 27 janvier 2004 et confirmé par l’article 70 de la loi du 15 décembre 2004 « relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers » (ci-après : l’arrêté royal coordonné n° 62), avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 13 de la Constitution et l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, et avec l’article 16 de la Constitution et l’article 1er du Premier Protocole additionnel à cette Convention (ci-après : le Premier Protocole additionnel), « en tant qu’ils sont interprétés comme consacrant une insaisissabilité absolue protégeant également des actifs gelés ou immobilisés en vertu de sanctions internationales qui – de ce fait – ne participent de facto pas ou plus au système de règlement que ces dispositions légales visent à protéger, alors même que ces actifs seraient saisissables en Belgique dans le cadre d’une saisie-arrêt pratiquée entre les mains de tout autre tiers-saisi ».

B.2.1. Le Conseil des ministres soutient que le gel ou l’immobilisation d’actifs en vertu de sanctions internationales fait en toute hypothèse obstacle à une saisie-exécution sur ces actifs et qu’en l’espèce, les restrictions du droit à l’exécution d’une décision de justice découlent également de plusieurs dispositions internationales, européennes ou nationales supérieures.

B.2.2. C’est en règle à la juridiction a quo qu’il appartient d’apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige. Ce n’est que lorsque tel n’est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n’appelle pas de réponse.

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B.2.3. Il ressort de la motivation de l’arrêt de renvoi que la procédure au fond concerne une requête unilatérale en autorisation de pratiquer une saisie-arrêt auprès d’un dépositaire central de titres, sur la base de l’article 1412quinquies, § 2, 3°, du Code judiciaire.

La Cour limite son examen à cette situation.

Par ailleurs, bien que cela ne ressorte pas clairement de l’arrêt de renvoi, la question préjudicielle repose implicitement sur le postulat que les mesures de gel ou d’immobilisation imposées en vertu des règlements européens qui y sont visés peuvent faire l’objet d’une mesure de déblocage. Autrement dit, ces sanctions internationales n’excluent pas de manière absolue un déblocage des actifs gelés ou immobilisés concernés.

La Cour répond à la question préjudicielle en se basant sur ce postulat, qui n’est pas manifestement erroné. Pour le reste, la Cour répond à la question préjudicielle telle qu’elle lui a été posée par la juridiction a quo, dont rien n’indique qu’elle serait manifestement inutile à la solution du litige.

B.3.1. L’article 9 de la loi du 28 avril 1999, repris sous le chapitre VII de cette loi, intitulé « Insaisissabilité des comptes de règlement », dispose :

« Tout compte de règlement auprès de l’opérateur ou de l’organe de règlement du système utilisé pour le dépôt de fonds, de même que tout transfert de fonds, à l’intervention d’un établissement de crédit de droit belge ou étranger, à porter à un tel compte de règlement, ne peut être saisi, mis sous séquestre ou bloqué d’une manière quelconque par un participant, une contrepartie ou un tiers autre que l’opérateur ou l’organe de règlement du système ».

B.3.2. L’article 11 de l’arrêté royal coordonné n° 62 dispose :

« Aucune saisie-arrêt n’est admise sur les comptes courants d’instruments financiers ouverts dans les écritures du dépositaire central de titres. En outre, aucune saisie-arrêt n’est admise sur les instruments financiers donnés en dépôt par le dépositaire central de titres.

Sans préjudice de l’application de l’article 12 et de l’article 13, en cas de faillite ou de toute autre situation de concours, les créanciers du propriétaire des instruments financiers peuvent faire valoir leurs droits sur le solde disponible des instruments financiers versés à un compte au nom et pour compte de leur débiteur, après déduction ou addition des instruments financiers

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qui, en vertu d’engagements conditionnels, d’engagements dont le montant est incertain, ou d’engagements à terme de livraison d’instruments financiers, sont entrés, le cas échéant, dans une partie distincte de ce compte titres, le jour de la faillite ou du concours, et dont l’inclusion dans le solde disponible est différée jusqu’à la réalisation de la condition, la détermination du montant ou l’écoulement du terme.

