Cour constitutionnelle
Arrêt n° 20/2025
du 6 février 2025
Numéro du rôle : 8171
En cause : le recours en annulation de l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 « portant des dispositions diverses en matière de santé », introduit par l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux » et autres.
La Cour constitutionnelle,
composée des présidents Luc Lavrysen et Pierre Nihoul, et des juges Sabine de Bethune, Emmanuelle Bribosia, Willem Verrijdt, Kattrin Jadin et Magali Plovie, assistée du greffier Frank Meersschaut, présidée par le président Luc Lavrysen,
après en avoir délibéré, rend l’arrêt suivant :
I. Objet du recours et procédure
Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 22 février 2024 et parvenue au greffe le 23 février 2024, un recours en annulation de l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 « portant des dispositions diverses en matière de santé » (publiée au Moniteur belge du 24 novembre 2023) a été introduit par l’ASBL « Association Belge des Syndicats Médicaux », l’union professionnelle « Société belge de Radiologie », Lieven Van Hoe, la SRL « Kahuna », Patrik Aerts, la SRL « Dr. Patrik Aerts », William Simoens, la SRL « Dr. William Simoens », Peter Bracke, Didier Fonck, Frederik Vanrietvelde, la SRL « Dokter Frederik Vanrietvelde », Yves De Bruecker, la SRL « Dr. De Bruecker Yves », Sofie Devuysere et la SRL « Dokter Sofie De Vuysere », assistés et représentés par Me Ann Dierickx et Me An Vijverman, avocates au barreau de Louvain, et par Me Dimitri Verhoeven, avocat au barreau d’Anvers.
Par la même requête, les parties requérantes demandaient également la suspension de la même disposition légale. Par l’arrêt n° 56/2024 du 16 mai 2024
(ECLI:BE:GHCC:2024:ARR.056), publié au Moniteur belge du 24 juillet 2024, la Cour a rejeté la demande de suspension.
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Le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me Pierre Slegers et Me Margaux Kerkhofs, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un mémoire, les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réplique.
Par ordonnance du 23 octobre 2024, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs Willem Verrijdt et Magali Plovie, a décidé que l’affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos à l’expiration de ce délai et l’affaire serait mise en délibéré.
À la suite de la demande des parties requérantes à être entendues, la Cour, par ordonnance du 6 novembre 2024, a fixé l’audience au 11 décembre 2024.
À l’audience publique du 11 décembre 2024 :
- ont comparu :
. Me Dimitri Verhoeven, également loco Me Ann Dierickx et Me An Vijverman, pour les parties requérantes;
. Me Pierre Slegers, également loco Me Margaux Kerkhofs, pour le Conseil des ministres;
- les juges-rapporteurs Willem Verrijdt et Magali Plovie ont fait rapport;
- les avocats précités ont été entendus;
- l’affaire a été mise en délibéré.
Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées.
II. En droit
-A-
En ce qui concerne le premier moyen
A.1.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation, par l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 « portant des dispositions diverses en matière de santé » (ci-après : la loi du 13 novembre 2023), de l’article 23, lu en combinaison ou non avec les articles 10 et 11, de la Constitution. Le moyen se décline en huit branches.
A.1.2. Dans le premier moyen, en sa première branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 11
de la loi du 13 novembre 2023 nuit tant à la rapidité qu’à la qualité des prestations de soins de santé et entraîne une dégradation de ces derniers, et à tout le moins qu’il ne garantit pas suffisamment le droit aux soins de santé des patients nécessitant des prestations d’imagerie médicale lourde, en ce qu’il allonge les délais d’attente pour les prestations ambulatoires d’imagerie médicale lourde. De fait, la plupart des patients, dont ceux qui doivent passer
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un examen moins complexe, demanderont que l’examen ait lieu un jour de semaine entre 8 h 00 et 18 h 00 afin d’éviter des suppléments d’honoraires, alors que ces créneaux étaient auparavant réservés principalement aux examens plus complexes, étant donné que les effectifs en personnel sont alors au plus haut et que des radiologues spécialisés sont présents. Puisque ces plages horaires doivent désormais aussi accueillir des examens moins complexes, le personnel soignant n’est pas déployé de manière adéquate. L’on ne peut du reste pas attendre de ce dernier qu’il travaille en permanence aux tarifs normaux. Vu que les frais de personnel sont plus élevés le week-
end, les jours fériés et en semaine entre 18 h 00 et 8 h 00, des suppléments d’honoraires sont nécessaires lors de ces périodes.
Selon les parties requérantes, l’allongement significatif des délais d’attente, dont font déjà état les premiers chiffres fournis par quelques hôpitaux, a de graves répercussions. Un traitement commencé tardivement peut avoir des conséquences sérieuses et irréversibles sur la santé du patient. Par ailleurs, les hôpitaux limitent l’offre des prestations ambulatoires d’imagerie médicale lourde pour pouvoir effectuer tous les examens dans un délai raisonnable, de sorte que le patient devra souvent se déplacer plus loin pour subir son examen et aura tout de même un long délai d’attente, puisque de telles concentrations donneront lieu, à leur tour, à un allongement des délais.
Selon les parties requérantes, le fait que la disposition attaquée impose au gestionnaire et au conseil médical de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les prestations soient proposées dans les délais scientifiquement usuels en fonction de la pathologie concernée ne change rien à ce qui précède. Compte tenu de la liberté thérapeutique du médecin, il n’appartient en effet pas au gestionnaire ni au conseil médical de prendre des mesures quant au planning. Sans compter qu’il est pratiquement impossible, pour le gestionnaire et le conseil médical, de résoudre le problème des longs délais d’attente, dès lors que le nombre de plages horaires par jour est limité. Enfin, la signification de l’expression « dans les délais scientifiquement usuels » n’est pas claire.
A.1.3. Dans le premier moyen, en sa deuxième branche, les parties requérantes font valoir que l’article 11
de la loi du 13 novembre 2023 nuit tant à la rapidité qu’à la qualité des prestations de soins de santé et entraîne une dégradation de ces derniers, et à tout le moins qu’il ne garantit pas suffisamment le droit aux soins de santé des patients nécessitant réellement des soins urgents, en ce qu’en vidant de sa substance la notion de « soins urgents », il met en péril les soins réellement urgents. Le patient demandera à son médecin prescripteur de qualifier l’examen d’urgent, étant donné qu’aucun supplément d’honoraires ne peut être facturé pour les prestations d’imagerie médicale lourde effectuées en urgence et que l’examen aura ainsi probablement lieu plus rapidement.
Vu l’allongement des délais d’attente, le médecin prescripteur lui-même sera par ailleurs aussi enclin à qualifier plus rapidement un examen d’urgent, par application du principe de précaution. En outre, les mutualités ont elles aussi intérêt à ce que des examens soient qualifiés de la sorte, étant donné qu’elles peuvent prétendre à une part des honoraires d’urgence pouvant être facturés dans ce cadre.
A.1.4. Dans le premier moyen, en sa troisième branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 11
de la loi du 13 novembre 2023 entraîne une dégradation des soins de santé, en ce que les radiologues et les hôpitaux pourront consentir moins d’investissements dans de nouvelles techniques. La disposition attaquée leur fait perdre des revenus considérables qui sont nécessaires pour couvrir les coûts élevés des examens radiologiques et des nouveaux investissements. Par ailleurs, ils devront exposer des frais supplémentaires en raison de l’allongement des délais d’attente et de l’augmentation du nombre d’examens urgents.
