Cour constitutionnelle
Arrêt n° 23/2025
du 13 février 2025
Numéros du rôle : 8177, 8179 et 8181
En cause : les recours en annulation totale ou partielle du décret-cadre flamand du 14 juillet 2023 « relatif au maintien de la réglementation flamande », introduits par le Collège de la Commission communautaire française, par le Gouvernement de la Communauté française et par le Gouvernement wallon.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Pierre Nihoul et Luc Lavrysen, et des juges Thierry Giet, Joséphine Moerman, Michel Pâques, Yasmine Kherbache, Danny Pieters, Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Pierre Nihoul,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet des recours et procédure
Par trois requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste le 28 février 2024
et parvenues au greffe les 29 février et 1er mars 2024, des recours en annulation totale ou partielle du décret-cadre flamand du 14 juillet 2023 « relatif au maintien de la réglementation flamande » (publié au Moniteur belge du 29 août 2023) ont été introduits respectivement par le Collège de la Commission communautaire française, assisté et représenté par Me Nicolas Bonbled et Me Camila Dupret Torres, avocats au barreau de Bruxelles, par le Gouvernement de la Communauté française, assisté et représenté par Me Jérôme Sohier, avocat au barreau de Bruxelles, et par le Gouvernement wallon, assisté et représenté par Me Michel Kaiser, avocat au barreau de Bruxelles.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 8177, 8179 et 8181 du rôle de la Cour, ont été jointes.
Le Gouvernement flamand, assisté et représenté par Me Aube Wirtgen et Me Sietse Wils, avocats au barreau de Bruxelles, et par Me Stefan Sottiaux et Me Claire Buggenhoudt, avocats
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au barreau d’Anvers, a introduit un mémoire, les parties requérantes ont introduit des mémoires en réponse et le Gouvernement flamand a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 23 octobre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Michel Pâques et Yasmine Kherbache, a décidé que les affaires étaient en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et les affaires seraient mises en délibéré.
À la suite de la demande de la partie requérante dans l’affaire n° 8181 à être entendue, la Cour, par ordonnance du 20 novembre 2024, a fixé l’audience au 11 décembre 2024.
À l’audience publique du 11 décembre 2024 :
- ont comparu :
. Me Nicolas Bonbled, pour la partie requérante dans l’affaire n° 8177;
. Me Jérôme Sohier, pour la partie requérante dans l’affaire n° 8179;
. Me Michel Kaiser, pour la partie requérante dans l’affaire n° 8181;
. Me Aube Wirtgen, également loco Me Sietse Wils, et Me Stefan Sottiaux et Me Claire Buggenhoudt, pour le Gouvernement flamand;
- les juges-rapporteurs Michel Pâques et Yasmine Kherbache ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- les affaires ont été mises en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
Quant à l’objet des recours
A.1. Le recours dans l’affaire n° 8177, introduit par le Collège de la Commission communautaire française, est dirigé contre le décret-cadre flamand du 14 juillet 2023 « relatif au maintien de la réglementation flamande »
(ci-après : le décret-cadre du 14 juillet 2023).
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Le recours dans l’affaire n° 8179, introduit par le Gouvernement de la Communauté française, est dirigé contre le décret-cadre du 14 juillet 2023 et, à titre subsidiaire, contre les articles 8, 9, 10, 42, 46, 55, 68, 74, 96 et 97 de ce décret-cadre.
Le recours dans l’affaire n° 8181, introduit par le Gouvernement wallon, est dirigé contre les articles 42, 46, 68, 74 et 96, alinéa 3, du décret-cadre du 14 juillet 2023, ainsi que contre les mots « et au Collège de maintien »
dans l’article 77, alinéa 3, 3°, et les mots « le Collège de maintien » dans l’article 79, § 1er, du même décret-cadre.
Quant à la recevabilité
A.2. Le Gouvernement flamand soutient que les recours dans les affaires nos 8177, 8179 et 8181 sont irrecevables en tant qu’ils sont respectivement dirigés contre l’article 56 du décret-cadre du 14 juillet 2023, contre les articles 8, 9, 10 et 97 de ce même décret-cadre et contre les articles 77, alinéa 3, 3°, et 79, § 1er, de ce même décret-cadre, dès lors que les parties requérantes ne développent aucun moyen dans leur requête au sujet de ces dispositions.
A.3. Le Gouvernement de la Communauté française fait valoir que la requête dans l’affaire n° 8179 vise les nouvelles attributions conférées au Gouvernement flamand en ce qui concerne la nomination, l’organisation et la subvention de superviseurs pouvant être désignés parmi les membres du personnel du cadre opérationnel des services de police. La requête vise également l’article 184 de la Constitution et la compétence du législateur fédéral en matière de police, et elle fait référence aux observations formulées par la section de législation du Conseil d’État à propos d’un éventuel excès de compétence. D’une manière plus générale, les articles 8, 9, 10 et 97 du décret-
cadre du 14 juillet 2023 sont indissociablement liés aux autres articles visés dans le recours, lequel doit dès lors être déclaré recevable pour le tout.
A.4. Le Gouvernement wallon précise que le recours dans l’affaire n° 8181 est dirigé contre les articles 77, alinéa 3, 3°, et 79, § 1er, du décret-cadre du 14 juillet 2023 par souci de cohérence, parce qu’ils concernent le rôle du Collège de maintien, dans le cadre de l’extension de sa compétence par le décret-cadre du 14 juillet 2023.
L’annulation des autres dispositions attaquées entraînerait nécessairement celle de ces deux dispositions.
A.5. Le Gouvernement flamand soutient qu’en ce qui concerne la recevabilité du recours dans l’affaire n° 8179, le simple fait de citer des extraits de l’avis de la section de législation du Conseil d’État dans l’exposé des faits ne revient pas à soulever des griefs. En outre, la violation alléguée de l’article 184 de la Constitution dans le résumé du premier moyen a exclusivement trait à l’extension des compétences du Collège de maintien. Pour le surplus, la partie requérante ne peut pas étendre les moyens par son mémoire en réponse.
Quant aux moyens
En ce qui concerne le recours aux compétences implicites
A.6. La première branche du moyen unique dans l’affaire n° 8177 est prise de la violation, par le décret-
cadre du 14 juillet 2023, en ce qu’il étend la compétence du Collège de maintien, des articles 39, 160 et 161 de la Constitution, ainsi que des articles 10 et 19 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-
après : la loi spéciale du 8 août 1980).
Selon le Collège de la Commission communautaire française, le législateur décrétal flamand n’est pas compétent pour créer des juridictions administratives et il n’est nullement satisfait aux conditions de l’article 10
de la loi spéciale du 8 août 1980.
Le Collège de la Commission communautaire française renvoie aux travaux préparatoires de l’article 161 de la Constitution, dont il ressort que les entités fédérées ne peuvent pas, sur la base de leurs compétences implicites, porter atteinte aux règles relatives à la compétence du Conseil d’État ni développer elles-mêmes un réseau de tribunaux administratifs fédérés. Les entités fédérées ne peuvent pas davantage créer une juridiction administrative générale ni une juridiction qui pourrait annuler des actes réglementaires.
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Selon le Collège de la Commission communautaire française, les compétences actuelles du Collège de maintien en ce qui concerne les recours introduits contre les amendes administratives en matière d’environnement, d’aménagement du territoire, d’implantations commerciales intégrales et de patrimoine immobilier n’impliquent pas que le décret-cadre du 14 juillet 2023 est nécessaire au regard des circonstances actuelles, compte tenu de la volonté expansionniste exprimée par le législateur décrétal flamand. Par ailleurs, le fait que le décret-cadre du 14 juillet 2023 ait vocation à s’appliquer dans des domaines politiques très variés contredit l’argument du Gouvernement flamand selon lequel la matière concernée serait spécifique. En outre, la spécificité qu’entraîne l’appréciation de décisions de sanction ne justifie pas en soi la nécessité de confier les recours contre ces décisions au Collège de maintien, étant donné que la section du contentieux administratif du Conseil d’État peut statuer elle aussi sur ces décisions, le cas échéant avec un pouvoir de réformation. Enfin, les justifications avancées par le Gouvernement flamand ne sauraient justifier une extension supplémentaire des compétences du législateur décrétal flamand, dès lors que la situation a été causée par lui. Il s’ensuit que la nécessité de la mesure attaquée n’est pas établie.