Les engagements conditionnels ou dont le montant est incertain, ou les engagements à terme, visés à l’alinéa 2, sont limités aux engagements découlant d’une relation juridique entre le titulaire du compte titres concerné et le teneur de ce compte ».

B.4.1. L’exposé des motifs de la loi du 28 avril 1999 mentionne :

« Cet article est le seul du projet de loi qui ne soit pas la transposition directe d’une disposition correspondante de la directive 98/26/CE bien que l’insertion d’une disposition analogue ait été discutée durant les travaux préparatoires à cette directive.

Il s’agit ici d’instaurer l’insaisissabilité de tout compte de règlement espèces détenu auprès de la Banque nationale de Belgique ainsi qu’auprès de tout autre organisme gestionnaire ou agent de règlement d’un système.

L’article 9 de l’arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967 favorisant la circulation des valeurs mobilières prévoit déjà qu’‘ aucune saisie-arrêt n’est admise sur les comptes courants de valeurs mobilières ouverts dans les écritures de [la CIK]. ’ De même, l’article 10 de la loi du 2 janvier 1991 relative au marché des titres de la dette publique dispose-t-il qu’‘ aucune saisie-arrêt n’est admise sur les comptes titres ouverts au nom d’un teneur de comptes ’ (dans le système de compensation de titres de la BNB).

Le but de l’article 9 du projet de loi n’est pas d’édicter à présent une insaisissabilité généralisée des comptes des intermédiaires financiers mais d’éviter que des saisies intempestives, voire abusives, ne viennent complètement paralyser le règlement d’un système de paiement ou de règlement-titres, par le fait d’une saisie-arrêt sur le solde (éventuellement)

créditeur du compte de règlement d’une institution financière auprès de la Banque nationale de Belgique ou auprès d’un autre organe de règlement d’un système visé par la loi.

Ainsi, l’expérience a montré qu’il arrive, par exemple, qu’une saisie-arrêt soit pratiquée par un ex responsable d’une institution financière sur l’ensemble des comptes de celle-ci auprès de la BNB, pour assurer le recouvrement d’une créance d’indemnités de licenciement par ailleurs litigieuse. Pareille saisie, abusive et généralement levée quelques heures plus tard ou le lendemain, a néanmoins pour effet immédiat de bloquer le fonctionnement du compte de règlement de l’institution financière concernée auprès de la BNB, empêchant par voie de conséquence le règlement général des systèmes de paiement ou de règlement-titres qui se réalise par voie du débit du compte d’espèces de chaque participant débiteur. De telles saisies-arrêts sur les comptes de règlement pourraient aussi avoir les conséquences les plus fâcheuses pour des systèmes internationaux de paiement en euro tels que Target (en cas de saisie d’un compte de règlement du donneur d’ordre ou du bénéficiaire d’un transfert) ou le système ‘ EURO 1 ’ géré par l’association interbancaire Eurobanking (le successeur d’ecu clearing).

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On comprend donc ainsi l’étroite parenté qui existe entre cette problématique et celle ‘ du caractère définitif du règlement ’ visée par la directive 98/26/CE et le présent projet de loi, ce qui paraît justifier l’insertion de l’article 9.

Indépendamment de l’hypothèse d’une saisie-arrêt, le compte de règlement auprès de la Banque nationale ou un autre organe de règlement d’un système ne doit pas non plus pouvoir être paralysé suite à une mesure analogue, telle qu’une mesure de séquestre ou un ordre de blocage quelconque, sauf si la mesure (une clôture par exemple) est décidée par le gestionnaire du système dans les livres duquel serait ouvert le compte de règlement en question, par exemple en cas de faillite du participant titulaire du compte.

En dehors de cette hypothèse, les créanciers d’un participant doivent pouvoir trouver dans le patrimoine de ce dernier les actifs nécessaires au recouvrement de leurs droits, sans qu’il soit nécessaire de saisir le compte de règlement (généralement non rémunéré) qui doit rester libre de toute entrave aux fins d’assurer précisément le bon règlement final du système dans l’intérêt de l’ensemble des participants.