À cela s’ajoute, d’après les parties requérantes, que la disposition attaquée induit une différence de traitement non justifiée entre les radiologues non conventionnés, qui ne peuvent pas facturer de suppléments d’honoraires, et les autres prestataires de soins non conventionnés, ainsi qu’entre leurs patients, lesquels ne se verront pas facturer de supplément d’honoraires dans le premier cas, mais bien dans le second.
A.1.5. Dans le premier moyen, en sa quatrième branche, les parties requérantes exposent que l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 viole le droit au travail et le droit à la protection de la santé, en ce que les radiologues mettront fin à leurs activités ou les développeront en dehors des hôpitaux belges, ce qui nuit aux soins de santé.
A.1.6. Dans le premier moyen, en sa cinquième branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 11
de la loi du 13 novembre 2023 viole le droit à la protection de la santé, en ce qu’il engendre une médecine à deux vitesses, dans le cadre de laquelle les patients qui peuvent payer des suppléments d’honoraires et y sont disposés bénéficient d’une aide plus rapide et de meilleure qualité. D’après elles, les chiffres de certains hôpitaux trahissent
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déjà ce phénomène. Il est à tout le moins question d’une différence de traitement non justifiée entre les patients qui peuvent payer des suppléments d’honoraires et y sont disposés et les patients qui ne le peuvent ou ne le veulent.
A.1.7. Dans le premier moyen, en sa sixième branche, les parties requérantes prétendent que l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 n’est pas avantageux pour le patient et ne contribue donc pas à la réalisation de l’objectif poursuivi, qui consiste à préserver l’accessibilité des soins. D’après elles, la disposition attaquée ne profite qu’aux organismes assureurs et aux mutualités, puisqu’ils supportent moins de frais, en ce que moins de suppléments d’honoraires sont payés.
A.1.8. Dans le premier moyen, en sa septième branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 11
de la loi du 13 novembre 2023 contrevient aux accords nationaux médico-mutualistes et aux articles 26, 50 et 51
de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, ce qui viole également le droit à la protection de la santé. La disposition attaquée sort largement du cadre convenu dans l’accord national médico-mutualiste 2022-2023. Dans cet accord, seule une mesure était préconisée, qui obligeait tous les hôpitaux à proposer des CT-scans et des IRM ambulatoires aux tarifs de la convention. Était par ailleurs demandée, dans le cadre de cet accord, une réforme générale du financement et une modulation des retenues que pratiquent les hôpitaux sur les honoraires médicaux des radiologues. La disposition attaquée, en affectant uniquement les radiologues, a en tout cas fait naître une différence de traitement non justifiée entre les radiologues et les autres prestataires de soins.
A.1.9. Dans le premier moyen, en sa huitième branche, les parties requérantes font valoir que l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 va au-delà de ce qui est nécessaire. Des propositions moins radicales émanant du secteur, telles que la proposition de ne pas facturer de suppléments d’honoraires aux patients bénéficiant d’une intervention majorée et aux patients atteints de cancer, ont été rejetées d’emblée.
A.2.1. Le Conseil des ministres estime que le premier moyen, en sa septième branche, n’est pas recevable, qu’il n’est à tout le moins pas fondé, et qu’aucune des autres branches du premier moyen n’est fondée. En ce qui concerne la première branche, il observe que le législateur est tenu de garantir le droit à la protection de la santé et que la mesure attaquée s’inscrit dans ce cadre. En effet, en limitant la facturation de suppléments d’honoraires pour les prestations ambulatoires d’imagerie médicale lourde, la disposition attaquée accroît l’accessibilité des soins qui sont essentiels pour le diagnostic médical, qui ne peuvent être dispensés qu’à l’hôpital et qui nécessitent l’utilisation d’équipements financés dans une large mesure par les pouvoirs publics. Elle garantit également que les soins seront prodigués à temps, en imposant au gestionnaire et au conseil médical de prendre les mesures nécessaires à cet effet. D’après le Conseil des ministres, s’il devait y avoir un allongement des délais d’attente, cet allongement résulterait simplement des choix que posent les médecins et les hôpitaux. La disposition attaquée ne les oblige en aucune manière à réaménager les soins. Au demeurant, le nombre d’appareils de RMN autorisés a aussi été augmenté, de façon, là aussi, à améliorer l’accès aux soins.
A.2.2. En ce qui concerne la deuxième branche, le Conseil des ministres fait valoir qu’elle est fondée sur la situation hypothétique dans laquelle des médecins violeraient leurs obligations légales et déontologiques en qualifiant à tort des soins comme étant urgents. De plus, cette conséquence ne découle pas directement de la disposition attaquée même. Il est en tout cas raisonnablement justifié d’interdire des suppléments d’honoraires pour les soins urgents, étant donné que le patient n’a alors pas la liberté de choisir.
A.2.3. En ce qui concerne la troisième branche, le Conseil des ministres soutient que la disposition attaquée se rapporte aux équipements pour lesquels un financement direct est prévu et dont le nombre est légalement limité.
Les médecins peuvent mobiliser leurs suppléments d’honoraires pour réaliser d’autres investissements, mais leur montant est sans rapport avec la disposition attaquée. Le fait que de nombreux radiologues travaillent en appliquant les tarifs de la convention montre en tout cas que des investissements demeurent possibles.
A.2.4. En ce qui concerne la quatrième branche, le Conseil des ministres objecte que les parties requérantes ne démontrent pas que les radiologues seront si nombreux à mettre un terme à leurs activités ou à déménager à l’étranger que cela entraînera réellement une restriction du droit au travail ou du droit aux soins de santé. Il ajoute que le fait qu’un nombre limité de radiologues cessent leur activité ou déménagent n’entraîne pas un recul significatif de ces droits et que ce recul serait en tout état de cause justifié par un motif d’intérêt général, à savoir une plus grande accessibilité des soins.
A.2.5. En ce qui concerne la cinquième branche, le Conseil des ministres réplique qu’en contribuant à l’accessibilité des soins, la disposition attaquée empêche précisément l’éclosion d’une médecine à deux vitesses.
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Si cette situation devait survenir, elle ne pourrait selon lui résulter que de la priorité donnée par les radiologues à leur intérêt financier, au détriment de la qualité des soins, ainsi que des manquements des gestionnaires et des conseils médicaux à leurs obligations légales. Il est du reste interdit à tout médecin de discriminer ses patients en fonction de leurs moyens financiers.
A.2.6. En ce qui concerne la sixième branche, le Conseil des ministres expose que les parties requérantes contestent en réalité le choix politique du législateur. Le fait qu’une mesure fasse l’objet de discussions ne la rend pas inconstitutionnelle.
A.2.7. En ce qui concerne la septième branche, le Conseil des ministres fait valoir que le fait qu’une disposition législative viole un accord national médico-mutualiste n’entraîne pas une violation des articles 10, 11
ou 23 de la Constitution. Dans cette branche, il n’est par ailleurs pas démontré en quoi ces dispositions constitutionnelles seraient violées. Les parties requérantes allèguent au contraire directement la violation d’un accord national médico-mutualiste.
A.2.8. En ce qui concerne la huitième branche, le Conseil des ministres soutient que la disposition attaquée vise exclusivement l’imagerie médicale lourde ambulatoire en raison de la spécificité de ces prestations. Celles-ci sont essentielles pour le diagnostic médical, ne peuvent être dispensées qu’à l’hôpital et nécessitent l’utilisation d’équipements financés dans une large mesure par les pouvoirs publics. De plus, la conciliation des intérêts des médecins et des patients relève du pouvoir d’appréciation du législateur. La disposition attaquée ne produit par ailleurs pas des effets disproportionnés pour les radiologues, étant donné qu’ils peuvent toujours effectuer d’autres prestations qui ne relèvent pas du champ d’application de la disposition attaquée.