Selon le Collège de la Commission communautaire française, l’empiètement sur la compétence fédérale n’est pas marginal, ce qui doit se vérifier d’un point de vue aussi bien quantitatif que qualitatif. L’objectif du décret-
cadre du 14 juillet 2023 est d’établir un nouveau cadre général à mettre en œuvre dans le plus grand nombre possible de domaines politiques, voire dans tous les domaines politiques relevant des compétences des autorités flamandes, et d’attribuer le contentieux concerné au Collège de maintien.
Le Collège de la Commission communautaire française renvoie à l’avis que la section de législation du Conseil d’État a rendu sur le premier avant-projet de décret de mise en œuvre du décret-cadre du 14 juillet 2023
(CE, avis n° 73.747/1 du 13 novembre 2023), qui réaffirme l’absence de nécessité et l’impact non marginal de la mesure attaquée.
A.7. Le Gouvernement de la Communauté française prend un premier moyen dans l’affaire n° 8179 de la violation, par le décret-cadre du 14 juillet 2023, des articles 144 à 146, 160, 161 et 184 de la Constitution, de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, ainsi que de l’excès de pouvoir.
Le Gouvernement de la Communauté française soutient, dans la première branche de son moyen, que les transferts et extensions de compétences au profit du Collège de maintien tendent à organiser un véritable contentieux administratif régional au profit des juridictions régionales flamandes en matière de sanctions administratives, et qu’ils empiètent ce faisant sur la compétence fédérale d’établir les juridictions administratives, d’en définir les attributions et de fixer les règles de procédure, ainsi que sur la compétence fédérale en matière de police.
Le Gouvernement de la Communauté française allègue, dans la seconde branche de son moyen, que l’utilisation des compétences implicites appelle une interprétation restrictive et qu’en l’espèce, les conditions de mise en œuvre de ces compétences ne sont pas réunies. Tout d’abord, la mesure n’est pas nécessaire, dès lors qu’il ne s’agit pas de créer un contrôle juridictionnel qui n’existe pas, mais de remplacer celui qui est exercé jusqu’ici par le Conseil d’État. L’argument du législateur décrétal flamand relatif au caractère unique du droit de l’exécution est contredit par la diversité des réglementations flamandes. Ensuite, la multiplication des juridictions administratives flamandes depuis 2009, leur réunion sous une coupole, ainsi que l’extension progressive des compétences de la juridiction régionale en matière de sanctions administratives au sens large ont un impact qui n’est pas marginal sur les compétences du Conseil d’État, ainsi que, plus généralement, sur la compétence de l’État fédéral. Enfin, les matières relatives aux sanctions administratives, aux juridictions administratives et au contentieux administratif ne se prêtent pas à un règlement différencié.
Le Gouvernement de la Communauté française soutient que la régionalisation des juridictions administratives par la seule Région flamande aboutit indirectement à une évolution différenciée du Conseil d’État et à une régionalisation unilatérale du contentieux administratif, laquelle ne peut être que source d’insécurité juridique pour les justiciables.
A.8. Le moyen unique dans l’affaire n° 8181 est pris de la violation des articles 39, 145, 146, 160 et 161 de la Constitution et des articles 10 et 19 de la loi spéciale du 8 août 1980.
Le Gouvernement wallon soutient que l’attribution à une juridiction administrative flamande, par le législateur décrétal flamand, d’importants pans du contentieux administratif, susceptibles de couvrir l’ensemble
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des actes administratifs en matière de sanctions administratives prises sur la base d’une réglementation flamande, quelle qu’elle soit, ne respecte pas les conditions relatives à la mise en œuvre des compétences implicites.
Le Gouvernement wallon précise que le décret-cadre du 14 juillet 2023 a été adopté en dépit d’un avis contraire de la section de législation du Conseil d’État et que le législateur décrétal flamand n’a pas répondu aux objections de celle-ci, en particulier à l’objection liée au fait que la section du contentieux administratif du Conseil d’État exerce la compétence transférée au Collège de maintien et pourrait continuer à l’exercer.
Le Gouvernement wallon ajoute que le législateur décrétal flamand ne peut pas justifier la nécessité d’étendre les compétences d’une juridiction administrative qui a déjà été créée sur la base des compétences implicites en les reliant à ses compétences antérieures, elles-mêmes admises au seul titre des compétences implicites. Cette manière de procéder conduit à vider de sa substance la compétence d’attribution du législateur fédéral et méconnaît la portée nécessairement limitée de la théorie des compétences implicites.
Selon le Gouvernement wallon, en ce qui concerne le critère de différenciation, le législateur décrétal flamand ne peut s’appuyer sur l’organisation qui découle des compétences exclusives attribuées à l’autorité fédérale par les articles 160 et 161 de la Constitution ni sur les choix opérés par la seule autorité compétente pour justifier, à son profit, le recours aux compétences implicites. L’exigence de différenciation n’est donc pas remplie.
Enfin, le Gouvernement wallon soutient que l’impact sur la compétence fédérale n’est pas marginal.
Premièrement, l’argument du maintien au Conseil d’État d’une compétence de cassation n’est pas sérieux. Il existe en effet une différence majeure entre le contentieux ordinaire de l’annulation et le contentieux extraordinaire de la cassation. Deuxièmement, l’affirmation selon laquelle le décret-cadre du 14 juillet 2023 ne transfère en soi aucune compétence, mais crée simplement la possibilité de transférer les litiges relatifs à l’exécution des règlements flamands au Collège de maintien par des décrets d’application, est à la fois hypocrite et contredite par le législateur décrétal flamand lui-même, en ce qu’il affirme vouloir engendrer un alignement complet de toutes les législations intervenant dans tous les domaines de l’action administrative, qui donneront lieu à des décisions en matière de répression administrative. Le décret-cadre du 14 juillet 2023 est un dispositif législatif appelé à se généraliser; il porte donc en germe l’augmentation future massive des compétences du Collège de maintien. Troisièmement, le volume du contentieux transféré ne saurait être quantitativement limité, compte tenu de l’étendue des domaines concernés, ce qui ressort de l’étude d’impact produite dans les travaux préparatoires. Quatrièmement, l’impact marginal doit s’apprécier au regard de l’ensemble des réformes successives tendant à constituer un vaste appareil flamand de justice administrative. Le recours aux pouvoirs implicites conduit, de manière constante, le législateur décrétal flamand à soustraire à la compétence d’une juridiction fédérale des catégories importantes de contentieux.
Ce phénomène aboutit à creuser un déséquilibre manifeste entre les chambres francophones et néerlandophones du Conseil d’État et risque de conduire à des dysfonctionnements dans la gestion et l’organisation de celui-ci, avec des conséquences négatives inéluctables pour les justiciables et les autorités administratives, essentiellement devant les chambres francophones.
A.9.1. Le Gouvernement flamand soutient que le premier moyen dans l’affaire n° 8179 est irrecevable en tant qu’il est pris de la violation des articles 144 et 184 de la Constitution, dès lors que la requête n’expose pas en quoi ces dispositions seraient violées.
A.9.2. Le Gouvernement flamand estime que les conditions relatives à la mise en œuvre de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 sont remplies.