Pour répondre à l’interrogation du Conseil d’État sur ce point, le gouvernement considère qu’une telle disposition est pleinement compatible avec la directive et les principes d’égalité et de proportionnalité (pour les raisons déjà indiquées en introduction) et ne risque en aucune manière d’entraver l’efficacité des sûretés (que ce soit sur titres – ce qui va de soi – ou sur espèces) organisée par l’article 8 du projet » (Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 1999/1, pp. 24-26; voy. également Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-1157/001, pp. 63-64).

B.4.2. Le rapport au Roi qui précède l’arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967 mentionne :

« Pour permettre le fonctionnement, sans entrave, des virements de compte à compte, l’article 9 prévoit qu’aucune saisie-arrêt ne peut être effectuée sur les comptes courants de titres ouverts dans les livres de l’organisme interprofessionnel. Cette disposition n’interdit nullement les saisies-arrêts effectuées entre les mains des affiliés » (Moniteur belge, 14 novembre 1967, p. 11797).

B.5.1. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine : les règles constitutionnelles de l’égalité et de la non-

discrimination sont applicables à l’égard de tous les droits et de toutes les libertés, en ce compris ceux résultant des conventions internationales liant la Belgique.

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B.5.2. Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.

L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.6.1. L’article 13 de la Constitution dispose :

« Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne ».

B.6.2. L’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ».

B.6.3. Ces deux dispositions garantissent le droit d’accès à un juge compétent, qui doit être reconnu sans discrimination et qui comprend celui d’obtenir l’exécution du jugement ou de l’arrêt rendu (CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c. Grèce, ECLI:CE:ECHR:1997:0319JUD001835791, § 40). Le droit à une exécution effective des décisions de justice constitue l’un des éléments fondamentaux d’un État de droit. Il vaut également pour les sentences arbitrales revêtues de la formule exécutoire.

B.6.4. Le droit d’accès à un tribunal n’est cependant pas absolu. Il peut faire l’objet de limitations pour autant que celles-ci ne restreignent pas cet accès d’une manière ou à un point

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tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même, ou qu’elles poursuivent un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et ce but (CEDH, 28 novembre 2006, Apostol c. Géorgie, ECLI:CE:ECHR:2006:1128JUD004076502, § 57; 9 avril 2015, Tchokontio Happi c. France, ECLI:CE:ECHR:2015:0409JUD006582912, § 48).

B.7.1. L’article 16 de la Constitution dispose :

« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

B.7.2. L’article 1er du Premier Protocole additionnel dispose :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».

B.7.3. La notion de « bien » au sens de cette disposition recouvre non seulement les biens actuels mais également les créances, pour autant qu’elles aient une base suffisante en droit interne, par exemple parce qu’elles sont confirmées par un jugement définitif (CEDH, 3 octobre 2013, Giavi c. Grèce, ECLI:CE:ECHR:2013:1003JUD002581609, §§ 39-40; 4 février 2014, Staibano e.a. c. Italie, ECLI:CE:ECHR:2014:0204JUD002990707, §§ 40-41). Une créance à charge d’une puissance étrangère constatée par une décision judiciaire définitive peut constituer un bien en ce sens, de sorte que l’article 1er du Premier Protocole additionnel lui est applicable.

B.7.4. Toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il faut qu’existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

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B.8. En ce qu’elles interdisent toute saisie sur les comptes de règlement ainsi que sur les comptes courants d’instruments financiers ouverts dans les écritures d’un dépositaire central de titres, les dispositions en cause entraînent une ingérence dans le droit à l’exécution effective d’une décision de justice, qui fait partie du droit d’accès à un juge compétent, ainsi que dans le droit au respect des biens des créanciers qui poursuivent l’exécution d’une créance sur les actifs qui sont logés sur ces comptes. Il en résulte également une différence de traitement entre, d’une part, ces créanciers et, d’autre part, les créanciers qui souhaitent saisir les mêmes actifs dans le cadre d’une saisie-arrêt pratiquée entre les mains de tout autre tiers-saisi.

La Cour doit examiner si la mesure en cause poursuit un objectif légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et cet objectif.