En ce qui concerne le deuxième moyen
A.3.1. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation, par l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023, des articles 10 et 11 de la Constitution. Le deuxième moyen se subdivise en trois branches.
A.3.2. Dans le deuxième moyen, en sa première branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 11
de la loi du 13 novembre 2023 traite de la même manière les radiologues conventionnés et les radiologues non conventionnés, sans qu’existe une justification raisonnable. En effet, la disposition attaquée a pour conséquence que les radiologues non conventionnés non plus ne pourront presque plus facturer de suppléments d’honoraires, alors qu’ils ne pouvaient pas le prévoir lorsqu’ils ont choisi de ne pas se conventionner et qu’ils ne bénéficient pas non plus des avantages sociaux dont jouissent les radiologues conventionnés. Selon elles, l’on n’aperçoit pas en quoi la disposition attaquée améliore l’accessibilité et le caractère abordable des prestations ambulatoires d’imagerie médicale lourde, puisqu’il y a suffisamment de radiologues conventionnés. Ainsi, confirmer la liberté de choix du patient suffisait.
A.3.3. Dans le deuxième moyen, en sa deuxième branche, les parties requérantes affirment que l’article 11
de la loi du 13 novembre 2023 fait naître une différence de traitement injustifiée entre les radiologues et les autres médecins hospitaliers. Seuls les radiologues sont concernés, alors que les tarifs de l’assurance maladie obligatoire sont trop bas pour couvrir les frais des examens radiologiques, que les retenues par les hôpitaux restent identiques et que le degré de déconventionnement est plus élevé dans d’autres spécialisations. Contrairement à ce que prétend le Conseil des ministres, la spécificité des radiologues ne peut pas non plus servir de justification. D’autres médecins hospitaliers travaillent également avec des équipements spécifiques et le financement public est loin de suffire. Par ailleurs, l’autorité publique a elle-même décidé que les prestations d’imagerie médicale lourde ne peuvent avoir lieu qu’en milieu hospitalier.
A.3.4. Dans le deuxième moyen, en sa troisième branche, les parties requérantes soutiennent que l’article 11
de la loi du 13 novembre 2023 fait naître une différence de traitement injustifiée entre les patients hospitalisés et les patients non hospitalisés. À certaines conditions, les patients hospitalisés peuvent encore se voir réclamer des suppléments d’honoraires les jours de semaine entre 18 h 00 et 8 h 00, pour les soins urgents. Par ailleurs, l’exigence d’un consentement préalable, éclairé et écrit, ne vaut que pour les patients non hospitalisés. Tout cela entachera l’image de la profession de radiologue.
A.4.1. Le Conseil des ministres observe tout d’abord que la troisième branche n’est pas recevable, étant donné que les parties requérantes n’agissent pas en qualité de patients et n’ont donc pas intérêt à cette branche. Il fait en outre valoir qu’aucune des branches du deuxième moyen n’est fondée.
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A.4.2. En ce qui concerne la première branche, le Conseil des ministres soutient que le législateur a trouvé un juste équilibre entre l’accès effectif aux soins et la liberté de fixer son tarif. Le fait que cela puisse amener des médecins à reconsidérer l’opportunité de se conventionner est raisonnablement justifié au regard des objectifs de la disposition attaquée.
A.4.3. En ce qui concerne la deuxième branche, le Conseil des ministres observe que la situation des radiologues diffère de celle des autres médecins hospitaliers. Seuls les radiologues se servent dans leur travail d’équipements qui sont soumis à un quota, qui sont financés par les pouvoirs publics et qui peuvent uniquement être installés dans des hôpitaux.
A.4.4. En ce qui concerne la troisième branche, le Conseil des ministres objecte que les patients hospitalisés peuvent choisir dans leur déclaration d’admission s’ils souhaitent ou non payer des suppléments d’honoraires. Un système analogue ne peut être introduit pour les patients non hospitalisés, étant donné qu’il n’est pas possible d’imposer un nombre minimum de rendez-vous pour les patients non hospitalisés qui ne souhaitent pas payer de suppléments d’honoraires. En outre, il est impossible de contrôler, dans le cas des soins ambulatoires, si le tarif appliqué est celui que souhaite le patient.
En ce qui concerne le troisième moyen
A.5. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation, par l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023, de l’article 27 de la Constitution, de l’article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et des articles 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lus en combinaison ou non avec les articles 10 et 11 de la Constitution. D’après elles, la disposition attaquée contraint les radiologues non conventionnés à adhérer aux tarifs issus de l’accord tarifaire, alors qu’ils ne jouissent pas des avantages sociaux qui y sont liés.
Selon elles, le fait qu’ils puissent encore demander des suppléments d’honoraires pour les soins non urgents le week-end, les jours fériés et en semaine entre 18 h 00 et 8 h 00 n’y change rien. À ces moments-là, les hôpitaux fonctionnent en personnel réduit et il n’est pas possible de mener tous les examens efficacement. De plus, la disposition attaquée incite les patients à systématiquement solliciter un examen à un moment où il n’est pas possible de facturer des suppléments d’honoraires.
A.6. Le Conseil des ministres estime que le troisième moyen n’est pas fondé. D’après lui, la disposition attaquée poursuit un objectif légitime, à savoir la préservation de l’accessibilité des soins pour tous les patients, et elle ne produit pas des effets disproportionnés. La disposition attaquée porte uniquement sur un nombre restreint de prestations qu’effectuent les radiologues et elle n’interdit la facturation de suppléments d’honoraires que pendant les heures normales de travail. Par ailleurs, les tarifs conventionnés ne sont en aucun cas déraisonnables, ce qui ressort également du fait que de nombreux radiologues sont conventionnés.
En ce qui concerne le quatrième moyen
A.7. Les parties requérantes prennent un quatrième moyen de la violation, par l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023, de l’article 16 de la Constitution, de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lus en combinaison ou non avec les articles 10 et 11 de la Constitution. D’après elles, la disposition attaquée constitue une limitation injustifiée du droit de propriété des prestataires de soins non conventionnés, étant donné qu’ils ne peuvent pratiquement plus facturer des suppléments d’honoraires pour des prestations ambulatoires d’imagerie médicale lourde, alors qu’ils ne bénéficient pas des avantages que reçoivent les prestataires de soins conventionnés et que les tarifs de l’assurance maladie obligatoire sont trop bas.
A.8. Le Conseil des ministres estime que le quatrième moyen n’est pas fondé. Ainsi qu’il ressort de sa réponse aux trois premiers moyens, le droit de propriété des médecins concernés n’est restreint que de manière très limitée et cette ingérence est justifiée pour garantir l’accès aux soins.
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-B-
Quant à la disposition attaquée et à son contexte
B.1. Les parties requérantes demandent l’annulation de l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 « portant des dispositions diverses en matière de santé » (ci-après : la loi du 13 novembre 2023). Cette disposition insère, dans la loi coordonnée du 10 juillet 2008 « sur les hôpitaux et autres établissements de soins » (ci-après : la loi coordonnée du 10 juillet 2008), un nouvel article 152/1, qui dispose :
« § 1. Le présent article est applicable aux patients qui ne sont pas hospitalisés et à qui des prestations sont fournies à l’hôpital en appliquant de l’imagerie médical[e] lourde[,] tel que visé à l’article 52 de la présente loi.