Selon le Gouvernement flamand, l’extension de la compétence du Collège de maintien est nécessaire en vue de l’exercice efficient de ses compétences par le législateur décrétal flamand. Bien que le décret-cadre du 14 juillet 2023 soit susceptible de s’appliquer à différents secteurs, les recours juridictionnels contre les décisions de maintien qui seront prises sur la base de ce décret-cadre partagent un dénominateur commun, en ce qu’il s’agit de décisions qui ont toutes été prises conformément à ce décret-cadre et à ses exigences spécifiques (en ce qui concerne l’intégration entre la sanction et les décisions de réparation, la méthode de réparation et la méthode d’évaluation monétaire du préjudice public). Cette spécificité justifie la création d’une voie de recours auprès d’une juridiction spécialisée et la centralisation de ce contentieux. La mesure permet d’optimaliser la procédure
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juridictionnelle et de l’aligner sur la phase administrative du contentieux du maintien. La mesure est nécessaire pour assurer la clarté, l’efficacité et l’uniformité en la matière, et pour éviter un morcellement du contentieux entre les juridictions ordinaires, le Conseil d’État et le Collège de maintien.
Le Gouvernement flamand allègue que, dès lors que la création du Collège de maintien et l’attribution de compétences à celui-ci sont conformes à l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, il ne peut pas être reproché au législateur décrétal flamand de chercher une solution au morcellement des compétences en la matière, qui résulte de la création du Collège de maintien.
Le Gouvernement flamand souligne que la nécessité d’attribuer les recours au Collège de maintien était une raison suffisante pour inscrire d’ores et déjà les compétences (potentielles) du Collège de maintien dans le décret-
cadre du 14 juillet 2023 et non dans les décrets ultérieurs de mise en œuvre. Par ailleurs, une part importante du contentieux que l’autorité flamande veut attribuer au Collège de maintien ressortit déjà actuellement à la compétence de celui-ci.
Le Gouvernement flamand soutient que la mesure attaquée a une incidence marginale sur les compétences fédérales. Le décret-cadre du 14 juillet 2023 ne crée pas un système général de juridictions administratives et il ne porte pas atteinte à la compétence de cassation du Conseil d’État. Quand bien même le décret-cadre attaqué serait mis en œuvre largement, le Collège de maintien ne constituerait pas une juridiction administrative générale. Le contentieux qui lui serait transféré est un contentieux strictement délimité qui porte uniquement sur des décisions individuelles déterminées de maintien d’une réglementation flamande déterminée. Il s’agit d’un contentieux extrêmement limité sur les plans quantitatif et qualitatif. Pour le reste, les quatre juridictions flamandes existantes restent chacune compétentes pour un contentieux spécifique et elles ne forment pas un système de juridictions administratives.
En ce qui concerne l’avis de la section de législation du Conseil d’État relatif au décret flamand du 26 avril 2024 « modifiant divers décrets, en ce qui concerne la mise en œuvre du Décret-cadre Maintien flamand du 14 juillet 2023 », qui est le premier décret de mise en œuvre du décret-cadre attaqué, le Gouvernement flamand soutient que la Cour peut, dans le cadre de la présente procédure, uniquement juger si le législateur décrétal, dans le contexte du décret-cadre du 14 juillet 2023, pouvait raisonnablement arriver à la conclusion qu’en fonction de l’exercice de ses compétences matérielles, il était nécessaire d’attribuer par principe des recours déterminés contre des décisions de maintien déterminées au Collège de maintien et que l’incidence de cette mesure sur l’exercice des compétences fédérales serait marginale.
Enfin, le Gouvernement flamand estime que la matière se prête à un règlement différencié. La Communauté française, la Région wallonne et la Communauté germanophone ont déjà, elles aussi, créé des juridictions administratives dans diverses matières spécifiques. Il semble que l’argument relatif au développement asymétrique de facto de la jurisprudence administrative régionale n’est pas dirigé contre l’extension de la compétence du Collège de maintien, mais bien contre une asymétrie croissante dans la charge de travail des différents rôles linguistiques au sein du Conseil d’État. On voit mal comment un décret modificatif qui diminue la charge de travail d’une juridiction administrative fédérale, simplement pour cette raison, pourrait influer d’une manière disproportionnée sur les compétences fédérales.
A.10. Le Collège de la Commission communautaire française soutient que l’argument selon lequel la spécificité de la matière résulterait du fait que le contentieux visé concerne l’exécution de la réglementation flamande est inadmissible, dans la mesure où il pourrait être transposé à toutes les matières qui relèvent de la compétence flamande. Admettre cette thèse aurait pour effet que les juridictions fédérales ne seraient plus compétentes que pour les matières qui relèvent de la compétence fédérale, ce qui n’est pas acceptable.
Le Collège de la Commission communautaire française fait valoir que le législateur décrétal ne peut s’appuyer sur la fragmentation qu’il évoque dans la mesure où il est lui-même à l’origine de cette situation, laquelle résulte d’un recours critiquable aux pouvoirs implicites. Par ailleurs, l’objectif de mettre fin à la fragmentation des voies de recours ne justifie pas le transfert de l’ensemble du contentieux à une juridiction administrative créée de toutes pièces. Ensuite, il ressort clairement de l’avis de la section de législation du Conseil d’État relatif au décret-
cadre attaqué que la condition de nécessité n’est pas rencontrée en l’espèce. Enfin, les soucis de qualité, d’uniformité, de clarté, de rapidité et d’efficacité sont des motifs d’une telle généralité qu’ils pourraient justifier tout empiètement sur les compétences fédérales.
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A.11. Le Gouvernement de la Communauté française relève qu’en ce qui concerne l’argument d’efficacité invoqué par le Gouvernement flamand, le Conseil d’État dispose déjà d’une expertise, les dossiers concernés relevant d’une chambre spécialisée. Ensuite, puisque le Conseil d’État reste compétent comme juge de cassation, la mesure attaquée n’est pas de nature à assurer une centralisation ou une uniformité qui renforcerait la sécurité juridique. La multiplication des juridictions compétentes pour traiter des contentieux particuliers – qui reste actuelle, compte tenu du maintien de la compétence du Conseil d’État comme juge de cassation – diminue naturellement la sécurité juridique des justiciables, en ce qui concerne tant l’identification du juge administratif que le respect des délais et des procédures applicables.
Selon le Gouvernement de la Communauté française, un décret-cadre ayant vocation à s’appliquer dans des domaines très variés liés à l’action administrative des autorités régionales n’a assurément pas une incidence marginale sur la répartition des compétences juridictionnelles, compte tenu par ailleurs de l’effet cumulé des décrets flamands antérieurs.
A.12. Le Gouvernement wallon insiste sur le fait que les régions ne sont en principe pas compétentes pour créer des juridictions en vue de la mise en œuvre de leurs compétences.
Le Gouvernement wallon fait valoir qu’il ne s’agit pas seulement de « centraliser » les litiges, ni de simplement rationaliser un contentieux pour lequel le Collège de maintien serait déjà compétent. Le décret-cadre attaqué a pour objet d’attribuer de nouvelles compétences substantielles au Collège. Une législation-cadre, susceptible d’être appliquée à des domaines politiques très variés et dont l’objectif affiché est qu’elle soit rendue applicable à l’ensemble des domaines de l’action administrative des autorités flamandes, ne constitue pas la mesure « la moins attentatoire possible » exigée pour la mise en œuvre des compétences implicites. En outre, admettre l’utilisation des pouvoirs implicites pour espérer accélérer la justice administrative, aux fins d’assurer l’unité de la jurisprudence flamande, revient à empiéter inutilement sur les pouvoirs de l’autorité fédérale, au risque au surplus de créer des dysfonctionnements et des dissonances dont les justiciables subiront les préjudices.
Le Gouvernement wallon souligne que l’extension des compétences du Collège de maintien a pour effet de priver le Conseil d’État de sa compétence principale d’annulation. La compétence du Conseil d’État en matière de cassation administrative concerne un contentieux spécifique et limité quant au périmètre et au mode de contrôle et quant au nombre de dossiers qui sont concrètement portés devant lui par rapport au contentieux de l’annulation.