B.9. La loi du 28 avril 1999 transpose en droit belge la directive 98/26/CE (appelée également directive « finalité »). Cette directive a pour objet de garantir que les ordres de transfert et de paiement de produits financiers puissent être finalisés, principalement en atténuant les problèmes découlant de l’insolvabilité d’un participant. Comme il est dit dans l’exposé des motifs, cité en B.4.1, l’article 9 de la loi du 28 avril 1999 « n’est pas une transposition directe d’une disposition correspondante de la directive 98/26/CE ».

L’article 9 de la loi du 28 avril 1999 interdit toute forme de blocage des comptes de règlement utilisés pour le dépôt d’espèces et de titres d’un système au sens de cette loi. Un système au sens de cette loi est un accord formel convenu entre participants et comportant des règles communes ainsi que des procédures normalisées pour la compensation ou l’exécution des ordres de transfert entre participants, régi par la législation d’un État membre choisi par les participants, et désigné en tant que système et notifié à l’Autorité européenne des marchés financiers par l’État membre dont la législation est applicable (article 1er/1, 1°, de la loi du 28 avril 1999).

Les systèmes de règlement-titres sont les systèmes qui n’exécutent que des ordres de transfert de titres ainsi que les paiements résultant de ces ordres. Ils permettent des opérations d’achat ou de vente sans déplacement physique de l’instrument financier concerné, et ce, par le biais de débits ou de crédits – à due concurrence – des comptes-titres et comptes-espèces

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détenus dans les livres du gestionnaire de ce système par des participants au système. Les systèmes de règlement-titres en droit belge sont énumérés à l’article 2, § 1er, b), de la loi du 28 avril 1999.

L’article 2, paragraphe 1, 1), du règlement (UE) n° 909/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 « concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union européenne et les dépositaires centraux de titres, et modifiant les directives 98/26/CE et 2014/65/UE ainsi que le règlement (UE) n° 236/2012 » définit le « dépositaire central de titres » comme « une personne morale qui exploite un système de règlement de titres visé à la section A, point 3, de l’annexe et fournit au moins un autre service de base figurant à la section A de l’annexe ». Un dépositaire central de titres exploite donc un système désigné, au sens de la directive 98/26/CE et de la loi du 28 avril 1999, qui transpose cette directive.

Enfin, un compte de règlement est « un compte auprès d’une banque centrale, d’un organe de règlement ou d’une contrepartie centrale utilisé pour le dépôt d’espèces ou de titres ainsi que pour le règlement de transactions entre participants d’un système » (article 1er/1, 13°, de la loi du 28 avril 1999).

L’article 11 de l’arrêté royal coordonné n° 62 interdit quant à lui les saisies-arrêts sur les comptes-titres ouverts dans les livres d’un dépositaire central de titres.

B.10. Il ressort de l’exposé des motifs de la loi du 28 avril 1999 que l’article 9 de cette loi vise à éviter que le bon fonctionnement d’un système de règlement dont le gestionnaire est établi sur le territoire belge puisse être paralysé ou entravé par une mesure de saisie, de séquestre ou d’ordre judiciaire de blocage. Il s’agit de garantir le bon fonctionnement des systèmes de paiement et de règlement de titres, dans l’intérêt de l’ensemble des participants au système.

L’article 11 de l’arrêté royal coordonné n° 62 poursuit un objectif analogue.

Le Conseil des ministres fait également valoir que les dispositions en cause, en ce qu’elles s’appliquent à Euroclear Bank, qui est un dépositaire central de titres établi en Belgique et dont

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le rôle sur les marchés financiers mondiaux est capital, permettent de prévenir les conséquences systémiques qui résulteraient d’un dysfonctionnement de ce système de règlement pour les systèmes bancaires et de paiement au niveau mondial.

B.11. Ces objectifs sont légitimes. Par ailleurs, l’interdiction de toute saisie sur les comptes de règlement ainsi que sur les comptes courants d’instruments financiers ouverts dans les écritures d’un dépositeur central de titres est nécessaire et pertinente en vue de garantir la sécurité juridique, la confiance de l’ensemble des participants aux systèmes concernés et, in fine, d’une manière générale, la stabilité des systèmes bancaires et de paiement concernés.