§ 2. Les médecins hospitaliers qui fournissent les prestations précitées ne peuvent facturer aucun supplément aux patients visés au § 1er, sans préjudice des circonstances spéciales visées au deuxième alinéa. Pour l’application du présent article, par suppléments, il faut entendre des tarifs qui s’écartent des tarifs de l’accord au cas où un accord visé à l’article 50 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, est en vigueur, ou des tarifs qui s’écartent des tarifs qui servent de base au calcul de l’intervention de l’assurance si un tel accord n’est pas en vigueur.
Par dérogation à l’alinéa premier, les médecins hospitaliers peuvent facturer des suppléments si les prestations sont fournies à la demande expresse du patient entre 18 heures et 8 heures ou le samedi, le dimanche et les jours fériés.
Le médecin hospitalier informe préalablement le patient au sujet des conséquences financières. L’autorisation du patient qui formule la demande expresse visée à l’alinéa précédent est établie par écrit, préalablement à la prestation, dans un document signé dont le patient et l’hôpital reçoivent un exemplaire.
En aucun cas, des suppléments ne peuvent être facturés si le médecin qui prescrit la prestation mentionne explicitement qu’il s’agit d’une nécessité médicale urgente.
§ 3. Le gestionnaire et le conseil médical prennent toutes les mesures nécessaires pour garantir que les prestations visées au § 1er sont proposées aux patients concernés sans facturation de suppléments, dans les délais scientifiquement usuels en fonction de la pathologie concernée, sans préjudice des circonstances spéciales visées au § 2, deuxième alinéa ».
B.2.1. L’article 152/1 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008, tel qu’il a été inséré par la disposition attaquée, limite la possibilité pour les médecins hospitaliers qui fournissent des
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prestations d’imagerie médicale lourde au sens de l’article 52 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 (ci-après aussi : les radiologues) de facturer des suppléments d’honoraires aux patients qui ne sont pas hospitalisés. Les médecins hospitaliers ne peuvent désormais facturer des suppléments pour ces prestations que si la prestation est fournie à la demande expresse du patient entre 18 h 00 et 8 h 00 ou un samedi, un dimanche ou un jour férié, et qu’il ne s’agit pas d’une nécessité médicale urgente. Dans ce cas, le médecin hospitalier doit informer préalablement le patient au sujet des conséquences financières de sa demande et obtenir son autorisation écrite préalable.
Cette disposition prévoit en outre l’obligation pour le gestionnaire et le conseil médical de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que les prestations précitées soient proposées sans facturation de suppléments, dans les délais scientifiquement usuels en fonction de la pathologie concernée.
B.2.2. L’article 8 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 définit le gestionnaire comme « l’organe qui, selon le statut juridique de l’hôpital, est chargé de la gestion de l’exploitation de l’hôpital » (article 8, alinéa 1er, 1°) et le médecin hospitalier comme « le médecin attaché à l’hôpital ou au réseau hospitalier clinique locorégionale » (article 8, alinéa 1er, 4°). En vertu de l’article 133 de cette même loi, le conseil médical s’entend comme « l’organe représentant les médecins hospitaliers par lequel ceux-ci sont associés à la prise de décisions à l’hôpital ».
B.2.3. La notion de « suppléments » est définie à l’article 152/1, § 2, alinéa 1er, de la loi coordonnée du 10 juillet 2008, tel qu’il a été inséré par la disposition attaquée, comme désignant les tarifs qui s’écartent des tarifs de l’accord visé à l’article 50 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 (ci-après : la loi coordonnée du 14 juillet 1994), ou les tarifs qui s’écartent des tarifs qui servent de base au calcul de l’intervention de l’assurance si un tel accord n’est pas en vigueur.
L’accord visé à l’article 50 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 est un accord national (ci-après : accord tarifaire), conclu au sein de la Commission nationale médico-mutualiste (ci-
après : la CNMM), qui fixe les tarifs pour les prestations médicales prévues dans la nomenclature.
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Les médecins hospitaliers qui choisissent d’adhérer à l’accord tarifaire (ci-après : les médecins hospitaliers conventionnés) sont en principe tenus de respecter les tarifs qui y sont contenus. En contrepartie, les médecins hospitaliers conventionnés peuvent bénéficier d’avantages sociaux et d’autres avantages (article 54 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 et arrêté royal du 5 mai 2020 « instituant un régime d’avantages sociaux et d’autres avantages à certains dispensateurs de soins qui sont réputés avoir adhéré aux accords ou conventions qui les concernent »).
Les médecins hospitaliers non conventionnés ne sont en principe pas tenus de respecter les tarifs de l’accord tarifaire, mais ils ne peuvent prétendre aux avantages sociaux et aux autres avantages précités. Ils sont libres de facturer des honoraires supérieurs aux tarifs en vigueur de l’accord tarifaire, sauf exception prévue par la loi.
B.3. Au sujet de la mesure attaquée, l’exposé des motifs mentionne ce qui suit :
« Ce projet de loi a pour objectif de garantir l’accessibilité des soins aux prestations diagnostiques médicales essentielles.
Il est ainsi donné suite à une proposition qui figure dans l’accord national médico-
mutualiste 2022-2023 qui a été conclu le 21 décembre 2021. Le point 3.5.5. de l’accord précité est libellé comme suit : ‘ La CNMM a constaté que dans certains hôpitaux, certains examens radiologiques ne sont plus proposés aux tarifs de la convention. La CNMM est d’avis que le principe selon lequel les soins aux patients hospitalisés doivent obligatoirement pouvoir être offerts aux tarifs de la convention dans les hôpitaux, doit également s’appliquer aux examens ambulatoires qui peuvent uniquement être effectués à l’hôpital ’.
Concrètement, il s’agit d’examens réalisés avec un appareillage médical lourd. Il faut entendre par-là les appareils ou équipements d’examen qui sont coûteux soit en raison de leur prix d’achat, soit en raison de leur maniement par un personnel hautement spécialisé et qui sont repris dans une liste établie par l’arrêté royal du 25 avril 2014, article 1, 1er alinéa, 1° à 6°, en application de l’article 52 de la loi sur les hôpitaux. Il s’agit des appareils suivants, hybrides ou non : CT, SPECT-CT, PET, PET-CT, PET-RMN, RMN.
Les appareils en question doivent être installés sur la base de la réglementation applicable dans le cadre d’un service médico-technique d’hôpital.
Par conséquent, les patients qui ont besoin d’un diagnostic/d’un traitement au moyen de ces appareils n’ont pas la liberté de choisir de le faire réaliser en dehors de l’hôpital.
L’organisation de ces services et, en particulier, l’utilisation de freins financiers ne peuvent donc pas avoir pour conséquence que les patients n’y aient pas accès.
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Les prestations en question peuvent uniquement être exécutées sur prescription d’un médecin traitant.
En outre, il s’agit généralement de patients présentant une pathologie lourde pour laquelle l’imagerie médicale en question est essentielle en vue d’un diagnostic/traitement particulier et pour laquelle d’autres examens, comme une échographie ou un RX conventionnel, n’offrent pas d’alternative.
Enfin, il ne faut pas perdre de vue qu’une partie des appareils en question (RMN, PET) est largement financée par les autorités.
Ces trois raisons (liberté de choix limitée, diagnostic essentiel, financement de l’appareillage par les autorités) motivent la limitation de la facturation des suppléments d’honoraires.
La proposition n’affecte en rien le statut de conventionnement des médecins concernés, mais limite la facturation de suppléments pour certaines prestations qui sont essentielles au traitement de patients chez qui de graves problèmes de santé sont constatés.