Selon le Gouvernement wallon, l’initiative flamande transforme le Conseil d’État en juridiction de cassation pour tout le contentieux de l’exécution et de la répression administrative en Flandre, avec pour conséquence que le législateur flamand est en voie de mettre en place un système général de tribunaux administratifs, ce qui n’est pas admissible.
A.13.1. Le Gouvernement flamand soutient que l’attribution de compétences limitées au Collège de maintien (environnemental), qui a eu lieu dans un premier temps, ne fait pas obstacle à ce que le législateur décrétal flamand constate par la suite la nécessité d’attribuer un plus grand nombre de compétences à ce Collège, pour des raisons d’uniformité, de clarté et de sécurité juridique. Une telle attribution de compétence n’a du reste pas pour effet de mettre en place un système de juridictions administratives flamandes, ni un Conseil d’État flamand.
Le Gouvernement flamand souligne que l’incidence quantitative du transfert de compétences sera limitée en pratique, ce qui ressort déjà de l’estimation concrète du nombre de recours (environ 30 par an) dont le Collège de maintien pourrait connaître en application du décret du 26 avril 2024, précité, qui est le premier décret de mise en œuvre du décret-cadre attaqué dans les secteurs de l’environnement, de l’économie et du tourisme.
En ce qui concerne la nécessité de la mesure, le Gouvernement flamand allègue que le législateur décrétal ne peut optimaliser la procédure juridictionnelle et l’aligner sur la phase administrative que si les compétences sont attribuées à une juridiction administrative flamande.
Le Gouvernement flamand souligne que le contentieux du maintien flamand n’est pas traité par une chambre unique et spécialisée de la section du contentieux administratif du Conseil d’État. Si le contentieux concerné relevait entièrement du Conseil d’État, le maintien de la réglementation flamande y serait traité par au moins trois
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chambres différentes, en fonction de la matière concernée. Pour le reste, si, comme le suggère le Gouvernement wallon, le Collège de maintien ne devait exercer ses compétences que de manière subsidiaire par rapport au Conseil d’État, c’est-à-dire dans le cadre d’une procédure en deux instances où le Collège de maintien puis le Conseil d’État pourraient exercer chacun un contrôle complet, l’objectif d’une jurisprudence efficiente et rapide serait compromis.
Le Gouvernement flamand rappelle que le décret-cadre du 14 juillet 2023 ne crée pas une nouvelle juridiction administrative et ne contribue donc pas à une augmentation du nombre de juridictions compétentes pour le traitement d’un contentieux déterminé. En outre, l’article II.21, alinéa 1er, du décret flamand de gouvernance du 7 décembre 2018 impose d’indiquer la juridiction compétente et les délais applicables dans les décisions administratives à portée individuelle. Il n’est donc pas question de la moindre insécurité juridique.
Le Gouvernement flamand soutient enfin que l’attribution des recours juridictionnels au Collège de maintien directement dans le décret-cadre, plutôt que dans les décrets de mise en œuvre, bénéficie au justiciable, qui ne doit pas vérifier décret par décret quelle juridiction est compétente et quels sont les délais pour introduire un recours.
A.13.2. Le Gouvernement flamand allègue que la possibilité de désigner des membres du personnel du cadre opérationnel de la police comme superviseur – à supposer que cette critique soit recevable, quod non – ne viole pas les règles répartitrices de compétences. Dès lors que le législateur décrétal juge nécessaire d’impliquer la police dans le maintien administratif de la réglementation flamande, la mesure est nécessaire à l’exercice de ses compétences par le législateur décrétal. Ensuite, l’incidence sur la matière fédérale est marginale. L’article 8, § 2, alinéa 1er, 5°, du décret-cadre du 14 juillet 2023 permet aux services de police de désigner volontairement et en connaissance de cause des agents déterminés comme superviseurs. Il peut être mis fin à cette désignation à n’importe quel moment. Quant à l’article 97 du même décret-cadre, qui prévoit que les membres du personnel du cadre opérationnel des services de police sont superviseurs de plein droit, il convient de relever qu’il fait partie des dispositions complémentaires du décret-cadre, qui ne sont applicables que lorsque la réglementation de mise en œuvre le prévoit expressément. Par ailleurs, l’article 37 du décret-cadre, qui permet à l’instance verbalisante de demander aux superviseurs compétents d’effectuer tous les actes de recherche nécessaires, ne s’applique pas à ces superviseurs de plein droit. La police ne peut donc jamais être obligée d’exercer effectivement les compétences ainsi conférées.
A.13.3. Selon le Gouvernement flamand, la possibilité de subventionner la désignation en tant que superviseur et de soutenir la formation et l’éducation permanente des superviseurs qui sont désignés parmi les membres du personnel du cadre opérationnel de la police (article 8, § 3, alinéa 2, du décret-cadre du 14 juillet 2023) – à supposer ici encore que cette critique soit recevable, quod non – ne viole pas davantage la répartition des compétences. Le Gouvernement flamand peut soutenir la police dans sa mission relative au maintien de la réglementation flamande sur le plan financier. En réponse à l’avis de la section de législation du Conseil d’État, la disposition concernée a été reformulée pour qu’il soit bien clair qu’il ne s’agit pas de financer la désignation d’agents de police complémentaires. Pour le reste, la mesure satisfait aux conditions des compétences implicites.
Il y a à cet égard lieu de souligner que la loi du 7 décembre 1998 « organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux » prévoit que les entités fédérées peuvent faire des contributions volontaires en la matière.
En ce qui concerne le respect du principe de la loyauté fédérale
A.14. Le moyen unique, en sa seconde branche, dans l’affaire n° 8177 est pris, à titre subsidiaire, de la violation, par le décret-cadre du 14 juillet 2023, de l’article 143 de la Constitution, du principe de la loyauté fédérale, du principe de proportionnalité, de l’obligation de coopération et des articles 10 et 11 de la Constitution.
Selon le Collège de la Commission communautaire française, par le décret-cadre attaqué, le législateur décrétal flamand empêche le législateur fédéral d’exercer sa compétence, ou à tout le moins rend l’exercice de celle-ci exagérément difficile. Le Collège de la Commission communautaire française renvoie à son argumentation précédente selon laquelle la condition de nécessité du recours aux compétences implicites n’est pas rencontrée. La même conclusion s’impose enfin au départ du constat du défaut, de la part du législateur décrétal flamand, de toute initiative ou mesure de coopération avec l’autorité fédérale, voire de consultation préalable, de concertation ou de
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demande d’avis quelconque en l’espèce. Vu l’extension progressive des compétences juridictionnelles du Collège de maintien, les compétences sont devenues à ce point imbriquées qu’elles ne peuvent plus être exercées sans coopération.
A.15. Le Gouvernement de la Communauté française prend un second moyen dans l’affaire n° 8179 de la violation, par le décret-cadre du 14 juillet 2023, de l’article 143 de la Constitution et du principe général de la loyauté fédérale, ainsi que de l’excès de pouvoir.
Selon le Gouvernement de la Communauté française, la création unilatérale de juridictions administratives par la Région flamande depuis 2009 et en particulier l’augmentation substantielle de leurs compétences par le décret-cadre du 14 juillet 2023 viole les principes de la loyauté fédérale et de fair-play. La Région flamande aurait dû faire valoir sa position au sein des institutions bilingues fédérales pour organiser un tel contentieux administratif régional.
A.16. Le Gouvernement flamand soutient que le principe de loyauté fédérale n’est pas violé. Les parties requérantes ne démontrent pas concrètement en quoi le décret-cadre du 14 juillet 2023 rendrait impossible ou exagérément difficile l’exercice de ses compétences par l’autorité fédérale. Le fait que le décret-cadre du 14 juillet 2023 puisse avoir une incidence directe ou indirecte sur la politique de l’autorité fédérale ne suffit pas pour conclure que le législateur décrétal flamand aurait violé le principe de la loyauté fédérale.