À cet égard, il ne peut pas être reproché au législateur, compte tenu du pouvoir d’appréciation étendu dont il dispose en ce qui concerne le choix des mesures législatives visant à garantir le bon fonctionnement du système bancaire (CEDH, 2 juin 2016, International Bank for Commerce and Development AD e.a. c. Bulgarie, ECLI:CE:ECHR:2016:0602JUD000703105, § 124 ; 16 mars 2021, Karahasanoğlu c. Turquie, ECLI:CE:ECHR:2021:0316JUD002139208, § 150), de n’avoir pas prévu une exception à l’interdiction de principe de toute saisie pour les actifs qui ne participeraient pas ou plus à un système de règlement, en particulier pour les avoirs gelés ou immobilisés en vertu de sanctions internationales, compte tenu de la difficulté qu’il pourrait y avoir à déterminer concrètement si un actif donné ne participe pas ou plus au système de règlement concerné et du risque et de l’incertitude qu’une telle difficulté est susceptible d’engendrer, compromettant ainsi la sécurité juridique et la stabilité des systèmes de règlement concernés.

B.12. Les dispositions en cause ne produisent pas des effets disproportionnés pour les créanciers concernés, dès lors que ceux-ci peuvent poursuivre le paiement de leurs créances sur les autres actifs de leurs débiteurs en Belgique et à l’étranger.

B.13. Partant, les dispositions en cause ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à l’exécution effective d’une décision de justice ni au respect des biens des créanciers concernés, et la différence de traitement mentionnée en B.8 est raisonnablement justifiée.

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L’article 9 de la loi du 28 avril 1999 et l’article 11 de l’arrêté royal coordonné n° 62 du 10 novembre 1967 sont compatibles avec les articles 10, 11, 13 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel.

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Par ces motifs,

la Cour

dit pour droit :

L’article 9 de la loi du 28 avril 1999 « visant à transposer la Directive 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres » et l’article 11 de l’arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967

« relatif au dépôt d’instruments financiers fongibles et à la liquidation d’opérations sur ces instruments », coordonné par l’arrêté royal du 27 janvier 2004 et confirmé par l’article 70 de la loi du 15 décembre 2004 « relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers », ne violent pas les articles 10, 11, 13 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel à cette Convention.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 17 juillet 2025.

Le greffier, Le président,

Nicolas Dupont Pierre Nihoul

Publication(s) liée(s) citant:

ECLI:CE:ECHR:1997:0319JUD001835791

 

ECLI:CE:ECHR:2006:1

 

ECLI:CE:ECHR:2006:1128JUD004076502

 

ECLI:CE:ECHR:2012:1023JUD000633405

 

ECLI:CE:ECHR:2013:0409DEC000633405

 

ECLI:CE:ECHR:2013:1003JUD002581609

 

ECLI:CE:ECHR:2014:0204JUD002990707

 

ECLI:CE:ECHR:2015:0409JUD0065829

 

ECLI:CE:ECHR:2015:0409JUD006582912

 

ECLI:CE:ECHR:2016:0602JUD000703105

 

ECLI:CE:ECHR:2021:0316JUD002139208

 

ECLI:EU:C:2021:903


Synthèse
Numéro d'arrêt : 114/2025
Date de la décision : 17/07/2025
Type d'affaire : Droit constitutionnel

Analyses

citant:

COUR CONSTITUTIONNELLE - DROIT PUBLIC ET ADMINISTRATIF - COUR CONSTITUTIONNELLE - la question préjudicielle relative à l'article 9 de la loi du 28 avril 1999 « visant à transposer la Directive 98/26/CE du 19 mai 1998 concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres » et l'article 11 de l'arrêté royal coordonné n° 62 du 10 novembre 1967 « relatif au dépôt d'instruments financiers fongibles et à la liquidation d'opérations sur ces instruments », [coordonné par l'arrêté royal du 27 janvier 2004 et] confirmé par l'article 70 de la loi du 15 décembre 2004 « relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers », posée par la Cour d'appel de Bruxelles. Droit judiciaire - Saisie - Saisie-arrêt - Actifs gelés ou immobilisés en vertu de sanctions internationales - Insaisissabilité absolue


Origine de la décision
Date de l'import : 27/08/2025
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.constitutionnel;arret;2025-07-17;114.2025 ?

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