Le gestionnaire et le conseil médical se voient imposer l’obligation de veiller à ce qu’il y ait une capacité suffisante pour pouvoir réaliser les prestations concernées aux tarifs conventionnés dans un délai qui est scientifiquement indiqué en fonction de la pathologie.
À l’avenir, des suppléments d’honoraires ne pourront plus être facturés que pour les prestations exécutées à la demande expresse du patient entre 18 h et 8 h et pendant le week-end ou les jours fériés. Cette demande expresse peut découler, par exemple, du souhait du patient de recourir à la prestation plus tôt que ce qui est médicalement nécessaire. Ces suppléments peuvent se justifier sur la base de l’exigence dite spéciale du patient, mais aussi parce que les prestations s’accompagnent dans ce cas de coûts de personnel supplémentaires. La demande expresse et l’autorisation du patient devront être formalisé[e]s au préalable.
En aucun cas, des suppléments ne sont autorisés lorsque le médecin prescripteur estime que l’examen doit être exécuté d’urgence » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3538/001, pp. 12-14).
B.4. En l’absence d’une disposition contraire, l’article 152/1 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008, tel qu’il a été inséré par la disposition attaquée, est entré en vigueur le dixième jour suivant la publication de la loi du 13 novembre 2023 au Moniteur belge, à savoir le 4 décembre 2023.
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Quant à l’intérêt
B.5.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d’un intérêt. Ne justifient de l’intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.5.2. Les troisième, cinquième, septième, neuvième, dixième, onzième, treizième et quinzième parties requérantes sont des radiologues non conventionnés. Les quatrième, sixième, huitième, douzième, quatorzième et seizième parties requérantes sont des sociétés par le biais desquelles les troisième, cinquième, septième, onzième, treizième et quinzième parties requérantes, respectivement, exercent leur profession. Elles ont intérêt à attaquer une disposition législative qui limite la possibilité pour les radiologues de facturer des suppléments aux patients qui ne sont pas hospitalisés.
Dès lors que les troisième à seizième parties requérantes justifient d’un intérêt à agir, la Cour ne doit pas examiner si la première et la deuxième parties requérantes justifient également de l’intérêt requis.
B.5.3. Dans la mesure où le Conseil des ministres conteste l’intérêt des parties requérantes au deuxième moyen, en sa troisième branche, il suffit de rappeler que, lorsque les parties requérantes ont un intérêt à l’annulation de la disposition attaquée, elles ne doivent pas, en outre, justifier d’un intérêt à chaque moyen ou à chacune des branches de celui-ci.
Quant au fond
En ce qui concerne le premier moyen
B.6. Le premier moyen est pris de la violation, par l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023, de l’article 23 de la Constitution, lu en combinaison ou non avec les articles 10 et 11 de la Constitution, et, en ce qui concerne la septième branche, il est également pris de la violation des accords nationaux médico-mutualistes et des articles 26, 50 et 51 de la loi du 14 juillet 1994.
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B.7.1. Le Conseil des ministres objecte que le premier moyen, en sa septième branche, n’est pas recevable, au motif qu’il invoque la violation des accords nationaux médico-
mutualistes.
B.7.2. En vertu de l’article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l’article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989, la Cour est compétente pour statuer sur les recours en annulation d’une loi, d’un décret ou d’une règle visée à l’article 134 de la Constitution pour cause de violation des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’autorité fédérale, des communautés et des régions et pour cause de violation des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172 et 191 de la Constitution.
B.7.3. Dans la mesure où les parties requérantes invoquent la violation des accords nationaux médico-mutualistes et des articles 26, 50 et 51 de la loi du 14 juillet 1994, le premier moyen est irrecevable.
B.8. Les parties requérantes soutiennent tout d’abord que la disposition attaquée réduit le niveau de protection tant du droit au travail que du droit à la protection de la santé, en violation de l’obligation de standstill.
En ce qui concerne le droit à la protection de la santé, elles soutiennent que la disposition attaquée allonge les délais d’attente pour les prestations ambulatoires d’imagerie médicale lourde (première branche), vide de sa substance le concept de « soins urgents » (deuxième branche), laisse aux radiologues et aux hôpitaux moins de moyens pour investir dans de nouvelles techniques (troisième branche), limite les revenus des radiologues qui sont ainsi amenés à mettre un terme à leurs activités ou à les développer en dehors des hôpitaux belges (quatrième branche), engendre une médecine à deux vitesses (cinquième branche) et met en péril l’accessibilité des soins (sixième branche). En ce qui concerne le droit au travail, elles prétendent que la disposition attaquée limite les revenus des radiologues, qui sont ainsi amenés à mettre un terme à leurs activités ou à les développer en dehors des hôpitaux belges (quatrième branche). Les parties requérantes font par ailleurs valoir que la disposition attaquée entraîne en tout cas des effets disproportionnés (huitième branche).
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B.9.1. L’article 23 de la Constitution dispose :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :
1° le droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle dans le cadre d’une politique générale de l’emploi, visant entre autres à assurer un niveau d’emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d’information, de consultation et de négociation collective;
2° le droit à la sécurité sociale, à la protection de la santé et à l’aide sociale, médicale et juridique;
[…] ».
B.9.2. L’article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement, sans justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
B.9.3. En matière socio-économique, le législateur compétent dispose d’un large pouvoir d’appréciation en vue de déterminer les mesures à adopter pour tendre vers les objectifs qu’il s’est fixés.
B.10.1. La disposition attaquée améliore l’accessibilité financière des prestations d’imagerie médicale lourde pour les patients non hospitalisés, en interdisant les suppléments pour ces prestations si elles sont urgentes ou sont accomplies entre 8 h 00 et 18 h 00 un jour de semaine non férié et en autorisant les suppléments aux autres moments uniquement si la prestation a lieu à la demande expresse du patient. Dans ce dernier cas, la disposition attaquée protège davantage le patient, en exigeant qu’il soit préalablement informé des conséquences financières de sa demande et qu’il donne son consentement préalable par écrit.
La disposition attaquée oblige en outre le gestionnaire et le conseil médical à prendre les mesures nécessaires pour garantir qu’une prestation d’imagerie médicale lourde soit proposée
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sans facturation de suppléments aux patients non hospitalisés, dans les délais scientifiquement usuels en fonction de la pathologie concernée.
B.10.2. Ainsi, la disposition attaquée garantit le droit à la protection de la santé garanti à l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, plutôt qu’elle y porte atteinte. Certes, elle peut avoir des répercussions financières négatives pour les radiologues non conventionnés et pour les hôpitaux où ceux-ci exercent, mais les parties requérantes ne démontrent pas que ces répercussions financières entraîneraient un recul, et encore moins un recul significatif, du niveau de protection du droit à la protection de la santé. Au contraire, il ressort des travaux préparatoires qu’il y a en Belgique de très nombreux hôpitaux où tous les radiologues sont conventionnés et où il n’apparaît pas que les prestations de soins seraient de moindre qualité :
« La question des suppléments a déjà été amplement débattue. Le ministre se doit toutefois de contredire plusieurs éléments avancés. D’aucuns affirment que les suppléments sont nécessaires en raison du financement des hôpitaux et de la qualité fournie. Le ministre est catégorique : c’est faux. Le nombre d’hôpitaux dans lesquels tous les radiologues sont conventionnés s’élève à seize en Flandre, à neuf en Wallonie et à deux à Bruxelles. Ces hôpitaux ne facturent jamais de supplément. Il s’agit de patients ambulatoires.