A.17. Le Collège de la Commission communautaire française soutient que, dès lors que le décret-cadre du 14 juillet 2023 a pour objet de soustraire, de manière unilatérale et sans aucune concertation préalable avec l’autorité compétente, l’ensemble du contentieux lié à l’exécution de la réglementation flamande des compétences des juridictions fédérales, le décret-cadre entrave directement la compétence fédérale en matière de justice administrative.
A.18. Le Gouvernement de la Communauté française précise que la Cour est invitée à opérer un contrôle de droit lorsqu’elle vérifie le respect du principe de la loyauté fédérale. Tout moyen pris d’une violation de ce principe ne constitue pas un argument d’opportunité.
-B-
Quant au décret-cadre attaqué et à son contexte
B.1. Le Collège de la Commission communautaire française, le Gouvernement de la Communauté française et le Gouvernement wallon demandent l’annulation, en tout ou en partie, du décret-cadre flamand du 14 juillet 2023 « relatif au maintien de la réglementation flamande » (ci-après : le décret-cadre du 14 juillet 2023).
B.2.1. L’exposé des motifs du décret-cadre du 14 juillet 2023 mentionne :
« Ce projet établit un nouveau cadre général en matière de maintien de la réglementation flamande, intitulé ‘ décret-cadre relatif au maintien de la réglementation flamande ’. Par sa mise en œuvre dans le plus grand nombre possible de domaines politiques, ce décret est censé aboutir à une harmonisation des règles flamandes en matière de maintien.
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Le décret-cadre s’inscrit dans le prolongement du ‘ décret-cadre relatif au maintien administratif ’ adopté sous la précédente législature, texte qui poursuivait la même ambition, mais n’est pas parvenu à la concrétiser parfaitement. Après évaluation minutieuse du document dont il prend le relais, le nouveau décret-cadre opte pour une simplification du texte, une diminution des titres de fonction et une structuration plus logique. Il prévoit en outre un régime type de mesures de réparation et de sécurité et pose les jalons de la numérisation de la politique flamande de maintien, autant d’éléments qui étaient encore absents dans l’ancien décret-cadre.
La numérisation assure un échange d’informations efficace et sûr entre acteurs de ce domaine politique et permet de communiquer avec le citoyen de manière moderne et uniformisée.
Les instruments de ce décret n’ont pas tous une visée répressive, tant s’en faut. Le nouveau décret-cadre mise sur la médiation et l’incitation à la réparation volontaire, dans un cadre qui laisse suffisamment de latitude pour des solutions taillées sur mesure. Il permet ainsi une mise en œuvre de la politique de maintien qui tient compte du caractère raisonnable que l’on est en droit d’attendre d’une autorité dans une société démocratique » (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1724/1, p. 3).
B.2.2. Le décret-cadre du 14 juillet 2023 instaure un nouveau cadre général pour le maintien de la réglementation flamande. Il s’inscrit dans le prolongement du décret-cadre flamand du 22 mars 2019 « relatif au maintien administratif », qu’il remplace.
L’idée est de créer un cadre commun qui puisse servir dans le plus grand nombre possible de domaines politiques relevant des compétences communautaires ou régionales.
L’article 3 du décret-cadre du 14 juillet 2023 met en place un régime « opt in », en ce sens que le décret-cadre est applicable en tout ou en partie à la réglementation flamande si un décret ou un arrêté du Gouvernement flamand, selon le cas, le prévoit, et dans les conditions fixées par ce décret ou cet arrêté, à l’exception des articles 25, 26 et 84 du nouveau décret-cadre, qui s’appliquent d’ores et déjà à l’ensemble de la réglementation flamande.
B.2.3. Le décret-cadre du 14 juillet 2023 porte à la fois sur la supervision de la réglementation et la recherche des infractions, sur les sanctions administratives, sur la réparation et sur la sécurité. Il concerne tant le maintien administratif que le maintien juridictionnel (ibid., p. 5). Par ailleurs, ce n’est plus le Conseil d’État mais le Collège de maintien flamand qui est désigné comme la juridiction de référence pour assurer le contrôle juridictionnel sur les sanctions administratives et les décisions de réparation (ibid., p. 6).
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Il est ainsi prévu que le Collège de maintien est compétent pour connaître de recours introduits contre une décision d’infliger une sanction administrative (articles 42 et 46 du décret-
cadre du 14 juillet 2023), contre une décision relative à une réparation administrative (article 55) et contre une décision de sécurité administrative (article 68). Il connaît également des recours introduits par des tiers dont les intérêts légitimes sont lésés par les décisions administratives de réparation ou de sécurité et par les mesures de réparation amiables (article 74).
Dans le cadre de ces compétences, le Collège de maintien a accès au registre des sanctions administratives (articles 77, alinéa 3, 1° et 3°, et 79, § 1er, du décret-cadre du 14 juillet 2023).
B.2.4. En ce qui concerne la compétence du Collège de maintien pour connaître des recours prévus par le nouveau décret-cadre, les travaux préparatoires mentionnent :
« Article 42 – Recours juridictionnel de référence auprès du Collège de maintien
Le décret-cadre du 22 mars 2019 ‘ relatif au maintien administratif ’ (ci-après : le décret-
cadre du 22 mars 2019) prévoyait un recours juridictionnel auprès du Conseil d’État, qui pouvait statuer en pleine juridiction. Le décret-cadre du 14 juillet 2023 ‘ relatif au maintien de la réglementation flamande ’ choisit de confier, en principe, la protection juridictionnelle contre les décisions administratives de sanction et de réparation qu’il prévoit à une unique juridiction administrative spécialisée, à savoir le Collège (flamand) de maintien.
L’actuel Collège de maintien a été créé pour succéder à l’ancien ‘ Collège de maintien environnemental ’ (Milieuhandhavingscollege). Contrairement à ce qui est le cas pour le Conseil pour les contestations des autorisations, le Collège de maintien environnemental n’a jamais fait l’objet d’un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle. Alors que, dans son avis sur le décret relatif au maintien environnemental, la section de législation du Conseil d’État estimait encore que les conditions de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980) n’étaient pas remplies, elle semble avoir abandonné cette position après que la Cour a rendu l’arrêt du 27 janvier 2011.
Dans son avis sur le décret du 25 avril 2014 ‘ concernant le maintien du permis d’environnement ’, le Conseil d’État a estimé qu’à la lumière de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, il n’était ‘ pas problématique ’ que la compétence du Collège de maintien environnemental soit étendue aux recours dirigés contre les décisions relatives à l’infliction d’amendes administratives pour les délits et infractions en matière d’urbanisme ni que, dans la foulée, cette instance change de nom pour devenir le ‘ Handhavingscollege ’ (Collège de maintien).
L’extension de compétence de cette même juridiction aux recours dirigés contre des décisions relatives à l’infliction d’amendes administratives pour les infractions et délits au sens du décret du 12 juillet 2013 ‘ relatif au patrimoine immobilier ’ opérée par le décret du 4 mai
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2016 ‘ modifiant divers décrets en conséquence de l’intégration des tâches de l’agence ‘‘ Inspectie RWO ’’ (Inspection de l’Aménagement du Territoire, de la Politique du Logement et du Patrimoine Immobilier) dans le Département de l’Environnement, de la Nature et de l’Energie et dans l’agence ‘‘ Wonen-Vlaanderen ’’ (Logement-Flandre), ainsi que concernant les fonds budgétaires et d’autres adaptations techniques ’ (ci-après : le décret du 4 mai 2016)
n’a même pas été commentée sous l’angle de la répartition des compétences.
Une troisième extension des compétences, plus particulièrement en ce qui concerne les recours contre les amendes administratives et les dessaisissements d’avantages, imposés dans le cadre du décret du 15 juillet 2016 ‘ relatif à la politique d’implantation commerciale intégrale ’, a bien fait l’objet d’un commentaire critique, mais en lien avec l’absence totale de justification quant à l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 dans l’exposé relatif au projet.