La Flandre compte 24 hôpitaux ne disposant d’aucun radiologue conventionné. Ces hôpitaux ne laissent pas le choix au patient et facturent toujours des suppléments. Le ministre ne comprend pas pourquoi il existe en Flandre des hôpitaux dans lesquels tous les radiologues sont conventionnés et d’autres qui ne disposent pas d’un seul radiologue conventionné. Aucune explication ne peut être avancée à ce sujet. En outre, il est tout à fait insultant d’alléguer que les soins dispensés dans les hôpitaux ne disposant que de radiologues conventionnés pourraient être de moindre qualité » (Doc. parl., Chambre, 2022-2023, DOC 55-3538/003, pp. 28-29).
Par ailleurs, les parties requérantes ne démontrent pas que les radiologues seraient si nombreux à mettre un terme à leurs activités ou à déménager à l’étranger en raison de la disposition attaquée que cela entraînerait une diminution notable du degré de protection du droit à la protection de la santé. Enfin, au regard de ce droit, le législateur est libre de s’écarter des accords conclus par les médecins et les mutualités dans le cadre de la CNMM.
B.11. La disposition attaquée n’entraîne par ailleurs pas non plus une diminution significative du degré de protection du droit au travail des radiologues non conventionnés garanti par l’article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution. Cette disposition ne les empêche en effet
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ni de s’établir en tant que radiologues ou de continuer à exercer cette profession, ni de percevoir les honoraires applicables, en vertu des accords tarifaires, à tous les radiologues conventionnés et aux radiologues non conventionnés qui ne facturent pas de suppléments.
En outre, la disposition attaquée s’applique exclusivement aux prestations d’imagerie médicale lourde au sens de l’article 52 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 (ci-après : les prestations d’imagerie médicale lourde) et elle n’interdit pas de manière absolue la facturation de suppléments pour ces prestations. Sauf en cas de nécessité médicale urgente, la disposition attaquée permet toujours la facturation de suppléments lorsque les prestations sont fournies, à la demande expresse du patient, entre 18 h 00 et 8 h 00 ou un samedi, un dimanche ou un jour férié, et que le patient a préalablement donné son consentement écrit et éclairé.
B.12. Les parties requérantes dénoncent encore l’incompatibilité de la disposition attaquée avec le principe d’égalité et de non-discrimination, en ce qu’elle fait naître une différence de traitement injustifiée entre les radiologues non conventionnés et les autres prestataires de soins non conventionnés (troisième branche), entre les patients qui nécessitent une prestation ambulatoire d’imagerie médicale lourde et les autres patients (première et troisième branches), et entre les patients qui ne peuvent pas ou ne veulent pas payer des suppléments et les patients qui le peuvent et y sont disposés (cinquième branche).
B.13. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d’égalité et de non-
discrimination.
Le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée.
L’existence d’une telle justification doit s’apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d’égalité et de
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non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.14. En limitant la possibilité de facturer des suppléments uniquement aux médecins hospitaliers qui fournissent des prestations d’imagerie médicale lourde, et ce, pour ces seules prestations, la disposition attaquée fait naître une différence de traitement entre les radiologues non conventionnés et les autres prestataires de soins non conventionnés, ainsi qu’entre les patients qui doivent subir une prestation ambulatoire d’imagerie médicale lourde et les autres patients.
B.15. Ces différences de traitement reposent sur un critère objectif, à savoir la nature de la prestation qui est dispensée ou subie.
B.16. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.3 que le législateur a adopté la mesure attaquée pour préserver l’accessibilité des prestations d’imagerie médicale lourde.
Cet objectif est légitime.
B.17. Comme le mentionnent ces mêmes travaux préparatoires, les prestations d’imagerie médicale lourde présentent des caractéristiques particulières. De fait, elles sont essentielles pour le diagnostic médical, ne peuvent être dispensées qu’à l’hôpital, ce qui limite la liberté de choix du patient, et nécessitent des équipements dont certains sont financés dans une large mesure par les pouvoirs publics.
Le fait que le champ d’application de la disposition attaquée se limite à ces prestations ne produit pas des effets disproportionnés. Ainsi qu’il ressort des B.10.1 à B.11, la disposition attaquée garantit le droit à la protection de la santé consacré à l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution et elle ne réduit pas significativement le degré de protection du droit au travail des radiologues non conventionnés garanti à l’article 23, alinéa 3, 1°, de la Constitution.
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B.18. En outre, le champ d’application de la disposition attaquée n’établit aucune distinction selon que le patient a ou non la capacité et la volonté de payer des suppléments. La disposition attaquée s’applique à tous les patients non hospitalisés auxquels sont fournies des prestations hospitalières d’imagerie médicale lourde, qu’ils aient ou non la capacité et la volonté de payer des suppléments.
B.19. Le premier moyen n’est pas fondé.
En ce qui concerne le deuxième moyen
B.20. Le deuxième moyen est pris de la violation, par l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023, des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.21. Dans le deuxième moyen, en sa première branche, les parties requérantes prétendent que la disposition attaquée traite de la même manière, sans justification raisonnable, les radiologues conventionnés et les radiologues non conventionnés.
B.22. En ce qu’il limite la possibilité de facturer des suppléments pour tous les médecins hospitaliers qui fournissent des prestations d’imagerie médicale lourde, l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023 soumet au même traitement les médecins hospitaliers conventionnés et non conventionnés qui fournissent ces prestations, alors qu’ils se trouvent dans des situations substantiellement différentes. En effet, la disposition attaquée a surtout des conséquences pour les médecins hospitaliers non conventionnés, puisque leurs homologues conventionnés appliquent en principe déjà les tarifs issus de l’accord tarifaire.
B.23. L’identité de traitement entre ces catégories de personnes repose sur un critère objectif, à savoir le fait qu’il s’agit de médecins hospitaliers qui effectuent des prestations d’imagerie médicale lourde.
B.24. En ce qui concerne les médecins hospitaliers non conventionnés, la mesure attaquée ne comporte pas, ainsi qu’il est dit en B.11, une interdiction absolue de facturer des suppléments pour des prestations ambulatoires. Bien que la mesure attaquée rende moins attrayant pour les
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médecins non conventionnés le fait de ne pas souscrire aux accords tarifaires, d’autant que ces médecins ne bénéficient pas des avantages dont jouissent les médecins conventionnés, elle ne les prive pas non plus du choix d’adhérer ou non à ces accords.
B.25. Eu égard à ce qui précède, cette identité de traitement n’est pas déraisonnable au regard de l’objectif de préserver l’accessibilité des prestations d’imagerie médicale lourde. Le législateur a raisonnablement pu estimer que la mesure attaquée était nécessaire, dès lors que, dans plusieurs hôpitaux, certaines de ces prestations n’étaient plus proposées aux tarifs conventionnés, alors que celles-ci ne peuvent pas être effectuées en dehors du milieu hospitalier. Le fait que la mesure attaquée pourrait freiner les investissements dans de nouvelles technologies n’altère pas ce constat. Enfin, les parties requérantes ne démontrent pas que certains médecins hospitaliers non conventionnés devront mettre un terme à leurs activités ou les réduire au motif que la mesure attaquée les rendrait trop onéreuses.
B.26. Le deuxième moyen, en sa première branche, n’est pas fondé.
B.27. Dans le deuxième moyen, en sa deuxième branche, les parties requérantes soutiennent que la disposition attaquée fait naître une différence de traitement injustifiée entre les radiologues et les autres médecins hospitaliers, en ce qu’elle n’affecte que des radiologues.
B.28. Les parties requérantes ont développé un grief similaire dans le premier moyen, en sa troisième branche, lequel, pour les motifs énoncés en B.15 à B.17, n’est pas fondé. Pour les mêmes motifs, le deuxième moyen, en sa deuxième branche, n’est pas fondé.
B.29. Dans le deuxième moyen, en sa troisième branche, les parties requérantes allèguent que la disposition attaquée fait naître une différence de traitement injustifiée entre les patients hospitalisés et les patients non hospitalisés, en ce qu’elle s’applique uniquement aux patients non hospitalisés.
B.30. En restreignant l’application de la disposition attaquée aux seuls patients non hospitalisés, le législateur a introduit une différence de traitement entre les patients non hospitalisés auxquels sont fournies des prestations d’imagerie médicale lourde à l’hôpital et les
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patients hospitalisés auxquels sont fournies les mêmes prestations. La disposition attaquée ne limite la possibilité de facturer des suppléments qu’à l’égard des patients qui relèvent de la première catégorie.
B.31. Cette différence de traitement repose sur un critère objectif, à savoir le fait que le patient soit hospitalisé ou non.
B.32.1. L’article 152 de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 prévoit, en ce qui concerne la fixation des honoraires, une réglementation particulière pour les patients hospitalisés, y compris pour les patients admis en hospitalisation de jour. Il dispose :
« § 1. Cet article est d’application aux patients hospitalisés, y compris les patients admis en hospitalisation de jour.
§ 2. Les médecins hospitaliers ne peuvent facturer des tarifs qui s’écartent des tarifs de l’accord au cas où un accord visé à l’article 50 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, est en vigueur, ou des tarifs qui s’écartent des tarifs qui servent de base au calcul de l’intervention de l’assurance au cas où un tel accord n’est pas en vigueur, que pour l’admission en chambre individuelle. Pour l’application du présent article, on entend par suppléments, les tarifs qui s’en écartent.
Par dérogation à l’alinéa 1er, les médecins hospitaliers ne peuvent facturer de suppléments pour l’admission en chambre individuelle dans les cas prévus à l’article 97, § 2.
Par dérogation à l’alinéa 2, les médecins hospitaliers peuvent facturer des suppléments pour l’admission en chambre individuelle visée à l’article 97, § 2, d), à condition que :
1° le parent accompagnant opte expressément, sur le document visé à l’article 98, alinéa 1er, c), pour une admission en chambre individuelle;
2° le nombre de lits que l’hôpital met à disposition pour l’hébergement des patients souhaitant être admis sans supplément, en application de l’article 97, § 1er, comporte suffisamment de lits pour les enfants qui séjournent à l’hôpital avec un parent accompagnant.
Les médecins hospitaliers ne peuvent, en application des alinéas 1er et 3, facturer des suppléments qu’à condition que des tarifs maximums soient fixés dans la réglementation générale visée à l’article 144. Cet élément de la réglementation générale est, avant son application, communiqué par le gestionnaire à la Commission paritaire nationale médecins-
hôpitaux et, par le biais de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité, aux organismes assureurs.
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§ 3. Le gestionnaire et le conseil médical garantissent que les patients admis en chambre à deux lits ou en chambre commune, ainsi que les patients admis en chambre individuelle dans les cas visés à l’article 97, § 2, à l’exception de la dérogation prévue au paragraphe 2, alinéa 3, reçoivent des soins sans que des suppléments ne leur soient facturés par les médecins hospitaliers. Le gestionnaire, après concertation avec le conseil médical, prend les mesures nécessaires à cette fin et en informe le conseil médical.
Le Roi peut fixer des modalités pour l’application de l’alinéa 1er.
§ 4. Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, définir des catégories supplémentaires de patients auxquels les médecins hospitaliers ne peuvent, en vertu du paragraphe 2, facturer de supplément en cas d’admission en chambre individuelle.
§ 5. Les médecins hospitaliers ne peuvent, pour l’admission en chambre à deux lits ou en chambre commune, appliquer de suppléments aux honoraires forfaitaires payables par admission et/ou par journée d’hospitalisation pour les prestations de biologie clinique ou d’imagerie médicale, et ce sur l’ensemble des composantes desdits honoraires.
Les médecins hospitaliers ne peuvent, pour l’admission en chambre individuelle, appliquer de suppléments sur les honoraires forfaitaires payables par admission et/ou par journée d’hospitalisation pour les prestations de biologie clinique ou d’imagerie médicale, et ce sur la partie forfaitaire desdits honoraires.
§ 6. Les paragraphes 1 à 5 sont également d’application pour les prestations qui sont couvertes par le montant global prospectif par admission visé par la loi du 19 juillet 2018
relative au financement groupé des soins hospitaliers à basse variabilité. La base de calcul pour les suppléments est constituée de la valeur des honoraires des prestations qui ont été effectivement réalisées et pour lesquelles des suppléments sont effectivement demandés. Sauf dans des situations particulières fixées par le Roi par arrêté délibéré en Conseil des ministres, la base de calcul ne peut être supérieure à la partie honoraire du montant prospectif global par admission ».
B.32.2. En vertu de cette disposition, les médecins hospitaliers ne peuvent facturer aucun supplément aux patients qui sont admis en chambre à deux lits ou en chambre commune. Ils peuvent facturer des suppléments uniquement pour une admission en chambre individuelle, sauf dans les cas visés à l’article 97, § 2, de la loi coordonnée du 10 juillet 2008 (article 152, §§ 2 et 3, de cette loi). Toutefois, même en cas d’admission en chambre individuelle, aucun supplément ne peut être facturé sur la partie forfaitaire des honoraires forfaitaires payables par admission et/ou par journée d’hospitalisation pour les prestations de biologie clinique ou d’imagerie médicale (article 152, § 5, alinéa 2, de la même loi).
B.33. Il s’ensuit que les patients hospitalisés qui ne peuvent ou ne veulent pas payer des suppléments peuvent éviter ceux-ci (1) en optant pour une chambre à deux lits ou une chambre
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commune ou (2) en cas d’admission en chambre individuelle dans les cas visés à l’article 97, § 2, de la loi coordonnée du 10 juillet 2008.
B.34. Le deuxième moyen, en sa troisième branche, n’est pas fondé.
En ce qui concerne le troisième moyen
B.35. Le troisième moyen est pris de la violation, par l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023, de l’article 27 de la Constitution, de l’article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après : la Charte) et des articles 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lus en combinaison ou non avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Selon les parties requérantes, la disposition attaquée contraint les radiologues non conventionnés à adhérer aux tarifs issus de l’accord tarifaire, alors qu’ils ne jouissent pas des avantages sociaux qui y sont liés.
B.36. Les parties requérantes ne démontrent pas en quoi l’interdiction des suppléments d’honoraires pourrait violer la liberté de réunion garantie par l’article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de sorte que le moyen est irrecevable en ce qu’il est pris de la violation de ces dispositions.
B.37.1. L’article 27 de la Constitution dispose :
« Les Belges ont le droit de s’associer; ce droit ne peut être soumis à aucune mesure préventive ».
L’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose :
« 1. Toute personne a le droit de s’associer librement avec d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts.
2. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de
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la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ce droit par les membres des forces armées et de la police.
3. Aucune disposition du présent article ne permet aux Etats parties à la Convention de 1948 de l’Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte – ou d’appliquer la loi de façon à porter atteinte – aux garanties prévues dans ladite convention ».
B.37.2. Dès lors que l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques a une portée analogue à celle de l’article 27 de la Constitution, les garanties qu’il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour tient compte de cette disposition conventionnelle lors de son contrôle de la disposition attaquée.