Il ressort toutefois de l’avis relatif au décret du 4 mai 2016 qu’une telle justification réside déjà dans le seul constat que ‘ tant le décret relatif au maintien environnemental que le décret du 25 avril 2014 concernant le maintien du permis d’environnement confèrent le contrôle juridictionnel des décisions relatives aux amendes administratives exclusives et alternatives au Collège de maintien ’.
L’article 161 de la Constitution dispose qu’aucune juridiction administrative ne peut être établie qu’en vertu d’une loi. En d’autres termes, c’est le législateur fédéral qui est en principe compétent pour établir des juridictions administratives et pour régler les compétences de ces juridictions et la procédure devant celles-ci. Cette réserve fédérale n’empêche toutefois pas les communautés et les régions d’exercer cette compétence s’il est satisfait aux conditions d’application du mécanisme des pouvoirs implicites contenu dans l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980. En cas d’extension des compétences d’une juridiction administrative existante aussi, il doit être satisfait aux conditions d’application de cet article.
Le présent projet de décret-cadre vise à recourir à l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 pour étendre les compétences du Collège de maintien. Dans le contexte du décret-cadre du 14 juillet 2023 comme cadre flamand unifié des règles afférentes au maintien, il est logique que le Collège de maintien, qui est déjà compétent pour trois secteurs du droit de l’environnement, devienne un ‘ Collège flamand de maintien ’, compétent pour tous les recours contre les décisions administratives de maintien prévues par le présent décret en ce qui concerne les sanctions et les réparations. Ces recours ne concernent que des décisions individuelles, avec le Conseil d’État comme juge de cassation.
Pour pouvoir faire usage de l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, il y a donc lieu de satisfaire aux conditions d’application de cette disposition développées dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Le législateur décrétal flamand peut, sur la base de pouvoirs implicites, confier des contentieux supplémentaires au Collège de maintien, si les conditions suivantes sont réunies : (1) le transfert de compétences ou l’exercice de compétences par une autre entité fédérée doit être nécessaire à l’exercice de ses propres compétences; (2) la matière transférée doit se prêter à un régime différencié et (3) l’incidence sur la compétence de l’autorité dont les compétences sont exercées doit être marginale.
Les passages suivants expliquent en quoi ces conditions sont concrètement remplies.
Il ressort de l’avis, motivé de manière plus circonstanciée, accompagnant le décret du 24 février 2017 ‘ relatif à l’expropriation d’utilité publique ’ que :
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1) en ce qui concerne le critère de la nécessité, il suffit que les litiges relatifs à la régularité objective des décisions publiques concernées présentent une certaine spécificité;
2) le critère selon lequel la matière doit se prêter à un régime différencié est par définition rempli, eu égard aux exceptions à la compétence générale du Conseil d’État qui existent également au niveau fédéral;
3) le critère de l’incidence marginale est rempli lorsqu’il ne s’agit que de décisions administratives individuelles et que le Conseil d’État demeure compétent comme juridiction de cassation.
(1) L’appréciation de décisions de sanction comporte indéniablement ‘ une certaine spécificité ’. Cela ressort d’emblée du fait que l’article 44 du décret du 4 avril 2014 ‘ relatif à l’organisation et à la procédure de certaines juridictions administratives flamandes ’ confère au Collège de maintien, comme unique juridiction administrative, le pouvoir de ‘ prendre [lui-
même, après l’annulation totale ou partielle,] une décision quant au montant de l’amende et, le cas échéant, sur le dessaisissement d’avantage, et décider que sa décision à ce sujet remplace la décision annulée ’. Selon la Cour constitutionnelle, cette compétence s’explique par le fait que ‘ la prise de décisions de sanction ou le contrôle de celles-ci font partie de l’essence même des missions juridictionnelles en matière d’application de la réglementation ’.
Le décret-cadre du 14 juillet 2023 (comme le décret-cadre du 22 mars 2019) prévoit un contrôle juridictionnel de pleine juridiction, et donc un pouvoir de réformation, tant en ce qui concerne les décisions de sanction qu’en ce qui concerne les décisions de réparation. Ces décisions partagent le même fondement, à savoir la contribution coupable du contrevenant à l’infraction ou au délit, et apparaîtront de plus en plus souvent, dans le contexte du décret-cadre du 14 juillet 2023, dans une décision formelle unique, comme étant le produit d’une procédure de sanction et de réparation administrative intégrée au sens de l’article 57 du décret-cadre du 14 juillet 2023. Il convient d’éviter que le contrôle juridictionnel de ces décisions intégrées (ou à tout le moins connexes) soit réparti entre plusieurs juridictions.
Le contrôle des mesures de réparation administratives au regard de la méthodologie de réparation contenue dans l’article 48, §§ 1er et 2, et l’évaluation monétaire des dommages publics aussi exigent des appréciations qui sont spécifiques à la réglementation flamande contenue dans le décret-cadre du 14 juillet 2023 et qui exigent un degré élevé de spécialisation.
La généralisation de la compétence du Collège de maintien à tous les recours dirigés contre des décisions administratives de sanction et de réparation, prises sur la base des procédures unifiées contenues dans le décret-cadre du 14 juillet 2023, ne se heurte donc pas à des objections constitutionnelles. Dès lors que ce contentieux administratif est confié à une seule et même juridiction administrative spécialisée, la qualité, l’uniformité, la clarté et l’efficacité de la protection juridique contre les décisions administratives de maintien seront considérablement renforcées. Désormais, il n’y aura plus qu’une juridiction administrative compétente pour tous les recours qui relèvent du contentieux du maintien de la réglementation flamande. Cela contribuera non seulement à une plus grande simplicité des procédures pour le justiciable, mais aussi à une formation efficace et unifiée du droit du maintien dans les matières flamandes, avec le Collège de maintien comme organe juridictionnel central. Ce choix n’affecte par ailleurs pas le contrôle juridictionnel du maintien judiciaire.
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(2) En outre, la création de juridictions administratives spécifiques (et, par conséquent, l’extension de leur pouvoir juridictionnel) se prête à une différenciation, dès lors qu’il existe déjà, au niveau fédéral, des exceptions à la compétence générale du Conseil d’État comme juridiction administrative (voy., par exemple, le Conseil du contentieux des étrangers). Le Conseil d’État, section du contentieux administratif, ne se prononce en effet sur les recours en annulation d’actes et règlements que dans la mesure où aucun recours n’est ouvert devant une autre juridiction administrative (article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973).
L’extension de la compétence du Collège de maintien à tous les recours dirigés contre les décisions administratives de maintien en matière de sanctions et réparations en lien avec les réglementations flamandes pour lesquelles le décret-cadre du 14 juillet 2023 est mis en œuvre se prête dès lors à un régime différencié.
(3) Enfin, l’attribution de principe au Collège de maintien du contentieux, au contenu délimité, des décisions administratives flamandes de maintien, prévue par le décret-cadre en question, n’a qu’une incidence marginale sur l’ordonnancement juridictionnel fédéral. Tout d’abord, le Conseil d’État, section du contentieux administratif, demeure compétent comme juridiction de cassation en ce qui concerne les décisions du Collège de maintien. Au demeurant, la Cour constitutionnelle aussi considère que le maintien du pouvoir de cassation est un facteur important (voire nécessaire) dans l’appréciation de l’incidence marginale sur les compétences fédérales.
Par ailleurs, le Collège de maintien ne devient effectivement la juridiction administrative compétente qu’après la mise en œuvre du décret-cadre du 14 juillet 2023 pour certaines réglementations flamandes. Le décret-cadre du 14 juillet 2023 en soi ne transfère aucune compétence, mais crée simplement la possibilité de transférer au Collège de maintien des compétences relatives aux litiges en matière de maintien de la réglementation flamande, par le biais de décrets de mise en œuvre. En outre, le contenu du contentieux du maintien est de toute manière particulièrement délimité, ce qui montre également l’incidence marginale sur les compétences du Conseil d’État. Dans la pratique, même après plusieurs décrets de mise en œuvre, seul un nombre limité et délimité de dossiers de maintien seront soustraits à la juridiction du Conseil d’État. L’attribution de principe du contentieux en cause au Collège de maintien a dès lors une incidence marginale sur les compétences du Conseil d’État, qui demeure en outre compétent pour statuer en cassation sur la matière concernée.