B.38. La liberté d’association prévue par les dispositions précitées a pour objet de garantir la création d’associations privées et la participation à leurs activités. Elle implique le droit de s’associer et celui de déterminer librement l’organisation interne de l’association, mais également le droit de ne pas s’associer.
B.39. Contrairement à ce que prétendent les parties requérantes, la disposition attaquée n’affecte pas le droit des radiologues non conventionnés de ne pas s’associer. Elle n’a ni pour but ni pour effet de contraindre les radiologues non conventionnés à s’associer à des collègues ou à d’autres praticiens. La disposition attaquée limite uniquement la possibilité pour les radiologues non conventionnés de facturer des suppléments aux patients non hospitalisés. Cette limitation a certes pour effet que les radiologues non conventionnés doivent facturer les tarifs issus de l’accord tarifaire dans un certain nombre de cas, mais cela ne signifie pas qu’ils sont ainsi obligés de s’associer dans les faits.
B.40. Le troisième moyen n’est pas fondé.
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En ce qui concerne le quatrième moyen
B.41. Le quatrième moyen est pris de la violation, par l’article 11 de la loi du 13 novembre 2023, de l’article 16 de la Constitution, de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après: le Premier Protocole additionnel) et de l’article 17 de la Charte, lus en combinaison ou non avec les articles 10 et 11 de la Constitution. D’après les parties requérantes, la disposition attaquée constitue une restriction injustifiée du droit de propriété des radiologues non conventionnés, étant donné qu’ils ne peuvent pratiquement plus facturer de suppléments pour les prestations ambulatoires d’imagerie médicale lourde, alors qu’ils ne reçoivent pas les avantages dont bénéficient les prestataires de soins conventionnés et que les tarifs de l’assurance maladie obligatoire sont trop faibles.
B.42. Étant donné que les parties requérantes ne démontrent aucun lien de rattachement entre leur situation et le champ d’application du droit de l’Union, le quatrième moyen est irrecevable en ce qu’il est pris de la violation de l’article 17 de la Charte.
B.43.1. L’article 16 de la Constitution dispose :
« Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
L’article 1er du Premier Protocole additionnel dispose :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».
B.43.2. L’article 1er du Premier Protocole additionnel ayant une portée analogue à celle de l’article 16 de la Constitution, les garanties qu’il contient forment un ensemble indissociable
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avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle de la disposition attaquée.
B.43.3. L’article 1er du Premier Protocole additionnel précité offre une protection non seulement contre une expropriation ou une privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase), mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et contre toute réglementation de l’usage des biens (second alinéa).
B.44. La limitation légale de la possibilité de facturer des suppléments pour les prestations d’imagerie médicale lourde n’est pas une expropriation au sens de l’article 16 de la Constitution.
La Cour doit toutefois examiner si la disposition attaquée est compatible avec le droit au respect des biens garanti par l’article 16 de la Constitution, lu en combinaison avec l’article 1er du Premier Protocole additionnel.
B.45. En ce qui concerne la question du champ d’application de l’article 1er du Premier Protocole additionnel et l’aspect de l’existence d’une ingérence dans le droit au respect des biens, la notion de « bien » « a une portée autonome qui ne se limite pas à la propriété de biens corporels et qui est indépendante par rapport aux qualifications formelles du droit interne :
certains autres droits et intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des ‘ droits patrimoniaux ’ et donc des ‘ biens ’ aux fins de cette disposition » (CEDH, grande chambre, 11 janvier 2007, Anheuser-Busch Inc. c. Portugal, ECLI:CE:ECHR:2007:0111JUD007304901, § 63; dans le même sens, voy. CEDH, grande chambre, 7 juin 2012, Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie, ECLI:CE:ECHR:2012:0607JUD003843309, § 171; grande chambre, 13 décembre 2016, Béláné Nagy c. Hongrie, ECLI:CE:ECHR:2016:1213JUD005308013, § 73).
L’article 1er du Premier Protocole additionnel « ne vaut que pour les biens actuels et ne crée aucun droit d’en acquérir » (CEDH, grande chambre, 25 septembre 2018, Denisov c. Ukraine, ECLI:CE:ECHR:2018:0925JUD007663911, § 137). Un « revenu futur ne peut ainsi être qualifié de ‘ bien ’ que s’il a déjà été gagné ou s’il fait l’objet d’une créance certaine »
(CEDH, ibid.; grande chambre, 7 juin 2012, Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie, précité, § 172; décision, 6 septembre 2022, Marinovski c. Bulgarie,
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ECLI:CE:ECHR:2022:0906DEC007881516, § 18). L’article 1er du Premier Protocole additionnel « ne confère pas de droit à continuer à percevoir un salaire d’un montant spécifique » (CEDH, décision, 6 décembre 2011, Mihăieş c. Roumanie, ECLI:CE:ECHR:2011:1206DEC004423211, § 14; décision, 15 octobre 2013, Savickas e.a.
c. Lituanie, ECLI:CE:ECHR:2013:1015DEC006636509, § 91).
Cela étant, « dans certaines circonstances, l’‘ espérance légitime ’ d’obtenir une valeur patrimoniale peut également bénéficier de la protection » de l’article 1er du Premier Protocole additionnel (CEDH, grande chambre, 11 janvier 2007, Anheuser-Busch Inc. c. Portugal, précité, § 65; grande chambre, 13 décembre 2016, Béláné Nagy c. Hongrie, précité, § 74). Une « espérance légitime doit être plus concrète qu’un simple espoir et se fonder sur une disposition juridique ou un acte juridique tel qu’une décision judiciaire » (CEDH, grande chambre, 13 décembre 2016, Béláné Nagy c. Hongrie, précité, § 75). Pour pouvoir faire reconnaître un bien constitué par une espérance légitime, il faut jouir d’un droit sanctionnable qui doit véritablement constituer un intérêt patrimonial substantiel suffisamment établi au regard du droit national (ibid., § 79).
B.46. En limitant la facturation de suppléments, la disposition attaquée restreint, à compter de la date d’entrée en vigueur de la disposition attaquée, les revenus que les radiologues non conventionnés peuvent tirer des prestations d’imagerie médicale lourde qu’ils fournissent à des patients non hospitalisés. Elle n’affecte en revanche pas les revenus déjà acquis ou faisant l’objet d’une créance certaine avant l’entrée en vigueur de la disposition attaquée. L’article 35, alinéa 2, de la loi relative à l’exercice des professions des soins de santé, coordonnée le 10 mai 2015, dispose également que la liberté de fixer ses honoraires vaut uniquement « sans préjudice de l’application des taux éventuellement fixés par ou en vertu de la loi ». Les radiologues non conventionnés ne peuvent dès lors pas légitimement s’attendre au maintien, sans modification à l’avenir, des dispositions qui régissent leurs honoraires. Les radiologues non conventionnés demeurent du reste libres de fixer leurs honoraires, dans les cas visés en B.2.1 en ce qui concerne les prestations ambulatoires d’imagerie médicale lourde, ainsi que pour leurs autres prestations, sous réserve de taux éventuellement fixés par ou en vertu d’autres dispositions législatives que la disposition attaquée. Par conséquent, la disposition attaquée ne relève pas du champ d’application de l’article 1er du Premier Protocole additionnel.
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B.47. Le quatrième moyen n’est pas fondé.
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Par ces motifs,
la Cour
rejette le recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l’article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 6 février 2025.
Le greffier, Le président,
Frank Meersschaut Luc Lavrysen