Partant, le législateur décrétal flamand peut, sur la base des pouvoirs implicites, confier ce contentieux supplémentaire au Collège de maintien.
En réponse à ce qui est dit dans l’avis du Conseil d’État selon lequel le caractère limité de l’incidence sur les compétences de l’autorité fédérale ne peut être apprécié qu’au moment où le décret-cadre du 14 juillet 2023 est déclaré applicable à des réglementations sectorielles flamandes spécifiques, conformément à l’article 3, il est souligné que le contentieux du maintien transféré est en tout état de cause délimité et restreint et qu’il est caractérisé par une certaine spécificité. De cette spécificité du contentieux délimité en question – qui n’est pas niée dans l’avis du Conseil d’État –, il peut être déduit que l’incidence sur les compétences de l’autorité fédérale est limitée qualitativement. Par ailleurs, le caractère marginal quantitativement du transfert du contentieux du maintien découle à son tour de sa comparaison avec l’ensemble du contentieux pour lequel la section du contentieux administratif du Conseil d’État est compétente.
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Contrairement à ce qui est dit dans l’avis du Conseil d’État, le but de l’actuelle initiative décrétale répond précisément à la spécificité du droit (flamand) du maintien qui résulte des nouveautés prévues dans le décret-cadre du 14 juillet 2023. L’avis indique à juste titre que cette spécificité ne fait pas obstacle à une procédure uniforme devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État. La diversité des secteurs concernés non plus ne fait pas obstacle à ce que les recours juridictionnels introduits dans le cadre de litiges relatifs au maintien dans des secteurs différents soient examinés par une même juridiction administrative. Toutefois, ce qui vaut pour une juridiction administrative fédérale vaut également pour une juridiction administrative d’une entité fédérée.
La spécificité du droit du maintien ne s’oppose donc pas à un transfert intersectoriel à une juridiction administrative flamande, à savoir le Collège de maintien. Ceci est d’autant plus vrai que, lors de la mise en œuvre du décret-cadre du 14 juillet 2023, tous les mécanismes de maintien des décrets et réglementations flamands seront (ou pourront être) déclarés applicables, de manière parallèle et instrumentale, à divers secteurs politiques qui relèvent de la compétence matérielle de la Communauté flamande et de la Région flamande. Le législateur décrétal entend en effet expressément harmoniser et garantir autant que possible le maintien de la réglementation flamande par la voie administrative, c’est-à-dire, notamment, par le biais de mesures et d’amendes administratives. Dans le prolongement de l’uniformisation précitée, il est dès lors nécessaire de mieux aligner également les procédures juridictionnelles sur la phase de maintien administrative modernisée (et en grande partie harmonisée) prévue dans le décret-
cadre du 14 juillet 2023 et qui peut être organisée de manière autonome par les différentes entités fédérées. Enfin, le maintien administratif est étroitement lié à la compétence (administrative) matérielle ou de fond que les entités fédérées peuvent exercer et qui va aussi de pair avec le développement d’un droit administratif des entités fédérées. Un lien explicite avec la compétence matérielle de l’entité fédérée subsiste par conséquent pleinement dans le cas présent. Enfin, il n’est pas manifestement déraisonnable de prévoir l’attribution des recours juridictionnels au Collège de maintien dans le décret-cadre du 14 juillet 2023 lui-même et non dans les décrets de mise en œuvre distincts qui rendront le décret-cadre du 14 juillet 2023
applicable à tel ou tel secteur. Dans cette dernière hypothèse, le justiciable devrait en effet systématiquement identifier, dans chaque décret, le juge (administratif) compétent et les délais des recours juridictionnels, alors que la phase administrative préliminaire serait réglée de manière harmonisée dans le décret-cadre du 14 juillet 2023. L’uniformité, la clarté et la sécurité juridique (de la protection juridique) du maintien administratif que le décret-cadre du 14 juillet 2023 entend créer s’en trouveront renforcées.
Tous les éléments précités démontrent donc non seulement le caractère souhaitable mais aussi la nécessité des transferts sectoriels (potentiels) du contentieux juridictionnel du maintien dans le cadre des compétences matérielles de la Communauté flamande et de la Région flamande » (ibid., pp. 49 à 54).
B.2.5. Le décret-cadre du 14 juillet 2023 contient également plusieurs dispositions relatives aux superviseurs, compétents pour la supervision de la réglementation flamande et pour la recherche de délits et d’infractions (voy. les articles 8 à 24 du décret-cadre).
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Quant à la recevabilité
B.3. Le Gouvernement flamand soutient que les recours dans les affaires nos 8177, 8179 et 8181 sont irrecevables en tant qu’ils sont respectivement dirigés contre l’article 56 du décret-
cadre du 14 juillet 2023, contre les articles 8, 9, 10 et 97 de ce même décret-cadre, et contre les articles 77, alinéa 3, 3°, et 79, § 1er, de ce même décret-cadre, dès lors que les parties requérantes ne développent aucun moyen dans leur requête au sujet de ces dispositions.
B.4.1. En vertu de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la requête doit contenir un exposé des moyens. Cet exposé doit être clair et univoque. Aussi, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions. Ces exigences sont dictées, d’une part, par la nécessité pour la Cour d’être à même de déterminer, dès le dépôt de la requête, la portée exacte du recours en annulation et, d’autre part, par le souci d’offrir aux autres parties au procès la possibilité de répliquer aux arguments des parties requérantes.
B.4.2. Les griefs développés dans les requêtes concernent exclusivement l’extension des compétences du Collège de maintien prévue par le décret-cadre du 14 juillet 2023.
En ce qui concerne plus particulièrement le recours dans l’affaire n° 8179, certes, le Gouvernement de la Communauté française expose dans sa requête que le décret-cadre attaqué viole l’article 184 de la Constitution, qui réserve la matière de la police au législateur fédéral, mais le moyen concerné et ses développements visent uniquement l’extension des compétences du Collège de maintien.
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La simple citation d’un extrait critique d’un avis de la section de législation du Conseil d’État, dans la partie de la requête relative aux faits et aux antécédents de la procédure, ne saurait tenir lieu d’exposé du moyen au sens de l’article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989.
B.4.3. Les recours sont recevables uniquement en tant qu’ils sont dirigés contre les dispositions du décret-cadre du 14 juillet 2023 qui concernent l’extension des compétences du Collège de maintien. Les recours sont irrecevables pour le surplus.
Quant au fond
En ce qui concerne le recours aux compétences implicites
B.5. Le Collège de la Commission communautaire française, le Gouvernement de la Communauté française et le Gouvernement wallon soutiennent que le décret-cadre du 14 juillet 2023, en ce qu’il étend les compétences du Collège de maintien pour connaître d’une série de recours en matière de maintien de la réglementation flamande, empiète sur la compétence du législateur fédéral d’établir des juridictions administratives et d’en fixer les attributions, et qu’il n’est pas satisfait aux conditions prévues par l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980) en ce qui concerne le recours aux compétences implicites (première branche du moyen unique dans l’affaire n° 8177; premier moyen dans l’affaire n° 8179; moyen unique dans l’affaire n° 8181).
B.6. L’article 161 de la Constitution réserve au législateur fédéral la compétence d’établir des juridictions administratives, de définir leurs attributions et de fixer les règles de procédure qui sont applicables devant elles.
B.7. En ce que le décret-cadre du 14 juillet 2023 prévoit la possibilité d’introduire plusieurs recours devant le Collège de maintien, qui est une juridiction administrative, le législateur décrétal n’est, en principe, pas compétent pour adopter les dispositions concernées.
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B.8. L’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 autorise cependant le législateur décrétal à prendre un décret réglant une matière fédérale, pour autant que cette disposition soit nécessaire à l’exercice de ses compétences, que cette matière se prête à un règlement différencié et que l’incidence de ce décret sur la matière fédérale ne soit que marginale.
B.9. Il ressort des travaux préparatoires des articles 160 et 161 de la Constitution que le recours, par les entités fédérées, aux compétences implicites ne leur permet pas de « mettre au point un système général de juridictions administratives, voire [de] créer une juridiction administrative générale » (Doc. parl., Sénat, S.E. 1991-1992, n° 100-48/2°, p. 11). Seule la création de juridictions administratives « spécifiques » est possible dans ce cadre (ibid.).
B.10. Le Collège de maintien trouve son origine dans le Collège de maintien environnemental, qui a été créé par le décret de la Région flamande du 21 décembre 2007
« complétant le décret du 5 avril 1995 contenant des dispositions générales concernant la politique de l’environnement par un titre XVI ‘ Contrôle, maintien et mesures de sécurité ’ ».
Au départ, ce Collège était compétent pour connaître, en tant que juridiction, de recours contre des décisions relatives à des sanctions administratives en matière d’environnement.
Le Collège de maintien environnemental a été renommé « Collège de maintien » et sa compétence a été progressivement étendue aux recours dirigés contre des décisions relatives à des sanctions administratives en matière d’urbanisme (décret de la Région flamande du 25 avril 2014 « concernant le maintien du permis d’environnement »), de patrimoine immobilier (décret de la Région flamande du 4 mai 2016 « modifiant divers décrets en conséquence de l’intégration des tâches de l’agence ‘ Inspectie RWO ’ (Inspection de l’Aménagement du Territoire, de la Politique du Logement et du Patrimoine Immobilier) dans le Département de l’Environnement, de la Nature et de l’Énergie et dans l’agence ‘ Wonen-Vlaanderen ’ (Logement-Flandre), ainsi que concernant les fonds budgétaires et d’autres adaptations techniques ») et, enfin, de politique d’implantation commerciale intégrale (décret de la Région flamande du 15 juillet 2016 « relatif à la politique d’implantation commerciale intégrale »).
B.11. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.2.4 que le législateur décrétal a jugé nécessaire d’étendre les compétences du Collège de maintien en vue de le rendre compétent
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pour tous les recours dirigés contre les décisions administratives de maintien prévues par le décret-cadre du 14 juillet 2023.
L’intention du législateur décrétal est que le décret-cadre du 14 juillet 2023, bien qu’il repose sur un système « opt in », comme il est dit en B.2.2, s’applique entièrement ou partiellement au plus grand nombre possible de domaines politiques pour lesquels la Communauté flamande et la Région flamande sont compétentes.
Selon l’exposé des motifs, les litiges concernés se caractérisent par une certaine spécificité, en ce qu’ils portent sur des décisions de sanction et de réparation qui ont en commun d’être des décisions ayant toutes été prises conformément à ce décret-cadre et à ses exigences spécifiques.
Cette spécificité justifierait qu’une seule juridiction administrative flamande spécialisée soit compétente pour connaître de ces litiges. Une telle réforme renforcerait la qualité, l’uniformité, la clarté et l’efficacité de la protection juridique contre les décisions administratives de maintien. L’extension des compétences du Collège de maintien n’aurait qu’une incidence marginale sur les compétences de l’autorité fédérale, compte tenu du volume limité du contentieux qui serait ainsi transféré du Conseil d’État au Collège de maintien et de la spécificité de ce contentieux, et dès lors que le Conseil d’État demeure compétent comme juridiction de cassation (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1724/1, pp. 50 à 54).
B.12.1. La condition selon laquelle l’extension des compétences du Collège de maintien prévue par le décret-cadre du 14 juillet 2023 doit être nécessaire à l’exercice des compétences du législateur décrétal flamand doit être vérifiée au regard d’une matière bien déterminée pour laquelle le législateur décrétal flamand est compétent. Cette nécessité ne saurait être admise a priori pour un ensemble potentiellement particulièrement large de matières.
Comme il est dit en B.6, le législateur fédéral est compétent pour établir des juridictions administratives, définir leurs attributions et fixer les règles de procédure qui sont applicables devant elles. Ce principe de la compétence du législateur fédéral en ce qui concerne les juridictions administratives vaut également pour les litiges qui surviennent dans les matières communautaires et régionales. Il s’ensuit que l’évocation du caractère communautaire ou
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régional de la réglementation dont le contentieux est confié à une juridiction administrative fédérée n’est pas suffisante pour établir la nécessité de cette attribution de compétence.
En outre, la nécessité de l’extension des compétences d’une juridiction administrative créée par un législateur décrétal sur la base de ses compétences implicites ne saurait être justifiée par des recours antérieurs aux compétences implicites par ce législateur décrétal. Une telle manière de procéder conduirait à vider de sa substance la compétence attribuée au législateur fédéral et méconnaîtrait la portée nécessairement limitée des compétences implicites.
B.12.2 Indépendamment de la question de savoir si le contrôle juridictionnel du maintien, dont le législateur décrétal souhaite explicitement éviter la « fragmentation » (B.2.4), se prête à une approche différenciée, il n’est pas démontré que le décret-cadre n’a qu’une incidence marginale sur les compétences fédérales.
Le constat selon lequel l’incidence exacte du décret-cadre du 14 juillet 2023 sur les compétences fédérales ne peut être appréciée qu’après que les différents décrets de mise en œuvre sont adoptés (Doc. parl., Parlement flamand, 2022-2023, n° 1724/1, p. 429) ne change rien au fait que le décret-cadre, en tant qu’instrument, vise à s’appliquer le plus largement possible. Les travaux préparatoires soulignent d’ailleurs que l’objectif est que le décret-cadre s’applique au plus grand nombre possible de domaines politiques (B.2.1).
B.12.3. Le fait de prévoir, dans un décret-cadre qui vise à s’appliquer à un nombre considérable de matières diverses, la compétence de principe du Collège de maintien pour connaître des recours dans toutes les matières n’est pas compatible avec les exigences mentionnées en B.8 dans le cadre de l’application des compétences implicites.
B.13. Le moyen unique dans l’affaire n° 8177, en sa première branche, le premier moyen dans l’affaire n° 8179 et le moyen unique dans l’affaire n° 8181 sont fondés.
Il y a lieu d’annuler les articles 42, 46, 55, 68 et 74, ainsi que les mots « le Collège de maintien » dans l’article 77, alinéa 3, 1°, les mots « et au Collège de maintien » dans
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l’article 77, alinéa 3, 3°, et les mots « le Collège de maintien » dans l’article 79, § 1er, de même que l’article 96, dernier alinéa, du décret-cadre du 14 juillet 2023.
En ce qui concerne le respect du principe de la loyauté fédérale
B.14. Le Collège de la Commission communautaire française et le Gouvernement de la Communauté française soutiennent que le décret-cadre du 14 juillet 2023 viole le principe de la loyauté fédérale, tel qu’il est garanti par l’article 143, § 1er, de la Constitution (seconde branche du moyen unique dans l’affaire n° 8177 et second moyen dans l’affaire n° 8179).
B.15. Dès lors que ce grief n’est pas de nature à conduire à une annulation plus étendue que celle qui est mentionnée en B.13, il n’y a pas lieu de l’examiner.
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Par ces motifs,
la Cour
annule les articles 42, 46, 55, 68 et 74, ainsi que les mots « le Collège de maintien » dans l’article 77, alinéa 3, 1°, les mots « et au Collège de maintien » dans l’article 77, alinéa 3, 3°, et les mots « le Collège de maintien » dans l’article 79, § 1er, de même que l’article 96, dernier alinéa, du décret-cadre flamand du 14 juillet 2023 « relatif au maintien de la réglementation flamande ».
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 13 février 2025.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Pierre Nihoul